30 Imed Jarras

Anne-Sophie St-Gelais

Imed Jarras, né en Tunisie, vit au Québec depuis 1992 avec son épouse. Depuis se sont ajoutés ses trois enfants nés en sol québécois. Il travaille actuellement au Cégep Limoilou en tant que professeur d’informatique.

De la Tunisie au Québec

Il y a maintenant 25 ans, Imed Jarras quitta son pays natal pour venir étudier au Québec grâce à l’obtention d’une bourse d’études canadienne pour réaliser une maîtrise en informatique. « C’est le gouvernement qui nous a inscrits ici à [l’Université] Laval. Personnellement, je ne connaissais pas les universités du Québec », explique Imed. Accompagné de sa femme, il quitta donc sa famille et ses amis pour s’installer à plus de 6 500 km de chez lui. Sa femme, même si elle n’avait pas obtenu de bourse, décida tout de même de poursuivre ses études à l’Université Laval. « Elle m’a suivi. Elle a étudié avec moi, mais au début elle n’avait pas de bourse », raconte-t-il.

Lorsqu’il arriva à Québec, Imed habitait près du campus de l’Université Laval. Son intégration fut facilitée par le rythme imposé par les études universitaires. « Le fait d’être à l’université est plus facile parce que c’est un rythme qui est bien organisé : une vie active, la façon d’enseigner etc. », souligne-t-il. Sa situation de boursier lui épargna plusieurs contraintes à son arrivée, comme de devoir trouver un emploi, ce qui fut bénéfique pour son adaptation. En plus de la bourse, il pouvait également bénéficier d’un service d’aide offert aux étudiants étrangers par l’université. Imed ne l’a toutefois pas utilisé, ayant trouvé de l’aide ailleurs : « C’était surtout avec les copains, les Tunisiens qui [étaient] déjà ici pour les études, qui avaient une session ou un an de fait. Ça s’est fait naturellement ».

Imed obtint un emploi à Québec avant même la fin de ses études. La décision de rester en sol canadien allait de soi. Le processus d’immigration fut d’ailleurs très simplifié, une fois ses études complétées au pays.

Aujourd’hui, Imed ne regrette pas son choix d’être resté au Québec. Évidemment, sa famille et ses amis lui manquent, tout comme l’ambiance de son pays natal, l’été et la chaleur. Il retourne toutefois régulièrement en Tunisie, surtout pendant la période estivale, et sa famille vient également le visiter : « Ma mère est venue plusieurs fois. Elle est même restée une année au complet. Ils viennent parfois pour trois mois ». Il encourage maintenant les gens à venir au Québec : « C’est un bon milieu et un bon pays pour immigrer ».

Les valeurs communes

Le Québec et la Tunisie partagent beaucoup de valeurs. Il y a d’abord la famille qui, selon lui, est une valeur universelle : « Beaucoup de gens que je connais ont le sens de la famille et c’est important au Québec ». Ensuite, il a constaté la valeur d’entraide des Québécois, puisque plusieurs personnes l’ont aidé lors de ses premiers moments dans la province : « Ils sont naturels, c’est facile d’entrer en contact avec eux. En fait, c’est difficile, mais une fois que le premier pas est fait, c’est correct ». Il apprécie également la curiosité des gens : « Ils aiment savoir qui je suis, ce que je fais, ce que je mange. Ça fait de bons sujets de discussion ». Finalement, il apprécie la liberté des droits et le respect. Selon lui, les Québécois sont surtout curieux, mais lorsqu’ils en apprennent sur un sujet, comme sur la religion, ils respectent les différences.

D’un autre côté, certains aspects du Québec l’ont surpris à son arrivée. Autant il connaît des gens qui ont le sens de la famille, autant il trouve que le Québec a un problème de société à résoudre en termes de famille.

Je comprends moins les familles où les enfants doivent quitter ou contribuer au loyer à partir d’un certain âge.

Cette situation ne le choque pas, mais ce n’est pas quelque chose qu’il encourage. Ce qui le dérange davantage, c’est que « le mariage n’est pas encouragé, les jeunes sont en couples sans être mariés ». Il ne trouve pas cela  sérieux. Il rappelle d’ailleurs qu’il y a beaucoup de séparations au Québec : « Parce qu’il n’y a pas de mariages, c’est dur pour la société. La famille est le noyau de la société. Les divorces ou les séparations déchirent les enfants. Ils ont plutôt besoin de stabilité ».

Pour éduquer ses enfants, il est allé chercher à la fois dans les bonnes valeurs du Québec et les bonnes valeurs de la Tunisie.

Ce n’est pas vrai qu’il y a de bonnes valeurs dans seulement un pays. Il faut mettre les bonnes valeurs en commun et laisser les mauvaises de côté. Il faut regarder ce que la société offre de mieux.

Il considère ses enfants comme étant autant des Québécois que des Canadiens ou des Tunisiens.

Donner au suivant

L’adaptation d’Imed Jarras a été relativement facile, mais il est conscient que ce n’est pas le cas pour tous les immigrants. « En Tunisie, tout le monde a la même façon de vivre. Quand on quitte le pays, il faut accepter la différence. Il faut comprendre l’autre et se mettre à sa place », explique-t-il. Plusieurs nouveaux arrivants le contactent pour lui demander conseil, puisqu’il habite ici depuis longtemps et qu’il connaît bien le milieu. Il s’adonne à cœur joie à cette activité : « Ça me fait plaisir de les aider à trouver un logement, à faire des inscriptions. Je les aide aussi à trouver un emploi, à faire des CV et à les mettre en contact avec des employeurs. Je les aide beaucoup ».

L’implication et le bénévolat sont très importants pour Imed. Il accueille régulièrement des étudiants au Centre culturel islamique de Québec à qui il présente la mosquée et explique la religion musulmane. Il aime transmettre et partager l’information. Il a aussi été entraineur de soccer pendant plusieurs années, mais aujourd’hui, faute de temps, il a dû suspendre cette activité. Selon lui, l’implication est l’un des meilleurs moyens pour s’intégrer dans la société québécoise : « Il faut s’impliquer, faire du bénévolat pour côtoyer l’autre ».

Imed Jarras ne cache pas qu’il faut aussi faire preuve de beaucoup d’ouverture d’esprit pour faire sa place à Québec : « Il ne faut pas se renfermer avec la communauté et les gens du pays ». Pour mieux y arriver, il conseille de suivre des formations ou d’aller chercher un diplôme. « Il est mieux d’aller chercher un diplôme rapidement que de ne rien faire. Si tu veux changer de branche, c’est une bonne idée aussi. On a la possibilité de le faire », souligne-t-il.  Il reconnaît que ce sont de gros défis, « mais plusieurs les ont relevés, ce n’est pas impossible ».

Les Québécois et l’immigration

Les Québécois ont aussi une responsabilité dans l’accueil et l’intégration des immigrants. Selon Imed, ils sont surtout curieux quant à la culture. Ils aiment partager des souvenirs de voyage et parler de leur expérience. Quant à la religion, il n’a jamais reçu de propos haineux, mais ce n’est pas le cas des autres membres de sa communauté. « Les gens dans mon cercle d’amis ne pensent rien de spécial. Ils savent que j’ai l’islam comme religion et c’est correct », indique-t-il.

Ce qu’il constate surtout amèrement, c’est le traitement de l’Islam par les médias.

De plus en plus, je remarque que les médias parlent beaucoup de l’Islam et surtout dans le mauvais sens.

Il précise que les musulmans composent seulement 3 % de la population, mais « comme les médias en parlent beaucoup, ça donne l’impression qu’ils sont beaucoup et c’est ça qui donne une mauvaise impression de la religion ». Il fait une distinction entre l’immigration au Québec et l’immigration en Europe : « Ici, les immigrants illégaux sont plus rares. Ils ne peuvent pas rester ici sans papiers, sans assurance ». Il souligne que « les immigrants ici sont de qualité, ils sont qualifiés ». Il attribue cela aux scores d’immigration qui sont établis notamment en fonction du niveau de scolarité, des enfants, de la famille et de la formation. L’important pour Imed Jarras, c’est d’être patient et de leur donner du temps : « Ce n’est pas en appliquant des lois qu’ils vont mieux s’intégrer. Ça va venir naturellement avec l’emploi, les enfants, le sport, les amis ». Surtout, il faut les traiter comme les autres.

Tunis. Source : https://pixabay.com/fr/tunis-tunisie-ciel-nuages-87214. Crédit : 12019

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