28 Fatma X.
Audrey Beaumont
La Marsa est une petite ville côtière de la Tunisie, à moins de 20 minutes en voiture de la capitale du pays. C’est là, au bord de la méditerranée, qu’a grandi Fatma X., une jeune femme aujourd’hui établie au Québec.
Enfance en terre tunisienne
Fatma a eu une enfance heureuse et choyée dans un cadre familial épanoui. Elle a aussi reçu une éducation de qualité. Avec ses parents et sa sœur, ils discutaient beaucoup et abordaient toutes les problématiques. Il n’y avait aucun sujet tabou. Son père, en particulier, avait toujours quelque chose à raconter. C’était un homme très cultivé, très affectueux, qui a toujours encouragé sa fille à aller à la rencontre des gens, à s’ouvrir aux autres.
Mes parents avaient des amis de toutes nationalités et de toutes cultures et à l’école, c’était pareil.
À la maison, il n’y avait pas de religion particulière qui prônait. Sa famille et elle s’adonnaient au ramadan et à certaines pratiques a priori religieuses plutôt pour leur aspect traditionnel. Le père de Fatma, qui souffre de diabète, ne pouvait même pas faire le ramadan. Et à vrai dire, encore aujourd’hui, si Fatma continue de le faire, c’est surtout pour les bienfaits physiologiques reconnus du jeûne.
Par ailleurs, Fatma se considère avant tout tunisienne; elle n’est pas tout à fait certaine de s’identifier ou de se reconnaître en tant qu’Arabe ou Africaine. Il faut comprendre que du fait de la situation géographique de la Tunisie et des nombreux épisodes de colonisation qui l’ont marquée, son pays d’origine possède un riche et unique héritage culturel proche des autres pays du Maghreb, distinctif des pays arabes et des autres pays d’Afrique.
La décision de partir
En Tunisie, Fatma était pharmacienne. Elle avait complété avec succès les six années nécessaires à l’obtention de son doctorat, avant de travailler comme gestionnaire dans une pharmacie, même si elle n’avait pas de base en gestion. Après seulement un an, elle a néanmoins ressenti le besoin de greffer une formation en gestion à sa formation initiale. Elle avait également envie de rendre son profil plus international. Avant de ne plus avoir la force ou la motivation pour retourner aux études, elle s’est empressée de concrétiser ses projets.
Elle avait eu de très bons échos du Québec. Si son choix s’est arrêté sur la vieille capitale, ce n’est donc pas par hasard. En fait, la ville comblait tous ses critères. Elle avait déjà voyagé en Europe et en Asie et elle avait maintenant envie de découvrir l’Amérique. Elle aimait bien aussi le fait qu’au Québec, les gens parlent à la fois français et anglais. D’un côté, elle se disait qu’il serait plus facile de s’intégrer dans un milieu francophone. D’un autre, elle était heureuse de saisir une occasion de perfectionner son anglais. Enfin, le programme supérieur en administration de l’Université Laval avait très bonne réputation.
Le Québec
Fatma est arrivée au Québec le 29 décembre 2014. Elle a atterri à Montréal où elle a été accueillie par une amie et son mari, deux Tunisiens résidents au Québec depuis plusieurs années. Après s’être assuré que la nouvelle arrivante était convenablement chaussée et vêtue pour affronter le froid, ces derniers sont allés à New York le temps d’un court séjour pour célébrer le Nouvel An ensemble, avant de la conduire vers sa nouvelle ville d’accueil.
Force est de constater que Fatma s’est particulièrement bien adaptée à Québec et au style de vie des Québécois. Bien honnêtement, Fatma concède qu’elle n’a jamais eu de mauvaises expériences ou du moins qu’elle n’y a pas prêté attention si quelqu’un a essayé d’être mal intentionné. Puisqu’elle parlait déjà français, la langue ou l’accent québécois ne lui a pas posé problème. Elle trouvait ça plutôt charmant, en fait, puisque ça lui rappelait le vieux français lu, plus jeune, dans des pièces de Molière. L’hiver ne l’a pas découragée, bien au contraire. Elle a appris à apprécier la neige. Fatma est encore émerveillée de voir la nature, tenace, renaître chaque printemps.
Qui plus est, elle trouve que les Québécois sont gentils, accueillants et souriants. Curieux également, mais dans le bon sens du terme. En effet, s’il y a quelque chose qui pourrait distinguer les Québécois des Montréalais par exemple, ce serait peut-être ça, une certaine curiosité naïve à Québec. Les gens de la ville de Québec ont tendance à demander « D’où venez-vous? » dès que quelqu’un ne parle pas avec leur accent, et ce, peu importe le physique de cette personne ou la couleur de sa peau. De plus, comme elle a l’impression que c’est son accent qui la rend spéciale ici, et pas autre chose, Fatma ne s’offusque pas du tout de se faire poser cette question. Elle ne la trouve pas déplacée. À ses yeux, il s’agit là d’une façon comme une autre d’établir un premier contact. Le contraste est toutefois intéressant : à Montréal, les gens ne lui ont jamais demandé d’où elle venait. C’est probablement parce que, dans une ville aussi cosmopolite, les habitants ont l’habitude d’entendre différents accents.
En revanche, les premiers mois, Fatma évitait de parler arabe devant les gens, car elle ne voulait pas s’exprimer dans une langue qui n’était pas couramment parlée au Québec. De plus, elle ne voulait pas créer d’effet boomerang, c’est-à-dire qu’elle croit que l’être humain est attiré par ses semblables, tandis qu’elle voulait plutôt aller à la rencontre de personnes de cultures différentes de la sienne. Elle ne le regrette pas, parce qu’elle a rencontré des gens d’horizons différents, parlant anglais ou français. Au fil du temps, elle explique avoir tout de même fait la connaissance d’autres Tunisiens, mais comme elle demeurait dans les résidences de l’Université Laval, les premières personnes qui ont intégré son cercle d’amis provenaient en fait des quatre coins du monde. Ce sont les nombreux petits emplois qu’elle a obtenus ici par la suite qui l’ont davantage aidée à tisser des liens avec des Québécois.
Les valeurs québécoises
Depuis maintenant plus de deux ans, ce sont l’honnêteté et la transparence des Québécois qui fascinent la Tunisienne. Elle a l’impression que ceux-ci disent les choses qu’ils pensent à haute voix et qu’ils les disent comme elles sont, sans sous-entendus. Elle a l’impression qu’ici, les gens sont plus expressifs et plus spontanés que dans certains autres pays, dont la Tunisie : « Les gens ne sont pas gênés, ils rient fort ». Même dans des contextes de travail, elle a remarqué que les Québécois n’avaient pas honte d’avouer qu’ils ne savaient pas quelque chose ou qu’ils avaient tort. « Ils s’excusent et la vie continue ». C’est ce petit côté easy going des gens d’ici qu’elle apprécie. Elle admet même qu’il déteint un peu sur elle.
Ce qui lui plaît moins à Québec, c’est le fameux débat sur l’indépendance. C’est qu’elle le voit comme un frein, comme quelque chose qui divise la population. D’ailleurs, bien humblement, bien qu’elle comprenne très bien le point de vue indépendantiste (qui fait partie du processus de liberté d’expression et démocratique), Fatma rappelle que le multiculturalisme est une valeur canadienne très forte et qu’elle partage aussi cette valeur.
Et c’est un peu pour ça que je suis là, parce que c’est ce qu’on m’a dit du Canada et j’avais envie de vivre dans un endroit comme ça : riche de cultures et d’expériences.
Si elle avait un conseil à donner à quelqu’un désirant venir s’installer à son tour à Québec, ce serait tout simplement de venir dans un certain état d’esprit, la culture et le mode de vie étant à juste titre différents. Elle lui dirait de faire preuve d’ouverture, d’optimisme et de maturité. Elle lui conseillerait de se remettre en question, mais aussi d’accepter d’emblée que les gens soient différents, car selon elle, les efforts d’intégration doivent impérativement se faire de façon réciproque pour être couronnés de succès.
L’immigration
Quand Fatma explique pourquoi elle est ici, les gens sont souvent surpris. « Quand tu viens d’un pays en développement, surtout, selon la croyance populaire ou ce qu’on entend aux informations et dans les médias, c’est soit parce que tu as de mauvaises conditions de vie chez toi, soit que tu fuis quelque chose ou encore c’est que tu n’as pas de travail ». Or, comme l’explique Fatma, c’est une vision erronée, du moins au Québec, parce qu’une grande majorité des immigrants sont choisis en fonction d’une foule de critères très stricts : ce sont des travailleurs qualifiés. La preuve? Logiquement, rationnellement, rien ne l’obligeait, elle, de partir de son pays.
Je travaillais en pharmacie, j’avais un bon salaire, ma bande d’amis et ma famille, j’étais tranquille et ma vie était très agréable, mais il me manquait quelque chose, il me manquait cette expérience à l’international. C’est ça que je suis venue explorer ici.
De surcroît, qu’on le veuille ou non, l’immigration est une nécessité au Québec. En effet, nous le savons tous, la population vieillit et la population active s’amenuise au même rythme. La société a donc besoin de main-d’œuvre pour continuer à faire rouler son économie et l’immigration est l’une des solutions préconisées par le gouvernement. De l’avis de Fatma, c’est une très bonne chose, parce que l’immigration amène la diversité et « la diversité c’est beau (…). Ça optimise et ça crée de l’harmonie. C’est une richesse! ».
À bien y penser, Fatma se considère finalement comme une citoyenne du monde. Chaque fois qu’elle est allée quelque part, elle a intégré quelque chose de nouveau qui l’a changée, qui a changé sa façon de voir les choses et d’aborder les gens. Pour le moment, très sincèrement, elle se sent chez elle au Québec.