49 Chiheb X.
Henri Ouellette-Vézina
Chiheb arriva au Québec au début de l’automne 2016, avec l’objectif de compléter un doctorat en agroéconomie. Il s’intégra progressivement à son pays d’adoption par le biais du campus de l’Université Laval, « ouvert sur le monde ». Même si les Québécois sont selon lui très accueillants avec les nouveaux arrivants, il estime qu’une grande méconnaissance de l’Afrique et de la culture musulmane subsiste toujours en Occident.
On s’attend à des chameaux et du désert partout, mais non, ce n’est pas le cas, s’exclame-t-il en rigolant, au début de l’entretien. Hier, je parlais avec une Québécoise de 30 ans et je m’attendais à ce qu’elle connaisse un peu ma région de par les réseaux sociaux. On se rend compte que notre image est beaucoup plus précaire qu’on le pense. En Tunisie, on a tout : des voitures, des routes, des autoroutes.
Plusieurs mois avant son arrivée, le Tunisien d’origine se renseigna sur la province fleurdelisée, sur ses accents, ses régions, ses valeurs collectives et son climat. Depuis son tout jeune âge, le jeune homme de 27 ans n’entendait que des choses positives sur le Canada et caressait depuis longtemps l’ambition d’y habiter sur une base permanente.
Ce pays a une très belle image dans le monde. Déjà quand j’étais petit, j’entendais de très bons messages. Certains près de moi y vivaient et quand ils revenaient, ils arrivaient avec des super nouvelles. Comme quoi le Canada est beau, accueillant, qu’il y a de la nature, une qualité de vie, des emplois et l’équité sociale…
C’est ainsi que, plusieurs années plus tard, en août 2016, Chiheb put réaliser son rêve en obtenant l’approbation de son université dans le profil international. Même s’il affirme que jamais il n’a regretté son choix, celui qui habite désormais le secteur de Sainte-Foy avoue que certaines réalités ne sont pas si reluisantes.
« J’ai été en couple avec une Québécoise pendant six mois, et comme ça c’est beaucoup mieux, on apprend beaucoup de choses », raconte-t-il en rigolant.
Des chocs « intéressants » au quotidien
En arrivant dans la vieille capitale, le doctorant voulut créer des liens de proximité avec des Québécois pour s’imprégner de la culture. L’exercice ne fut pas si facile, selon lui, puisque l’image des pratiquants de confession musulmane semblait, et semble encore, ternie sur plusieurs aspects en sol nord-américain.
Au départ, ça a été un peu plus difficile pour moi de me faire des amis, puisque vous avez, ici, une certaine méfiance envers l’étranger. Mais à votre place, je dois dire que je ferais pareil, à force de regarder des nouvelles sur le terrorisme.
Chiheb parle tout de même de l’importance cruciale de distinguer « radicalisme de religion » et « violence de culture ». Ces termes font trop souvent figures d’amalgames, selon lui, principalement parce que les commentaires extrémistes sont les plus médiatisés.
La différence s’observe également par la manière dont fonctionne le système d’éducation québécois, qui est « très différent » de celui de la Tunisie, avance-t-il. Partout au Canada, l’enseignement universitaire est bien plus rigide que dans son pays natal.
J’avais l’habitude d’étudier plusieurs matières à la fois, mais qu’elles soient beaucoup plus légères, indique-t-il. J’avais beaucoup plus de temps pour sortir, pour rencontrer les gens et découvrir de nouveaux endroits. Ici, c’est quand même assez difficile de trouver du temps pour soi et donc de s’ouvrir aux autres. Le rythme n’est pas du tout le même.
En ce qui concerne l’emploi, les croyances relayées jusqu’en Afrique selon lesquelles les emplois se trouvent facilement au Québec ne sont pas réalistes. Il estime plutôt qu’une certaine fermeture existe toujours quant aux diplômes internationaux, dont la reconnaissance officielle peine à être faite par les employeurs de manière générale. Le diplôme de la maîtrise que Chiheb a achevée en Espagne, il y a quelques mois, n’a jamais été formellement reconnu.
On a l’impression qu’un étranger ne peut pas vraiment trouver une job facilement, lance-t-il. Moi, je cherchais quelque chose en service à la clientèle et en vente, mais ça a été extrêmement plus facile de trouver un emploi dans un hôtel par exemple, comme préposé aux chambres. Soit on ne me répondait pas, soit je ne trouvais simplement pas. C’était beaucoup plus facile dans des domaines non spécialisés. Assez souvent, dans les formulaires qu’on remplit, on demande la race et l’ethnie. On n’a pas ça en Europe ou en Tunisie. C’est comme si l’employeur se fait déjà une tête sur l’endroit d’ou je viens.
Un projet de loi sur l’anonymat du CV circule d’ailleurs actuellement à l’Assemblée nationale sur le sujet. Aucune conclusion n’a été tirée pour l’instant. Il ignore si le secteur privé acceptera de se plier aux recommandations de certains députés ministériels, mais il les encourage à aller en ce sens.
Les points en commun d’abord
On a exagéré sur les tempêtes et le froid. C’est vraiment tolérable le climat, j’aime bien, même.
Après un an de vie dans la capitale nationale, il affirme qu’il commence déjà à changer certaines mentalités autour de lui. Il croit que, fondamentalement, les deux cultures ont un bout de chemin à faire pour établir un dialogue respectueux.
D’abord, j’encourage mes frères et sœurs arabes à aller de l’avant, à ouvrir les bras. Il ne faut pas être timide! J’ai parfois l’impression que c’est ce qui crée ces incompréhensions et ces peurs. Il faut demander à créer des relations. Chercher à pratiquer des activités extrascolaires à l’Université peut, par exemple, permettre de vraiment mieux s’intégrer.
C’est parfois difficile de ne pas s’orienter vers les autres étudiants internationaux, car il est plus facile de se reconnaître, de se réconforter. À l’opposé, c’est plus ardu de faire connaissance avec un Québécois, mais il faut le faire quand même, selon lui.
Un Québécois va te faire connaître un autre Québécois, et c’est ainsi que tu t’intègres.
Se considérant comme un citoyen du monde, le Tunisien d’origine porte un message pour tous les Québécois, mais aussi pour tous les individus s’intéressant à ce qu’il appelle « l’humanité universelle ». À ceux qui n’ont pas cette vision, il suggère : « Acceptez-moi comme je suis, j’ai mes propres valeurs, qui sont très proches des vôtres dans les faits. Comme je ne suis pas du tout extrémiste, ma foi et ma pratique ne concernent que moi-même. Une fois qu’on comprend cela, pourquoi chercher des conflits? ».
Dans les médias, dans nos groupes d’amis et dans nos interactions de la vie de tous les jours, Chiheb estime qu’il nous faut chercher ces points communs ensemble plutôt que de mettre en lumière nos différences de manière systématique.
Après l’attentat au Centre culturel islamique, je m’attendais à ce que tout le monde se rende compte qu’il y a un problème. On parlait de radio-poubelles, il y avait un discours de haine, des gens qui exagèrent en disant que les musulmans exagèrent aussi, mais dans l’autre parti aussi il y a des radicaux. Je préfère l’équilibre, je préfère qu’on ne me traite pas en musulman mais qu’on me traite humainement. Je n’aime pas qu’on me traite différemment à cause de ma religion ou de ma croyance.
Le campus, cette micro-cité
Assez rapidement, comme il ne trouvait d’emploi pertinent dans la ville de Québec, il se tourna vers l’Université Laval pour se réaliser. Ses recherches l’emmenèrent à devenir auxiliaire d’enseignement. À un rythme hebdomadaire, il se mit à corriger et à surveiller des examens au premier cycle. Une expérience « très enrichissante », témoigne-t-il.
De manière générale d’ailleurs, le jeune homme croit que le campus constitue une sphère unique d’ouverture sur le monde à Québec. « On le voit vraiment : à l’extérieur du campus, l’étranger est beaucoup moins accepté », lance-t-il.
L’Université ici, c’est vraiment l’effet et l’exemple parfait du multiculturalisme. Les gens sont plus adaptés à l’inconnu, à l’étranger. Les étudiants sont aussi très familiarisés avec d’autres cultures et viennent de partout dans le monde. Le fait qu’il y ait énormément de cultures facilite beaucoup les choses.
Pour illustrer son point de vue, Chiheb cite en exemple une marche en plein air qu’il a faite au début de l’automne sur le campus, alors qu’il venait d’arriver en sol québécois.
C’est fou comme tous les gens sourient et disent bonjour aux étrangers. Ce sont les autres qui viennent vers nous bien souvent, et j’aime bien. Honnêtement, je dirais même que ça m’encourage à faire du progrès dans mon domaine et à rester ici.