14 Karim Khelifi

Joannie Verret

Karim Khelifi est né dans la capitale de l’Algérie, Alger, qu’il décrit comme une grande ville au « style européen ». Il arriva au Québec, plus précisément à Montréal, le 5 août 1985 alors qu’il avait 21 ans. À l’époque, Karim Khelifi était venu au Canada à la suite d’une bourse qu’il avait reçue pour ses études universitaires. Il s’installa dans la métropole pour y prendre des cours d’anglais à l’Université Concordia. « C’est étrange de dire que j’ai fait des cours d’anglais au Québec », rigole M. Khelifi. Il fit ensuite sa maîtrise à l’Université Laval en informatique, domaine dans lequel il travaille toujours aujourd’hui.

Citoyen du monde

La première raison qui le poussa à quitter son pays était sa bourse d’études. Jeune étudiant, il avait envie d’aller voir ailleurs et d’explorer le monde.

Je pouvais choisir où je voulais aller et j’ai décidé de venir au Canada. Pas au Québec : au Canada.

Ce qui l’attirait au Canada, c’était les grands espaces, l’hiver, le « frette » : tout cela l’intéressait et l’intriguait.

Après ses études, Karim Khelifi retourna en Algérie puisque son plan n’était pas de rester définitivement au Canada. Mais devant les difficultés de son pays, après quelques années, l’Algérien décida de revenir s’installer au Québec en 1991. Il fonda ensuite une famille avec sa femme québécoise : ils ont eu trois enfants et ont vécu dans la ville de Québec jusqu’à aujourd’hui. Karim Khelifi dit être retourné en Algérie avec sa famille une fois seulement, en 2010, mais le souvenir des moments difficiles passés dans son pays d’origine ne lui avait pas donné l’envie de s’y rendre et les occasions ne s’étaient pas non plus présentées. « Mais le temps efface bien des choses » selon lui. Un jour, peut-être sera-t-il de retour chez lui. Mais pour le moment, il se sent bien au Québec et l’a d’ailleurs toujours été!

Karim Khelifi vient d’une famille « atypique » et ne se considère pas comme « l’Arabe type ». En effet, il est né d’un père algérien et d’une mère allemande : sa famille a toujours vécu à cheval sur deux continents. Bien qu’il ait grandi et vécu toute sa jeunesse en Algérie et qu’il se considère sans aucun doute d’origine algérienne et arabe, M. Khelifi explique : « Je comprends tout à fait ces gens qui ont des racines profondes, […] mais je me considère plutôt comme un citoyen du monde », ajoutant qu’il aurait été en mesure de vivre n’importe où.

Une nouvelle vie au Québec

Karim Khelifi a dû se replonger dans ses souvenirs afin de se remémorer ses premiers moments au Canada. Il se souvient ne pas avoir eu trop de difficulté avec la compréhension des valeurs québécoises et du mode de vie. Un bon souvenir de son arrivée est celui de son premier Noël au Québec. Il raconte, le sourire aux lèvres : « J’ai été invité par des Québécois que je ne connaissais même pas, qui étaient des amis d’amis ». Il avait trouvé cela très chaleureux d’être accueilli de façon aussi généreuse afin de partager un repas de Noël québécois. « La bouffe était ordinaire par exemple », a rigolé l’Algérien. Il se souvient de la première fois qu’il a mangé des canneberges, de la dinde, des patates cuites dans l’eau, bref, rien de ce à quoi il était habitué pour un repas de Noël, surtout les canneberges!

Bien que la culture québécoise ait évolué depuis 1985, les premiers souvenirs de Karim Khelifi restent positifs et son adaptation à la vie québécoise se déroula rondement. En effet, il avait plusieurs contacts à l’Université Laval et avait même décroché un emploi en arrivant. Il se considère assez chanceux puisque son immigration en fut facilitée. « Ce n’est pas le cas pour tout le monde, est c’est encore plus difficile aujourd’hui que ça l’était à l’époque », affirme-t-il. Parlant déjà français à son arrivée, la langue ne fut pas le plus grand de ses soucis. Le français n’est certes pas la langue première de son pays natal, l’Algérie, mais il s’agissait de la langue utilisée à la maison quand il était jeune. En effet, le français était le moyen de construire un pont entre les cultures algérienne de son père et allemande de sa mère. En y réfléchissant, il constate que ce pont entre les cultures l’a sans doute préparé à son immigration et l’a aidé à créer des liens avec la culture québécoise.

Ceci incite à penser que si on prépare les jeunes à construire des ponts, ils auront plus de facilité à en bâtir lorsqu’ils seront rendus à l’âge adulte.

Les Québécois face à la différence

Selon lui, les Québécois partagent différents points de vue par rapport à la culture arabe, mais souvent, ils n’en connaissent pas l’histoire ni les nuances. Il donne comme exemple que « les gens ne font pas la différence entre un arabe ou un iranien ». Lui-même affirme n’avoir jamais subi personnellement de discrimination ou de racisme, mais avoir tout de même entendu à quelques reprises des commentaires désobligeants à l’égard d’étrangers. Ces commentaires lui rappellent d’ailleurs fortement ce qu’il entend parfois au sujet des autochtones du Canada, « or, eux, ils ne viennent pas d’ailleurs… Donc, au fond, ce n’est pas le ‘’ailleurs’’ qui est en question ici, mais plutôt le fait d’être ‘‘différent’’ de la majorité », remarque-t-il.

D’un autre côté, Karim Khelifi se souvient avoir déjà demandé à un collègue d’où venait une certaine personne et avoir reçu comme réponse : « C’est un Québécois, comme toi et moi! » Bien que son intégration au Québec n’ai pas été compliquée, il est conscient que ce n’est pas le cas de tous les immigrants. Il dit en avoir pris pleinement conscience à la suite de l’attentat à la grande mosquée de Québec. N’ayant jamais reçu de remarques désobligeantes à son égard, ce qu’il a entendu et lu après le 29 janvier 2017 lui a fait réaliser ce que certaines personnes peuvent penser.

Pour une meilleure intégration

En repensant à son arrivée au Québec, Karim Khelifi croit qu’il y existe des « trucs » pour faciliter l’adaptation d’un nouvel arrivant. Lui-même, en arrivant au Canada, s’est posé la question : « Comment je peux faire pour m’intégrer et bien prendre ma place au Québec »? Étant à l’université, il a décidé de rejoindre des groupes et des « clubs » qui lui feraient faire des activités avec les Québécois.

Je pense que la responsabilité est partagée, mais c’est clair que les immigrants doivent faire au moins un pas, car si l’immigrant fait un pas, et que le Québécois en fait un, ce sera plus facile. Des Québécois qui font des pas, il y en a à la tonne.

Si Karim Khelifi, l’Algérien-Allemand installé au Québec à 21 ans, avait un message à passer à tous les Québécois inquiets de l’arrivée d’immigrants, ce serait celui-ci : « On est tous des immigrants ». Il y en a qui sont plus « nouveaux » que d’autres, mais s’il y a une chose dont il est certain, ou du moins qu’il espère, c’est que dans un siècle ou deux, les gens n’auront plus besoin de demander d’où vient « Khelifi ».

Crédit : Karim Khelifi

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