46 Samir Ghrib

Charles Lalande

Dans l’univers du soccer de la ville de Québec, Samir « Tremblay » Ghrib n’a plus besoin de présentation. L’homme de 53 ans est l’entraîneur-chef du club du Rouge et Or masculin à l’Université Laval et du Royal Sélect de Beauport, catégorie senior masculin AAA. Il est également directeur technique de l’Association de soccer de Beauport. Il a même déjà eu sa propre école de soccer, qui portait son nom. Voici l’histoire de Samir Ghrib, aussi surnommé Monsieur soccer.

Arrivée au Québec

Le 7 janvier 1984, un avion en provenance de la Tunisie se posa à l’aéroport de Montréal. Un avion dans lequel Samir Ghrib était passager, impatient de découvrir la nouvelle vie qui l’attendait. Le lendemain, il mit pour la toute première fois le cap sur la ville de Québec. Malgré la tempête de neige, il eut un véritable coup de foudre pour sa ville d’adoption. L’accueil, l’ouverture d’esprit, le respect et la simplicité des citoyens le charmèrent aussitôt.

Après deux mois, j’ai dit à ma mère que je voulais passer ma vie ici!

Quelques années plus tard, il se maria avec une Québécoise. Ensemble, le couple mit au monde deux enfants. « Je les appelle mes deux petits Québécois d’amour », avoue-t-il en riant. Trente-quatre ans plus tard, l’histoire d’amour avec la Capitale-Nationale se poursuit.

De la Tunisie au Québec

Encore aujourd’hui, il parle de sa Tunisie natale avec fierté. Toutefois, rester à la maison était synonyme d’étouffement. Ses parents lui proposèrent de déménager au Canada, endroit où il aurait l’occasion de parfaire ses connaissances du ballon rond et de décrocher un baccalauréat dans une université reconnue, en l’occurrence l’Université Laval.

Mes parents m’ont offert ce qu’il y a de plus beau, un passeport pour la vie, en l’occurrence des valeurs, c’est-à-dire un avenir. Ici, j’ai vraiment trouvé mon équilibre entre le soccer et les études. Je n’étais pas nécessairement un bon étudiant puisque j’ai mis du temps avant de savoir ce que je voulais faire.

Après des essais infructueux en administration et en économie, le jeune homme qu’il était trouva le bonheur en sciences politiques, discipline recommandée par sa mère depuis longtemps. Inscrit à la maîtrise en relations internationales, il ne lui restait qu’à compléter un seul cours. Or, il ne remit jamais son essai. Il développa plutôt sa réelle passion, le coaching, qu’il avait déjà dans le sang et qui est devenu, au fil des années, son gagne-pain.

Appelez-le Monsieur soccer

Nul besoin de consulter son curriculum vitae, riche en succès, pour constater l’empreinte laissée par Samir Ghrib, un acteur important de l’élite du soccer. Les gens l’appellent maintenant Monsieur soccer.

C’est un bel hommage. C’est relié, de façon modeste et humble, à mon parcours d’entraîneur, où j’ai connu du succès avec toutes les équipes que j’ai dirigées. Mon rêve a toujours été de faire de Québec un bastion du soccer. Avec mes joueurs, je l’ai fait. Un bon chef d’orchestre a toujours besoin de bons musiciens. Sans cela, il n’est rien.

À ses joueurs, il ne cessa de véhiculer ses valeurs, profondément ancrées en lui : le dépassement de soi, l’entraide, la solidarité, l’ouverture sur l’autre et le souci du détail.

Quand tes valeurs et tes actions ne font qu’un, tu deviens très fort.

Mais cela ne se fait pas toujours sans accrochage.

Lors du championnat canadien senior, en octobre 2014, onze joueurs du Royal Sélect de Beauport contrevinrent à son code d’éthique, dont sept joueurs étaient également actifs auprès du club du Rouge et Or. Comme il dirigeait les deux équipes, le résultat fut immédiat : il suspendit les fautifs. Du coup, les possibilités de championnat des deux formations s’envolèrent en fumée.

J’en connaissais quelques-uns depuis qu’ils avaient l’âge de sept ans. Leurs parents étaient des amis. Cela m’a déchiré et fait très mal, mais je devais sévir pour ne pas trahir mes valeurs.

Du groupe, un seul bénéficia d’une deuxième chance. Seize mois après les événements, Samir lui confia les rênes d’un club de la catégorie AA Espoirs des moins de 14 ans, qu’il promut dans le AAA dès sa première saison.

Mes joueurs, ce sont comme mes enfants, tu peux les gronder, mais après, tu dois les accompagner et c’est ce que j’ai fait avec lui. C’est une très belle histoire. Il a beaucoup travaillé sur lui-même et je suis très fier de lui.

Éternel optimiste, l’échec ne l’effraie pas. Il a d’ailleurs récemment ajouté cette citation de Nelson Mandela à sa carte d’entraîneur : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. » Heureusement, il ne compte pas accrocher son sifflet de sitôt. La flamme de « fabriquer des champions, des êtres épanouis » est encore vive pour M. Ghrib.

Mosquée de Québec

Le 29 janvier 2017, six personnes perdirent la vie au cours d’une violente tuerie survenue dans une mosquée de Québec. Samir Ghrib fut profondément blessé par la tragédie. Dans une lettre ouverte publiée sur le blogue du Rouge et Or, il a crié son amour pour sa ville d’adoption et admis, en toute honnêteté, que cela ne l’avait guère surpris.

Toute la haine qui déferle sur les réseaux sociaux, tous les incidents, comme le dépôt d’une tête de porc devant cette même mosquée l’été précédent, et toutes les tragédies aux quatre coins du monde me laissaient croire qu’un tel événement, allait, un jour, survenir sur notre territoire. Les musulmans sont stigmatisés. Trop de gens associent le terrorisme aux musulmans.

Dans son discours, il luttait contre la parole haineuse et confirmait qu’à ses yeux les Québécois n’étaient pas racistes. Il proposa même une idée à transmettre au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport : « Faire un cours sur la gestion des émotions serait essentiel. Nous devons apprendre à nos enfants comment régler un conflit et gérer leur colère. Je suis persuadé que l’école de demain offrira cela et tout le monde sera gagnant! ».

Il suggéra aussi une idée aux ardents défenseurs des immigrants : élargir le débat, ne pas simplement se limiter à traiter les xénophobes de racistes.

Il faut écouter ceux qui questionnent le niveau d’immigration. Quand quelqu’un dit qu’il y a des musulmans partout, il faut lui répondre qu’ils forment seulement 3 % du Canada. Les immigrants, ici, sont sélectionnés, à l’aide d’un processus très rigoureux.

Près de 24 heures après les attentats, des centaines, voire des milliers de personnes, se réunirent sur les lieux de la tragédie dans le cadre d’une vigile pour rendre hommage aux victimes ainsi qu’aux blessés. Normalement peu enclin à prendre part à ce type de rassemblement, il fit exception. La blessure était trop vive. Accompagné de son adolescente, il vécut un moment émotif qu’il n’oubliera pas de sitôt.

J’ai vu le désarroi dans ses yeux et elle a vu l’inquiétude dans les miens. Mais c’était magnifique de voir la population réagir à ces actes ignobles par une puissante vague d’amour. J’ai vu une femme québécoise tenir une pancarte où elle avait écrit : « Ici, c’est chez vous ». Spontanément, je suis allé la voir et je l’ai serrée dans mes bras et je lui ai dit : « Je sais! ». Je n’ai jamais été aussi fier d’être Québécois.

Cette vague de solidarité se transposa dans son vestiaire multiethnique où toutes les nationalités ne font qu’une. Un défenseur français lança l’idée de porter un chandail rendant hommage aux victimes lors de la période d’échauffement de la joute suivante. Un gardien y inscrivit une citation de Gilles Vigneault : « Notre maison, c’est votre maison ».

Dans le monde du sport, toutes les barrières tombent, peu importe la nationalité, l’orientation sexuelle et la religion. Je persiste et je signe : les Québécois ne sont pas racistes.

L’histoire de Samir Ghrib est un bel exemple de parfaite intégration à la culture québécoise. Il a adopté la ville de Québec et celle-ci en a fait de même. La recette?

S’intégrer, être ouvert d’esprit et respecter les valeurs de la société d’accueil, qui sont à mes yeux universelles, incitent les autres à leur tour à aller vers toi. Et le sport est un excellent moyen de créer des liens qui perdurent à jamais.

Depuis son arrivée au Québec, Samir Ghrib a gravi les échelons dans l’univers du coaching au soccer. Crédit : Le Journal de Québec

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