Sénégal
44 Aly Ndiaye, dit Webster
Andréanne Fallu
Ce portrait sera sans doute bien différent des autres portraits présentés dans ce livre puisqu’Aly Ndiaye n’a pas immigré au Canada, il est né ici. Son parcours et son implication dans le monde du rap militant sont ce qui rend son histoire si enrichissante et inspirante.
Né dans le quartier Limoilou en 1979 d’un père sénégalais et d’une mère québécoise, Aly Ndiaye est maintenant plus connu sous le nom de Webster. On le surnomme ainsi car, dans sa jeunesse, il avait l’habitude de lire beaucoup et ses amis le taquinaient en le comparant au dictionnaire anglais, le Merriam-Webster.
Sa carrière et son implication sociale
Lorsqu’il était jeune, Aly cherchait un moyen de s’exprimer. Il avait beaucoup d’imagination et il était fasciné par le rap. Il était attiré par ce style de musique, car il pouvait s’identifier à ce qu’il entendait. En effet, c’était le domaine artistique qui traduisait le plus sa réalité de jeune métis vivant dans le quartier Limoilou. Lorsqu’il regardait la télévision ou encore écoutait la radio québécoise, il ne s’y reconnaissait pas. Par contre, il se sentait interpellé par la musique hip-hop. Il a donc commencé à écrire énormément sur sa vie et sa réalité. À l’âge de 15 ans, il s’est lancé officiellement dans le rap afin de dénoncer les inégalités sociales.
Aujourd’hui, on peut considérer Webster comme l’un des pionniers du mouvement hip-hop québécois. Il est, entre autres, membre fondateur du groupe Limoilou Starz. Depuis, il a fait de nombreux albums, des concerts et des conférences auprès des jeunes sur la persévérance scolaire et la résilience. Il donne aussi des conférences et des visites guidées sur l’histoire de l’esclavage des noirs à Québec, un sujet qui lui tient grandement à cœur. Il a d’abord écrit une chanson nommée QC History X. De cette chanson découle une conférence et un tour guidé. Pour lui, c’est très important d’éduquer les gens à ce sujet, car c’est une partie de notre histoire qui est mise de côté. En effet, ce n’est pas un sujet abordé dans les cours d’histoire au primaire, au secondaire, au cégep ni même au baccalauréat en histoire. Presque personne n’est au courant au Québec de ce côté sombre de notre histoire. Il en apprit beaucoup sur le sujet, par lui-même, en faisant de nombreuses lectures sur le sujet. Issu de l’immigration, sans être un immigrant lui-même, il aurait aimé être au courant de cela, car ces informations auraient contribué à la construction de son identité québécoise.
Son expérience avec le racisme
Lorsqu’il est au Québec, Aly Ndiaye vit parfois du racisme parce qu’il est « noir ». Certains le regardent différemment, ou encore des agents de sécurité le surveillent lorsqu’il fait ses courses dans une boutique. Plusieurs n’accordent pas d’importance au fait qu’il soit né au Québec ou encore au fait que sa mère soit blanche. On le voit comme un « nègre », on le considère comme un citoyen de seconde zone. D’un autre côté, lorsqu’il va au Sénégal, il est considéré comme un « Blanc ». Là-bas, on a déjà refusé de le servir à cause de la couleur de sa peau.
Je vois ça comme un ping-pong culturel. Chaque côté s’envoie la balle. Ici, on me dit « retourne dans ton pays » et quand j’arrive là-bas (Sénégal) on me dit « tu viens d’où, retourne dans ton pays ». Partout où tu vas, tu es perçu comme un étranger.
Bien sûr, ce n’est pas la majorité des gens qui le traitent comme ça, mais il s’agit tout de même d’une réalité à laquelle il doit faire face. À cause de cela, beaucoup de personnes issues de l’immigration ou du métissage peuvent se sentir rejetées partout et n’arrivent pas à trouver leur place.
Aly avait un message très inspirant à me partager à ce sujet. Pour lui, il ne faut pas s’arrêter aux différences qui nous séparent. Il faut plutôt retourner à la pureté humaine. Avant d’être un Blanc, un Noir, un homosexuel, un homme ou une femme, nous sommes des humains, des terriens avant tout.
Au-delà de ça, je suis un homme de la terre, un homme de l’univers.
L’expérience d’immigration de son père
Son père est né dans un petit village au Sénégal. En 1970, après des études à Dakar, il est venu étudier à Québec en science politique. Lors de ce premier voyage au Québec, il a rencontré sa femme. Il est par la suite retourné au Sénégal pour finalement revenir s’établir définitivement au Québec. Tout juste retraité du métier de professeur, il enseigna longtemps la science politique au Cégep Garneau, un emploi qu’il aimait beaucoup et qui le stimulait tous les jours. Tout au long de sa carrière, il fit parfois face à de la discrimination. Par exemple, les jeunes lui disaient souvent « oui, mais nous au Québec ». Il leur répondait alors : « Je suis doublement plus québécois que toi ». Il était au Québec depuis 1970, donc depuis bien plus longtemps que ces jeunes nés dans les années 90!
Selon Webster, son père a su se tailler une place dans la société québécoise tout en gardant un attachement fort à son identité sénégalaise. Il était à la fois fier d’être Sénégalais et fier d’être Québécois. Il s’est intégré, plutôt que de s’assimiler et d’oublier d’où il venait, comme malheureusement trop d’immigrants le font encore aujourd’hui.
Son opinion face à l’immigration au Québec
Selon lui, l’une des choses qui contribuent le plus à la difficulté des immigrants africains à s’intégrer au Québec est la non-reconnaissance de leurs diplômes. C’est comme si on donnait une valeur moindre aux diplômes universitaires ne provenant pas de l’Occident. Lorsqu’ils ne peuvent pas se trouver d’emplois dans leur domaine, les immigrants ne peuvent pas contribuer à la société québécoise comme ils le souhaiteraient. C’est un obstacle majeur à l’immigration et cela a un impact négatif sur la perception que les Québécois ont des immigrants.
Selon Webster, la deuxième problématique majeure concerne les minorités visibles. Il les appelle les « minorités visibles invisibles ». « Elles sont visibles de par leur apparence, mais elles sont invisibles dans notre société ». Pour lui, il serait très important qu’on puisse voir des Noirs comme policiers, juges ou encore journalistes dans les médias. Il faut rendre les « minorités visibles » visibles pour les bonnes raisons. Cela contribuerait à renforcer une image positive et à détruire plusieurs préjugés.
D’autre part, bien qu’il soit très important que les immigrants n’oublient pas leurs racines, il ne faut pas non plus qu’ils s’isolent au sein de leurs communautés, comme on le voit souvent à Montréal. Webster m’a raconté qu’il rencontre souvent des jeunes qui renient leur identité québécoise. Ils se considèrent seulement Africains, Syriens ou Juifs.
Pourquoi tu ne pourrais pas être les deux? Pourquoi tu ne pourrais pas être à la fois Africain et Québécois?
Webster pense qu’il est important pour les immigrants de voir leur pluralité culturelle comme une force. Ils peuvent prendre le meilleur de chaque culture et se forger une identité qui les représente vraiment. Par exemple, Aly apprécie beaucoup l’esprit communautaire présent au Sénégal. Au Québec, il apprécie une plus grande latitude quant à certaines normes sociales. Il laisse donc ce qui lui déplaît du Sénégal là-bas et ce qui lui déplaît du Québec ici, puis garde le meilleur des deux.
Bref, pour Webster, il est grand temps que les Québécois s’ouvrent davantage à la diversité culturelle. Il faut arrêter de voir les différences des gens comme une menace et plutôt les voir comme une force.
Maintenant, le Québécois n’est plus seulement blanc, francophone et catholique. Le Québec a maintenant un visage différent.
Pour en savoir plus sur l’engagement de Webster contre le racisme : http://www.journaldequebec.com/2017/02/16/festival-contre-le-racisme-webster-denonce-lindifference-et-lignorance
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