Tchad

46 Anne Kouraga

Valérie Dubé

Anne Kouraga est originaire du sud du Tchad, mais a toujours vécu à N’Djaména, la capitale du pays. En 2001, lorsque son fils unique atteignit sa majorité, elle décida de quitter son mari et son pays et s’envola vers le Québec. Officiellement au pays pour un échange étudiant, Anne Kouraga s’inscrivit à l’Université Laval pour faire une maîtrise en service social. Cela fait maintenant 15 ans qu’elle habite le territoire québécois.

Pourquoi partir vers le Québec

Les motivations de Mme Kouraga étaient nombreuses et variées malgré son autonomie financière au Tchad. Les dures conditions de vie en tant que femme, l’absence d’assurance maladie et le stress d’être confrontée, dans le cadre de son travail comme responsable dans un centre social, à de nombreux cas de violence envers les femmes et les enfants furent autant de raisons motivant son départ. Par ailleurs, ayant fait ses études en travail social, elle avait remarqué que les méthodes d’intervention préconisées provenaient souvent d’Amérique du Nord, ce qui titilla sa curiosité envers ce continent. Finalement, elle savait que la langue ne serait pas une barrière à son intégration, ses deux langues maternelles étant l’arabe et le français.

Son parcours québécois

Lorsqu’elle habitait encore au Tchad, madame Kouraga fit la connaissance d’une amie originaire du Nouveau Brunswick qui avait séjourné au Tchad. Quand elle partit pour le Québec, cette amie l’a mise en contact avec une famille ayant séjourné dans le passé au Tchad et vivant présentement à Trois-Rivières; c’est cette famille qui vint l’accueillir à l’aéroport de Montréal. hébergea une famille de Trois-Rivières. Tout de suite, Anne s’installa dans la ville de Québec pour ses études.  Une session suffit à la convaincre d’immigrer. Le respect envers les femmes et d’autres valeurs furent autant de raisons de rester. Elle s’intégra si bien au pays qu’elle commença à travailler dès sa deuxième session. Après la fin de ses études en 2007, elle déménagea à Ste-Anne-des-Monts en Gaspésie pour travailler en tant que gestionnaire au CLSC. Elle se fit beaucoup d’amis là-bas. En 2009, elle obtint le poste de chef de programme des jeunes en difficulté et santé mentale des jeunes au CLSC de la Capitale-Nationale, où elle travaille encore aujourd’hui. Son travail consiste à gérer environ 45 employés travaillant auprès des familles qui ont des enfants de 0 à 18 ans.

Difficultés rencontrées et nostalgie

À son arrivée, Mme Kouraga ne rencontra que très peu de difficultés. Son intégration fut facilitée par sa connaissance de la langue française, mais s’avéra parfois difficile en raison du français parlé et des accents québécois parfois plus difficiles à comprendre.

Anne Kouraga n’a connu qu’un seul épisode raciste, dans un restaurant de Gaspésie. Une femme lui a dit : « Qu’est-ce que vous faites ici, retournez chez vous! ». Elle n’eut même pas le temps d’intervenir que tous les gens présents prirent sa défense et obligèrent la dame à quitter le restaurant! Elle se dit chanceuse d’avoir toujours obtenu ce qu’elle désirait au Québec, que ce soit un poste convoité, des bourses ou même des lettres de recommandation.

Par contre, elle entendit à maintes reprises des opinions arrêtées et non fondées quant à l’Afrique et aux gens qui y habitent telles que « Tout le monde est pauvre en Afrique! », « C’est pas vivable! », « Les Africains sont toujours en retard », « Ils viennent tous voler nos jobs », « Ce sont tous des escrocs ». Il faut mentionner que ces propos ne furent jamais dits directement à madame Kouraga. Celle-ci eut plusieurs occasions de comprendre que les Canadiens sont souvent mal informés en ce qui concerne l’Afrique. En effet, lorsqu’elle montre des photos de son passé au Tchad, les gens restent toujours surpris de voir que les maisons ne sont pas toutes des cabanes et qu’une bonne qualité de vie y est possible.

Bien évidemment, quelques aspects de son pays d’origine lui manquent. Premièrement, ses proches tels que son fils, ses petits-enfants, sa mère, sa sœur et ses amis lui manquent. La présence physique de ces êtres chers lui manque, malgré les appels téléphoniques, Internet et la visite qu’elle fit il y a quelques années. Deuxièmement, certaines valeurs présentes au Tchad, comme la famille, les rassemblements et les fêtes familiales lui manquent. Elle s’ennuie aussi de la simplicité du mode de vie, d’une société moins individualiste. En effet, au Tchad, chacun est perçu comme étant l’enfant de tous. Tout le monde accepte son prochain tel qu’il est réellement. Étonnamment, elle ne s’ennuie pas du climat tchadien nettement plus chaud que celui de la province de Québec. Selon elle, les températures sont trop élevées au Tchad, tandis qu’ici « des bonnes bottes et des bons habits, ça aide beaucoup », dit-elle.

Choc culturel et amour du Québec

Anne Karouga vécut plusieurs petits chocs culturels au Québec. En particulier, c’est avec tristesse qu’elle réalisa que les valeurs chrétiennes tendent à disparaître, contrairement à son pays d’origine où la religion est une valeur prédominante. Aussi, l’utilisation fréquente du tutoiement au Québec l’a choquée. Un inconnu, un aîné, tous sont susceptibles d’être tutoyés. L’apparent manque de respect dont les enfants font parfois preuve en s’adressant à leur parents l’a déstabilisée : au Tchad, il est inacceptable d’insulter ses parents ou de leur manquer de respect. Ayant connu le système éducatif français, madame Kouraga considérait l’acte de manger en classe comme inacceptable à son arrivée au Québec, alors que ça se fait parfois. Finalement, l’aspect capitaliste et obsédé par la productivité de notre société la bouleverse quelque peu, car c’est à l’opposé du rythme de vie de son pays d’origine : les Tchadiens prennent le temps de vivre et priorisent l’être humain. Selon Anne Kouraga, aucun cellulaire, aucun ordinateur ni aucune promotion ne pourront remplacer la chaleur humaine.

Malgré ces chocs, madame Kouraga souligne avoir été charmée par le Québec pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, ce qu’elle aime énormément du Québec, c’est la place des femmes et le respect et la reconnaissance dont elles bénéficient comme êtres humains à part entière. La femme qui reste à la maison au Tchad est invisible : cuisiner, faire le ménage, s’occuper des enfants et même s’occuper du mari, c’est encore considéré comme « rien » aux yeux des hommes au Tchad. Au Québec, le partage des tâches familiales est plus équilibré. Ensuite, elle fut charmée par la valeur d’entraide grandement véhiculée au Québec et le sentiment de sécurité que l’on ressent en y habitant puisque chacun, la plupart du temps, veut aider son prochain. Une fois, à son arrivée en 2007 dans la ville de Ste-Anne-des-Monts, un voisin vint cogner à sa porte pour s’assurer que madame Kouraga allait bien puisqu’il ne l’avait pas vue depuis un certain temps. C’est cet esprit de solidarité et de paix qu’il ne faut surtout pas perdre, selon elle.

En conclusion, elle a un message pour les Québécois effrayés par l’arrivée d’immigrants africains sur leur territoire :

On ne vient pas voler d’emploi. Il y a du travail pour tout le monde. Aussi, il ne faut pas mettre tous les Africains dans le même bateau, il ne faut pas généraliser. Il y a des mauvaises personnes parmi les Africains, mais aussi de nombreuses bonnes personnes qui ne cherchent qu’à aider, comme dans toutes les sociétés. Le Québec est une société d’accueil et, dans ce cas, il faudrait que les gens qui la composent soient ouverts d’esprit et de cœur. En prenant le temps d’approcher ces personnes-là, de les côtoyer, ils réaliseront qu’ils en sortiront grandis puisque ces personnes ont bien des choses à partager avec eux.

Elle ajoute à cela un message aux immigrants et aux futurs immigrants :

Arrêtons de dire que tout le monde est raciste et que ce sera impossible de trouver un emploi, puisque quand on veut, on peut et quand on travaille pour y arriver, nous avons les mêmes chances qu’un Québécois d’y arriver. J’en suis la preuve vivante. Il faut y croire.

Un proverbe de son pays dit ceci : « Un morceau de bois dans l’eau ne deviendra jamais un crocodile ». Anne en tire cette réflexion :

Nous sommes des immigrants, mais nous ne pouvons pas faire comme si nous ne connaissons plus nos origines et pouvions les renier. Quoi que nous fassions, peu importe le nombre d’années vécues dans ce pays, nous resterons des immigrants malgré notre citoyenneté. Il faut l’accepter et le voir positivement.

Pour inciter tous les immigrants à être vigilants et ne pas dormir sur leurs oreillers, Anne propose un autre proverbe en arabe tchadien  : Kane Dunia farach lek, ma togod usut lakine agod Taraf qu’elle traduit ainsi :  « si la vie t’étale une natte pour t’asseoir, ne t’assois pas en plein centre, mais plutôt sur le côté ». Cela signifie que peu importe la réussite que nous avons vécue, il ne faut rien prendre pour acquis, toujours continuer à travailler fort et toujours rester sur ses gardes.

Anne Kouraga dans l’hiver québécois

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