48 Bassem X.
Pier-Alexandre Lévesque
Vie en Tunisie
Bassem naquit le 1er janvier 1985 dans une ville au centre de la Tunisie, Sbéïtla. Il passa toute son enfance dans cette ville. Située au nord de l’Afrique, la Tunisie a été colonisée par les Français. La France et la Tunisie présentent donc des similitudes, dont la langue. Il étudia à l’Université de la Manouba à Tunis, la capitale du pays. Après une maîtrise en gestion de PME, il demeura sans emploi un certain temps, puis il occupa divers rôles dans plusieurs compagnies françaises basées en Tunisie. Comme le pays possédait un taux de chômage très élevé, il était extrêmement difficile de se trouver un emploi. « C’est à partir de là que l’idée de quitter la Tunisie a commencé à me trotter dans la tête », se rappelle-t-il.
Outre le fait qu’il était difficile de trouver du travail, la question de la politique le dérangeait beaucoup. Passionné par tout ce qui touche de près ou de loin aux enjeux politiques, le fait que le pays était dirigé par Zine el Abidine ben Ali joua un grand rôle dans sa décision de quitter la Tunisie. « Il était très difficile de parler politique, de faire des affaires en Tunisie parce que le gars contrôlait tout », explique-t-il.
Son grand-père était entrepreneur. Il eut donc la piqûre dès sa tendre enfance. Encore aujourd’hui, il caresse le rêve de posséder sa propre entreprise : « Il ne me manque que l’idée avant de lancer mon entreprise. »
Choix à faire
Comme terre d’accueil, il hésita entre la France et le Canada. Ayant des amis dans les deux pays, il put prendre le pouls de ceux-ci avant de prendre une décision définitive. Sa première idée avait toujours été la France. Il avait même fait une demande d’admission à l’Université de Paris-Dauphine, mais il préféra prendre son temps avant de prendre une décision finale à la suite de plusieurs discussions avec des connaissances habitant en France. Après quelques discussions avec l’ami de son frère étudiant à l’Université Laval, devenu son ami aussi avec le temps, il décida de mettre le cap sur le Canada. Hésitant entre Montréal et Québec, il envoya sa candidature à l’Université Laval, à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Montréal. Il décida d’accepter l’offre de l’Université Laval et compléta en deux ans et demi un MBA en management.
Il arriva au Québec le 12 janvier 2009. Lors de notre entretien, Bassem me confia que cette date restera gravée dans sa mémoire pour le restant de ses jours. Il voulait partir de la Tunisie pour vivre autre chose, pour avoir de nouvelles opportunités, pour voyager. Par contre, ça n’a pas été facile au départ. « Durant 24 ans, tu vis dans un même endroit, au même rythme, près de la famille. L’arrivée dans un nouveau pays équivaut à une nouvelle vie. C’est pourquoi cette date est importante pour moi », a-t-il confié.
Perception du Canada
En Tunisie, le Canada est très bien perçu. « En Tunisie, le Canada, c’est la mode », affirme-t-il. Il raconte qu’il y a quelque temps, ses nièces, habitant en Tunisie, voulaient aller dans une école privée française. Bassem les a convaincus d’aller plutôt dans une école privée canadienne qui venait d’ouvrir près de chez elles.
Sa perception du Canada a toujours été bonne. S’intéressant à la politique, surtout française, il affirme que le premier ministre Justin Trudeau joue un grand rôle pour le pays sur la scène internationale. En allant visiter les musulmans, les Indiens, les Hindous, les femmes, cela donne un sentiment d’appartenance envers le Canada pour ces groupes.
C’est peut-être cliché, mais je crois que ça aide énormément. En disant « hey, mon gars, tu n’es pas un étranger, c’est ton pays à toi aussi », ça peut faire une énorme différence.
Hésitant entre le Canada et la France comme nouvelle terre d’adoption, Bassem voyait des différences dans l’intégration dans ces deux pays. Il s’intéresse beaucoup aux différents médias français, les consultant encore beaucoup aujourd’hui. Cependant, il constata que la situation des immigrants au Canada semblait meilleure : ils réussissaient bien leur vie et avaient leur propre travail. « C’est plus difficile pour mes amis vivant en France. Je ne les crois pas, mais ils me disent qu’il y a plus de discrimination là-bas », avoue-t-il.
Difficultés à l’arrivée
Pour Bassem, le processus d’intégration fut difficile en arrivant au Québec. Il affirme que c’est encore difficile parfois, même après huit ans dans la Belle Province. La première année au Québec, il la passa à Montréal. Les sept suivantes, à Québec. Selon lui, la population de Montréal est habituée d’accueillir des immigrants. La ville est plus grande, il y a plus de diversité.
Québec, c’est plus petit comme ville, c’est en train de se développer encore.
Selon lui, il est plus facile de se trouver un emploi et de se faire des amis québécois à Montréal.
On vit bien au Québec et au Canada, parfois beaucoup mieux qu’ailleurs dans le monde. Par contre, le domaine du travail reste un enjeu important pour les immigrants.
Selon Bassem, « cela peut devenir une perte immense pour le Québec. Il y a quelqu’un dans ton pays qui est compétent, qui est bon, qui maîtrise déjà trois ou quatre langues, mais qui n’arrive pas à trouver d’emploi. Il quitte donc pour un endroit où il sera engagé ». Il explique ce problème notamment par la façon de trouver du travail au Québec.
Un Québécois connait déjà beaucoup de gens, ça aide énormément. Un immigrant qui arrive ici ne connait personne, cela peut être très difficile par moment.
Il explique avoir déjà consulté une association venant en aide aux immigrants pour trouver du travail. Par contre, ces associations aident souvent la personne pour que son CV soit attrayant, donc il n’y a aucun support en lien avec le réseau de contacts. Il reconnaît qu’une personne pouvant l’aider à élaborer un réseau lui serait bénéfique. Selon lui, « un immigrant qui a dans la tête qu’il ne trouve pas de travail à cause du racisme ne trouvera jamais de travail. » Ainsi, il est important de ne pas se laisser abattre dans une telle situation, il faut se retrousser les manches, continuer de chercher, cogner à toutes les portes, et un jour, une porte va s’ouvrir.
Adaptation et langue
Lors de son arrivée au Québec, Bassem n’était pas très familier avec la neige. « Lorsque j’étais en Tunisie, j’avais vu de la neige deux fois seulement. Les gens sortaient dans les rues pour prendre des photos, c’est très rare que ça arrive », révèle-t-il. Il eut de la difficulté à s’acclimater à la température nordique à son arrivée. Il lui arriva même parfois de mettre une combinaison sous ses pantalons pour ne pas avoir trop froid. Il affirme cependant qu’il est maintenant très à l’aise avec le froid, allant même courir à l’extérieur.
La langue ne fut pas un problème pour lui. Dès son plus jeune âge, il avait pu apprendre le français à l’école. Les liens culturels entre la Tunisie et la France aidant, l’école primaire réservait trois à quatre périodes par semaine à l’apprentissage du français. Après l’arabe, le français occupe le deuxième rang en importance en Tunisie. Bassem note d’ailleurs quelques ressemblances entre le français et son dialecte. « Ma mère a été à l’école primaire il y a longtemps. Elle ne parle pas le français, mais quelques mots se ressemblent énormément d’une langue à l’autre. Bonjour, ça va, c’est très ressemblant », souligne-t-il.
Arrivé au Québec en plein mois de janvier, il résida chez des amis quelque temps au début. Étant très excité de pratiquer son français, il partait explorer le quartier lorsque ses amis allaient au travail. Il se rappelle être entré dans une boulangerie tenue par un Arabe, puis dire « bonjour! ». Le boulanger tenant pour acquis que Bassem parlait cette langue, il lui répondit naturellement en arabe. À la sortie de la boulangerie, il entra dans une banque RBC pour prendre rendez-vous. Il eut un rendez-vous la journée même avec une femme venant d’Algérie, ce qu’il vit comme autre occasion manquée de pratiquer son français! Pas de bol, la pratique fut pour plus tard!
Attentat à la mosquée de Sainte-Foy
Comme tout le monde, il suivit le déroulement des événements de l’attentat à la mosquée de Sainte-Foy avec attention. Rappelons qu’un homme avait fait feu en direction d’une quinzaine de personnes à l’intérieur du Centre Culturel Islamique de Québec, le 29 janvier 2017. Selon lui, ces gestes isolés ne reflétaient pas l’état d’esprit de la société québécoise. « Je connais plusieurs Québécois, ce sont mes amis. Ils sont gentils et respectueux, ils ne feraient pas ce genre d’actes. C’est la même chose pour les musulmans qui font des actes qui ne reflètent pas qui nous sommes réellement. » Il en discuta avec quelques amis vivant en France et, selon eux, la couverture médiatique du malheureux événement aurait été différente chez eux. Ses amis et lui apprécièrent le fait que les politiciens se soient déplacés lors de la vigile en l’honneur des victimes. Cela fut, selon eux, une démonstration de l’ouverture d’esprit des Québécois envers les immigrants.
Défis et conseils
Bassem trouva son adaptation quelque peu difficile à son arrivée au Québec. C’est pourquoi il conseille fortement à ceux désirant suivre son exemple de se préparer mentalement aux difficultés imminentes.
Les gens pensent trouver du travail du jour au lendemain ici. Ce n’est pas comme cela que ça fonctionne. Tu dois chercher les informations nécessaires, mais tu dois également bien choisir la ville où tu t’installes.
Selon le domaine dans lequel la personne travaille dans son pays d’origine, des cours compensatoires peuvent être requis pour travailler dans le même domaine au Québec. Pour certaines professions régies par un ordre professionnel, comme la médecine par exemple, c’est plus difficile.
D’un autre côté, il fut agréablement surpris par l’accessibilité des produits. En effet, il avait fait quelques réserves de nourriture en quittant son pays pour la première fois. Il ne croyait pas pouvoir trouver un endroit où il pourrait se procurer des mets, des épices et des ingrédients provenant de son pays une fois au Québec. Cependant, « tout peut se trouver ici, il y a trois ou quatre commerces où je peux trouver de la nourriture me rappelant d’où je viens ».
Selon lui, le principal défi pour les familles arrivant au Québec avec des enfants est la question de la langue. Il est primordial que les enfants continuent de parler la langue d’origine.
À l’âge de l’enfance, un enfant peut apprendre une quantité phénoménale d’informations. Garder la langue arabe est important. Si j’ai des enfants, ça va être important pour moi qu’ils le parlent.
En arrivant au Québec, il connut une femme qui l’aida énormément dans son intégration, avec les gens, la ville, etc. Un jour, il lui demanda pourquoi elle faisait tout cela pour lui. Elle lui répondit qu’elle donnait au suivant. C’est avec cette mentalité en tête que Bassem accepta que son portrait soit publié. D’ailleurs, sur le fond d’écran de son téléphone cellulaire, on peut lire cette phrase écrite en arabe : « Sois bon et de bonnes choses t’arriveront ».
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