36 Houssem Ben Messaoud

Frederic Caron

Houssem Ben Messaoud est originaire de Tunis, précisément de la ville de La Marsa. Il est l’aîné d’une famille de trois garçons. Fils de forgeron, il est issu d’une famille au revenu moyen. La famille est installée dans la ville depuis trois générations. La mère d’Houssem vient du sud de la Tunisie, tandis que son père est natif du nord.

Houssem qualifie son enfance de normale. Il avait des notes moyennes à l’école et voulait devenir médecin. Il s’inscrivit donc à la faculté de médecine une fois l’âge réglementaire atteint, mais dut laisser tomber, car il n’avait pas les notes requises. Plus tard, il fut admis dans une école d’ingénieurs, en génie mécanique agro-industriel, avec une spécialité en transformation des produits alimentaires. Le programme dura cinq ans. Il fut le premier de son université à compléter ce parcours, ce qui lui valut une bourse pour aller étudier en France.

Arrivée au Québec

Houssem compléta son baccalauréat au mois de juin et, à la suite de son admission à la maîtrise à l’Université Laval, arriva au Québec en août. Pourquoi avoir préféré le Québec à la France?

Pour des raisons de sexualité. La France n’est pas aussi avancée au niveau de l’homosexualité et de la lutte contre l’homophobie, et tous les préjugés sur l’immigration clandestine empêchent certaines personnes de rencontrer ou parler à des Arabes. Les gens sont plus méfiants qu’ici.

Selon lui, certains Français sont peu ouverts aux immigrants. Ils ne réalisent pas que la plupart d’entre eux ne sont là que pour travailler et améliorer leur qualité de vie.

Houssem arriva au Québec seul, n’y connaissant personne. Les procédures d’immigration à l’aéroport furent longues et lui firent manquer le dernier bus vers Québec, l’obligeant ainsi à passer à Montréal sa première nuit d’immigrant. Son premier contact avec des Québécois fut lorsqu’un passant lui prêta son cellulaire pour appeler vu qu’il n’avait pas la monnaie requise pour le faire à partir d’un téléphone public.

Premiers mois à Québec

Houssem s’est rendu à Québec le lendemain. Il passa ses premiers mois à Québec en résidence d’étudiants. Sa première session universitaire fut une expérience heureuse : « Je dirais que c’était tranquille. Je ne connaissais personne, je n’avais rien dans la tête à part les études ». S’il devait choisir un mot pour décrire ses premiers mois de vie québécoise, il dirait : neutre. Il dut faire des efforts pour s’adapter au système scolaire québécois et consacra beaucoup de temps à ses études, ce qui l’empêcha de rencontrer des personnes ailleurs que dans un contexte scolaire, faute de temps.

L’individualisme des Québécois est ce qui l’a le plus marqué : « Être individualiste peut être compris dans deux sens : les Québécois sont individualistes et distants, mais c’est correct, puisque chacun a besoin de son espace, ce qui n’est pas le cas chez nous ». Il appréciait cela au début, mais après un certain temps, il en fut déçu. Il remarqua que même entre amis ou entre voisins, les Québécois gardent toujours une certaine distance.

Québécois inquiets

Houssem ne croit pas que les Québécois sont ignorants par rapport aux immigrants, particulièrement aux immigrants de culture arabe. Il considère que la plupart des résidents du Québec sont éduqués et sensibles. Il croit toutefois que les Québécois sont facilement manipulés et manipulables par les médias, surtout les médias privés. Il considère que les motivations de ces médias, ainsi que leur traitement des nouvelles, nuisent à la cause des immigrants. Il encourage les Québécois à conserver leur sens critique et à toujours approfondir leurs recherches sur l’actualité. Selon lui, les Québécois ont le droit de s’inquiéter pour leur sécurité et leur pays, mais il les encourage toujours à se poser des questions : « Pourquoi cette personne a quitté son pays? Pourquoi s’est-elle installée ici? ». Il aimerait que les Québécois essaient de comprendre les conflits qui poussent les réfugiés à quitter leurs pays.

Houssem n’est pas surpris des jugements auxquels il fait face. Il voit les habitants de la ville juger les gens des régions, les Montréalais juger les gens de Québec, etc. Selon lui, il ne faut pas oublier qu’on ne connaît pas davantage les habitants de sa propre ville que les personnes provenant d’autres pays, ce sont des étrangers. Mais il dit qu’il ne faut pas avoir peur des étrangers, peu importe d’où ils viennent. Il croit toutefois que les immigrants doivent apprivoiser la culture du pays d’accueil et l’intégrer. Il a d’ailleurs un message à faire au ministère de l’Immigration : « Faites rentrer les homophobes chez eux! ». Même s’il existe des homophobes québécois, il aimerait que les gens d’ailleurs soient plus ouverts à ce sujet en arrivant ici.

Son adaptation au Québec

Si Houssem pouvait revenir dans le passé et se donner un conseil pour mieux s’adapter à son nouveau pays et à sa nouvelle ville, ça serait : « Ne te force pas à essayer de t’adapter! ». Il a vécu de la frustration lors de ses premiers moments au Québec à essayer de recréer le même genre de liens qu’il entretenait avec ses amis tunisiens. Les gens ici ont déjà un cercle social établi et il ne faut pas forcer les choses à son avis, elles arriveront en temps et lieu. Toutefois, ses amitiés québécoises sont moins fortes que ses amitiés tunisiennes, et la majorité de ses amis au Québec sont des enfants ou petits-enfants d’immigrants.

Sa vie aujourd’hui

Houssem occupe actuellement un travail à temps partiel en attendant de se trouver un emploi dans son domaine. C’est d’ailleurs dans les milieux de travail qu’il considère vivre le plus de discrimination : « Quand je postule pour un travail, on ne me rappelle jamais. C’est grâce à des gens que je connaissais que j’ai obtenu des emplois ».

Du côté de sa vie personnelle, Houssem est très impliqué dans plusieurs organismes et événements LGBT de la ville de Québec : le Groupe gai de l’Université Laval (GGUL), la Fête Arc-en-ciel, MIELS-Québec, etc. On comprend pourquoi la Fierté gaie de Montréal fut le premier évènement qui l’a marqué positivement à son arrivée :

J’ai changé ma date d’arrivée à Québec pour pouvoir arriver à temps! […] Je suis arrivé, j’ai mis mes affaires au Pavillon et je suis retourné à Montréal voir la Gay Pride! Et je suis retourné voir la Gay Pride de Québec.

Houssem garde toujours contact avec son pays d’origine, mais avec moins d’intensité qu’avant. Il est retourné deux fois en Tunisie, mais il ne pense pas y retourner prochainement. Il aimerait trouver un emploi avant de retourner en visite. Aussi, à la suite de son  coming out, il attend que les choses se calment un peu chez lui. Les mentalités plus conservatrices des Tunisiens ont fait en sorte que la nouvelle n’a pas été extrêmement bien reçue par ses proches.

Bertrand Bouret, 2006, « Panorama de la baie de La Marsa », Wikimedia Commons.

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