32 Yassine X.
Catherine Boucher
Yassine est dans la quarantaine. Il a vécu la majeure partie de sa vie dans une petite île touristique de Tunisie. Il entreprit les démarches pour immigrer au Canada par amour pour une femme. Il vit au Québec depuis 2004 en compagnie de sa femme tunisienne rencontrée quelques années plus tard et de leur fille.
Son ancienne vie en Tunisie
Yassine habitait sur une île touristique, au sein d’une famille très travaillante. Son père avait un ranch pour les chevaux qu’il louait aux touristes dans le cadre de randonnées d’équitation sur la plage. Âgé d’à peine six ans, Yassine avait déjà le sens des affaires, puisqu’il vendait des fleurs et des coquillages trouvés sur la plage à des visiteurs afin de contribuer au revenu familial. L’entreprise de son père était profitable puisque rien n’était enregistré et aucune taxe n’était requise à l’époque. Son frère reprit le flambeau quelques années plus tard. Sa famille ne manquait de rien et avait un commerce qui roulait à merveille. Ils réussissaient à mener une vie épanouissante.
Là où tout a basculé
C’était en 1999. Une jeune Gaspésienne qui visitait la Tunisie se rendit au ranch familial pour une promenade à cheval. Yassine ne se doutait pas que ce jour-là, l’amour frapperait à sa porte et bouleverserait son existence à jamais. Quelque temps après leur première rencontre, elle revint régulièrement le visiter et, avec le temps, elle devint sa femme. À l’époque, il était contre le mariage et, surtout, contre l’idée de se marier à l’extérieur du pays. Il côtoyait quotidiennement des femmes de toutes les nationalités et ne s’attendait pas à développer des sentiments amoureux pour aucune d’elles. « C’était peut-être ma destinée, car je ne m’attendais pas du tout à ce que ça arrive », confie-t-il. La distance était loin d’altérer leur amour, qui grandissait à coups de téléphone et de communications électroniques. Sa famille avait les moyens de lui permettre de venir en visite tous les six mois et ils se voyaient ainsi deux à trois fois par année.
Le grand départ et l’arrivée
Son départ fut particulièrement difficile pour son père, qui ne s’attendait pas à le voir partir si loin du nid familial. Ils ont toujours eu un grand attachement l’un pour l’autre et une proximité singulière. Il n’était pas le premier à quitter le giron familial, puisque ses frères avaient levé les voiles bien avant lui vers l’Europe. Partir vers l’inconnu ne le rendait pas fébrile, puisqu’il avait l’habitude de voyager. Les douze heures de vol étaient interminables et la hâte d’arriver à destination se faisait omniprésente. « Je n’avais pas vu ma conjointe depuis six mois, j’avais hâte de la retrouver », se souvient-il. Il mit les pieds sur le sol québécois en 2004 et n’avait que sa compagne comme point de repère. À son arrivée, elle était présente pour son accueil en compagnie de sa mère, sa nièce, ainsi que son frère. L’intégration ne fut pas complexe, puisque le fait d’être constamment en compagnie de Québécois lui a facilité la tâche et lui a permis de connaître de fond en comble la culture d’ici : « Je peux parler de plein de chanteurs allant de Gilles Vigneault à Marie-Mai, et je déteste l’équipe de hockey des Canadiens… Ça montre que je suis bien intégré », lance-t-il à la blague. Avant d’arriver ici, il avait une phobie des chiens puisqu’il n’y a pas d’animaux domestiques dans son pays : « C’était un luxe, la majorité était errante », affirme-t-il. Or, sa femme avait un salon de toilettage. À force de côtoyer les animaux, sa crainte prit peu à peu le chemin des oubliettes. Il eut beaucoup de facilité à se trouver un emploi. Il occupa de multiples postes en tant qu’animalier à la SPCA, ainsi qu’inspecteur en réglementation animalière.
Une nouvelle vie
Après onze années de vie commune, Yassine et sa conjointe prirent des chemins différents. Alors qu’il était en visite dans son pays d’origine, lors d’une escale au Maroc, il prit place sur un banc et fit la rencontre de sa voisine de siège, d’origine tunisienne. Elle devint sa femme un an et demi plus tard et s’installa au Québec, à ses côtés. Ils devinrent les heureux parents d’une petite fille. Ce ne fut pas toujours rose pour sa femme, qui eut beaucoup de difficulté à se trouver un emploi en raison de son voile. Yassine demeura compréhensif : « Si j’avais à choisir entre le CV d’une personne de ma nationalité et celui d’une personne provenant d’ailleurs, je pencherais probablement pour ma patrie », constate-t-il.
Ici et maintenant
Yassine vit maintenant au Québec depuis près de 15 ans. Il a pris l’habitude de visiter sa famille une fois aux deux ans. Personne n’est venu le voir au Québec depuis son départ, faute de temps. « J’ai essayé de faire venir mon frère, mais on n’a pas terminé le processus, c’est le seul à avoir voulu venir », admet-il. Bien qu’il s’ennuie de ses proches, ils demeurent en contact et se parlent toutes les semaines au téléphone. Yassine constate qu’il vivra déchiré toute sa vie, puisque lorsqu’il retourne en Tunisie, il s’ennuie du Québec et vice-versa. Lorsqu’il parle de ses racines aux gens de son entourage et qu’il leur présente des vidéos sur Internet, ceux-ci envient la beauté des paysages. La température clémente tunisienne est sans doute ce qui lui manque le plus, puisqu’il déteste la neige et le froid.
Son emploi lui permet de rencontrer une multitude de gens et de tisser des liens. Persévérant de nature, il adore le travail et y consacre six jours de sa vie sur sept : « J’aime vraiment ça », affirme-t-il. Sa femme vit également très bien ici et s’épanouit dans sa nouvelle profession. Celle-ci est d’ailleurs touchée chaque fois que les gens l’arrêtent pour regarder son bébé.
« Il y a beaucoup d’épiceries marocaines au Québec, je ne me sens pas dépaysé » : Yassine en vient même parfois à oublier son ancienne vie lorsqu’il est au boulot ou en compagnie de ses nouveaux amis. Il se dit très à l’aise et ne souhaite en aucun cas repartir. Sociable depuis toujours, il affirme avoir un très bon réseau de contacts et être connu de tous ses voisins. Il a d’ailleurs pris en charge un nouvel arrivant afin de l’aider à s’intégrer.
Valeurs intrinsèques
La Tunisie fera toujours partie de lui et c’est ce qui le rend authentique. Bien loin de renier sa culture, Yassine a gardé ce qui est bon dans ses valeurs originelles, ainsi que dans celles que le Québec lui a transmises. Selon lui, les Québécois sont plus disciplinés et ont plus de classe et de politesse. « Là-bas [en Tunisie], les gens ne s’intéressent pas aux autres et ne sont pas galants envers les femmes », observe-t-il. Par contre, il remarque que les Québécois ont tendance à se plaindre sur de multiples sujets, dont la température.
Dans son pays d’origine, la famille est au cœur des priorités et le peuple a tendance à être plus humain. Ici, les citoyens sont axés sur tout ce qui est matériel. Il avoue avoir été étonné de constater que les gens paient généralement leur facture de restaurant de manière individuelle, alors qu’il a été élevé d’une toute autre manière. Par exemple, lorsqu’il sort au restaurant en compagnie d’amis tunisiens, une personne différente est désignée chaque fois pour payer la facture totale. La notion de partage est fondamentalement ancrée en lui. Il ne mange pas de porc et pratique le ramadan : « Je suis musulman et j’espère un jour être pratiquant », mentionne-t-il. Il a toutefois un grand respect envers la religion catholique et admet que lorsqu’il vivait avec son ancienne conjointe, un crucifix était accroché sur le mur du salon alors que des cadres de son pays ornaient les murs de la pièce adjacente.
Yassine est un homme débordant de générosité et il n’a jamais eu de ressentiment envers qui que ce soit. Un jour, alors qu’il était en compagnie de son ex-conjointe, un homme s’est arrêté et leur a dit : « Peux-tu me dire ce que tu fais avec ce bâtard-là? » Malgré les propos irrespectueux qui lui ont été adressés, il est demeuré respectueux et admet qu’il n’a pas été choqué. « Mon environnement d’avant m’a aidé, car j’entendais toutes sortes de choses sur l’île où je vivais », confie-t-il. D’ailleurs, l’homme en question s’est excusé et est aujourd’hui son meilleur ami. Bien qu’il continue de regretter ses propos amers, Yassine le défend : « Il a jugé sans connaître et a bâti son jugement sur ce qu’il a vu à la télévision », dit-il avec beaucoup de compassion. Bien qu’il revienne sur le sujet à l’occasion, il admet être passé à autre chose et ils ne se quittent plus depuis.
Le mot de la fin
« Le Québec, c’est chez moi maintenant, je me sens à ma place », confie le papa d’origine tunisienne. Sa fille est née ici et il se considère comme un immigré québécois. Il ne regrette pas d’avoir quitté son île et admet que cette aventure lui a permis de trouver le bonheur. Il conseille à tous les futurs arrivants de ne pas se limiter à fréquenter les gens de leur nationalité. « Il faut côtoyer d’autres nationalités et s’ouvrir aux autres », assure-t-il. Il reconnaît avoir été très bien accueilli au Québec et que la transition fut facile. Il insiste d’ailleurs à ce propos en ajoutant que « quelqu’un qui ne peut pas s’intégrer au Québec ne peut s’intégrer nulle part ». Pour ce qui est du futur, il n’a aucune inquiétude. Il souhaite que sa fille s’épanouisse ici en mentionnant qu’elle y sera libre : « Je ne regretterai jamais d’être venu et ma fille vivra sa vie ici », confie-t-il, le sourire aux lèvres.
وهذا هو فضفاض لتسلق الجبال سيعيش دائما في قدمه – proverbe arabe disant qu’une personne trop lâche pour grimper la montagne vivra toujours à son pied (Traduction libre).