23 Nidhal Mekki

Juliane Nicola

Enfance et vie en Tunisie

Originaire du sud de la Tunisie, la famille de Nidhal a beaucoup voyagé dans de nombreuses régions de leur pays. Le Nord, le Centre ou encore l’Est ont fait partie de l’enfance de Nidhal. Ses voyages l’ont aussi mené en Europe. La taille assez importante de sa famille, composée de 11 frères et sœurs, fait dire à Nidhal qu’ils constituaient « une sorte de mini société » à laquelle il tenait beaucoup. Malgré cette attache, il éprouva dès son plus jeune âge le besoin de devenir autonome. Indépendant, il aimait se retrouver seul et aborder ces moments importants avec des livres et de la musique. Les parents de Nidhal ont toujours travaillé dur et ont transmis cette vertu à leurs enfants. En Tunisie, Nidhal fit des études dans le domaine du droit jusqu’en sixième année universitaire. Il travailla ensuite en tant que juriste, mais aussi en tant que professeur à l’université.

La décision de partir

Sa manière d’aborder et d’apprécier sa solitude a permis à Nidhal d’avoir le goût du voyage et de pouvoir prendre la décision de partir avec le cœur assez léger. Avec nostalgie, il avoua quand même que « lorsqu’on passe quasiment la moitié de sa vie dans un pays, il n’est pas facile de tout quitter. »

Pourtant, il fallait partir. En effet, dès son plus jeune âge, Nidhal n’imaginait pas passer toute sa vie en Tunisie. Inspiré par les grands voyageurs, notamment ceux du Moyen-âge du monde arabe, il admirait leur courage et leur curiosité à une époque pourtant sans État de droit et sans grande sécurité. Il estimait qu’il serait dommage de ne pas profiter d’un monde en partie constitué de démocraties. Finalement, il cherchait avant tout une qualité de vie meilleure. Il le savait, le Canada était un pays développé connu pour être une terre où la liberté individuelle est respectée, et c’est cette liberté qu’il recherchait. En Tunisie, il ressentait le poids de la communauté, ainsi que la pression sociale sur l’individu.

Passionné par le droit, Nidhal voulait aussi se lancer dans la recherche scientifique, ce qui ne pouvait être réalisé en Tunisie, car les structures de recherches n’y sont pas autant développées. Après la révolution en Tunisie, il y avait eu une sorte de débâcle au sein de l’université tunisienne : les meilleurs professeurs étaient partis et le niveau des étudiants avait beaucoup baissé. Ainsi, les fonds alloués à la recherche étaient dérisoires, rendant quasiment impossible pour lui de mener une recherche scientifique digne de ce nom dans son pays. Voilà l’une des raisons pour lesquelles il décida de partir réaliser son rêve au Canada.

Pourquoi le Québec?

Nidhal avait d’abord voulu vivre en France, mais, selon lui, ce pays traversait une crise économique et sociale majeure. Même s’il trouve que c’était un très beau pays, il pense que la vie en France est stressante. C’est la stabilité et le côté paisible du Canada qui l’ont attiré. Le Québec représentait pour lui la sécurité et un modèle inclusif : il y a de l’interculturalisme au Québec. La province était une terre ouverte à tous, accueillante et qui très favorable à l’immigration. De plus, la religion n’occupait pas la sphère publique au Québec. Elle était privée, ce qui favorise la liberté. Tout ceci le motiva à choisir le Québec et le Canada.

Je crois qu’il y a un rêve Canadien.

Nidhal se sent très bien ici et sait qu’il va accomplir de bonnes choses.

Préparer le départ

Depuis son jeune âge, Nidhal lit beaucoup au sujet de l’histoire et de la culture de nombreux pays. D’ailleurs, l’histoire d’un homme d’affaires français qui avait beaucoup voyagé dans sa vie sans quitter son canapé, simplement en lisant des livres, l’a toujours inspiré. Les livres, mais aussi les films et les vidéos sur Internet ont aidé Nidhal à préparer son voyage. À l’époque, le film « Rouge pourpre » le marqua tout particulièrement. Ce film lui permit de comprendre une partie de l’histoire du Québec. D’autres films modernes lui firent découvrir le mode de vie québécois, notamment l’individualisme.

L’une des premières choses qui l’ont impressionné en lisant sur le Québec fut la citation de Gilles Vigneault, poète québécois, qui disait : « Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver ». Très curieux de nature, c’est par plaisir et dans l’objectif de s’adapter que Nidhal approfondit son apprentissage sur le Québec, six mois avant son départ. « J’ai même suivi des vidéos pour apprendre l’accent québécois! », lança-t-il. Il souhaitait écouter le Québec « ordinaire », ce qui lui permit par la suite de bien comprendre les Québécois et de mieux partager avec eux. Une préparation si méticuleusement abordée qu’il se souvient encore avoir écrit à un ami le 5 mai 2014, deux jours après son arrivée au Québec : « Je suis comme un poisson dans l’eau, je suis dans mon élément ».

Arrivée et vie à Québec

Il arriva là Québec le 3 mai 2014 en tant qu’immigrant travailleur. Ses diplômes n’étaient pas reconnus au Québec. Après avoir vainement mené des recherches pour trouver un emploi qui correspondait à son profil, Nidhal finit par faire un stage qui lui ouvrit plusieurs perspectives. Il resta 11 mois en collocation avec des étudiants étrangers. Il s’aperçut que la plupart des gens avaient un point de vue très positif sur le Québec : les gens aimaient vivre ici, mis à part l’hiver et le froid.

De retour en Tunisie, Nidhal déposa une demande pour poursuivre un doctorat à l’Université Laval. Ses diplômes furent alors reconnus, de même que son expérience professionnelle d’enseignant et de juriste en Tunisie. Il posa alors les valises une deuxième fois au Québec, en août 2015, avec l’objectif d’y rester très longtemps et d’enseigner un jour à l’Université. Il s’installa cette fois en résidence universitaire. Il se fit beaucoup d’amis rapidement, québécois comme étrangers.

Nidhal souligna que le fait de parler la langue française lui avait beaucoup facilité les choses. De plus, il partageait les mêmes valeurs que les habitants du Québec, soit le respect des droits des femmes, la liberté, la laïcité. Ainsi, il ne se sentit pas du tout étranger. Ses valeurs ainsi que sa vision de la société lui ont donné la possibilité de s’intégrer plus facilement.

Surprise à Québec

La seule chose que Nidhal n’avait pas découverte dans les livres, c’est la façon dont se créaient les liens au Québec. Il découvrit que les gens de Québec ne se lient pas d’amitié très rapidement. Ils sont très chaleureux, mais le premier contact n’est pas facile. Il comprit alors que le mode de vie est très différent de celui de la Tunisie où il est bon de papoter et de prendre le temps de vivre. Il remarqua aussi qu’au Québec, les gens travaillent tout le temps au point que le mode de vie semble basé là-dessus. Cette différence culturelle n’a pas empêché Nidhal de tisser des amitiés précieuses, bien au contraire. Finalement, le seul réel problème qu’il évoqua fut le froid. Selon lui, s’il n’y avait pas le froid au Québec, ce serait « le paradis sur terre ». Toujours selon lui, l’hiver oblige les gens à travailler, alors qu’en Tunisie ils se prélassent au soleil et aiment se balader, parler, ne rien faire. Mais Nidhal adore travailler, c’est d’ailleurs sa première priorité.

Les valeurs du Québec

Nidhal s’accorda tout de suite avec les valeurs québécoises, mais surtout celles qui font référence à la liberté de l’individu. Il sait que s’il exprime des convictions, il sera écouté et respecté. En Tunisie, n’importe qui peut juger les autres selon leurs convictions, leurs habitudes ou leur manière de s’habiller, surtout pour les femmes. Même si la Tunisie est un pays pionnier dans le monde arabo-musulman, une partie de la société reste conservatrice. Nidhal se sent concerné en tant que citoyen et ne partage pas cette vision de la société. Au Québec, il  apprécie beaucoup l’égalité entre l’homme et la femme. La loi s’applique à tout le monde de manière égale.

Perception québécoise des pays arabes

L’entourage de Nidhal lui permit dès les premiers jours de ne pas se sentir étranger. Son domaine d’études lui permit de rencontrer des personnes qui connaissaient la politique tunisienne, ainsi que la politique du Québec, de quoi bien se comprendre mutuellement.

Certaines autres personnes ayant des connaissances plus vagues et se fiant surtout aux informations diffusées à la télévision (femmes voilées, hommes barbus, armes) se méfiaient de lui au premier abord. Elles étaient étonnées de voir qu’il vivait comme elles, qu’il buvait de l’alcool et qu’il mangeait de tout. Une fois, un Québécois apostropha un de ses amis marocains qui buvait de l’alcool : « Mais pourquoi tu bois de l’alcool? Ce n’est pas interdit? ». Ce qui montre que l’image des immigrants en provenance de pays arabo-musulmans renferme des clichés.

Nidhal m’expliqua qu’en Tunisie, les gens vivent à l’occidentale. À force de dialoguer, il y a eu une étape de connaissance mutuelle qui a été franchie. Nidhal pense que le temps va faire les choses. En effet, par le contact quotidien, les gens se connaissent de mieux en mieux. Il remarque que la situation évolue déjà avec son propre cas. Ici, il faut être courageux et faire le premier pas.

Recommandations

Pour Nidhal il est très important d’abord d’apprendre la langue, c’est la clé qui ouvre la porte. On ne peut pas comprendre un pays, une culture, sans la langue. Il faut avoir l’esprit ouvert, il n’y a pas qu’une seule manière de vivre, il y en a plusieurs. Il faut aussi considérer la différence comme étant une richesse et non pas comme une menace. Il faut être tolérant et apprendre des autres, ne pas croire que notre manière de vivre est la seule. Bien sûr, il faut beaucoup travailler.

Nidhal Mekki et Juliane Nicola. Crédit :  Juliane Nicola

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