40 Bassem Oueslati

Anne-Marie Plante-Bellemare

Bassem Oueslati est né à Tunis, capitale de la Tunisie. Depuis sa naissance, son pays est secoué de crises politiques et sociales incessantes. Du haut de ses 19 ans et animé par la volonté de réaliser ses rêves, Bassem Oueslati prit une décision qui fit basculer sa vie à jamais.

5 :00, Times Square, New York, 1997

En 1997, Bassem Oueslati visita New York à l’occasion d’un voyage étudiant. Empli de détermination et résolu à faire le grand saut, le jeune homme profita de la folie de Times Square pour s’enfuir du groupe, abandonnant ce qu’il avait toujours connu derrière lui. Le point de non-retour franchi, Bassem lutta contre les obstacles de cette nouvelle vie qui fut loin d’être facile. Entre les divergences de culture et la différence de langue, en passant par la solitude et les problèmes d’argent, c’est la peur au ventre et les veines chargées d’adrénaline qu’il s’accrocha à ce nouveau monde dans lequel il était plongé. Les répercussions du 11 septembre 2001 complexifièrent davantage son statut d’immigrant, se sentant plus rejeté par sa terre d’adoption que jamais. Il n’était plus question de vivre, mais bien de survivre. Chaque jour pouvait être le dernier. Chaque heure passée en vie était une victoire. Son passé sombre fut illuminé par la rencontre d’une jeune Québécoise, l’amour de sa vie. Dès lors, il ne lui restait plus qu’un seul choix, qu’un seul but, qu’un seul désir : celui d’immigrer au Québec.

N’abandonne jamais, puisque tu es un rêveur. Le plus important dans la vie ce n’est pas de réaliser son rêve, mais bien de ne jamais cesser de rêver. (Père de Bassem)

Un nouveau chapitre

En 2005, après deux ans et demi d’attente aux États-Unis, Bassem acquit un droit de passage pour le Canada. Impatient de pouvoir finalement vivre avec sa conjointe et découvrir son nouveau pays d’adoption, il savait que le processus serait long et pénible.

En arrivant à Québec, il avait des études universitaires à son actif et il parlait trois langues : l’arabe, le français et l’anglais. Néanmoins, il resta six mois sans emploi, ayant pourtant postulé absolument partout. Bassem n’avait aucun contact vers qui se tourner, à part sa femme. Les premiers mois furent extrêmement difficiles. Ayant toujours été un grand sportif, il se rappelait à chaque moment sa philosophie : « Il ne faut jamais abandonner, il faut toujours aller au bout des choses ». La vie lui a appris que l’abandon n’était pas une option. Il décida donc de poursuivre ses études en droit au baccalauréat à l’Université Laval. Après une année réussie, le manque de soutien financier le poussa à abandonner. Puis, il entreprit des études de trois ans en Gestion hôtelière au Collège Mérici, à Québec. Après ses études, il trouva enfin un travail à la hauteur de ses ambitions.

Le choc et l’adaptation

À son arrivée au Québec, Bassem subi un grand choc culturel. En effet, il fut déstabilisé par les préjugés en lien avec ses origines, notamment au sujet des femmes soumises, des bombes et de la violence faite aux femmes dans les pays de culture arabe. Il était tétanisé, ne sachant pas comment il allait pouvoir défaire tous ces préjugés alimentés par des médias. Dans une ère où l’individu est étouffé d’informations et manque d’esprit critique, les jugements sont bâtis sans investigation. Bassem fut attristé de voir que des gens manquaient de connaissances et d’ouverture d’esprit, étaient dépourvus d’un regard plus objectif. Par contre, il fut heureux de constater qu’il y avait encore des gens qui cherchent la vérité, qui questionnent et qui sont conscients que tout n’est que perspective.

Encore aujourd’hui, après avoir voyagé au quatre coins du monde, Bassem ne comprend toujours pas le pauvre degré d’ouverture de certaines personnes au monde extérieur. Il est perturbé de voir la manière dont les gens vivent, comme un troupeau de moutons dirigé par des informations biaisées et manipulées par le berger qui profite de l’ignorance. Par ailleurs, Bassem qualifie de schizophrénique l’incapacité de plusieurs d’affronter la peur de l’autre, la peur de l’étranger. Il dénonce aussi l’hypocrisie des gens et de leurs préjugés, dont il est lui même encore victime, malgré dix ans dans le même milieu de travail. Selon lui, dans la vie, les gens ont peur de ce qu’ils ignorent. Pour combattre cette peur, il faut l’affronter, car tous les humains sont les citoyens du monde. Heureusement, l’humanité semble prendre conscience des aberrations de nos sociétés et un cri pour la tolérance et l’indulgence se fait de plus en plus entendre.

Il ne faut pas avoir peur des fissures d’un mur, car celles-ci sont la preuve que la lumière va entrer.

Par exemple, lors des 30 jours du ramadan, il fait participer ses collègues de travail. Il transmet les valeurs du partage et de la générosité aux autres, afin de prôner l’ouverture à la différence. Ce rituel pour lui n’est pas seulement lié à la nourriture, c’est une purification physique, mentale et spirituelle.

Nous sommes tous pareils, si une personne n’est pas capable d’affronter un défi de ce genre, comment pourra-t-il affronter la vie?

Pour Bassem, ce genre de rituel aide à apprécier la moindre petite chose qu’on croit acquise et aide les gens à prendre réellement conscience du monde qui les entoure.

Du moins, depuis son arrivée, il comprend beaucoup mieux comment la société québécoise fonctionne. C’est grâce au peuple québécois qu’il reste au Québec. L’amour qu’il éprouve pour la ville de Québec et ses citoyens est très puissant. Les Québécois sont ouverts à découvrir l’autre et à aller encore plus loin. Sa reconnaissance envers le peuple québécois est plus grande que tout l’or du monde. Il se compte chanceux d’être entouré de gens vaillants aux valeurs familiales très ancrées. De plus, selon Bassem, avant d’aimer les autres, il faut commencer par s’aimer soi-même. En effet, il s’est longtemps caché derrière un masque aux couleurs qui n’étaient pas les siennes. À un moment, il s’est arrêté et il a décidé d’être la personne qu’il désirait être.

C’est grâce aux différences que le monde évolue.

L’harmonie

Tout le monde peut cuisiner, mais combien d’amour es-tu prêt à y mettre? (Mère de Bassem)

Aujourd’hui, Bassem vie en harmonie avec son pays d’adoption. La Tunisie lui manque, mais le fait d’aimer son travail et son entourage adoucit grandement cette rupture. Il a mis beaucoup d’efforts et d’amour pour récolter les fruits du respect et de la considération des Québécois. Il apprécie la personne qu’il est devenu et profite de chaque instant de sa vie.

L’amour c’est comme le sel et le poivre de la vie. Il faut combattre la haine avec l’amour, le respect vient par la suite, c’est la base la communication.

Peu importe la hauteur qu’une branche prend, elle perdrait sa hauteur dès qu’elle serait détachée de ses racines. Il ne faut jamais oublier d’où on vient et qui a bravé le chemin à nos côtés. Les gens peuvent se couper, mais le passé reste.

Un message pour tous les Québécois et les futurs immigrants

Selon Bassem, les habitants du Québec perçoivent les pays arabes d’une façon assez intrigante. En effet, pour lui, c’est un mélange entre des gens prêts à découvrir l’autre sans préjugés et d’autres qui fondent leur opinion sur des préconceptions. L’exemple le plus évident est assurément que certains individus associent les musulmans aux terroristes.

Si on veut  soigner, il faut connaître les réelles causes pour guérir.

Selon Bassem, c’est extrêmement difficile de se faire juger lorsqu’on est musulman, dans la vie professionnelle et dans la communauté. Il ne veut pas à avoir à se dissocier de son peuple quand il fait aussi partie intégrante d’un pays qui manque d’ouverture.

En tant qu’immigrant, il faut s’ouvrir et être un bon ambassadeur pour soi-même, pour sa propre culture et apprendre à mieux s’intégrer à la société dans laquelle on habite. Un Québécois dès qu’il te connait, s’ouvre et te fait confiance. C’est en notre pouvoir de nous faire valoir.

De plus, son message le plus sincère aux Québécois concernant l’arrivée de nouveaux immigrants est simple :

Ouvrez vos bras, on ne peut seulement avoir peur de ce que l’on ignore. L’humain n’a pas de frontière. Nous sommes qu’une seule race, nous sommes qu’un!

Crédit : Anne-Marie Plante-Bellemare

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