10 Abdallah Bouharras

Nicky Lamontagne

Abdallah est né à Mostaganem, en Algérie du Nord-Ouest, où il a obtenu un diplôme d’ingénieur en biologie. Il a ensuite travaillé comme professeur d’enseignement secondaire en biologie pendant 13 ans dans des écoles de niveau moyen et secondaire (lycée). Cette profession lui permettait uniquement de gagner 35 000 dinars algériens par mois, l’équivalent de 300 à 350 dollars canadiens.

Pour quelqu’un qui veut fonder une famille et acheter une maison, ce n’était pas facile.

Puisque le coût de la vie en Algérie est presque le même qu’ici, son salaire ne lui permettait pas de vivre sa vie comme il le souhaitait. Le niveau de vie en Algérie n’était pas aussi confortable qu’au Canada. Conseillé par son frère qui était installé à Québec depuis quelques années, Abdallah Bouharras, à l’âge de 39 ans, décida de venir s’établir au Québec en septembre 2013.

C’est un long processus de quatre ans qu’a dû entreprendre M. Bouharras avant d’immigrer dans la province. Le processus de sélection canadien est très rigoureux, ce qui explique ce long temps d’attente.

Au Québec et au Canada, grâce au système d’immigration sélective, ils ont les meilleures personnes comme immigrants.

Il certifie que les gens qui viennent au pays sont ici pour travailler et pas pour profiter de l’État.

Un défi dès le départ

L’Algérie n’étant pas un pays en guerre, la transition vers le Québec a été relativement facile pour lui, en comparaison de ce que peuvent vivre des réfugiés. Son intégration s’est très bien déroulée. La barrière de la langue, qui est souvent problématique pour les immigrants qui s’installent dans la province, était déjà franchie car le français est la deuxième langue parlée de son pays d’origine. L’Algérie est en fait une ancienne colonie française qui s’est affranchie de son emprise au début des années 60, au moment où le Québec vivait le début de la Révolution tranquille.

La recherche d’emploi a été le défi le plus difficile à relever à son arrivée dans la Ville de Québec. Ses premiers emplois au pays n’ont pas été des plus gratifiants pour quelqu’un qui avait l’équivalent d’un baccalauréat en sciences biologiques et qui avait enseigné pendant plus d’une décennie. Devant à tout prix travailler, il a accepté de faire de l’assainissement. Il a fait de la maintenance dans une usine de poulet où il nettoyait les machines, avant de faire le même travail dans une usine de chocolat. L’équivalent d’une promotion pour lui, affirma-t-il en rigolant. C’était un métier difficile physiquement qui ne correspondait pas à ses attentes en arrivant ici.

Pendant ce temps, il a fait des démarches pour éventuellement enseigner dans la province. Au Québec, les gens qui souhaitent enseigner aux étudiants du primaire et du secondaire doivent obtenir un permis. La complexité des démarches a toutefois fini par le décourager. M. Bouharras a également fait des demandes dans certains cégeps (où aucun permis n’est requis) à Alma et dans la Ville de Québec, mais son C.V. ne semble pas avoir été retenu. Il a aussi cherché de l’emploi en tant qu’ingénieur en biologie, mais une fois de plus, rien n’a fonctionné.

Depuis novembre 2016, il a décidé d’être un conducteur Uber après avoir fait sa formation de chauffeur de taxi; une situation qui le rend malgré tout bien heureux.

C’est un métier qui permet de côtoyer beaucoup de gens.

Il ne serait pas contre l’idée de continuer à faire de l’application californienne son gagne-pain pour les prochaines années. Uber fonctionne de manière à lui permettre de construire ses propres horaires, ce qui lui convient à merveille.

Il faut être reconnaissant, toujours. Uber m’a donné la chance d’avoir un travail flexible. Je travaille quand je veux, où je veux. Si j’ai des rendez-vous, je ne les rate pas.

Seul point négatif : on ignore encore quel est l’avenir de cette application. Ce n’est donc pas un moyen d’assurer l’avenir de sa famille.

Pas de choc des valeurs

Chaque pays a ses valeurs et chacun a sa méthode de vie.

 Abdallah n’a donc aucunement été choqué par le mode de vie des Québécois. Son arrivée ici a plutôt fait en sorte qu’il puisse enfin voir la réalité. Aimant l’histoire et la géographie, il avait déjà une bonne idée de ce à quoi le pays ressemblait. Il a donc pu confirmer ou infirmer ce qu’il avait entendu sur la province.

Néanmoins, il a été agréablement surpris par le sens de l’organisation des Québécois. En Algérie, il n’y a pas de rendez-vous. Les gens se pointent à un endroit, prennent un numéro et font la file. Ici, il trouve que les gens sont mieux dirigés et qu’ils peuvent savoir à quoi s’attendre lorsqu’ils se rendent à un endroit.

 C’est un gain de temps magnifique. Il n’y a pas quelqu’un qui va te bousculer derrière et qui va te demander où tu vas.

Une nuit très difficile

Le 29 janvier 2017 est une date qui restera gravée dans la mémoire collective pendant longtemps. C’est encore plus le cas pour M. Bouharras qui s’est rendu sur place lors des tristes événements. Il est membre de l’assemblée générale du Centre culturel islamique de Québec et toute sa famille y va souvent pour participer à différentes activités.

Ce jour-là, sa femme s’y trouvait. Normalement, il va la chercher, mais cette fois-ci, ils ont modifié leur façon de faire. Sa femme était donc sur les lieux environ une heure avant que l’attentat survienne, lors de la deuxième prière de nuit. Lorsque les tirs ont commencé à résonner dans la mosquée, il a reçu un appel.

Il a d’abord cru que quelqu’un avait lancé quelque chose dans le but d’enflammer la mosquée, mais il a vite été mis au courant de la situation réelle. Il a tout de suite eu peur. Ce geste résonne dans la conscience collective du peuple arabe, même au Québec.

 « En Palestine, il y avait eu un cas semblable. Il y a des tirs dans une mosquée, on se dit que ça va être le carnage ».

État alors chez son frère, il sauta dans sa voiture pour se rendre à Sainte-Foy. À leur arrivée sur les lieux, ils ont trouvé la police et les bandeaux de sécurité. Des amis à lui étaient sortis une ou deux minutes avant l’entrée du tireur. Sous le choc, M. Bouharras et son frère ont quitté les lieux et sont allés dans les hôpitaux à la recherche de leurs frères et sœurs introuvables.

Puis, la nouvelle est tombée, un de ses amis proche est tombé sus les balles.

 On s’est dit à la semaine prochaine, et puis… le lendemain, on a su que mon ami était mort.

La semaine qui a suivi a été tout aussi difficile. M. Bouharras n’a pas travaillé. Dans sa religion, on dit qu’il faut être fort. Un événement aussi exceptionnel n’a cependant pas le choix d’avoir un effet considérable sur l’ensemble de la population, musulmans y compris.

L’amour, ça se bâtit. On doit bâtir l’amour.

 « Les gens font des amalgames »

Il croit profondément que l’attentat perpétré à la mosquée était un cas isolé. C’est le résultat d’une mauvaise interprétation, selon lui.

Les gens font des amalgames. La religion est une chose et la personne est une autre chose.

Autrement dit, c’est la personne qui pratique la religion et qui l’interprète à sa façon. Si une personne en fait une mauvaise interprétation, ça ne veut pas dire que la religion est mauvaise pour autant. Il réfère ici à tous les stéréotypes qui entourent les communautés musulmanes.

La religion, ce n’est pas seulement des prières et des jeûnes. C’est le respect des gens, le respect de l’humanité et le respect de la nature. La religion se reflète dans les actions des personnes.

Il estime que, peu importe les croyances des gens, tous se rencontrent dans les valeurs humaines. Cette rencontre, il la vit chaque jour. Dans la rue, mais aussi chez lui où il habite avec des gens de différentes cultures. Des Tunisiens, des Haïtiens, des Congolais, mais aussi des Québécois.

Le Québec n’est pas raciste

Il se rappelle qu’une fois, il a eu une altercation dans un stationnement avec un Québécois qui lui a dit de retourner chez lui. Il lui a répondu que c’était ici, chez lui. Il s’agissait d’un autre cas isolé, selon lui. Il ne sent aucune discrimination de la part de la société québécoise.

Au contraire. J’accompagne par exemple ma femme qui porte le voile et les gens parlent avec nous. L’autre fois, quelqu’un m’a dit : c’est difficile, mais on est avec vous.

Sur les réseaux sociaux, par contre, la situation est bien différente. Lorsqu’il s’exprime sur ces médias, il reçoit souvent des insultes. Cela le force à ne pas lire les sections commentaires ou à s’arrêter lorsqu’il se laisse prendre au jeu.

 Ça crée quelque chose dans ta tête, ça te fait croire que tout le monde est comme ça.

 Il pense que ça ne vaut pas la peine d’être pessimiste à ce point, car c’est faux.

Il ne faut pas avoir peur des immigrants, parce que ce sont en majorité des gens de bien. S’ils trouvent un milieu favorable, ils vont donner plus. Si vous, les Québécois, avez un problème, ils seront là pour vous, à côté de vous. Il faut être ouvert pour ces gens-là, parce qu’ils vont donner une bonne amitié. Ce sont des gens qui ont un bon cœur. Ils veulent donner plus au Québec. Il ne faut pas avoir peur des immigrants.

Crédit : Abdallah Bouharras

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