11 Hassiba X.

Thomas Mailloux

Mes enfants, ils aiment l’hiver. Quand je dépose mon garçon à l’école et il va dans la cour, moi je lui dis rentre, c’est trop froid, mais il reste là. Ce sont des Québécois, mes enfants.

 Un lent départ

Hassiba est née au Maroc d’une mère marocaine et d’un père algérien, mais elle vécut et fit sa licence à Oran, une des plus grandes villes d’Algérie, avant de venir au Québec. Aujourd’hui âgée dans la cinquantaine et mère de trois enfants, elle se souvient de tous les questionnements qui ont précédé son arrivée au Québec.

Si elle est partie, c’était principalement pour que ses enfants bénéficient de l’enseignement de qualité offert au Canada et pour suivre son mari qui voulait venir s’installer ici. Même si elle aurait souhaité s’installer en France, beaucoup plus près de l’Algérie, elle ne regrette pas du tout sa décision. Ils ont choisi le Québec à cause de la langue et parce qu’une de ses sœurs y vivait, mais qui lui avait grandement déconseillé Montréal.

 Je suis venu à Québec pour mes enfants. Ma sœur m’a dit : si tu vas à Montréal, tu vas les perdre, tes enfants. À Montréal, il y a beaucoup de criminalité et de problèmes pour les communautés. Québec, c’est mieux.

Le couple a alors entamé les démarches pour partir. C’était long, très long.

On avait tellement attendu longtemps pour avoir notre résidence permanente. J’avais abandonné le projet, mon mari voulait vraiment venir, c’est pour ça qu’on est venu, mais le 11 septembre avait ralenti les procédures.

Après, plusieurs années d’attente, c’est finalement en 2006 qu’elle a obtenu tous les papiers et les visas pour venir s’installer ici. C’était un grand soulagement, car ils avaient mis beaucoup de temps et d’argent pour venir au Québec.

Une arrivée avec des hauts et des bas

À son arrivée, Hassiba a découvert le Québec à la dure, car elle arrivait d’une ville côtière où il faisait chaud durant toute l’année et où le climat était très différent ici. Heureusement, elle parlait déjà français et cela a facilité la transition entre l’Algérie et le Québec. Avec son mari et ses enfants, elle s’est d’abord installée chez sa sœur. Les premiers temps ont été durs, car personne ne voulait leur louer d’appartement. Heureusement, ils ont fait une rencontre marquante.

On est tombé sur un monsieur merveilleux qui nous a permis d’avoir notre premier bail et il nous a même laissé l’appartement 15 jours d’avance. Monsieur M., il était vraiment bien, il nous a facilité la vie. Ça nous a marqué, un homme vraiment gentil. Il a peinturé, nous a donné des choses, vraiment plein de services. On a quand même eu un bel accueil, on a été chanceux.

Pour la famille, la vie commençait à reprendre son cours. Puis, les choses se sont compliquées. D’abord, elle a dû faire une croix sur le métier qu’elle exerçait en Algérie. Elle ne pouvait pas être enseignante en littérature arabe ici. Son mari, quant à lui, a réussi à se débrouiller en faisant des remplacements comme enseignant en science, mais il a fini par réorienter sa carrière vers l’informatique. Elle se rappelle que c’est à ce moment qu’elle a vécu le plus de racisme et de discrimination. Elle tentait de faire connaître sa culture à ses voisins en discutant, en leur faisant goûter des plats, mais ça ne donnait pas de résultats. Cependant, ce qui a été le plus dur, c’est ce que son fils a vécu à l’école secondaire. Il ne lui a jamais rien dit jusqu’à ce qu’il change d’école, mais elle le savait.

 Mon fils par exemple, il a subi beaucoup d’intimidation. Je le voyais, chaque fois que je le déposais, son visage changeait. Je l’ai su après, quand on a déménagé ailleurs, c’est allé beaucoup mieux et là il m’a parlé de ce qu’il subissait. Ce qui m’a marqué, c’est qu’il ne m’en avait pas parlé avant de changer d’école.

Comme elle s’était résolue à l’idée que son diplôme universitaire d’enseignement, reconnu ou pas, ne lui servirait pas à grand-chose, elle a commencé à chercher ailleurs. Puis, en allant porter ses plus jeunes à la garderie, elle s’est rendue compte qu’elle aimait  l’ambiance et l’environnement de travail au service de garde. Malgré les responsabilités familiales et la difficulté des cours de soir, elle a débuté une Attestation d’Études Collégiales (AEC) pour pouvoir travailler à la garderie. Après un an de travail, elle a finalement obtenu ses premiers contrats là-bas. Récemment, elle a même obtenu d’être en charge de son propre groupe et elle ne compte pas s’arrêter là, elle est toujours à la recherche de nouveaux défis. Après un deuxième déménagement, son fils s’est bien intégré et elle a senti une attitude complètement différente de la part des gens. Onze ans plus tard, elle a déménagé à nouveau et habite une jolie maison en banlieue. C’est loin, mais elle est bien et ses enfants aussi.

Un Québec bien différent de l’Algérie

En arrivant ici, ce qu’elle a tout de suite remarqué, c’est que les Québécois vivent simplement et, surtout, sont très organisés. Comparé à l’Algérie, tout est bien organisé, de la prise de rendez-vous jusqu’aux relations avec le gouvernement; elle se rappelle que cela a énormément facilité leur intégration. Elle a aussi beaucoup apprécié le respect de la personne qui prône ici. Malgré les quelques personnes qui lui ont manqué de respect, elle aime comment tout le monde peut s’affirmer ici, c’est « inspirant ».

 Ce que j’ai aimé le plus, c’est le côté pratique de la vie. Par exemple, si jamais je recevais des gens chez moi dans mon pays, les traditions veulent que ce soit grandiose, je devrais me préparer presque des jours d’avance. Là, je vous reçois ou j’arrive quelques minutes à l’avance. C’est tellement plus simple.

D’un autre côté, elle ne comprend toujours pas certaines façons de vivre en Amérique du Nord. Elle a travaillé avec beaucoup d’enfants et elle n’en revient pas de voir des parents qui ne se soucient pas d’eux.

Je travaille dans un milieu défavorisé et je dors certaines fois avec des enfants qui sont laissés par leur parent et complètement négligés. Pour moi, c’est un sacrifice d’avoir des enfants. Quand on a des enfants, tu penses aux enfants en premier, et après à toi. C’est différent de chez nous ici et ça me rend triste.

Elle s’est aussi rendu compte que les manières de faire sont très différentes avec les enfants ici. Dans son pays, si elle corrige un enfant qui fait des bêtises, elle va se faire remercier. Au Québec, si elle réprimande un enfant qui n’est pas le sien, c’est très mal vu. Elle a aussi remarqué comment la drogue est présente chez les jeunes.

Ça me fait peur pour mes enfants, je pense qu’on doit faire plus de choses pour empêcher la consommation. Dans notre religion, on dit : n’abîme pas le bien que Dieu t’as donné, donc tu es responsable de ce qui arrive à ton corps. C’est inquiétant de voir que presque tout le monde a essayé la drogue ici.

Une intégration vraiment réussie

Hassiba est confiante quand elle dit qu’elle se sent bien au Québec. Elle a de très bons amis au travail et elle se sent très heureuse en famille. Elle a toujours senti qu’elle était aimée et acceptée dans ce qu’elle faisait. Elle a gardé un petit contact avec la communauté arabe, mais avec son emploi à temps plein, elle n’a plus le temps de donner des cours d’arabe comme elle le faisait bénévolement à la mosquée il y a quelques années.

Mes amis sont presque tous québécois, je suis beaucoup en lien avec les gens de mon travail. C’est sûr que je discute avec les arabes que je croise. Mais je suis surtout amie avec les gens dans mon milieu de travail. C’est ma famille surtout qui me garde connectée avec mon lien en Algérie.

Si elle a un conseil à donner à un immigrant qui souhaite s’intégrer et être bien au Québec, c’est de « faire ses études et ses équivalences tout de suite, parce que c’est vraiment comme ça que tout peut débloquer par la suite ».

Changer les croyances

S’il y a quelque chose qu’elle souhaite, c’est que les Québécois se débarrassent des fausses croyances sur les arabes et les musulmans, qu’ils se libèrent de l’ignorance. Bien sûr, elle reconnaît que les islamistes extrémistes font du tort.

 Ce qui donne tort à l’islam, parce que c’est une très belle religion, c’est de penser qu’il faut tuer. Eux, ils nuisent beaucoup à la religion. Il ne faut pas généraliser. Quand on te voit avec un foulard et qu’on dit : c’est une femme soumise, ce n’est pas vrai. Je viens de mettre un foulard et j’ai décidé toute seule sans même consulter mon mari. Mon mari et mon fils  étaient même surpris de me voir le mettre à tous les jours.

 Elle a également observé beaucoup d’idées vraiment fausses sur les arabes et la façon de vivre là-bas, mais elle ne s’en fait pas, elle sait que ce n’est pas méchant. Elle aimerait juste que les gens se renseignent plus, s’intéressent plus. Il y a aussi l’idée des « voleurs de jobs » qu’elle ne comprend pas. Pour elle, c’est vraiment ridicule.

On vient ici pour travailler, pas pour l’aide sociale, pas prendre l’argent du social, ce n’est pas vrai. Je connais des médecins, des professeurs qui n’ont même pas d’emploi. Pourquoi le Québec ne profite pas de ces talents là, je ne comprends pas. S’ils sont venus, c’est pour que leurs enfants apprennent d’autres valeurs et pour participer au développement de la société québécoise qui les a accueillis.

Mot de la fin

احن لبلد صاخبة احياؤه

وتقتحم روائح التوابل فيه خياشيمي

وتبهرني الوانه المتبدلة

مكتظة شوارعه تصدع اصوات الباعة فيه ادني

اين انا من تربة سخية متطوعة

تجود بلا حساب

ومن رمال شاطئ

رسمت فيه ظلال شقاوتي

Traductions du haïku

Je m’ennuie d’un pays brouillant ses quartiers
Où les senteurs des épices envahissent mes narines
Et ses couleurs changeantes éblouissent mes yeux
Dont les rues sont peuplées et les cris des vendeurs me cassent les oreilles
Appelant aux légumes et fruits qui sentent encore la rosée fraîche et la terre
Une terre généreuse et riche
Dont le sable de ses plages immenses
Où j’ai dessiné les derniers traits de mon passage

Maroc. Source : https://pixabay.com/fr/oran-vue-de-kbir-2316242. Crédit : chafik31

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Québec arabe Droit d'auteur © 2018 par Florence Piron est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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