15 Younes X.

Marie-Ève Dutrisac

Je suis un heureux melting pot de tous les continents!

Accompagné de ses parents et de son frère aîné, Younes arriva au Québec en mars 2000. C’est le climat difficile qu’offrait alors l’Algérie qui les poussa à fuir le pays et à venir s’établir au Québec.

Malheureusement, le 5 mars 2000, Québec s’apprêtait à recevoir l’une des plus grandes tempêtes de neige de l’année. « Je me souviens de la gigantesque tempête de neige à notre arrivée. Nous n’avions définitivement pas les vêtements nécessaires pour braver de telles conditions météorologiques! », raconte-t-il. Arrivée à l’aéroport de Montréal, sa famille fut accueillie par son oncle et sa tante. Ils les hébergèrent le temps qu’ils s’organisent et qu’ils trouvent un minimum de stabilité avant de poursuivre leur chemin pour s’établir dans la ville de Québec.

Mars 2000 était une période de guerre civile et d’attentats terroristes à Alger et dans toute l’Algérie. C’est pourquoi les parents de Younes décidèrent de rester au Québec pour offrir une éducation supérieure de qualité à leurs enfants et un meilleur niveau de vie.

C’était important pour mes parents que mon frère et moi puissions accéder à l’école supérieure et s’assurer une stabilité d’emploi.

Younes se rappelle également que ses parents l’avaient forcé à parler français : « Avant d’arriver ici, mes parents me forçaient à parler français et non arabe, avec beaucoup de mal semble-t-il, mais j’ai toujours eu l’impression d’avoir parlé français dès le début ». Certes, l’accent québécois n’est pas de tout repos pour les nouveaux arrivants. Le rythme, la diction et la prononciation des mots restent un défi de taille pour plusieurs. « Nous étions habitués à l’accent français de la France. Mes parents ont été très déstabilisés par ce nouveau langage. Même aujourd’hui, il est plutôt difficile pour ma famille et moi de parler avec un accent complètement québécois », témoigne-t-il.

Bien que les souvenirs de son arrivée au Québec soient plutôt flous et peu nombreux, il se rappelle de quelques éléments frappants : « La première fois que j’ai dû enfiler des bottes et des pantalons de neige pour sortir dehors, c’était très étrange. Je me souviens d’avoir détesté cela! ».

Après mûre réflexion, ce qu’il apprécie le plus des Québécois est leur côté terre-à-terre, simple et sans prétention.

Pour avoir voyagé beaucoup dans ma vie, je me rends compte que les gens d’ici aiment passer du temps de qualité avec leurs proches, et ce, de façon décontractée. C’est quelque chose qu’on ne retrouve pas en France ou à New York, par exemple.

Younes ne trouve pas que les Québécois soient plus accueillants que d’autres peuples. Selon lui, les arabes reçoivent leurs proches avec plus d’amour que les Québécois : « Quand je retourne en Algérie, je suis traité en roi. Des cousins éloignés nous reçoivent comme si nous n’étions jamais partis! ». Il raconte également qu’en Algérie, tout le monde se salue dans les rues.

Une enfance comme les autres

Vivant au Québec depuis maintenant 17 ans, Younes ne considère pas qu’il y ait de majeure différence entre sa vie et celle d’une personne née ici. Il remarque par contre qu’il a assurément une plus grande ouverture d’esprit envers les personnes immigrantes. « Mon cercle d’amis est un succulent melting pot de tous les continents », explique-t-il en souriant.

À l’adolescence, il entama son secondaire dans un collège privé de renom. Il s’inscrivit ensuite dans une ligue de basketball et se trouva une petite amie québécoise. « Bref, affirme-t-il, j’ai vécu une adolescence typiquement québécoise ». Il s’intéressa par la suite au monde musical intriguant du rap français. Il écrivit ses premières chansons dès l’âge de 13 ans, racontant son quotidien et sa vie d’adolescent. Le Québec est une province culturelle très riche en musique et en artistes, ce qui lui permit d’explorer l’univers du rap francophone, de se faire connaître rapidement et d’en faire ainsi une véritable passion. « J’ai commencé à écrire sur des sujets qui me tenait à cœur : sur les valeurs des gens, sur ma vie, sur ce que le monde pensait de moi, etc. » C’est alors que naquit chez lui un désir de dénoncer ce qui n’allait pas dans la société à travers ses chansons.

À cet effet, Younes a remarqué que beaucoup de Québécois voient l’Afrique et les pays islamiques de façon très négative. Au cours de la dernière année particulièrement, il a noté une monté fulgurante de l’islamophobie. « Les Québécois aiment utiliser l’argument de la victimisation à toutes les sauces et cela me dévaste vraiment », ajoute-t-il. Il croit également que les gens ont tort de ne pas s’informer réellement sur ce qu’est l’islam. Selon lui, la plupart des Québécois sont tellement confortables au Québec qu’ils souffrent d’un manque d’ouverture sur le monde, oubliant que la réalité est souvent bien différente ailleurs.

Les défis du Québec

Younes n’a pas de réelles recommandations à donner aux nouveaux arrivants. « Achetez-vous de bons vêtements d’hiver et vous survivrez! », dit-il en blaguant. La vie n’est pas si différente ici, selon lui : tout le monde va à l’école, se trouve un travail et finit par prendre sa retraite.

Il n’a pas de message pour les Québécois qui s’inquiètent de l’arrivée des immigrants au Québec. En fait, un Québécois qui a peur des immigrants ne mérite pas son conseil. Selon lui, avoir ce genre de peur irrationnelle disqualifie tout Québécois de bon sens. « Ce n’est pas mon rôle de convaincre ou de rassurer les peurs incohérentes de certains Québécois bornés », explique-t-il.

Sur une base quotidienne, Younes fait face à plusieurs défis. L’accès à un emploi n’est pas toujours facile, prendre l’avion est aussi tout un processus physique et psychologique.

Pourtant, je me sens autant québécois qu’un autre, ces défis n’ont pas lieu d’exister.

Enfin, bien qu’il s’ennuie parfois de son pays d’origine, l’Algérie, il affirme que son pays d’accueil reste gravé dans son cœur. « Le Québec n’est pas parfait, mais quel pays l’est vraiment? » Il se considère chanceux d’avoir vécu une enfance et une adolescence relativement normales. Il remercie également ses parents d’avoir fait le choix de venir vivre au Canada, parce qu’il sait que même si l’Algérie est un pays qu’il adore, les conditions de vies y sont beaucoup plus précaires qu’ici. Au Québec, il peut vivre de sa musique, aller à l’université et avoir plusieurs amis, autant immigrants que québécois.

Younes ne changerait rien à son parcours de vie, car ce sont toutes ces expériences, bonnes ou mauvaises, qui ont façonné le jeune homme ambitieux et talentueux qu’il est devenu aujourd’hui.

Algérie. Source : https://pixabay.com/fr/alger-algrie-ville-appartement-2365666. Crédit : SofiLayla

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