13 Yasmina X.
Dorothé Baron
Yasmina accepte de témoigner pour ce livre, même si elle n’est pas arabe, mais berbère.
J’adore l’Algérie et ma culture. Ma berbérité, je vais la garder pour toute la vie. L’Algérie c’est comme une mère, je l’aime parce que j’ai grandi avec elle, même si je ne l’ai pas choisie. Le Canada c’est comme un époux, je l’aime, c’est mon pays, je l’ai choisi.
La vie en Algérie
Yasmina a grandi en Kabylie, une région de culture et de tradition berbère située dans le Nord de l’Algérie. Sa mère est une musulmane très pratiquante, à l’inverse de son père qui est croyant, mais peu pratiquant. Elle fut donc élevée dans une famille tolérante et respectueuse. Chacun pratiquait sa religion comme il l’entendait, ses parents ne l’ayant jamais obligée à faire la prière ou à porter le voile. Le voile a fait son apparition en Algérie vers la fin des années 80, une invention d’islamistes plus conservateurs.
« L’Algérie est un très beau pays, un peuple très accueillant. Mais l’Algérie a commencé à changer », raconte-t-elle. Au début des années 90, Yasmina sentit la montée d’un radicalisme religieux et la naissance du terrorisme. Après un tremblement de terre, par exemple, certains blâmaient les femmes, croyant que Dieu les punissait à cause d’elles. Elle voyait l’Algérie reculer et les autres pays avancer. Un ami lui dit qu’il désirait immigrer au Canada. À partir de ce moment, l’idée de quitter l’Algérie commença à germer dans sa tête : elle voulait partir, elle aussi. Son mari Yova n’était toutefois pas très emballé par l’idée, mais le couple fit tout de même une demande d’immigration au Canada. Elle fut acceptée pour trois ans, mais Yova n’étant pas prêt à partir, ils prirent la décision de ne pas quitter l’Algérie tout de suite. Yasmina voyait sa qualité de vie se dégrader et décida de partir vivre seule en France. Certes, il n’y avait pas de terrorisme en France, mais elle n’apprécia pas non plus sa vie là-bas. Elle ne se reconnaissait pas dans le mode de vie et la culture française. Elle rentra donc à Alger aux côtés de son mari, puis reprit ses démarches pour venir au Canada.
La décision de partir
Le couple vivait bien à Alger, ils avaient de bons emplois et gagnaient bien leur vie. C’est pourquoi les procédures d’immigration vers le Canada furent vraiment repoussées jusqu’à la dernière minute. C’est après la naissance des deux enfants que la décision de partir fut réellement prise. « Je n’avais plus d’espoir que l’Algérie aille de l’avant et je ne voulais pas que mes enfants grandissent dans cette culture », explique-t-elle. La religion prenait trop de place, elle empiétait sur le programme éducatif des enfants à la garderie. La journée où sa fille revint à la maison lui disant : « Maman, si tu ne fais pas la prière, le bon Dieu va te brûler » et le jour où elle vit de petites filles voilées chanter des chants antisémites lors d’une fête à la garderie confirmèrent sa décision. Elle allait faire ses bagages et partir au Canada avec sa famille.
Une arrivée au Québec difficile
Ce fut donc à l’hiver 2010 que la famille arriva au Québec, à Montréal. Ils furent accueillis par des amis qui les amenèrent à Montréal-Nord.
Ce qui nous a le plus choqués en arrivant, ce n’est pas la température, c’est l’architecture.
Ils avaient l’habitude des villes et de l’architecture algériennes et européennes. En comparaison, le Québec leur semblait être un bien drôle de pays, un « grand village ». Ils emménagèrent à St-Léonard, où vivaient beaucoup d’étrangers d’origine algérienne. La première année fut très difficile pour le couple : ils ne connaissaient presque personne et n’arrivaient pas à trouver un travail dans le domaine pétrolier et de la construction, car leurs diplômes algériens n’étaient pas reconnus. Yasmina voulait participer à des séances d’accueil pour mieux s’intégrer et essayer de trouver un emploi. Ces séances furent toutefois loin d’être bénéfiques, puisqu’elle se fit répondre qu’elle « rêvait trop ». On lui disait qu’il était irréaliste de croire qu’elle pourrait travailler dans le domaine de la construction et faire de la gestion de projets. Lors de cette expérience, elle se sentit persécutée et découragée.
C’était difficile de ne pas avoir de travail et de revenus alors qu’on avait vraiment une belle qualité de vie à Alger.
À ce moment-là, elle dut faire une demande d’aide sociale pour subvenir aux besoins de sa famille. Lorsque cette aide lui fut accordée, elle pleura beaucoup car elle se sentait mal de dépendre des autres.
Le retour aux études
Mais Yasmina ne voulait pas vivre ainsi.
Je me suis dit : « Je vais aller à l’université me chercher un petit diplôme en gestion de projets. L’université va être mon milieu d’intégration au Québec ».
Encore une fois, des gens tentèrent de la décourager, lui disant qu’elle était folle de retourner à l’université avec ses deux bébés. Elle ne se laissa toutefois pas atteindre et son mari et elle retournèrent aux études pour avoir une formation à mettre dans leur CV. Lorsqu’elle commença l’université, elle préféra tout de suite son nouveau rythme de vie. La journée, elle s’occupait de ses bébés, étudiait, préparait ses examens, puis, le soir, elle allait à l’université et son mari prenait le relais avec les enfants.
Une première expérience de travail
Alors qu’elle était toujours aux études, Yasmina alla déposer son CV dans une chambre de commerce. Quinze jours plus tard, une entreprise l’appelait pour lui donner sa première chance : un stage. Elle commença donc en tant que stagiaire dans une petite entreprise familiale qui faisait de la planification de projets. Son travail fut très apprécié au sein de l’entreprise et les patrons voulurent l’engager après ses études. Cette première expérience de travail au Québec fut très agréable et positive : elle œuvrait dans le domaine qu’elle préférait, entourée des gens « très sympathiques ».
Un premier emploi à Québec
En septembre 2011, elle fut contactée par une entreprise de sous-traitance dans le domaine pétrolier qui désirait lui offrir un stage à la raffinerie Valero à Québec. Elle n’était pas convaincue de vouloir partir pour Québec puisqu’elle ne vivait à Montréal que depuis un an et demi. Elle décida toutefois de commencer à travailler là-bas à mi-temps. L’entreprise lui prêta de l’argent pour qu’elle puisse s’acheter une voiture et ainsi venir travailler à Québec pendant la semaine. Elle faisait beaucoup d’allers retours entre Montréal et Québec et ne voyait sa famille que la fin de semaine. Ce n’était pas facile, mais en même temps, elle commençait vraiment à aimer la capitale nationale. À St-Léonard, elle avait l’impression d’avoir recréé le même milieu qu’en Algérie et ce n’était pas ce qu’elle voulait pour sa famille. Le déménagement de toute la famille vers Québec se fit donc en janvier 2012 pour que Yasmina puisse travailler à temps plein à la raffinerie.
Dès son arrivée à Québec, elle ne vécut aucun racisme. C’était plutôt de la curiosité, ce qu’elle trouvait normal.
Les gens à Québec sont chaleureux et accueillants, ils disent bonjour, comment ça va, ils font des sourires et disent des petits mots gentils. Il n’y a pas ça en Algérie ni en France.
Mais ce qui lui manque, c’est l’esprit de communauté, le voisinage et le vivre-ensemble propre à l’Algérie. Elle trouve que l’entraide est plus présente en Algérie, alors qu’au Québec, l’ambiance est plus individualiste.
Yasmina se décrit comme une femme qui aime « partager et recevoir », des valeurs qu’elle veut transmettre à ses enfants.
Un lien entre la culture berbère et la culture québécoise
Aujourd’hui, elle dit avoir retrouvé le même mode de vie à Québec que dans sa région natale. Mais ce qu’elle aime le plus ici, c’est la liberté. Elle peut vivre sa vie comme elle l’entend, sans le fardeau de la religion. La simplicité québécoise lui rappelle aussi sa culture berbère.
On sent que le fond des cultures québécoise et berbère sont les mêmes : nos ancêtres travaillaient la terre, les femmes s’occupaient de la maison. Le Québec évolue avec ce bel équilibre entre la modernité et les traditions.
Elle évoque un parallèle entre la culture des oliviers en Algérie et le sirop d’érable au Québec. Amoureuse de la nature et de la terre, Yasmina rêve d’avoir un jour un chalet ou une cabane à sucre.
Quand tu immigres, tu dois vivre comme les gens de ton pays d’accueil.
Favoriser l’intégration, surtout celle des enfants
Yasmina croit fermement qu’il faut favoriser l’intégration des immigrants et que les Québécois, comme les nouveaux arrivants, doivent ouvrir leurs esprits. Elle affirme que le gouvernement devrait avoir un plus grand rôle à jouer dans l’accueil des immigrants. Il faut s’assurer que ceux-ci ne recréent pas la société qu’ils ont quittée, surtout en ce qui concerne les enfants, parce qu’ils sont le futur du Québec.
Le gouvernement devrait interdire aux familles d’obliger les jeunes filles de moins de 18 ans à porter le voile, ou le port de tout signe religieux, toute religion confondue.
Selon elle, tant qu’une personne n’est pas majeure, on ne devrait pas lui imposer de religion, et cela vaut aussi pour ses deux enfants. « À eux de choisir leur religion et quand ils veulent en parler, je leur explique ». Ses deux enfants sont très bien intégrés, ils ont l’accent québécois et beaucoup d’amis québécois. « Je ne dis jamais à mes enfants “ne fais pas ça, ce n’est pas notre culture”, ou “eux ils ont le droit de faire ça parce qu’ils sont Québécois, mais pas nous”. Mais certains parents immigrants le font et je ne suis pas d’accord avec ça ». Sa fille de 12 ans se dit musulmane et ne mange pas de porc, son fils de 11 ans, lui, dit ne pas savoir et mange des saucisses trempées dans le sirop d’érable!
Son message pour les nouveaux arrivants :
N’essayez jamais de reproduire la société que vous avez quittée. Vivez votre vie comme tout le monde la vit ici, intégrez-vous et tout sera plus facile!