27 Yasmine X.

Gabrielle Ferland

Âgée de seulement 29 ans et avec tout l’avenir devant elle, Yasmine embrasse à bras ouvert la culture québécoise depuis maintenant quatre ans.

Retour sur le contexte sociopolitique

Née en 1987, l’année du coup d’État qui a porté Ben Ali au pouvoir en Tunisie, Yasmine, comme d’autres jeunes gens de sa génération, n’a connu que la dictature. L’ancien président a été démis de son poste sous prétexte qu’il n’était plus capable d’assumer ses responsabilités pour des raisons médicales. Ce coup de force a été contesté, puisqu’il était anticonstitutionnel. L’arrivée au pouvoir de Ben Ali inaugurait ainsi une période de doute et d’incertitude. Ceux qui chérissaient l’espoir d’un changement positif ont vite déchanté face au constat de monocratie. Ce changement brusque marqua le début d’une nouvelle ère de dictature bien plus grave que celle connue sous le règne du président Bourguiba qui se cachait derrière le nationalisme et son projet de modernité pour opprimer le peuple.

Au début des années 90, Ben Ali ordonna une répression sanglante contre les islamistes. Avec l’apparition des média propagandistes du Moyen-Orient, notamment en Égypte et en Arabie Saoudite, la population trouva refuge dans la religion; le conservatisme se faisait de plus en plus sentir. C’est alors que l’augmentation du port du voile chez les femmes fut constatée; cela ne laissait pas les autorités indifférentes. Le pays qui était auparavant multiethnique basculait lentement vers une culture musulmane conservatrice. De plus, contrairement à la capitale et aux régions du Sahel réputées touristiques et favorisées par l’État, Bizerte, où elle vivait avec sa famille, était une ville militaire qui était devenue très conservatrice.

Comme sa famille et elle-même ne pratiquent pas la religion et sont militantes, ces circonstances ne leur rendaient pas la vie facile en Tunisie. Sa mère, en évoquant l’ère Bourguiba, lui parlait avec nostalgie d’une époque où la Tunisie était beaucoup plus ouverte qu’aujourd’hui. Par exemple, elle se remémorait le temps où des mosquées et des églises partageaient la même rue. Son père, athée depuis longtemps, se souvient de ses voisins juifs tunisiens qu’il aimait bien aider lors de leurs célébrations religieuses. Bref, la Tunisie avait déjà vécu l’expérience d’une certaine coexistence harmonieuse entre les différentes ethnies, cultures et religions.

La décision

Malheureusement, refuser de pratiquer la religion devenait inacceptable aux yeux de la population tunisienne. Également, militer pour les droits de la personne exposait les gens à de graves dangers. Certains étaient exilés, d’autres étaient enfermés et torturés par l’état policier de Ben Ali. Seule une minorité de la population osait afficher sa différence. Yasmine se rappelle que son père leur disait : « J’espère qu’un jour vous aurez une vie meilleure ailleurs ». À la menace islamiste s’ajoutait une situation économique désastreuse au pays. L’idée de quitter la Tunisie était donc implantée depuis longtemps et sa famille l’encourageait constamment vers cette solution.

Après la révolution de 2012, seule la liberté d’expression était acquise; les répressions contre les minorités sexuelles et religieuses augmentaient. La population tunisienne, autrefois soumise au régime de Ben Ali, est devenue « la police des bonnes mœurs ». État et citoyens devenaient dangereux pour ceux et celles qui empruntaient des voies non traditionnelles. La technologie était tout de même un avantage : Yasmine pouvait tisser des liens plus facilement avec des personnes partageant les idéaux qu’elle défendait. De plus en plus, la décision devenait évidente à ses yeux : elle voulait quitter le pays. Il ne lui restait plus qu’à choisir l’endroit et la manière de procéder. Elle visait le Canada en général et a fait son choix par rapport aux programmes d’études qui l’intéressaient le plus et offraient les meilleurs débouchés. Elle fit le choix de la bio-informatique à l’Université Laval. Elle prit part à plusieurs concours afin d’obtenir une bourse pour étudier à l’étranger.

La majorité des bourses impliquait malheureusement un retour en Tunisie après les études à l’étranger, ce qui ne faisait pas partie de ses intentions. Elle voulait partir et se construire une vie ailleurs, sans revenir au pays. L’argent était un des problèmes majeurs et ses parents furent obligés de vendre leur maison et de déménager dans un appartement afin de pouvoir aider leur fille dans son projet. Son départ nécessitait d’énormes sacrifices. Elle est partie seule, en laissant derrière son frère et ses parents.

L’arrivée au Québec

Son voyage ne fut pas des plus relaxants, car elle ne savait même pas où elle allait vivre à Québec. Ce ne fut qu’à la toute fin de son vol qu’elle eut une réponse à son inquiétude. Elle fut d’abord accueillie par une famille tunisienne résidant à Québec depuis une dizaine d’années. Son intégration fut facile, puisqu’elle parlait déjà couramment français. L’accueil de la famille était très chaleureux mais, avec le temps, elle avoue avoir été un peu réticente face au conservatisme de sa colocataire. Elle se sentait obligée d’épouser le mode de vie de celle-ci en se soumettant à certaines règles. Il fallait rentrer à une certaine heure de la journée, ne pas ramener du porc à la maison et ne célébrer que les fêtes traditionnelles musulmanes. Bref, tout ce qu’elle fuyait de cette culture en quittant la Tunisie. Elle déménagea donc dans les résidences universitaires où elle fit la rencontre de William, un étudiant en sciences politiques et économiques, qui lui a fait visiter la ville et découvrir la culture typiquement québécoise. Son amour pour le Québec a été déclenché par toutes les superbes découvertes qu’elle fit avec lui.

 Une des conditions pour faire partie du programme de bio-informatique l’empêchait d’avoir un travail avant six mois. Yasmine se concentra donc sur ses études. Elle remarque que les gens à l’université étaient difficiles à approcher. Les étudiants natifs de Québec étaient craintifs et n’osaient pas approcher les étudiants étrangers. Ce n’est qu’après avoir établi le contact et expliqué qu’elle partageait les mêmes valeurs que les Québécois qu’elle a réussi à se rapprocher des étudiants de son programme et a développé d’autres amitiés.

Pour elle, arriver au Québec, un des pays les plus développés au monde, a été une réelle délivrance. Elle pouvait enfin afficher ses convictions sans avoir à craindre pour sa vie. Contrairement à sa ville natale, elle trouve que Québec est une ville pleine de diversité et de personnes très ouvertes, mais cela ne l’empêche pas de remarquer que le communautarisme est très présent et que plusieurs immigrants n’arrivent pas à s’intégrer à la culture québécoise.

Aujourd’hui

Yasmine a aujourd’hui un copain québécois qu’elle a rencontré un an seulement après son arrivée. Pour elle, son amoureux est un vecteur d’intégration important. Elle se sent aujourd’hui tout à fait québécoise, ce qui n’enlève rien à sa nationalité tunisienne, bien qu’elle ne soit retournée au pays qu’une seule fois en quatre ans. En effet, les valeurs québécoises lui collent à la peau; la liberté d’expression et la diversité ethnique, de religion et d’origine, ainsi que plusieurs autres aspects du Québec font qu’elle se sent tout à fait à sa place ici. Son frère est venu la rejoindre au Québec. Ses parents, restés en Tunisie, ne peuvent qu’être heureux pour elle et lui souhaitent tout le bonheur du monde. Ils continuent de l’appuyer dans ses choix. Elle ne s’est sentie à aucun moment victime de racisme ou d’intimidation à cause de ses origines.

À l’avenir

Yasmine recommande fortement aux personnes qui vivent une expérience semblable à la sienne d’être patientes et ouvertes à la différence. Ce genre d’intégration demande beaucoup de temps, d’efforts et de sacrifices, mais cela en vaut la peine.

Les jeunes en Tunisie pensent à partir pour un avenir meilleur, socialement ou économiquement, mais ils ne pensent pas à leur intégration une fois établis dans un autre pays. Mon conseil serait qu’ils se préparent mentalement à absolument tout refaire à zéro.

 

Nous sommes tunisiens, mais nous sommes aussi Québécois (…) nous vivons au Québec et nous partageons les valeurs du Québec. – L’Association des Tunisiens de Québec au rassemblement de soutien aux victimes de l’attentat de la mosquée

Conclusion

Yasmine est une jeune fille pleine d’ambition qui m’a fait comprendre l’histoire tunisienne et les problématiques qui l’ont poussée à quitter son pays. Je trouve que cette rencontre a été une expérience tout à fait géniale, qui crée des liens très réels pour chaque étudiant.e qui a écouté l’histoire d’une autre personne. C’est si facile de juger quelqu’un sans connaître son passé et c’est pourquoi je pense que ce genre de rencontre est très intéressant et nous ouvre les yeux sur la réalité. Yasmine est une jeune fille tout comme moi, qui aime sa famille, qui étudie fort, qui propage la liberté d’expression. Son origine ne devrait pas être une barrière puisque nous avons tant en commun.

Photo de la Tunisie. Crédit : Yasmine X.

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