20 Ferass Rezek

Camille Bédard

Ferass a 24 ans. Sa persévérance et son positivisme l’ont mené où il est aujourd’hui. Il est d’origine syrienne et il habite maintenant la Belle Province. Voici son histoire.

La guerre – Le bouleversement du quotidien

Ferass grandit à Damas, la capitale de la Syrie, avec ses parents, sa sœur et son frère. C’est en 2011 que les conflits commencèrent à déchirer son pays. Au départ, l’armée du gouvernement menait une lutte contre l’armée de l’opposition. Après la guerre civile, des bombardements ne cessèrent de se faire entendre sur le territoire. Les deux forces armées s’allièrent contre de nombreux groupes terroristes. C’est la guerre au terrorisme qui commençait. Ne se sentant plus en sécurité, la famille de Ferass fit une demande pour aller au Canada en tant que réfugiés.

Le conflit armé eut de tragiques répercussions sur les civils. Le quotidien d’étudiant de Ferass fut chamboulé.

 Je partais à l’université le matin, mais je ne savais pas si j’allais en revenir.

Un jour, il y était pour étudier. Un énorme vacarme affola la communauté de l’institution. C’était une bombe qui venait tout juste d’éclater à quelques dizaines de mètres de lui. Une douzaine de ses camarades décédèrent. Comment pouvait-il agir face à une situation d’une telle gravité, sur laquelle il n’avait aucun contrôle? « J’étais là, j’ai tout vu ça ». Il retourna en cours les semaines qui suivirent et un tel épisode se reproduisit. Les ennemis gagnaient du terrain de jour en jour. Ferass ne pouvait plus quitter la capitale, c’était devenu beaucoup trop dangereux. Les prochaines victimes allaient être les habitants de Damas.

C’est comme si Lévis subissait des attaques et que tu savais que Québec allait être la prochaine. C’était à côté de chez nous.

Pris au dépourvu, Ferass et sa famille se réfugièrent au Liban, pays voisin qui ne demandait pas de visa à l’entrée, en espérant être rapidement accueillis au Canada.

Les procédures de départ

Le processus devant les conduire au Canada fut laborieux et demanda beaucoup de patience et d’espoir aux futurs réfugiés. Ferass et sa famille durent d’abord envoyer leurs documents personnels. Puis un Canadien se jumela à la famille en tant que parrain. Il dut montrer son salaire annuel, sa preuve de résidence et tout autre document prouvant qu’il pouvait assumer la prise en charge des arrivants. Deux ans après le début des procédures, leur vœu s’exauça. Il faut savoir qu’en temps de paix, cinq ans sont nécessaires afin d’arriver à bout du mécanisme d’immigration. Le dossier fut accepté par le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec : la famille passa une entrevue puis des tests médicaux. L’attente d’une réponse qui devait prendre quatre semaines dura deux mois. Les parents et leurs enfants reçurent finalement passeports et visas. Ils étaient prêts à entamer une nouvelle vie. Ferass laissait son enfance et ses amis derrière lui.

L’arrivée et l’adaptation

C’est à Montréal, la ville où demeurait le parrain, qu’ils atterrirent le 22 juin 2015 après de longues heures de vol et d’escale. Celui-ci les accueillit chez lui pendant une dizaine de jours, le temps qu’ils trouvent une résidence. Il faisait très chaud, contrairement aux croyances de Ferass. Pensant rencontrer la neige dès les premiers instants, il était beaucoup trop emmitouflé pour nos étés. Dès les premières semaines, il se mit à la recherche d’un travail, en vain. C’est pourquoi la famille déménagea dans la Vieille Capitale. Il rencontra pour la première fois ses trois cousins et sa tante. Cette dernière s’était installée à Québec 28 ans plus tôt après avoir rencontré son mari dans le cadre d’un voyage touristique.

Quand Ferass réalisa qu’il n’y avait pas de guerre à Québec et que la sécurité était retrouvée, la vraie vie recommença. Pour Ferass, les premiers mois furent les plus difficiles. Sa plus grande barrière était la langue. Ne parlant pas le français, il avait de la difficulté à se faire des amis. Il restait chez lui.

Partout où j’allais, tout le monde parlait en français, mais moi je ne comprenais rien.

Le mode de vie fut également sujet à une longue adaptation. Il trouvait les gens plus individualistes, plus fermés.

C’est pas pareil ici, c’est la ville. Quand un Québécois a fini le travail, il revient chez lui avec sa blonde, il mange et il dort. Je ne vois presque pas ma famille. Je sors de la maison à 7 h et je reviens à 21 h, épuisé.

Son travail de concierge et ses cours de langue accaparaient une grande partie de son temps. Au bout d’un moment, Ferass commença à bien se débrouiller en français. Mais ce fut tout de même plus facile pour lui de rencontrer d’autres immigrants que des Québécois de souche. Il vécut d’ailleurs quelques anecdotes en raison de la pauvreté de son vocabulaire, par exemple quand il entama une relation avec une Francophone, sans parler sa langue. La liaison se termina assez rapidement. En français, les homophones lui posaient problème. Un jour, quand son patron lui demanda d’aller chercher un diable, il pensa à l’esprit du mal plutôt qu’à un chariot. Un autre jour, il rencontra la secrétaire de l’établissement où il travaillait afin de récupérer une clé pour son collègue Patrick. Elle lui répondit : « Patrick il l’a ». À l’oreille, la sonorité lui fit comprendre autre chose. Ferass renchérit alors « oui, Patrick, il est là, mais j’ai besoin de la clé ». C’est après quelques échanges qu’ils comprirent enfin ce que l’un et l’autre disaient. Une autre fois, il était au service au volant d’un restaurant Tim Hortons. Ne comprenant pas ce que l’employée lui disait au micro, il tenta tout de même de commander :

Préposée au service au volant : Bienvenue chez Tim Hortons, un instant.

Ferass : Un café s’il vous plaît.

Préposée au service au volant : Tim Hortons, un instant.

Ferass : Un café s’il vous plaît!

Préposée au service au volant : Tim Hortons, un instant.

Ferass : UN CAFÉ!

Préposée au service au volant : ONE MOMENT PLEASE!

Ferass : Oh. Okay sorry.

Il finit par avoir son café et retint ce qu’« un instant » voulait dire.

Ferass se familiarisa progressivement avec son nouvel environnement. Sa famille conserva des éléments de la culture syrienne dans leur vie au Québec. En cuisine, même si sa mère ne retrouva pas les mêmes produits qu’en Syrie, elle réussit à recréer, à quelques différences près, les plats d’origine. Par contre, lorsqu’elle tenta d’intégrer les recettes québécoises au menu, les résultats furent mitigés. « Elle ne connaît pas les ingrédients à 100 %. Parfois on aime, parfois on n’aime pas », confie Ferass avec une touche d’humour.

Les préjugés et les croyances

Selon lui, les Québécois ont des croyances erronées sur la Syrie. À un moment, quelqu’un lui demanda comment il trouvait le gazon et s’il aimait la sensation sous ses pieds en la comparant à celle du sable. Que les ignorants se détrompent, les Syriens vivent entourés de gazon et d’arbres et les habitants ne vont pas à l’épicerie à dos de chameau. Aussi, le pays se situe au Moyen-Orient et non en Afrique, contrairement à ce que Ferass entend souvent. « Ouvre-toi ! », lance-t-il aux perplexes sur l’arrivée des immigrants.

Dans quelques années, je serai Québécois. Mes futurs enfants seront aussi Québécois.

Le temps et l’écoute sont selon lui les clés de l’acceptation de l’autre, une attitude qui n’est malheureusement pas acquise par tout le monde. Ferass l’a réalisé lors de certaines situations. Un jour, il cogna à la porte d’une vieille dame afin de régler un problème de plomberie dans l’établissement dans lequel il travaillait. Cette dernière refusa maintes fois de le laisser entrer en disant qu’elle n’ouvrait pas la porte aux personnes de culture étrangère. Il fallut que son collègue vienne la rassurer pour que Ferass puisse venir à son aide. Pendant qu’il s’exécutait, la dame téléphona à sa fille en clamant qu’un violeur avait pénétré sa résidence! Ferass souhaite que la mentalité change. Il ajoute que les Québécois devraient être plus indulgents avec les habitants qui ne sont pas francophones. Une chauffeuse d’autobus de ville l’a déjà ignoré pour cette raison, selon lui. Il demandait des indications en anglais, mais l’ignorant totalement du regard, tout ce qu’elle lui répondait était « trois dollars vingt-cinq ». Ne voulant pas payer pour rien, il continua à la questionner en lui montrant son téléphone portable. L’employée ne lui accorda son attention que lorsqu’il inséra la monnaie et elle lui indiqua qu’il devait sortir et prendre le trajet de l’autre côté de la rue. Trente minutes plus tard, l’autobus arriva enfin. C’était la même dame qui conduisait le même véhicule et qui le força à repayer le même montant.

Conseils de Ferass

Aux Syriens qui aimeraient venir au Canada, Ferass voudrait leur dire que ce n’est heureusement pas l’hiver toute l’année. et qu’il y a des souffleuses et des pelles pour débarrasser la neige, contrairement à ce qu’il pensait. Il recommande surtout d’avoir une bonne base en français si le Québec est la destination recherchée.

 

La ville de Damas. Crédit : Ferass Rezek

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