Tchad

48 Emmanuel Mbaï-Hadji Mbaïrewaye

Maxime Blouin

Les lignes qui suivent relatent l’histoire de Emmanuel Mbaï-Hadji Mbaïrewaye, un Africain de 40 ans originaire du Tchad qui poursuit avec détermination son intégration dans la société québécoise. Son histoire est inspirante et sa réussite trace une piste d’acculturation intéressante pour les autres immigrants venant des quatre coins du globe.

La vie avant de quitter le Tchad

Mbaï-Hajdi est né et a vécu dans la capitale du Tchad, N’Djamena. D’ailleurs, il se décrit plutôt comme un citadin qui passa la majorité de sa vie dans de grandes villes. Toutefois, les choses brassèrent dans la République du Tchad à la suite de l’indépendance du pays. Une guerre civile éclata dans la capitale N’Djamena en 1979 et obligea Mbaï-Hadji et sa famille à fuir vers le village de son père, Bodo, situé complètement au sud du Tchad. Le Tchadien, qui avait vécu en ville jusqu’à ce moment, découvrit une toute nouvelle culture et une mentalité différente de celle de la ville. « J’ai passé les six meilleures années de ma vie en campagne. C’était tellement bien, j’ai encore plein de bons souvenirs » relate Mbaï-Hadji.

Plier bagage vers d’autres horizons

Ce furent les études qui poussèrent Mbaï-Hadji hors de son pays natal en 1998. Le Tchad ne possédant pas de programme de sciences politiques, il dut s’expatrier vers de nouveaux horizons pour pousser plus loin sa passion. Après un séjour et un diplôme au Cameroun, il s’envola vers l’Europe. Il passa une année à Anvers, en Belgique, où il décrocha une maîtrise en gouvernance et développement à l’Institut de politique et de gouvernance de développement de l’Université d’Anvers. Il traversa ensuite en France afin d’explorer les différentes avenues du domaine des sciences politiques à l’Université de Picardie Jules Verne. Son séjour fut couronné de deux maîtrises, l’une en savoirs et pratiques du politique et l’autre en évaluation et expertise des politiques publiques.

Son séjour en Europe s’est plus ou moins bien passé. Pour la première fois, il a fait l’expérience directe et indirecte de la discrimination et du racisme. Il fut personnellement victime d’un contrôle au faciès de la police d’Anvers. Cet acte de discrimination, gravé à jamais dans sa mémoire, changea beaucoup sa manière de voir les choses :

Je sortais tout juste d’une épicerie africaine d’Anvers, située dans un quartier peuplé d’immigrants turcs, chinois, africains, etc. Je traversais un terrain de jeu. Et c’est alors que deux policiers m’interceptèrent. Ils me demandèrent de présenter mon passeport. N’ayant pas ce dernier, je leur ai présenté ma carte de séjour et leur ai demandé pourquoi ils faisaient ce genre de contrôle dans ce quartier. Ils me répondirent que c’était suite à un arrêté municipal étant donné l’insécurité ambiante dans le quartier. Ils m’apprirent qu’il y existait du trafic de drogue et de la prostitution. Les deux policiers prirent ma carte de séjour et continuèrent d’exiger mon passeport. Je leur ai répondu que je ne me promène pas avec mon passeport sur moi, que je préfère le laisser chez moi pour éviter de le perdre, et que la carte de séjour n’est délivrée que sur présentation du passeport. Malgré ces explications, ils continuèrent d’exiger le passeport. Je leur ai proposé de me conduire chez moi et je leur montrerai mon passeport. Sur ces entrefaites, un homme blanc traversa le terrain de jeu sans se faire contrôler. J’ai demandé aux policiers pourquoi ils ne le contrôlaient pas puisque, d’après eux, toute personne qui traverse ce terrain doit être contrôlée. Ils n’ont dit mot. Alors j’éclatai de colère et je refusai immédiatement de coopérer. Ils me menottèrent et me firent monter dans leur véhicule sans résistance de ma part. Au poste de police, on m’obligea à me déchausser et à enlever mon manteau. Ils m’installèrent devant une table, me remirent une fiche et un stylo et me dirent d’écrire que j’ai été arrêté, car je refusais d’obtempérer au contrôle policier. J’ai refusé et répliqua que j’ai refusé de coopérer, car il me semblait qu’il s’agissait d’un contrôle au faciès. C’est ce que j’ai écrit. J’ai rapporté l’incident au directeur de mon institut qui m’avoua que je n’étais pas le premier à être victime d’un contrôle au faciès à Anvers, mais que la plupart du temps, les plaintes n’aboutissaient pas faute de preuve, c’était la parole des policiers contre celle des victimes. Ce fut une expérience excessivement humiliante.

Cette expérience négative amena toutefois à Mbaï (comme on l’appelle communément) à faire un constat très important sur la tolérance et la discrimination.

En Afrique subsaharienne, on ne connaît pas le racisme. Nous sommes tous entourés de Noirs. Cet épisode m’a fait réaliser bien des choses.

Ce jour-là, il comprit la violence de la discrimination que peuvent vivre les minorités (sexuelles, religieuses, ethniques, etc.), ainsi que les groupes racisés, et décida de se battre contre toutes les formes de discrimination. Le fait d’avoir vécu des épisodes de racisme au cours de ses différents séjours en Occident l’avait amené à comprendre la violence du racisme et la colère qu’il suscite chez la victime. Mais en même temps, il comprit que la colère est la pire des réactions face au racisme. Opposer la non-violence, la raison et l’amour à la discrimination est la meilleure solution, la seule susceptible de rompre le cycle de la haine.

L’arrivée en terre québécoise

En 2007, après ses études en France, il décida de faire le grand saut vers l’Amérique du Nord afin de poursuivre ses études à l’Université Laval. Un superviseur de thèse l’intéressa suffisamment pour qu’il prenne la décision de faire un doctorat en science politique à Québec.

Son arrivée au Québec au mois d’août ne lui causa pas un très grand choc thermique. La moyenne des températures en août oscille entre 13 et 24 degrés Celsius, ce qui n’est pas très déstabilisant pour un immigrant. Ce qui marqua davantage Mbaï-Hadji en arrivant au Québec, c’est la chaleur humaine des Québécois. Les gens furent plus faciles à aborder ici qu’en Europe, ce qui surprit grandement le Tchadien. Puis, l’hiver arriva rapidement et le véritable choc climatique fut brutal pour le nouvel arrivant. La température peut descendre sous les -30°C à Québec en janvier, alors qu’elle descend tout au plus autour de 14°C dans la République du Tchad. « Le premier hiver, ce fut difficile. J’ai passé toute la session d’hiver dans les tunnels et les couloirs de l’Université. Il faisait trop froid. Puis, on s’habitue et on s’habille plus chaudement », a commenté Mbaï-Hadji.

Ayant vécu en Europe, son intégration à la société québécoise fut beaucoup plus facile que ce qu’il avait vécu en France et en Belgique. Il n’eut pas besoin de rencontrer des organismes d’intégration présents dans la ville de Québec. Son apprentissage se fit au fil d’expériences et de contacts humains dès son arrivée. Ses expériences humaines valent beaucoup plus, selon lui, que ses nombreux diplômes obtenus au fil des années. De plus, sa décision de s’impliquer dans son milieu eut un impact considérable sur son adaptation à la société québécoise.

L’implication dans ton milieu te permet de mieux comprendre l’environnement dans lequel tu vis. Elle te permet aussi de te créer un réseau, chose qui est énormément importante au Québec. Je me suis donc impliqué au sein des partis politiques, du conseil de quartier de Saint-Roch, des associations africaines ainsi que de l’église de mon quartier.

Désormais un Québécois d’origine africaine

Mbaï-Hadji est établi à Québec depuis maintenant neuf ans. Il travaille au Secrétariat du Conseil du Trésor du Québec depuis 2011. Le patron qui l’avait alors recruté était une personne très ouverte qui n’a pas hésité à lui donner sa chance. Le Tchadien n’a pas attendu très longtemps pour faire ses preuves. Il vit actuellement dans un appartement du quartier Saint-Roch, ce qui lui permet d’être au cœur de ce quartier vivant et multiculturel dans lequel il s’implique beaucoup.

Mbaï-Hadji s’est également imprégné de la culture québécoise depuis qu’il est arrivé ici. Il a intégré à son quotidien nos émissions d’affaires publiques de Radio-Canada, notamment le Club des ex, les Coulisses du pouvoir et RDI Économie, ou encore des émissions plus légères et humoristiques comme Les Parents. Il est également devenu un partisan des Canadiens de Montréal, le hockey étant une véritable religion ici au Québec et dans tout le Canada. D’ailleurs, l’hiver dernier, il a commencé son apprentissage du patinage et lorsqu’il maîtrisera parfaitement la technique sur glace, il veut se mettre au ski alpin. Comment ne pas aimer l’hiver lorsqu’on pratique ces belles activités? Il ne faut pas oublier son mets québécois préféré : le pâté chinois.

Son adaptation à la société québécoise et à sa culture ne lui fait pas oublier ses origines africaines qu’il souhaite faire découvrir aux gens d’ici. Son alimentation est largement composée de mets et de produits africains et il possède une collection intéressante d’objets provenant de son pays natal. Évidemment, il tient à conserver plusieurs belles valeurs africaines tout au long de sa vie, notamment le respect des aînés et la solidarité. Toutefois, c’est par les diverses rencontres et les activités organisées dans la région par les associations africaines que son lien avec l’Afrique grandit chaque jour.

En participant à des activités de diverses associations africaines, dont le Conseil panafricain de Québec (COPAQ) qui rassemble les Africains et Africaines de Québec, je connais encore mieux l’Afrique aujourd’hui que je la connaissais à l’époque lorsque j’y demeurais. Je rencontre des Africains des quatre coins de l’Afrique, chose que je n’avais pas l’occasion de faire lorsque j’y résidais. C’est aussi en sortant de l’Afrique et en faisant face au racisme anti-noir qu’on est poussé à s’attacher davantage au continent africain et à l’histoire des Noirs , a passionnément exprimé Mbaï-Hadji.

D’ailleurs, au moment de notre entrevue qui a eu lieu chez lui, il était en pleine lecture d’un livre sur l’Afrique, Petite histoire de l’Afrique de Catherine Coquery-Vidrovitch.

Mbaï-Hadji est retourné à quelques reprises dans son pays. Son voyage le plus récent datait de novembre 2016 pour assister aux obsèques de sa petite sœur. Il a témoigné se sentir un peu étranger désormais lorsqu’il met le pied dans son pays d’origine, car il s’est imprégné de certaines coutumes, manières de faire et des valeurs québécoises qui changent sa vision et sa personnalité lorsqu’il se présente devant les siens demeurés en Afrique. « On ne peut pas y retourner sans faire quelques concessions. Le milieu détermine inévitablement notre comportement », a-t-il conclu sur le sujet.

Le Québec et l’Afrique

En poursuivant le jeu de la comparaison entre le Québec et l’Afrique, Mbaï-Hadji a énuméré quelques valeurs qui sont communes aux deux peuples et d’autres qui les distinguent, ainsi que les valeurs qui sont en évolution suivant les générations. Ainsi, ce qui est commun aux Québécois et aux Africains est le sens du collectif qui est très présent, notamment le sens de l’entraide. Par exemple, le bénévolat, l’aide au prochain et les programmes sociaux sont quelques exemples qui illustrent l’importance du collectif au sein de nos sociétés.

Cependant, certaines choses divergent. C’est d’ailleurs le cas de certains rapports sociaux qui sont davantage égalitaires au Québec, mais davantage hiérarchiques en Afrique : le rapport entre hommes et femmes, parents et enfants, étudiants et enseignants ou encore le respect des minorités sexuelles. Les conventions sociales sont moins rigides et conservatrices au Québec. Le Tchadien avoue d’ailleurs qu’il aime bien les rapports égalitaires qui créent davantage de liens entre les personnes. Néanmoins, il demeure attaché au vouvoiement lorsqu’il ne connaît pas son interlocuteur.

Le Québec professionnel

Selon Mbaï-Hadji, le milieu professionnel fut et reste encore aujourd’hui un des grands problèmes de la terre d’accueil québécoise. À plusieurs reprises, il a souligné à quel point le réseau était important au Québec pour percer le marché professionnel. « Ici, le réseau de contacts est important. C’est difficile pour un immigrant. Quand tu viens d’ailleurs, l’employeur doute de tes capacités, donc si tu n’as pas un bon carnet d’adresses, ça peut être très complexe ». Pour lui, il existe un problème majeur d’adéquation entre la qualification des immigrants que le Québec accueille chaque année et les types d’emplois disponibles. La plupart des immigrants viennent ici pour l’emploi. Si la terre d’accueil est en mesure d’offrir des opportunités en emploi, il n’y aura pas de problèmes d’intégration. « Lorsqu’on a un travail, l’implication et l’attachement à la terre d’accueil viennent facilement », a énoncé Mbaï-Hadji.

Le Québec culturel et social

De plus, comme pour la majorité des immigrants qui arrivent en sol québécois, l’apprentissage de la culture du Québec fut un travail d’apprentissage continuel pour l’Africain de 40 ans. Les manières de faire sont selon lui différentes, notamment en ce qui a trait à notre grand amour du consensus et notre façon d’exprimer notre désaccord. Cette adaptation prit au moins cinq ans. Rapidement, Mbaï-Hadji comprit aussi que le Québec était synonyme de tolérance et de créativité. Il croit que notre créativité provient de la lutte historique des Québécois pour préserver leur langue et leur culture au sein d’une Amérique du Nord majoritairement anglophone et sous influence états-unienne.

Dans la même veine, il y a deux principaux points qui frappèrent le Tchadien dans les premières années de sa vie au Québec : l’incompréhension du Canada par les Québécois (puisqu’il a vécu un an en Alberta) et la peur de la différence. Ces deux points s’entrecoupent un peu.

Les Québécois sont ouverts, mais ils ont peur de se diluer dans la différence qui arrive d’ailleurs. C’est un problème ici lorsqu’on est trop différent. Prenons l’exemple des musulmans. Les gens ici semblent penser qu’ils sont venus imposer leur culture et leur religion, mais ce n’est pas le cas. La plupart des musulmans viennent ici pour rechercher un emploi et une vie meilleure et non en tant qu’ennemis du Québec.

En guise de conclusion, le Tchadien a mentionné que le Québec continue ses efforts pour intégrer ses immigrants et il croit fermement que les prochaines générations seront plus ouvertes aux cultures du monde. À titre personnel, son défi pour les prochaines années sera de découvrir les régions québécoises allant de l’Abitibi-Témiscamingue à la Gaspésie.

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Emmanuel Mbaï-Hadji Mbaïrewaye

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