Djibouti
28 Abdourahman Abdoulkader Okieh
Marika Vachon-Plante
Voilà maintenant un peu plus de cinq ans que le Djiboutien d’origine a affronté le froid de l’hiver pour venir s’établir dans la ville de Québec, dont il ne connaissait pas l’existence avant son arrivée. Après avoir mis quelques mois à s’adapter à la culture et au mode de vie de sa terre d’accueil, Abdourahman Abdoulkader Okieh peut affirmer qu’il est devenu un vrai Québécois. Voici le portrait d’un jeune père de famille de 30 ans venu s’établir dans la Vieille Capitale.
Quitter son pays
Abdourahman Abdoulkader Okieh a grandi dans la plus grande ville de son pays du même nom, Djibouti, où il a étudié jusqu’à l’âge de 21 ans. Grâce à une bourse d’études, il partit alors en France y pour faire une maîtrise en informatique. C’est en discutant avec des amis que le projet d’immigrer au Québec lui vint à l’esprit.
À l’été 2009, Abdourahman commença à remplir les nombreux formulaires d’immigration, ce qui l’amena à rencontrer les responsables de l’immigration au Québec dans le cadre d’une entrevue. Il raconte que c’est sa motivation qui lui a permis d’obtenir son certificat de sélection puisqu’il ne connaissait rien de la province!
Un agent de l’immigration m’a posé des questions sur le Québec et je ne connaissais absolument rien. Heureusement, le monsieur a vu que j’étais motivé pour partir, mais que je ne savais rien de là où je mettais les pieds, car j’étais incapable de citer trois villes québécoises. Pour moi, il n’y avait que Montréal, Montréal et Montréal.
L’étape la plus importante dans le processus fut sans contredit sa participation à une foire de l’emploi de la fonction publique québécoise qui se tenait en France au début de l’année 2011. C’est à ce moment-là qu’il a postulé pour travailler à Québec et que son périple en sol nord-américain a débuté.
Confronter les différences
Bien que son arrivée dans la région de la Capitale-Nationale ne se soit pas faite en période de grand froid, mais bien au début du mois de septembre, Abdourahman a rapidement pris conscience de ce qu’est le Québec. Le lendemain de son arrivée, son cousin, qui demeurait dans la ville de Montréal depuis quelques années déjà, lui fit déguster le met typique de la belle province, la poutine…
Ce qui a été le plus difficile pour le Djiboutien, c’est sans contredit le climat qui est très différent de celui de son pays d’origine, où on enregistre une température moyenne de 27°C. Même s’il avait déjà entendu de nombreuses histoires sur le Québec et ses bordées de neige, ce n’est qu’à la saison hivernale qu’il a pris conscience de ce qu’était l’hiver.
L’homme, maintenant âgé de 30 ans, fut également confronté très tôt aux différences entre sa culture et celle de sa terre d’accueil. Les mœurs québécoises sont un peu austères, selon lui. La fraternité entre collègues s’est avérée plus rare qu’il le pensait.
Ici, on sort du boulot et chacun part dans son petit coin. Tu te retrouves seul chez toi. C’était difficile. Il faut se recréer un réseau en dehors du bureau. J’étais toujours lié avec mon réseau en France et dans mon pays d’origine, mais ce n’est pas pareil.
Bien qu’il ait été habitué à résider loin de sa famille lorsqu’il était en France, Abdourahman avoue que cette réalité s’est révélée beaucoup plus difficile qu’il le croyait.
Arrivé en France, j’ai survécu à cette solitude. Heureusement, je vivais dans une résidence universitaire. Ici [à Québec], c’était encore pire parce que là-bas il y avait au moins les autres étudiants. Quand l’hiver est arrivé, j’étais tout seul dans mon appartement du Vieux-Québec à écouter le sifflement du vent. Ça prend du courage.
S’adapter à son nouveau milieu
En aucun cas, il n’a été question pour le jeune père de famille de baisser les bras devant les défis qui se sont dressés devant lui. Ce qui l’a poussé à avancer sans regarder derrière, c’est sa résilience. Tout n’a pas toujours été facile pour le Djiboutien qui, lors de son séjour en France, a connu ce que sont le racisme et la discrimination. Heureusement, des tels épisodes ne se sont pas produits depuis son arrivée à Québec.
Selon Abdourahman, les Québécois ne sont pas mal intentionnés dans leurs commentaires qui sont quelquefois désobligeants; ils sont plutôt ignorants du quotidien des Africains. Les préjugés perdurent dans la société moderne. M. Abdoulkader Okieh attribue cette naïveté aux images que véhiculent les médias.
On nous montre que l’Afrique c’est l’insécurité, la famine, la pauvreté et la guerre. Je peux dire que c’est partout comme ça. Dans mon pays, on n’a jamais connu la guerre. Les Québécois croient qu’il n’y a pas d’électricité, que nos moyens de transport ne sont pas les mêmes qu’ici. Je m’amuse bien à faire accroire à mes collègues qu’on se déplace à dos d’éléphant pour aller à l’école et que nos animaux domestiques sont des lions.
Il tempère toutefois ses propos en confiant que les habitants de son pays d’origine ne connaissent pas davantage le Québec et ses réalités : « C’est récemment que j’ai appris que Céline Dion est québécoise alors que j’écoute ses chansons depuis que je suis petit! ».
Les discours véhiculés en Europe n’aident pas non plus les immigrants comme Abdourahman à se forger une opinion fidèle sur le Québec.
Lueur d’espoir
Malgré cette méconnaissance, les habitants de la province font preuve d’ouverture, selon lui. Tout comme son peuple, les Québécois ont dû s’adapter aux changements sociaux au fil du temps. Les Djiboutiens font face au même défi. Dans son pays, par exemple, la polygamie disparait progressivement à mesure que les jeunes voyagent et s’ouvrent au monde.
En faisant des études, les gens vont à l’extérieur et voient d’autres cultures. Cette génération-là est revenue au pays en disant qu’ils n’auraient dorénavant qu’une seule femme.
Au Québec, ce changement se traduit par une meilleure acceptation de l’autre. Il reste beaucoup de travail à faire dans ce sens, mais la volonté y est, selon son témoignage. Le message d’Abdourahman Abdoulkader Okieh est d’aller vers l’autre et de ne pas hésiter. C’est d’ailleurs de cette façon que le Djiboutien a compris la réticence des Québécois face aux nouveaux arrivants. Toutefois, il rappelle que le Québec a été fondé grâce à l’immigration et que c’est une réalité qu’on ne peut pas ignorer.
Transmettre ses valeurs
Bien qu’il se considère maintenant Québécois, le père d’une petite fille de cinq mois soutient qu’il est important pour lui d’expliquer à cette dernière d’où il vient.
Quand on ne sait pas d’où on vient, on ne peut pas savoir où on s’en va.
C’est un beau défi qui attend le citoyen canadien, qui devra jongler entre l’histoire québécoise et celle de ses ancêtres. Une valeur qu’il souhaite partager à la société québécoise et éventuellement transmettre à sa jeune fille, c’est l’entraide, le partage.
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