21 C.T. X.

Justine Gravel

L’enfance tunisienne

C.T. a grandi dans une petite banlieue de Tunis, au nord du pays. En se levant le matin, elle avait la chance d’avoir une magnifique vue sur les montagnes qui entouraient la ville. Elle m’a parlé de l’origine romaine de la ville et de l’architecture des bâtiments qui est très différente de ce qu’on retrouve au Québec. Elle fait preuve d’une bonne connaissance de l’histoire, en expliquant que plusieurs habitants de la ville sont originaires de la région d’Andalousie en Espagne, ce qui la rend bien différente des villes avoisinantes. Ces personnes sont venues s’installer dans cette région lorsque les chrétiens ont repris l’Espagne aux musulmans. Elle se rappelle de la Tunisie laïque où les femmes et les filles étaient encouragées à poursuivre des études. Pour ceux qui ne le savent pas, la Tunisie et la Turquie sont les seuls pays musulmans où la monogamie est légiférée par des textes de loi. C.T. se rappelle aussi très bien que la religion n’était pas vécue de la même façon à la fin des années 80. Les jeunes filles ne portaient pas le voile. Elle se rappelle que ses tantes se baignaient en bikini sur le bord de la mer Méditerranée.

C’est dans une famille cultivée et respectueuse que C.T. a grandi. Elle évoque avec nostalgie toute l’affection et tout l’amour que sa famille lui a donnés tout au long de sa vie. Les souvenirs qu’elle a gardés de son enfance avec son frère, ses parents et ses grands-parents sont tous très heureux. Pour une famille aussi unie que la sienne, chaque moment de la journée était une raison de plus d’être heureux et de profiter du moment présent.

La décision de venir au Québec

C.T. aime relever de nouveaux défis, elle se décrit d’ailleurs comme quelqu’un de casse-cou. Avec elle, c’est tout ou rien. Elle a commencé son baccalauréat en économie en Tunisie. Au début de l’année 1994, elle a reçu une bourse pour terminer ses études à l’Université Laval. C’est avec cette bourse en main qu’elle quitta, le 31 décembre 1994, son pays natal et sa famille pour venir s’installer dans la belle ville de Québec. Elle termina son baccalauréat en économie à l’Université Laval où elle entreprit par la suite une maîtrise dans le même domaine. Interrogée sur les raisons de rester étudier au Québec plutôt que d’aller en France ou dans un autre pays d’Europe, elle a révélé être fascinée par la culture québécoise. Pour une féministe engagée, le Québec se présentait à elle comme une destination de rêve, puisque l’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur sacrée ici. Cette valeur l’a attirée au Québec et confortée dans sa décision d’y compléter ses études.

C.T. raconte son arrivée. À la sortie de l’avion, elle mit son manteau et sortit de l’aéroport. Ce ne fut que quelques minutes plus tard, avec le nez qui coulait et les mains gelées, qu’elle entra à nouveau dans l’aéroport. Elle se souvient encore aujourd’hui du froid extrême qu’il faisait ce jour-là. Après s’être réchauffée et préparée psychologiquement à affronter le froid, elle prit un taxi pour se rendre aux résidences de l’Université Laval. Seule dans ce nouveau pays, elle était déterminée à se faire de nouveaux amis. L’avantage de vivre dans les résidences universitaires est qu’il existe une grande proximité avec les autres étudiants de diverses nationalités, ce qui favorise les rapprochements. C.T. est donc allée frapper à la porte à côté de la sienne. Elle a fait la connaissance d’une étudiante venue apprendre le français. Après cette rencontre, elle n’a pas eu de difficulté à s’intégrer à la vie universitaire et à la société québécoise. Elle trouve qu’elle a eu beaucoup de chance, parce qu’elle n’a eu aucun problème depuis son arrivée. Les professeurs, le personnel de l’université et les citoyennes et citoyens en général étaient, et sont encore, très gentils avec elle.

Sous le charme de Québec

Après ses études, C.T. a obtenu un poste de chargée de cours à l’Université Laval. Par la suite, elle a eu son permis de travail au Canada et a obtenu le statut de résident permanent. Elle a par la suite décroché un poste à Ottawa où elle a déménagé pour trois ans. Après cette période, elle décida de revenir s’installer dans la ville de Québec pour y retrouver son amoureux.

Ce qu’elle pense de la société québécoise

C.T. a beaucoup voyagé au Québec dans le cadre de son emploi. Elle a eu l’occasion d’observer le phénomène croissant de l’immigration dans plusieurs villes du Québec et dit être inquiète pour l’avenir de la culture québécoise face à la poussée vertigineuse d’un multiculturalisme incontrôlé. Elle prescrit pour cela la mise sur pied de programmes pour faire connaître la culture québécoise aux immigrants. Le Québec fait déjà d’énormes efforts pour accueillir et intégrer les nouveaux arrivants. Les mêmes efforts devraient être déployés par les immigrants pour assurer leur intégration à leur société d’accueil.

Que dire aux nouveaux arrivants?

Le repli identitaire est la première chose contre laquelle C.T. met en garde les nouveaux immigrants. C’est si important pour elle qu’elle propose une stratégie pour y arriver : ne pas essayer de toujours trouver des personnes qui leur ressemblent, mais plutôt aller vers des gens qui vont les aider à s’intégrer à leur nouveau pays. Il faut, selon elle, éviter l’autarcie et le communautarisme qui sont des menaces à la cohésion et à la paix sociales. Elle en appelle à l’ouverture de toutes les cultures les unes aux autres, à la tolérance et au respect. C.T. respecte le souhait des immigrants d’être avec des personnes qui vivent une situation semblable à la leur, mais elle trouve nécessaire qu’ils s’ouvrent à la société québécoise. Ceci n’est pas un appel à l’abandon de leurs origines, ni à faire table rase de leurs racines, mais elle milite plutôt pour une prise en compte des valeurs de la société québécoise, notamment celle de l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est le passage obligé vers une intégration stable et harmonieuse.

Sa vie aujourd’hui

Vingt-trois ans plus tard, C.T. vit toujours dans la ville de Québec avec son compagnon et ses trois enfants. Elle tente de transmettre à ses enfants les valeurs québécoises et tunisiennes. C’est une personne réfléchie, qui prend le temps de bien analyser les choses. Elle est, encore aujourd’hui, une personne très ouverte aux autres et à ce qu’ils peuvent lui apporter. Elle travaille dans son domaine  d’études depuis bon nombre d’années. Il est donc possible de dire qu’elle s’est très bien intégrée à son environnement. Elle a toujours de très bons contacts avec sa famille. Son frère, ayant trouvé du travail dans sa spécialité, est venu la rejoindre il y a quelques années. Elle retourne environ trois fois par année en Tunisie pour passer du temps avec sa famille qui y demeure encore aujourd’hui. Elle aime particulièrement le fait que ses enfants ont la chance de connaître sa culture et son pays d’origine. La mère de C.T. vient également au Canada à l’occasion. Même si C.T. habite au Québec, la Tunisie reste dans son cœur et va toujours occuper une très grande place dans sa vie. Elle considère qu’elle représente un mélange intéressant de sa culture d’origine et de sa culture d’adoption. Elle n’a jamais souffert des préjugés que les gens pourraient éprouver à l’égard des immigrants. La Tunisie est selon elle un pays en mouvement : une personne qui est allée en Tunisie au début des années 2000 et qui y retourne aujourd’hui ne reconnaîtrait probablement pas le pays.

 

La photo provient d’un ami de sa famille qui a visité la Tunisie.

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