9 Nawel Benterki

Charles-Antoine Gagnon

Le 20 avril 1994, Nawel Benterki embarqua dans un avion en compagnie de ses parents et de ses trois sœurs. Elle s’apprêtait à quitter l’Algérie où l’islamisme radical venait de faire d’importants gains. Les membres de sa famille s’arrêtèrent au Maroc durant quatre jours avant d’entamer la plus grande aventure de leur vie : immigrer au Québec.

Un départ forcé

À cette époque, Nawel venait d’avoir 18 ans. Son père, qui était arpenteur, et sa mère, qui possédait une entreprise de couture, avaient eu l’occasion de visiter le Canada quelques années auparavant. Ils considéraient que ce pays pouvait assurer un avenir radieux à leurs quatre filles. La décision de remplir les visas pour demander la résidence canadienne fut prise par son père qui craignait la montée de l’islamisme radical. Nawel se souvient que ce mouvement n’était pas très bien connu au début des années 1990.

Ce n’était pas mondial. On voyait que les islamistes avaient gagné les élections municipales. Ça effrayait tout le monde. Mon père a pensé que ça pouvait peut-être dégénérer.

En effet, la situation se détériora dans les semaines avant le départ de la famille Benterki pour le Canada.

En 1994, c’est là qu’il a commencé à y avoir des meurtres. On a quitté, mais on a vécu beaucoup de frousse parce que je ne portais pas de voile et là, c’était rendu obligatoire par ces gens-là.

Un jour, alors qu’elle regardait la télévision avec sa grand-mère, des images d’une dizaine de journalistes se faisant assassiner ont été transmises. Il était écrit que « le terrorisme est arrivé en Algérie », raconte-t-elle. Le départ de l’Algérie s’est fait un mois plus tard. La décision d’immigrer avait déjà été prise, mais le moment du départ ne pouvait pas mieux tomber.

En pays inconnu

Lors de leur arrivée au Québec, les Benterki furent accueillis par une famille avec laquelle ils s’étaient liés d’amitié en Algérie. Celle-ci avait immigré deux ans plus tôt à Montréal et était donc en mesure de leur donner un coup de main. Elle les hébergea lors des premiers jours et leur trouva un premier appartement à Rosemont. Nawel se souvient que cet espace était très petit comparativement à l’endroit où elle vivait dans son pays d’origine. Sa famille déménagea ensuite dans un appartement plus grand, où elle se sentit plus à l’aise, puis dans une maison à Laval.

Qui dit immigration dit aussi changements. L’accent des Québécois fait partie des éléments pour lesquels elle a eu besoin de temps pour s’adapter. Elle se rappelle que, durant toute la première semaine, elle était incapable de comprendre une seule phrase prononcée par un Québécois. C’est finalement en regardant régulièrement la télévision qu’elle s’est habituée à l’accent. Du côté des études, elle n’avait pas terminé son secondaire en Algérie. Elle est donc allée au Cégep de Rosemont pour pouvoir poursuivre ses études à l’École Polytechnique. Elle voulait devenir ingénieure. Elle assure qu’elle n’a pas eu besoin de s’adapter davantage au système d’éducation du Québec qu’aux autres sphères de sa nouvelle vie.

Toute l’immigration, c’était difficile. J’ai l’impression que, de 18 à 23 ans, j’étais vraiment dans les pommes. Tu essaies juste de t’en sortir. J’étais perdue. Je me concentrais sur mes cours, donc je les réussissais.

Avant de quitter l’Algérie, ses parents leur avaient fait comprendre que l’immigration assurerait un avenir plus prospère aux enfants de la famille. Jamais Nawel n’a voulu décevoir ses parents, surtout après l’énorme sacrifice qu’ils avaient fait en laissant la vie qu’ils menaient derrière eux.

On a vraiment eu beaucoup de pression à performer. Je me rappelle très bien qu’au collège, des amis m’invitaient à sortir et moi je refusais parce que j’étais venue ici pour étudier. Je ne pouvais pas faire ça à mes parents.

Avec du recul, elle considère qu’avoir concentré ses efforts sur l’école a été une bonne stratégie. Elle a ainsi mis toutes les chances de son côté pour trouver un emploi à la hauteur de ses attentes et de celles de ses parents. Aujourd’hui, elle travaille comme ingénieure et chargée de projets chez ABB, à Québec. Ses sœurs ont suivi un parcours similaire dans d’autres domaines et connaissent aussi une très belle carrière.

Beaucoup de personnes arrivent ici et sont déçues de ne pas tout de suite trouver d’emploi. Ça peut paraître injuste, mais en même temps, il y a un prix à payer pour immigrer. Si tu n’es pas prêt à le faire, ne le fais pas. Ou bien tu fais comme nous. On a assumé le prix. On est partis de zéro et on est arrivé où on est. C’était ça notre vision.

Elle ajoute que le Québec devrait tout de même mieux intégrer les immigrants qualifiés.

Deuxième immigration

Après s’être adaptée au fonctionnement des différents systèmes du Québec, Nawel eut à vivre ce qu’elle appelle sa deuxième immigration en déménageant de Montréal vers Québec. C’est la rencontre de l’homme qui est devenu son mari et le père de ses enfants qui l’a poussée à agir en ce sens en 2005. À ses yeux, la plus grosse différence entre ces deux villes est qu’à Montréal, une bonne partie de la population est naturellement portée à aller vers les autres puisqu’il y beaucoup d’immigrants. À Québec, la population semble plutôt prise dans son train-train familial quotidien.

Beaucoup de personnes me disaient qu’à Québec les gens n’étaient pas ouverts, mais les gens qui me disaient ça ne sont pas des immigrants. Ce sont des Québécois de Montréal. Jamais je n’ai entendu un immigrant dire quelque chose de mal sur les gens de Québec. Chaque fois que je retourne là-bas, j’entends le même discours.

Finalement, dans son cas, tout s’est bien déroulé. Elle n’a éprouvé aucun problème en particulier. Ses enfants sont également bien intégrés à l’école qu’ils fréquentent. Elle est d’ailleurs heureuse de constater qu’elle vit sa vie de la même manière qu’elle le faisait en Algérie. Peu de choses ont changé, seulement l’environnement.

On n’a rien sacrifié. On fait nos choses comme on faisait en Algérie. Ça ne heurte personne ici, parce qu’au fond, nous ne sommes pas différents. On nourrit nos enfants, on rentre, on fait nos activités, on fait les devoirs. On n’a pas une vie si différente de celle des autres.

Quoiqu’isolé, l’attentat de Québec a toutefois remis sa vision en perspective. Elle souhaite que cet incident fasse changer les choses.

Je souhaite que cet événement réveille les gens pour qu’ils fassent attention à ce qu’ils disent.

La famille Benterki à sa toute première sortie dans une cabane à sucre. Crédit : Nawel Benterki

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