5 Farid X.
Amélie Gauthier-Duarte
Vers le Québec
Farid est né à Alger. À l’âge adulte, s’apercevant que tous ses amis quittaient l’Algérie pour différents pays, il commença à remettre en question sa vie en Algérie. Enseignant de biologie animale à l’université, Farid ne se reconnaissait plus dans le système de pensée de son pays. Il réalisa qu’il avait peu de choses en commun avec les siens. De plus, sur le plan professionnel, il avait accompli beaucoup de choses et se sentait prêt à relever de nouveaux défis. Sa première intention fut d’aller s’établir en Suisse, ce qu’il fit. Mais son séjour helvétique fut écourté par la maladie de sa grand-mère. Pour pouvoir s’occuper d’elle, il retourna en Algérie. Elle succomba peu de temps après. Ayant beaucoup souffert de la perte d’un être cher, il finit par oublier l’idée de vivre en Suisse.
Un jour, un ami revenant tout juste du Québec lui conseilla fortement d’aller tenter sa chance dans cet endroit. Son ami était vraiment convaincant et tellement convaincu que c’était le mieux pour Farid qu’il avait rempli tous les documents de demande d’immigration pour son ami! Farid apprit douze mois plus tard qu’il était éligible pour vivre et travailler au Canada. Dans sa tête, c’était une nouvelle porte qui s’ouvrait. Il se lança courageusement dans cette nouvelle aventure en se disant : pourquoi pas?
Farid au Québec
C’est en plein mois de janvier que Farid mit les pieds pour la première fois au Canada. Il arriva à Toronto et sa première impression ne fut pas très bonne, puisque la ville était une grande métropole : ce n’était pas ce qu’il cherchait. Il décida donc de prendre un autobus jusqu’à Sainte-Foy, avec escale à Montréal.
Son premier contact avec la langue québécoise l’ébranla, puisqu’il ne comprenait absolument rien. Maîtrisant pourtant la langue française qu’il considérait comme un atout, il fut anéanti par l’accent québécois qu’il n’avait jamais entendu de sa vie.
Regard sur le Québec
Selon lui, les Nord-Américains ont un côté individualiste très fort, ce qui n’est pas incompatible avec l’accueil très sympathique qu’il reçut des Québécois. Farid a toutefois une grande ouverture vers les autres, une capacité d’aller vers les gens en les mettant en confiance rapidement. Cet aspect de sa personnalité lui permit d’aller vers les Québécois et, ainsi, de briser la glace à chaque fois pour établir un contact plus facilement.
Farid n’a jamais fêté Noël au Québec, puisque ce n’est pas une fête traditionnelle dans sa religion. Ici, Noël est une occasion de se retrouver en famille et de profiter de bons moments ensemble. Or, dans la religion musulmane, les gens n’attendent pas ces occasions pour se voir, ils se rassemblent le plus souvent possible. Dans sa culture, l’importance de la famille est centrale; aller chez autrui est une bonne habitude qui n’a pas besoin de prétexte. Par contre, il célèbre chaque année la fête de l’Aïd al-Kebir, une importante fête musulmane. Le mois du ramadan est aussi un événement important dans sa vie. Pour lui, c’est une occasion de se mettre à la place des gens qui n’ont rien à manger, d’endurer leurs souffrances quotidiennes pendant un mois et de reconnaître les bienfaits de Dieu sur lui. Il souligne toutefois qu’une personne qui est enceinte ou malade n’est pas obligée de le faire, car ce serait aller à l’encontre de la volonté de Dieu. Il ne s’agit pas de s’imposer une pénitence; au contraire, le jeûne contribue à la régénérescence des cellules et vise à améliorer sa santé et à nettoyer son intérieur.
Une des valeurs québécoises qu’il apprécie le plus est la discipline des Québécois au quotidien, notamment leur rigueur au travail, à la maison et surtout sur la route. Au Canada, la courtoisie est de mise sur les routes, contrairement à l’Algérie où les automobilistes ne conduisent que pour eux, ne se souciant pas de la sécurité d’autrui. Pour lui, ça a été une merveille de voir à quel point les gens respectent les autres sur la route. De plus, il a également remarqué une rigueur dans les services, ce qu’il n’a pas connu dans son pays d’origine. La sincérité, ainsi que la beauté des gens l’ont également marqué. La politesse et le bien paraître des Québécois l’ont charmé dès son arrivée et ces valeurs n’ont fait qu’accroître son amour pour son nouveau pays.
Malgré la gentillesse infinie qui caractérise les habitants de Québec, il a quand même ressenti le regard des autres se poser sur lui lorsqu’il mentionnait qu’il était musulman pratiquant. Il raconte qu’un nouveau collègue lui avait posé quelques questions sur son origine et lorsqu’il en vint à lui poser des questions sur sa religion, il devint plutôt fermé. Farid lui avait affirmé qu’il était musulman, chose qui n’avait pas l’air de déranger son collègue, mais quand il ajouta qu’il pratiquait sa religion, celui-ci répondit : « Ah! Mon père n’aime pas les musulmans ». Pour lui, il est normal que certaines personnes aient des réticences, avec tout ce qui se passe dans le monde. Or, cette situation l’attriste énormément.
On parle toujours des trains qui arrivent en retard, mais jamais de ceux qui arrivent à l’heure. Quand il y a quelque chose de mal qui concerne les musulmans, on le crie sur tous les toits.
Pour lui, les gens extrémistes agissent de manière complètement exagérée et cela ne représente pas du tout la religion musulmane. Si tu es un vrai musulman pratiquant, tu ne peux pas faire de mal à une mouche. Il illustre qu’il ne peut même pas arracher une feuille d’un arbre, puisque celle-ci est un être vivant.
La bonté a toujours fait partie de Farid. En effet, il raconte que lorsqu’il était enseignant, il invitait les étudiants à venir chez lui pour prendre un café. Dans les pays arabes, il n’y aucun problème à le faire. Après les classes, cela lui est arrivé plusieurs fois d’inviter cinq à six étudiants chez lui, et sa mère leur préparait le dîner. Au Canada, si un professeur invite un ou une de ses élèves à venir à sa maison en dehors des heures d’école, cela serait extrêmement mal vu. C’est une proximité qu’il avait avec ses élèves et que, malheureusement, on ne semble pas pouvoir avoir ici. Farid était un enseignant très courtois avec ses élèves. Encore aujourd’hui, certains de ses étudiants reprennent contact avec lui pour le remercier.
Une intégration à demi-teinte
Il est venu au Canada avec sa femme. Pour lui, cela a été beaucoup plus facile de s’adapter, contrairement à sa femme puisque celle-ci porte le voile. Elle lui a dit qu’elle sentait énormément le poids des regards des autres lorsqu’elle allait dans des lieux publics. Étant très proche d’elle, il peut ressentir ce qu’elle vit, mais il dédramatise toujours la situation pour la rassurer. Un jour, sa femme est arrivée à la maison en pleurs, car une dame lui avait dit de retourner chez elle.
Avec l’événement tragique de la mosquée, il a senti que les gens étaient beaucoup plus empathiques avec eux. Certains passants s’arrêtaient et voulaient leur montrer qu’ils les soutenaient dans ce terrible événement. Farid et sa femme ont visiblement connu les deux extrêmes. À la suite de ce grave incident, sa conjointe ne voulait plus retourner travailler, puisque son bureau se trouvait à la mosquée. Les musulmans, contrairement à certains préjugés, sont très pacifiques et ils ne propagent pas la haine aussi facilement que les Québécois. Il a expliqué que « la religion nous a éduqués à ne pas répondre par le mal à quelqu’un qui nous fait du mal. »
Messages aux futurs immigrants
Il est très heureux dans la ville de Québec et il recommanderait cette place à quiconque désirant vivre de nouvelles aventures. Il ne changerait absolument rien à son parcours et il est très content de ce qu’il a accompli. La seule chose qui l’a saisi, hormis l’accent québécois, c’est la température glaciale qu’il a dû braver. Le seul conseil qu’il donnerait à quelqu’un arrivant au Québec, c’est de s’habiller chaudement!