17 Myriam Maher

Jean Carrier

Un parfait amalgame

Il suffit de passer quelques moments avec cette femme chaleureuse pour se rendre compte rapidement de toute l’énergie qu’elle dégage. C’est à son travail que je suis allé rencontrer Myriam. Elle occupe un poste de vice-présidente dans une entreprise d’alimentation qui fournit plusieurs restaurants de la région de Québec; le chocolat et le gelato font la fierté de l’entreprise qui lui appartient, ainsi qu’à son mari. En visitant l’entreprise juste avant notre rencontre, j’ai rapidement observé que les employés qui travaillent avec elle lui portent un très grand respect. Tout le monde est affairé et personne n’a l’air de chômer. C’est donc après la fermeture qu’elle se prêta au jeu de l’entrevue avec son mari, qui se joignit à nous au cours de l’entretien.

La vie avant le Canada

Myriam naquit à Damas, la capitale de la Syrie, et vécut une enfance heureuse.

Damas est une ville magnifique, vraiment une ville superbe où il fait bon vivre, du moins c’était le cas avant la guerre.

 Elle y fit la rencontre de son futur mari, originaire du Liban, auquel elle se maria à l’âge de 18 ans. Son mari était une connaissance de la famille et il gagna son cœur. Le mariage eut lieu au Liban et c’est dans ce pays que le jeune couple décida de commencer sa vie commune.

Cependant, un événement important arriva alors qu’ils étaient au Liban : le jeune couple fut la cible d’une tentative de meurtre. Ils se firent tirer dessus pour ce qui semblait être un règlement de compte contre le père de son mari. À cette époque, il n’était pas rare que les enfants soient la cible de règlements de compte. Cet événement vint évidemment bouleverser la vie du jeune couple. Craignant que leur vie soit désormais trop difficile en sol libanais, sa belle-famille décida, en accord avec le couple, qu’ils devaient aller vivre ailleurs. La décision d’aller vivre en Syrie était la plus facile à prendre, mais comme son mari est Libanais et qu’il existait certaines tensions entre la Syrie et le Liban, cela ne dura pas : « C’est un peu comme la rivalité entre l’Ontario et le Québec, rien de bien grave, mais il existe des tensions ». Le couple décida donc de venir vivre au Canada. Son mari y était déjà allé et son beau-frère y vivait à l’époque.

L’arrivée au Canada

Myriam et son mari arrivèrent au Canada à la fin des années 80, plus exactement le 9 avril 1989.

On n’oublie jamais la date d’arrivée dans un autre pays, ça nous marque.

Il n’y avait pas de neige, mais il faisait beaucoup plus froid que ce à quoi le jeune couple était habitué. Ce n’était pas non plus l’idée qu’elle se faisait de l’Amérique : elle s’attendait à beaucoup plus de gratte-ciels et à voir des choses plus « glamour ». Dans ce sens, Montréal correspondait un peu plus à l’idée qu’elle se faisait de la vie en Amérique du Nord. Il faut dire qu’elle était habituée aux charmes des grandes villes.

Il y avait beaucoup de curiosité entourant le couple à l’époque; les gens posaient des questions à leur sujet et voulaient en savoir plus. Elle sentait que les gens étaient accueillants. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait vraiment pas beaucoup d’immigrants à Québec. Pour ce qui est de son adaptation, Myriam croit que le fait qu’elle parlait déjà français a vraiment aidé et qu’il s’agissait d’une barrière de moins à franchir.

Dès son arrivée, elle trouva du boulot comme vendeuse, la mode ayant toujours été une de ses passions. Simultanément, elle réussit à entrer au Conservatoire de musique en piano. Son séjour au Conservatoire fut toutefois de courte durée, car le jeune couple reçut le plus beau des cadeaux : un bébé allait se pointer le bout du nez. L’arrivée du bébé dans la famille changea un peu les plans et Myriam décida de laisser tomber le Conservatoire. Son mari n’eut pas beaucoup de difficulté à se trouver un emploi comme pâtissier. C’est finalement en 1997 que le couple se lança en affaires. Au fil des années, ils eurent deux autres enfants.

L’adaptation au Québec

Après trois années à Québec, Myriam reçut sa citoyenneté canadienne. Elle se souvient encore du moment si important de l’assermentation, car c’est un peu comme si son choix de patrie se confirmait. De façon globale, l’adaptation au Québec s’est faite de façon naturelle et le couple a toujours trouvé que la ville de Québec était une bonne terre d’accueil. Évidemment, il y a eu des difficultés, mais elle pense que l’adaptation aurait été plus difficile si elle avait porté le voile. Étant de religion catholique, ce n’était pas un enjeu. En fait, c’est surtout l’accessibilité à l’information qu’elle a trouvé difficile, car il a toujours fallu qu’elle trouve par elle-même ce qu’elle cherchait. Elle pense d’ailleurs qu’il serait beaucoup plus facile d’arriver au Québec de nos jours grâce à toute l’information accessible directement sur le Web.

Puisqu’il n’existait pas une grande communauté libanaise à Québec, la majorité de ses amis actuels sont d’origine québécoise. Malgré cela, la famille a déjà subi de la discrimination. Elle s’est déjà fait insulter dans un parc, par exemple. Mais c’est lorsque cela arrivait aux enfants que le couple ressentait un grand sentiment d’impuissance et de frustration. Myriam refuse toutefois d’y voir autre chose que des citoyens qui manquent d’éducation sur le sujet. Le couple croit qu’il y a encore un manque de connaissances générales au Québec par rapport au monde arabe et, du coup, il y a encore beaucoup de généralisation dans la pensée populaire, plaçant tous les Arabes « dans le même panier ». Elle croit qu’une meilleure éducation pourrait aider à résoudre ce problème, de même qu’une meilleure couverture médiatique de l’information internationale. Bien que déplorables, ces incidents n’ont pas été fréquents et la famille se sent bien établie au Québec.

La nostalgie

Pourtant, quand on lui parle de la Syrie, il est facile de constater la tristesse qui l’habite en pensant à l’horrible conflit qui envenime la vie de ce pays depuis quelque temps déjà. Elle n’a pas mis les pieds dans son pays d’origine depuis plusieurs années et seuls ses deux premiers enfants ont visité le pays lorsqu’ils étaient très jeunes. Elle a encore des liens avec des membres de sa famille là-bas et garde contact avec eux grâce aux médias sociaux et virtuels.

La famille voyage régulièrement au Liban. Myriam apprécie beaucoup retourner visiter ce pays et elle a même l’impression que, hormis le Canada, ses enfants se sentent plus Libanais que Syriens. Cependant, il est difficile pour elle de revoir le Liban ou la Syrie, car malgré les ravages de la guerre, elle se rappelle les bons côtés et la nostalgie l’envahit.

Paroles sages comme mot de la fin

و في هذا اليوم بالذات، و من كل قلبي،

أدعوا و أتمنى لسوريتي، و لأهل موطني،

السلام و الأمان.

دمتم و دامت كندا و أهلها بألف خير.

En cette journée tout particulièrement et de tout cœur, je prie et souhaite à ma Syrie natale, ainsi qu’aux peuples de ma patrie, la paix et la sécurité. Que le Québec et le Canada demeurent une terre d’accueil et de paix pour l’éternité.

Syrie. Source : https://pixabay.com/fr/coucher-de-soleil-ruhayba-syrie-675202. Crédit : Alkudaymi

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