7 Mez X.

Catherine Paquin

Enfance algérienne

Mez a grandi dans une petite ville au bord de la mer, en banlieue d’Alger, appelée Fort-de-l’Eau. Il eut une belle enfance, entouré de sa famille, dont dix frères et sœurs qui vivaient dans un même appartement. Il n’était pas gâté, son père étant seul à travailler pour subvenir aux besoins de lac famille. Il n’a « jamais eu de ballon, jamais eu un jouet ». Toutefois, ce qu’il avait lui suffisait et il affirme que son enfance fut très heureuse. Malheureusement, lorsque Mez avait 12 ans, son père se fit renverser par une voiture et décéda. Il fut alors élevé par sa mère, ainsi que par l’aîné de la famille.

Son départ

Après avoir voyagé dans quelques pays européens, notamment en Angleterre où il séjourna trois ans à Londres, ainsi qu’en Suède où il passa un an, Mez voulut partir pour un autre voyage. Il voulait aller dans un pays plus libre, où la justice était réellement présente. Un de ses frères, officier de la marine marchande, fut marqué par le Canada. Lorsque Mez lui demanda conseil, celui-ci lui répondit : « Va au Canada, c’est sûr que tu vas y rester ». Mez rétorqua : « Le Canada? C’est où? Comment fait-on pour s’y rendre? ». Son frère lui expliqua qu’il devait obtenir un visa, contrairement aux autres pays qu’il avait visités. Au cours de cette procédure, l’agent d’immigration soumit Mez à un interrogatoire sur le motif de sa demande de visa, ce à quoi il répondit qu’il voulait aller passer les vacances au Canada. On lui demanda sa destination précise. Sa réponse fut : « Je parle le français et l’anglais alors je peux aller en Ontario, à Québec… ». On lui demanda alors combien de temps il comptait rester au pays. Mez répondit qu’il voulait rester deux semaines, sans plus. L’homme lui demanda : « Si je vous donne un visa de trois semaines, c’est correct? ». C’est ainsi que commença son aventure, il y a plus de 30 ans!

Son arrivée

Durant de son vol jusqu’à Québec, Mez était assis à côté d’une dame âgée avec qui il fit connaissance. Le fils de celle-ci vint la chercher à l’aéroport. Elle demanda à Mez s’il voulait embarquer en voiture avec eux et se rendre au restaurant en leur compagnie. Ils lui montrèrent ensuite un hôtel où il pourrait dormir. Mais à Québec, quelqu’un l’attendait, un ami d’une autre connaissance. À son arrivée, il fut donc logé et nourri pendant un mois ou deux. Il fut impressionné par le peuple québécois qu’il trouva très accueillant et surtout très calme. Personne ne lui a manqué de respect, personne n’a proféré de propos racistes à son endroit. Selon Mez, « on doit juger quelqu’un par sa personnalité et non par son origine ». Cela différait de la France où il se souvient avoir été frappé au visage par des policiers. Ce qui fut difficile pour lui fut le climat, la température froide. Son premier hiver fut choquant à cause de la neige et du froid. Pour lui, marcher sur la glace représentait un défi de taille. Malgré tout, il s’y adapta très vite. Pour ce qui est de la langue française, Mez n’eut pas de grosses difficultés à s’y s’adapter, puisque le français était sa deuxième langue. Il aima tellement le Québec, qu’il renouvela son visa à l’immigration pour deux mois supplémentaires. Puis, il renouvela pour encore deux autres mois, pour ce qui devait être la dernière fois selon les agents des services frontaliers. Il se trouva rapidement un travail dans un restaurant du coin, tomba amoureux d’une Québécoise et se maria avec elle. Elle décida de le parrainer, mais mit fin au mariage rapidement, ne se sentant pas prête à ce que leur relation aille plus loin. Ayant été mal informée des conséquences engendrées par un retrait du parrainage qui devait durer dix ans , elle prit la décision de le retirer, pensant que Mez allait simplement devenir un immigrant indépendant, puisqu’il avait un permis de travail. Mez reçut peu de temps après une lettre le convoquant au bureau d’immigration.

Son expulsion du pays

Dans le bureau d’immigration, l’agent annonça à Mez : « Je ne crois pas que vous allez rester, puisque votre femme a retiré son parrainage ». Quelques semaines plus tard, il fut convoqué à nouveau avec un juge administratif de l’immigration en provenance de Montréal : « Monsieur, prenez un avocat, parce que ce ne sera pas facile ». Les démarches et de nombreuses rencontres pour discuter de son avenir au Canada commencèrent, jusqu’à ce que le directeur de l’immigration prononçe les mots redoutés : « Je veux l’expulsion pour Mez » et que le juge décrète que « soit vous avez une interdiction de séjour, soit une expulsion ». Mez se leva alors de sa chaise en criant qu’il n’acceptait pas la décision, ce qui lui valut un jugement d’expulsion avec détention. Heureusement, une amie put payer la caution et il put sortir. Il se rendit directement à son lieu de travail. Une fois au restaurant, son patron s’informa de sa situation.

L’intervention juridique

Son patron lui proposa l’aide de son ami avocat. Cet avocat annonça qu’il ne traitait pas de dossiers d’immigration, mais que son associé pouvait peut-être faire quelque chose et qu’il allait le contacter. L’associé demanda que Mez le rencontre le lendemain à son bureau. Une fois dans le bureau, celui-ci lui dit : « Écoute, je ne connais pas à 100 % les lois sur l’immigration. C’est le premier cas que je traite ». Il promit de faire tout en son possible pour voir s’il y avait jurisprudence dans un semblable cas d’expulsion. Lors de la rencontre devant le juge, son avocat présenta une feuille signée par Mez mentionnant leur désistement quant à la décision. Malgré cela, le directeur persista : « Que tu te désistes ou que tu ne te désistes pas, personne ne va s’échapper. Tu vas quitter le pays ». En sortant, Mez expliqua la situation à ses proches dans l’espoir que quelqu’un trouve une solution. On lui parla alors d’un avocat de Montréal qui demandait toutefois des frais onéreux pour l’ouverture du dossier. L’avocat lui dit : « Je vais étudier le dossier, je vais revenir te voir et nous irons à l’immigration ensemble à Québec ». Une fois à Québec, il se présenta comme étant son nouvel avocat et dit au directeur : « Mez quittera le pays, mais il n’ira pas chez lui. Il va quitter le territoire canadien et se rendre aux États-Unis en exécutant l’ordonnance d’expulsion. Ensuite, il va rentrer à nouveau au Canada ». Le directeur répondit : « Tu penses que les États-Unis ramassent ce que le Canada rejette? » L’avocat, secoué par ces propos, affirma que les mots qu’il venait de dire étaient graves, demanda à Mez de quitter les lieux avec lui. Après s’être repenché sur le dossier, l’avocat rappela Mez pour lui dire : « Monsieur, j’ai trouvé une façon de détourner la décision. Ça s’appelle le tour du poteau. Par contre, cela n’a jamais été exécuté au Canada ». En attendant, Mez retourna tout bonnement au travail et rencontra un client qu’il appréciait beaucoup. Mez lui expliqua alors sa situation d’expulsion. Ce bon client fit des démarches en faveur de Mez auprès du député de sa paroisse.

Interventions et premier « tour du poteau »

Une fois la lettre reçue par le député, un appel fut fait au directeur de l’immigration. Ce dernier répondit à nouveau : « Il n’y a rien à faire. Il est expulsé. Il va servir de leçon pour les autres qui viennent ici ». Ce à quoi on lui répondit : « Ah oui? Parce que vous vous servez des êtres humains pour servir de leçon? » Le dossier fut envoyé au responsable de l’immigration au Canada qui suggéra à Mez de sortir du Canada et d’entrer aux États-Unis, ce qu’il fit. Une fois rendu aux douanes, il se présenta à l’agent américain. Celui-ci lui répondit qu’il avait été mis au courant de sa situation et il téléphona alors au territoire canadien. Une fois le téléphone raccroché, l’agent lui dit de traverser les douanes, de faire demi-tour et qu’un agent de l’immigration allait l’attendre. Celui-ci lui tendit des papiers en lui disant « bienvenue au Canada ». Mez devint alors le premier immigrant de toute l’histoire canadienne de l’immigration à « faire le tour du poteau » et devint officiellement citoyen canadien trois ans après.

Les complications derrière lui

Après avoir traversé toutes ces épreuves, Mez décida d’ouvrir son propre restaurant maghrébin, aujourd’hui très réputé et fréquenté par des Québécois et des personnalités connues. Toutefois, la restauration n’était pas son domaine de base. En Algérie, il était diplômé et technicien dans les grands ouvrages reliés à la construction de ponts en béton. Au lieu de refaire ses études ici, il se consacra à la restauration, un milieu plus facilement accessible, bien qu’il dut y consacrer beaucoup de temps et d’énergie. Après avoir retrouvé l’amour, il eut deux enfants. Le plus jeune des deux, alors âgé de treize ans, lui dit un jour : « Papa, tu n’es jamais à la maison». Cela eut l’effet d’une gifle pour lui. Il lui répondit : « Oui mon garçon, tu as raison. Je ne suis jamais là. Mais n’oublie pas que si j’étais là, tu n’irais pas à l’école privée, tu n’aurais pas de cours de violon avec un professeur privé, tu ne ferais pas de ski ». Selon Mez, son fils comprit un peu la situation, mais ses propos l’ont tout de même « réveillé ». Mez travaillait fort pour donner à ses enfants ce qu’il n’avait pas lui-même eu la chance d’avoir.

Aujourd’hui

Il a revu la dame qui avait retiré son parrainage, qui fut désolée d’apprendre ce par quoi il était passé. Mez ne lui en a jamais voulu. Encore aujourd’hui, il travaille à son restaurant. Il affirme que son pays est ici, qu’il habite ici et qu’il vit avec les Québécois. Si un jour le travail le lui permet, il aimerait réaliser le souhait de ses enfants d’aller visiter l’Algérie pour qu’ils puissent voir d’où vient leur père.

Ville en Algérie. Source : https://pixabay.com/fr/bejaia-alg%C3%A9rie-ville-m%C3%A9diterran%C3%A9e-2437265. Crédit : SofiLayla

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