18 Jad Moussalli

Lauriane Liardet

Né en Syrie, Jad poursuivit des études de génie mécanique à l’Université d’Alep et obtint son baccalauréat en juin 2014, malgré la guerre qui sévissait. Les conditions difficiles eurent évidemment un impact sur sa vie : certains de ses amis moururent durant la guerre, il fut privé d’eau et d’électricité. Finalement, à l’automne 2014, Jad décida de quitter la Syrie.

Aller au Québec au péril de sa vie

Jad résume sa vie en Syrie : « Ce n’était pas une vie normale et il n’y avait pas d’opportunités pour l’avenir. » Son but était alors de rejoindre l’Europe par la Turquie ou le Liban. Le passage par la Turquie était compliqué et dangereux, puisque la zone était la cible du groupe État islamique (Daesh) et que, pour atteindre l’Europe, il fallait passer par la mer. Deux des amis de Jad étaient morts en tentant l’aventure par cette voie. Il préféra donc passer par le Liban : il y avait des amis et la route pour y aller était plus sûre et moins fréquentée. Là-bas, il travailla comme enseignant de français et comme ingénieur stagiaire dans une compagnie. Cependant, les conditions de travail étaient assez mauvaises et les salaires bas. « Il y a environ 4 millions d’habitants au Liban et 1,5 millions de réfugiés syriens. Pour un petit pays, ça fait beaucoup. Ça affecte les Libanais qui sont au chômage parce qu’on prend des jobs à des salaires très bas. »

Il commença donc à rassembler les papiers requis pour quitter le Liban. Son projet initial était de demander un visa étudiant pour l’Allemagne ou la Suède où il connaissait déjà des gens et où il voyait des possibilités d’avenir. Mais il entendit parler d’un projet de parrainage privé pour les réfugiés syriens au Canada. Les conditions pour que Jad puisse en profiter étaient qu’il ait le statut officiel de réfugié et qu’il connaisse une personne au Canada. Il apprit également qu’il existait, à Québec, un foyer pour étudiants qui pouvait venir en aide à trois réfugiés syriens qui souhaitaient continuer leurs études. Grâce à ce programme, les coûts du logement et de la nourriture des bénéficiaires étaient pris en charge pour leur première année à l’université. Pour bénéficier de cette aide, Jad devait répondre à certains critères : avoir entre 20 et 30 ans, avoir un premier diplôme et vouloir continuer à étudier ici. Il remplissait toutes les conditions et demanda donc à recevoir cette aide.

Après avoir obtenu le statut de réfugié, il commença à contacter des gens et entra en contact avec un ami de son oncle qui accepta de le parrainer. Les démarches devaient prendre un an et demi, mais grâce au nouveau gouvernement en place au Canada et aux décisions officielles prises pour accélérer les procédures et améliorer les services de parrainage, le processus dura moins d’un an. Jad s’envola vers le Canada le 1er janvier 2016.

L’arrivée au Québec

À Montréal, il fut accueilli avec les autres réfugiés syriens par les bénévoles de la Croix Rouge qui leur fournirent manteaux et bottes d’hiver. Il rencontra ensuite son parrain chez qui il demeura durant deux semaines. « Il était très gentil, c’est vraiment comme si j’étais un de ses fils. » Il se rendit ensuite à Québec et, durant les six premiers mois, il profita du soutien apporté par le foyer pour étudiants. « C’était comme une aide pour moi au début. » Il tint néanmoins à se débrouiller seul et à être indépendant rapidement. Il commença une école de langue pour rafraîchir ses connaissances, mais le professeur estima qu’il n’en avait pas besoin, car ses compétences en français étaient suffisantes. Il trouva donc un travail de serveur dans un restaurant, ce qui lui permit de gagner un peu d’argent et de remplir son temps libre avant de pouvoir entamer ses études à l’Université Laval. En effet, en mai 2016, il commença une maîtrise en génie des mines et des matériaux, plus spécifiquement sur les biomatériaux utilisés dans le corps humain. Il fait actuellement de la recherche à l’hôpital Saint-François d’Assise où il travaille à améliorer la qualité des surfaces des alliages métalliques utilisés pour fabriquer les stunts pour des applications cardiovasculaires.

Ce domaine est totalement nouveau pour moi. J’en avais entendu parler, mais on n’avait pas ça en Syrie. C’est un domaine prometteur. Le Canada donne beaucoup d’importance à la santé et c’est pour cela que j’ai choisi ce domaine d’étude.

Être inscrit à l’université était très important pour lui permettre d’obtenir un diplôme qui serait reconnu, de rencontrer plus facilement des gens et de mieux s’adapter à la vie canadienne.

Si, lors de ses premiers jours au Québec, il fut trop occupé pour penser à la Syrie, il s’inquiétait tout de même pour sa famille et ses amis restés au pays.

Quand je suis seul, je pense parfois à mes parents et mes sœurs là-bas. À cause de la guerre, j’ai peur d’un mauvais coup de téléphone.

Il tenta une fois de contacter un de ses amis resté en Syrie, en vain. Il apprit qu’un obus était tombé sur sa maison, mais que son ami était heureusement sain et sauf.

Toutes ces choses m’empêchent d’être totalement concentré sur mes études. Je me dis pourquoi nous? Pourquoi ça se passe chez nous, alors que les autres peuvent vivre une vie normale?

L’adaptation à un nouveau milieu de vie

Il était très important pour Jad de s’adapter, de ne pas rester isolé.

Je vais rester ici, c’est mon deuxième pays et donc je dois faire l’effort.

Le fait qu’il parle déjà le français fut d’une grande aide pour son intégration. Il remarqua que ce fut pour lui un atout que n’avaient pas d’autres réfugiés qui arrivaient sans connaissance du français et pour qui l’adaptation fut plus difficile. La communauté syrienne n’est pas très nombreuse ici et il n’avait pas le choix de parler en français. « Il faut voir des Québécois, ça aide beaucoup à comprendre cette nation et son histoire. »

Le premier défi qu’il eut à affronter fut la neige. « J’étais inquiet, j’ai aimé la neige la première fois que je l’ai vue parce qu’on n’a pas beaucoup de neige en Syrie. Mais après, c’était trop froid et j’ai commencé à paniquer, je me suis demandé ce que je faisais ici et si c’était une bonne idée de venir ici. » Mais finalement, il apprit le secret pour en profiter : « Quand on commence à faire des activités, qu’on ose sortir malgré le froid, on s’adapte. ». Il découvrit donc les activités typiquement québécoises : le ski, la raquette, la cabane à sucre et les matchs de hockey. Il goûta également aux spécialités : la tire d’érable et la poutine. Sa surprise? « Il y a des patates dans tout! Soit en frites, soit en purée. Je comprends, c’est nourrissant pour l’hiver! ».

Il aime tout particulièrement le respect que les Québécois ont pour les autres, ainsi que la grande liberté qui règne : liberté d’expression, liberté d’avoir sa propre religion, liberté d’aimer qui on veut, liberté de s’habiller comme on veut, etc.

On apprend à écouter l’autre. Ce n’est pas ma job de critiquer les gens, chacun est libre tant qu’il ne dérange pas l’autre, c’est très important et on n’avait pas ça en Syrie. Cette liberté est une richesse pour le Canada.

Le remerciement au Canada

Jad n’oublie pas l’accueil chaleureux et l’aide reçue à son arrivée. En signe de remerciement, il commença à être bénévole pour la Croix Rouge canadienne moins d’un an après son arrivée. « C’est resté dans ma tête et ce bénévolat, c’est comme un remerciement pour le Canada. Pour moi, c’est la moindre des choses qu’on peut faire pour dire merci. ». Il avait déjà travaillé dans des ONG en Syrie, mais les actions y étaient très différentes, en raison du contexte de la guerre : les organisations prenaient en charge les gens déplacés, fournissait de la nourriture, etc. Au Québec, Jad fait des collectes de fonds dans les supermarchés afin de financer des projets comme l’aide aux personnes touchées par les incendies en Alberta en 2016. Il aimerait un jour, si l’opportunité se présente, être en contact direct avec les gens dans le besoin et pouvoir les aider plus concrètement.

En plus de ses études et du temps dédié à la Croix Rouge, Jad est interprète : il collabore avec une étudiante dont le travail de maîtrise porte sur les réfugiés syriens, leur passé, ce qu’ils ont fait, leurs rêves. Jad participe aux entrevues et les traduit en français.

Le message aux Québécois

S’il vécut surtout des expériences positives avec les Québécois, qu’il trouve très aimables et respectueux, Jad perçut parfois de la méfiance chez certains qui ont peut-être peur de l’inconnu.

N’ayez pas peur. Nous les Syriens sommes des gens qui aimons la paix, la joie. On ne va pas oublier qui on est ni d’où on vient, on va être fier de nos racines et de nos origines, mais on va s’intégrer à la société. On essaie de trouver notre place ici et, si vous l’acceptez, on veut donner aussi de notre culture.

Jad Moussalli durant une conférence à l’UQAM dans le cadre des Journées de la culture et la langue arabe. Crédit : Stephanie Colvey

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