35 Habib Saidi
Jean-David Rhéaume
Enfance et études
Fils d’agriculteur, Habib Saidi grandit en Tunisie, plus précisément dans la région de Bizerte. Située près de la mer, des forêts et des montagnes, cette région proche de l’Europe vit grandir le futur professeur de l’Université Laval. Habib fit ses études primaires, secondaires et supérieures en Tunisie avant de se rendre en Égypte où il poursuivit ses études et obtint l’équivalent d’une maîtrise au Québec. Avoir étudié dans une université francophone d’Égypte lui permit d’aller à la rencontre d’une autre francophonie, différente de celle de sa Tunisie natale. C’est dans cette société de connaissances où la beauté de la langue est valorisée qu’il apprit à s’adapter et qu’il rencontra des professeurs canadiens qui lui offrirent par la suite l’expérience d’une vie.
Une première expérience
Pendant ses études, il se fit offrir l’opportunité de venir au Canada afin de faire des travaux de recherches au Musée des civilisations. En 1999, il effectua donc une première visite au Canada et se vit réserver un accueil chaleureux. Il remarqua aussi une très grande ouverture de la part des gens qu’il côtoya. Il louait une chambre chez une dame qui l’accueillit à bras ouverts. Pour le mettre en confiance et l’aider à s’intégrer, elle prit le temps de le présenter aux voisins. « J’étais la vedette, en quelque sorte, j’étais une découverte pour ces gens-là qui ne connaissent pas ce monde de l’Afrique du Nord, des Arabes et des musulmans ». Même s’il ne connaissait pas l’accent québécois, l’adaptation fut assez rapide et son expérience le marqua de la meilleure des façons. La société accueillante et les relations humaines fortes le poussèrent même à penser que le Québec pourrait être une possibilité permanente et non pas seulement temporaire. Lors de ses visites, il remarqua aussi avec intérêt les différences au niveau des études que présentait le Québec, un facteur qu’il ne put négliger. Puisqu’il était assistant à l’enseignement supérieur à Tunis, il dut toutefois repartir à l’automne afin de respecter ses autres engagements.
Un changement permanent
Habib décida tout de même de s’inscrire au doctorat à l’Université Laval et fit sa demande pour être résident permanent. Il s’agissait donc d’une étape majeure et du début d’une nouvelle vie pour lui et sa famille.
Lorsqu’il arriva à Québec avec sa famille, en 2002, il eut la chance de passer le premier mois dans un appartement normalement loué aux étudiants de l’Université Laval. Même si celui-ci était assez dispendieux, il s’agissait d’un moment de répit pour ensuite commencer la quête d’un logement pour lui, sa femme et ses deux enfants. Il faut rappeler qu’il y eut une crise du logement assez importante en 2002 au Québec afin de comprendre la grande difficulté de se trouver un logement.
L’hiver arriva, accompagné de ses péripéties. Puisqu’il ne possédait pas d’automobile, Habib affronta la dure saison à pied et se déplaça dans le froid, le vent et les chutes de neige importantes. En y repensant, il s’agit de moments cocasses qui font partie, selon lui, de ce qu’offre le Québec.
Quelques moments plus difficiles
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, il remarqua un changement dans ses rapports avec la famille qui l’hébergeait durant l’été. Il eut beau condamner les actes commis par ces marginaux tout en manifestant sa profonde déception, cela ne semblait pas convaincre la dame qui l’hébergeait. C’était comme s’il avait plus de responsabilités qu’elle dans ce drame et qu’il devait se sentir encore plus coupable que les autres pour compenser.
On est passé d’une période où il y a toute une ouverture à une période avec plus de réserves.
Habib sentit qu’une certaine distance se créait et que l’atmosphère était plus froide entre sa famille d’accueil et lui.
C’était le premier signe d’un changement que j’ai vu venir et qui a continué jusqu’au drame du 29 janvier 2017. (…) Ce stéréotype de musulman et d’arabe qui fait peur s’est accentué après le 11 septembre.
Il mentionna aussi que la difficulté de se trouver un logement était peut-être liée en partie au fait que les gens se gardaient une part de réserve. Les événements du 11 septembre 2001 étaient toujours frais dans la mémoire collective et une certaine crainte semblait être présente. Par exemple, il mentionna un cas précis en 2002 où il prit rendez-vous pour louer un logement et qu’après avoir su qu’il était Tunisien et non Français, la chose sembla se compliquer. La personne le rappela 15 minutes plus tard en disant que la conjointe du propriétaire venait de louer le logement en question. Était-ce réellement le cas ou simplement une décision non réfléchie menée par une peur non fondée?
Il réussit tout de même à trouver un logement et commença sa vie à Québec. Puisque sa fille aînée trouvait la situation difficile, elle retourna vivre chez sa grand-mère en Tunisie pendant qu’il continuait à chercher un logement un peu plus grand.
Aujourd’hui
Depuis 2007, Habib est professeur en ethnologie à l’Université Laval et occupe le poste de directeur de l’Institut du patrimoine culturel. C’est en se dégageant de la perception des autres qu’il s’adapta à la culture de sa nouvelle maison, le Québec. C’est ainsi qu’il vit aujourd’hui, en continuant d’avancer dans ce Québec qui est maintenant le sien.
Selon lui, les différences ne sont pas aussi grandes que ce que les médias laissent paraître.
Il y a des différences et c’est ce qui fait la beauté de la chose. Sinon, ça ne donne pas le goût de l’aventure. Il y a des efforts à déployer des deux côtés, de la société d’accueil, ainsi que des individus et des familles qui viennent s’installer ici. Chacun peut s’adapter aux différences des deux côtés.
Il a décidé de venir au Canada afin d’améliorer sa qualité de vie, mais c’est surtout en raison de son coup de cœur pour le Québec qu’il est venu s’installer de ce côté de l’océan.