9 Quelques jalons historiques des Classiques des sciences sociales
Émilie Tremblay
La bibliothèque numérique francophone Les Classiques des sciences sociales fête ses 25 ans cette année. Elle a été fondée au début des années 1990 par Jean-Marie Tremblay alors qu’il était professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi. D’un projet en Intranet destiné à ses élèves, elle est devenue accessible sur Internet à partir de l’an 2000. La bibliothèque propose à ce jour des milliers de titres qui sont consultés et téléchargés partout dans le monde. Dans ce texte[1], je retrace quelques-uns des grands moments qui ont jalonné l’existence de la bibliothèque numérique Les Classiques des sciences sociales. Je présente également un survol de sa situation actuelle, ce qui implique de se pencher sur son organisation, sur les collections qu’elle offre, mais aussi sur les difficultés et les défis rencontrés qui freinent son développement et compromettent sa pérennité.
Les débuts : d’un centre de documentation à une banque de textes numériques
Jean-Marie dit souvent que l’arrivée du premier ordinateur Mac a changé sa vie. En effet, en 1985, il fit l’achat d’un premier ordinateur, un Mac 512. L’année suivante, il acquit deux logiciels : le premier logiciel de numérisation, OmniPage Pro de la société Caere et un autre, le premier logiciel de mise en page professionnelle, PageMaker d’Aldus. En 1987, il commença ses premières numérisations de livres, de chapitres, d’articles de périodiques et d’articles de journaux en sociologie, et plus largement en sciences sociales. La numérisation de ces documents lui servait à créer du matériel pédagogique pour ses élèves. Ce matériel était accessible dans un centre de documentation au Cégep de Chicoutimi. Ses élèves pouvaient consulter en format papier les documents qui avaient été numérisés puis imprimés. Comme il s’agissait principalement de vieux ouvrages, parfois difficilement lisibles à cause de l’état des documents, les photocopier n’était pas une option. Jean-Marie se tourna donc vers la numérisation et la mise en page de ces textes. C’est ainsi qu’il abandonna les ciseaux et la colle à papier, qui lui servaient à découper des articles et à faire des montages de textes, au profit de l’ordinateur et du numérique.
Quelques années plus tard, soit en 1993, Jean-Marie créa, toujours pour ses élèves, une banque de textes numériques accessibles sur tous les ordinateurs du Cégep connectés en intranet. Ses objectifs étaient notamment de leur faire découvrir et aimer les sciences sociales, et de leur montrer la pertinence de ces sciences pour comprendre différents phénomènes sociaux.
Cette aventure remonte au début des années 1990. C’est à peine cinq ans après l’arrivée du Macintosh 128 d’Apple. Lorsque nous avons obtenu notre premier laboratoire informatique à la bibliothèque de mon collège, je me suis dit que je pourrais faire découvrir bien plus facilement les sciences sociales et la philosophie à nos étudiants des sciences humaines si je mettais à leur disposition, en version numérique, de nombreuses études en sociologie, anthropologie, criminologie, histoire, science politique, économie politique, travail social et aussi en philosophie (Tremblay 2012).
Cette banque de textes était accessible dans un répertoire du serveur du Cégep de Chicoutimi. L’existence de ce répertoire n’était pas connue des responsables du Cégep, à l’exception du directeur du service informatique de l’époque. Le travail de Jean-Marie lui valut quelques démêlés avec les responsables de la bibliothèque du Cégep de Chicoutimi. En effet, au début des années 1990, le réseau était à faible débit. Le serveur du Cégep n’était donc pas en mesure de répondre aux demandes d’une vingtaine d’élèves qui consultaient et téléchargeaient en même temps des textes. Le réseau de la bibliothèque centrale plantait régulièrement, ce qui occasionnait, on peut le comprendre, des frustrations de la part de certains responsables. Heureusement, tous ces problèmes ont contribué à faire évoluer l’environnement informatique de cette institution.
D’une banque de textes numériques à une collection de volumes numérisés accessible en ligne
Après avoir travaillé à construire sa banque de textes numériques pendant plusieurs années, Jean-Marie voulut qu’elle soit accessible plus largement à tous et à toutes sur Internet.
De 1993 à 2000, toutes les œuvres numérisées n’étaient accessibles qu’en intranet à nos étudiants et étudiantes des sciences humaines. Le travail de numérisation et d’édition numérique exigeait tellement d’heures de travail qu’il fallait que ce soit accessible à plus de gens. Trop peu de gens pouvaient accéder à ces œuvres pour tant de travail (Propos de Jean-Marie Tremblay recueillis par Émilie Tremblay en avril 2018).
Pour réaliser cette bibliothèque, il avait besoin d’un serveur pour archiver les documents. Il proposa d’abord son projet au Cégep de Chicoutimi. Essuyant un refus, parce que « tout cela était trop avancé pour les étudiants » aux dires du directeur des études de l’époque, il se tourna vers l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Il savait que l’ancien directeur de la bibliothèque du Cégep de Chicoutimi, Serge Harvey, était passé à l’UQAC et travaillait comme directeur adjoint de la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet. Jean-Marie le contacta au mois d’octobre de l’an 2000 pour lui parler de son projet (qui ne s’appelait pas encore Les Classiques des sciences sociales). Ce dernier parla du projet de Jean-Marie à Gilles Caron, le directeur de la bibliothèque Paul-Émile-Boulet, qui trouva l’idée intéressante dans la mesure où il n’y avait pas de dédoublement avec ce qui se faisait ailleurs, comme à la Bibliothèque nationale de France (BNF) qui avait entrepris quelques années auparavant un vaste chantier de numérisation de ses collections. Une rencontre fut organisée quelques jours plus tard avec Gilles Caron et Serge Harvey. Gilles Caron, se remémorant cette rencontre, explique :
Jean-Marie était rentré avec ses documents. Je me rappelle, Serge était là, moi j’étais là et Jean-Marie. Notre petit set up habituel. Jean-Marie se met à parler. Je lui demande « combien en as-tu de volumes actuellement? ». Je ne me souviens pas il en avait peut-être sept ou huit. Je savais ce que ça pesait en volume. C’est peut-être ça qui a fait que ça n’a pas été compliqué. Je savais qu’en termes de poids sur un serveur, ça ne représentait presque rien. Alors que je regardais ces documents, Jean-Marie parlait et à un moment donné, je l’ai arrêté. Je lui ai dit : « C’est correct, je vais la prendre, ton affaire ». J’ai dit à Serge d’aller voir Mathieu, notre technicien pour s’assurer qu’il ait les codes d’accès. En sept ou huit minutes, c’était donc fait (Propos de Gilles Caron interviewé par Émilie Tremblay au mois de janvier 2018)[2].
En moins de dix minutes, une entente fut scellée verbalement avec Gilles Caron et l’Université du Québec à Chicoutimi. Jean-Marie aurait donc accès au serveur Internet de cette institution pour son projet de bibliothèque virtuelle[3]. C’est également lors de cette rencontre que le nom des Classiques des sciences sociales fut choisi. Gilles Caron suggéra ce nom à Jean-Marie en fonction des documents qu’il voulait rendre accessibles.
D’après Gilles Caron, ce projet s’insérait très bien dans la vision de la bibliothèque de l’UQAC qui avait déjà des projets en numérique. Par exemple, bien avant la mise sur pied du dépôt institutionnel Constellation[4], l’UQAC avait mis en place une plateforme pour les mémoires et les thèses de ses étudiants et étudiantes.
Deux jours après cette rencontre avec Gilles Caron et Serge Harvey, Jean-Marie avait créé un site Internet. Vers la fin du mois de novembre, il était en fonction. La figure 1 montre une image de la page principale du site Internet à cette époque.
À partir de l’automne 2001, des personnes prirent l’initiative de proposer leur aide à Jean-Marie pour rendre accessibles des textes en sciences humaines et sociales. La première bénévole, feu Gemma Paquet, commença son travail au sein des Classiques des sciences sociales en octobre 2001 (voir l’hommage qui lui est consacré au chapitre 7 du présent ouvrage). De nombreux autres bénévoles se sont joints à lui à partir de cette date, soit plus d’une centaine à ce jour[5].
Comment les collections de la bibliothèque ont-elles évolué? Au début du mois de mars 2001, la bibliothèque offrait une quarantaine de titres (Émond 2001). Au courant de l’été 2004, elle comptait 1000 titres. Le 2 000e titre des Classiques fut mis en ligne en juin 2006. En novembre 2007, elle fêtait son 3 000e titre en ligne. Deux ans plus tard, en décembre 2009, elle diffusait 4 000 titres[6]. Le 5 000e titre fut mis en ligne en novembre 2012. En août 2015, les Classiques des sciences sociales diffusaient 6 000 documents scientifiques.
Des classiques aux contemporains
Avant 2003, Jean-Marie numérisait et mettait en ligne presque uniquement des textes classiques, c’est-à-dire des textes du domaine public au Canada. En 2003, Jean-Marie et le recteur de l’UQAC reçurent une mise en demeure des Presses universitaires de France (PUF).
[…] les Presses universitaires de France, par l’intermédiaire de leur mandataire juridique, nous menacent de poursuite au civil pour dommages économiques si nous ne retirons pas immédiatement tous les ouvrages des auteurs publiés aux PUF que nous diffusons librement parce que nous ne respecterions pas, en territoire canadien, le droit d’auteur français (extrait d’un appel de soutien aux internautes de Jean-Marie Tremblay 2003)
En France, les écrits des auteur-e-s sont du domaine public 70 ans après leur mort alors qu’au Canada cette période est de 50 ans. Devant la menace de poursuite, les téléchargements de toutes les œuvres sur le site des Classiques – déjà près de 600 à cette époque – furent interrompus pendant une année, soit jusqu’en 2004. Jean-Marie fit appel aux médias. Il lança des appels à l’aide et il reçut de nombreux appuis, des conseils de spécialistes du droit et d’internautes spécialisés dans les questions de droit d’auteur. Monsieur Adolphe Leschevin, ancien consul de Belgique au Québec, contribua également à régler le différend. En 2004, les PUF abandonnèrent leur intention de poursuivre Jean-Marie et l’UQAC. Jean-Marie ne retira aucun livre publié par les PUF, exception faite de livres traduits en français qui n’étaient pas encore du domaine public au Canada.
C’est dans le contexte de cette menace de poursuite que Jean-Marie décida en 2003 de réellement développer la collection des auteurs contemporains. Il se dit qu’en demandant les autorisations aux auteur-e-s, il éviterait ainsi les problèmes rencontrés au niveau de la diffusion de livres du domaine public au Canada qui ne l’étaient pas encore dans d’autres pays comme la France. Roch Denis[7] – ancien recteur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) de 2001 à 2006 et professeur de science politique de 1971 à 2001 – est le premier auteur que Jean-Marie contacta. Les premières autorisations de sa part ont été obtenues dès décembre 2002. Le deuxième auteur fut Marc-Adélard Tremblay, professeur émérite du département d’anthropologie de l’Université Laval qui autorisa la diffusion de toutes ses œuvres le 4 janvier 2004. Dans une conférence prononcée au 73e congrès de l’ACFAS, Marc-Adélard Tremblay raconta sa réaction lorsqu’il reçut, le 2 mars 2003, une demande d’autorisation pour produire une édition numérique de ses œuvres par Jean-Marie :
Au moment où je me souciais de cette responsabilité particulière [rendre accessible son œuvre] et que je m’interrogeais sur cette ambition démesurée de numériser mon œuvre, je reçus un courriel du Professeur Jean-Marie Tremblay, me demandant l’autorisation de produire une édition numérique de mes œuvres. C’était le 2 mars 2003 : une date mémorable de ma trajectoire intellectuelle. Cette intervention inattendue fut pour moi, je vous l’assure, un moment de véritable enchantement. Les personnes de mon entourage me confient assez souvent que je suis un homme chanceux; mais cette fois-ci cette chance atteignait un sommet inégalé, à un point tel que l’autorisation demandée comportait sa réponse (Tremblay 2005).
À partir de 2003, de nouvelles collections furent donc créées sur le site des Classiques des sciences sociales : celle des contemporains, puis celle sur la désintégration des régions et enfin, celle sur l’histoire de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
En novembre 2004, les bénévoles des Classiques des sciences sociales furent invités à signer le Livre d’or de la Ville de Saguenay à l’occasion de la diffusion de la 1 200e œuvre. En avril 2005, Jean-Marie Tremblay reçut le Prix Laure-Gaudreault du mérite scientifique régional[8] pour les Classiques des sciences sociales.
Un site Internet modernisé et un organisme à but non lucratif
Le 17 octobre 2005, les Classiques des sciences sociales inaugurèrent un nouveau site Internet à la suite d’une refonte importante qui fut possible grâce au soutien de l’Université du Québec à Chicoutimi. En effet, cette refonte du site – qui requit plus d’une année de travail – fut pilotée par Gilles Caron, appuyée par Claude Dumais et par toute une équipe de spécialistes de l’UQAC. Un événement fut organisé par la Ville de Saguenay pour souligner en même temps les cinq ans des Classiques des sciences sociales sur Internet. De nouvelles fonctionnalités furent ajoutées sur le site de la bibliothèque :
À cette occasion, nous inaugurerons le nouveau site qui, entre autres nouveautés, comporte trois fonctions de recherche améliorées : 1) la recherche dans les métadonnées (ce sont les mots descriptifs d’une page Web); 2) la recherche dans les descripteurs du catalogue Manitou de la Bibliothèque de l’Université du Québec; 3) enfin, la recherche plein texte dans les fichiers eux-mêmes. Le nouveau site offre aussi une organisation plus efficace de l’information et une présentation plus esthétique » (Tremblay 2005)[9].
En 2005, la bibliothèque était désormais organisée en cinq collections : Les auteur-e-s classiques, Les sciences sociales contemporaines, La désintégration des régions du Québec, Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean et Méthodologie en sciences sociales.
En plus de l’UQAC, le Cégep de Chicoutimi devint officiellement un partenaire des Classiques des sciences sociales en 2005 en offrant une aide financière annuelle. Johanne Leblanc, professeure d’économie au Cégep de Chicoutimi, déçue de l’absence de liens entre les Classiques et le Cégep, entreprit des démarches. Les ponts furent rétablis avec ce dernier et sa nouvelle directrice générale d’alors, Ginette Sirois. Le Cégep de Chicoutimi offrit par la suite son aide en fournissant à Jean-Marie les logiciels dont il avait besoin, en mettant à sa disposition des budgets de formation et d’impression et en lui fournissant les livres qu’il souhaitait numériser[10].
À peu près à l’époque du lancement du nouveau site des Classiques des sciences sociales, des organisations commencèrent à approcher Jean-Marie pour fonder une sorte de consortium des savoirs et chercher des investisseurs.
Jacques Dufresne, fondateur de l’Encyclopédie de l’Agora, vint rencontrer Jean-Marie à Chicoutimi pour lui parler d’un projet de fusion. Avant de venir le voir, il avait d’ailleurs fait faire une évaluation du site des Classiques. Selon cette évaluation, le site des Classiques valait plusieurs millions de dollars (Delisle 2004). Jean-Marie, craignant que ce type de partenariat ou de nouvelle organisation aboutisse à facturer à l’utilisation pour avoir accès aux textes, ne donna pas suite à ces propositions. Il eut l’impression que c’était contraire au but qu’il poursuivait : le partage et le don. Mais peut-être que des partenariats auraient pu être pensés tout en restant fidèles à la mission de donner un accès gratuit au patrimoine francophone des sciences humaines et sociales. L’Encyclopédie de l’Agora, lancée à la fin des années 1990, est d’ailleurs elle aussi toujours accessible gratuitement en ligne.
À la suite de cette demande et devant ses craintes que la bibliothèque Les Classiques des sciences sociales se transforme en un site payant, Jean-Marie sollicita certains de ses amis, Charles Côté et Daniel Larouche, respectivement sociologue et historien. Il souhaitait avoir des idées pour assurer la survie de la mission des Classiques des sciences sociales, à savoir donner un accès gratuit à tous à des textes en sciences sociales et humaines de langue française. Ils ont donc travaillé ensemble sur le projet de création d’un organisme à but non lucratif (OBNL). Une autre motivation pour créer un OBNL était que cela permettrait aux Classiques des sciences sociales de demander une aide financière à Ville de Saguenay.
En août 2006, la bibliothèque fut incorporée en organisme à but non lucratif en vertu de la Loi sur les compagnies, Partie III (L.R.Q., chapitre C-38, art. 218)[11]. Charles Côté, Daniel Larouche, Daniel Paiement et Michel Savard pilotèrent cette incorporation. Le premier conseil d’administration fut composé de Bernard Côté, Gérard Dallaire, Daniel Larouche, Daniel Paiement, Michel Savard, Éric Tremblay et Jean-Marie Tremblay.
Nouveau démêlé lié à des législations différentes en matière de droit d’auteur
À l’automne 2010[12], 24 ouvrages d’Albert Camus – mort en 1960 – furent mis en ligne sur le site des Classiques des sciences sociales puisqu’une partie de son œuvre était désormais libre de droits au Canada. Gallimard, par le biais de son service juridique, exigea que ces œuvres soient bloquées aux internautes français, car Camus n’était pas encore entré dans le domaine public en France. Ce fut une nouvelle mise en demeure pour les Classiques des sciences sociales en lien avec des législations différentes en ce qui concerne le droit d’auteur et le domaine public[13], des enjeux sensibles comme en témoignent certaines prises de position à cette époque[14]. Au-delà d’une loi différente en ce qui concerne le droit d’auteur, c’est aussi des visions différentes qui se rencontraient par rapport au savoir, soit l’idéal de l’accessibilité et de la gratuité versus la commercialisation[15].
À la suite de cette mise en demeure, un ouvrage fut rapidement retiré du site des Classiques, Le premier homme, un roman publié à titre posthume, qui n’était donc pas du domaine public au Canada. Puis, au début de l’année 2011, les Classiques des sciences sociales bloquèrent l’accès des internautes français aux œuvres de Camus disponibles sur le site de la bibliothèque par crainte de poursuites liées à la loi française HADOPI.
Les Classiques des sciences sociales aujourd’hui
Aujourd’hui, la bibliothèque donne accès gratuitement à un peu plus de 7 000 textes (6 923 en date du 26 avril 2018 en plus de 150 autres textes en ligne, mais non encore catalogués). Elle met à disposition principalement des livres – ce qui constitue l’une de ses spécificités –, mais aussi des articles, des thèses et mémoires, des documents et des rapports de recherche. Ce qui la distingue également, c’est la diffusion de tous les textes en plusieurs formats[16], dont le traitement de texte, plutôt qu’une diffusion seulement en HTML ou en PDF ou PDF-IMAGE, ce qui facilite grandement la recherche textuelle.
En 2017, le site des Classiques des sciences sociales a été visité par 1 182 099 visiteurs différents pour un total de 1 781 766 visites. Quant au nombre de pages consultées, elles s’élèvent à 5 195 525, soit une moyenne de 432 960 pages par mois. Toujours en 2017, 5 428 801 titres ont été téléchargés. Les téléchargements proviennent principalement de deux collections : « Les auteur-e-s classiques » et « Les sciences sociales contemporaines » (Tremblay 2018).
La bibliothèque est actuellement organisée en huit collections principales :
- Les auteur-e-s classiques
- Les sciences sociales contemporaines
- Méthodologie en sciences sociales
- Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean
- La désintégration des régions du Québec
- Documents
- Sciences du développement
- Les sciences de la nature
Plusieurs sous-collections complètent l’organisation des collections. Dans la collection « Les auteur-e-s classiques », on retrouve quatre sous-collections :
- Chine ancienne
- Civilisation arabe
- Civilisations de l’Inde
- Révolution française
La collection « Les auteur-e-s classiques », la première à avoir été créée, est celle dont les œuvres sont le plus téléchargées. Dans cette collection, on retrouve des textes de plusieurs auteur-e-s : Alain, Alfred Adler, Gaston Bachelard, Dantès Bellegrade, Ruth Benedict, Jérémy Bentham, Albert Camus, Émile Durkheim, Frantz Fanon, Lucien Febvre, Enrico Ferri, Sigmund Freud, Raffaele Garofalo, Ibn Khaldun, Cesare Lombroso, Rosa Luxembourg, Karl Marx, Marcel Mauss, Jean Price-Mars, Gabriel Tarde, Adam Smith et de nombreux autres.
Dans la collection « Les sciences sociales contemporaines », on compte 11 sous-collections :
- Anthropologie médicale
- Les sociétés créoles
- Criminologie
- Sociologie de la santé
- Sociologie de la famille
- Handicaps et inadaptations
- Rencontres internationales de Genève
- Politiques scientifiques, politiques de la recherche
- Études haïtiennes
- Textes en méthodologie des sciences humaines
- Les possédés et leurs mondes
La collection « Études haïtiennes[17] », dirigée par Ricarson Dorcé, a été créée en 2015 grâce à Florence Piron (Dorcé et Tremblay 2016). Elle a été lancée en partenariat avec l’Association science et bien commun.
Dans la collection « Les sciences sociales contemporaines », on retrouve des textes de Samir Amin, Georges Anglade, Yao Assogba, Georges Balandier, Louis Balthazar, Roger Bastide, Michel Beaud, Éric Bédard, Martin Blais, Russel Aurore Bouchard, Josiane Boulad-Ayoub, Jean-Paul Brodeur, Gérard Bergeron, Maurice Cusson, Léon Dion, Louis Gill, Jacques Grand’Maison, Georges Gusdorf, Denise Helly, Laënnec Hurbon, Denise Jodelet, Micheline Labelle, Denis Monière, Jean-Marc Piotte, Guy Rocher, Céline Saint-Pierre, Denis Szabo, Marc-Adélard Tremblay, Rodrigue Tremblay, Hubert van Gijseghem, Jean Ziegler, etc.
D’autres sous-collections sont en cours de création. On peut mentionner la collection « Études ivoiriennes[18] », dirigée par Rock Yao Gnabeli, professeur à l’Université Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), et la collection « Études camerounaises[19] », dirigée par Henri Brice Afane, enseignant-chercheur à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun). On peut aussi évoquer la collection « Civilisation et politique » qui sera dirigée par Michel Bergès, professeur récemment retraité de l’Université de Bordeaux (France).
Dès leur création, Les Classiques des sciences sociales donnaient accès principalement aux textes scientifiques produits dans des pays dits du Nord (Amérique du Nord et Europe). En effet, dans la collection « Les auteur-e-s classiques », les textes sont majoritairement ceux d’auteurs originaires de France, d’Angleterre, d’Allemagne et des États-Unis (et ayant travaillé dans ces pays). Au fil du temps, différentes collections se sont ajoutées : « Les sociétés créoles », « Chine ancienne », « Civilisation arabe », « Civilisations de l’Inde ». Ces collections, de manière générale, mettent aussi en valeur les travaux et écrits des auteur-e-s du Nord, par exemple des africanistes ou des spécialistes des sociétés créoles, même si l’on peut recenser quelques ouvrages et articles écrits par des auteurs comme Ibn Khaldoun et Ibn Battûta dans la collection « Civilisation arabe » de même que des ouvrages de penseurs et de chercheurs chinois dans la collection « Chine ancienne ». Une préoccupation a émergé dans les dernières années pour donner accès également aux patrimoines scientifiques des pays dits du Sud. En témoigne la collection « Études haïtiennes » qui diffuse des œuvres haïtiennes classiques, des écrits d’auteur-e-s contemporains de même que des travaux de jeunes chercheur-e-s en sciences sociales.
Des enjeux pour l’avenir
Les publications scientifiques en accès libre sont plus accessibles et sont donc susceptibles d’être lues par un plus grand nombre de personnes. Alors que l’édition papier d’ouvrages scientifiques n’autorise souvent qu’une diffusion à 100, 200, voire 1 000 exemplaires, le libre accès vient multiplier le lectorat potentiel. À titre d’exemple, en 2010, quelques mois seulement après la parution du livre Gouvernance : Théories et pratiques, le sociologue Dorval Brunelle, qui a dirigé l’ouvrage, a autorisé sa diffusion dans les Classiques des sciences sociales. Cet ouvrage, imprimé en une centaine d’exemplaires, a été téléchargé en date du 26 avril 2018, 39 494 fois sur le site des Classiques. Un autre exemple est celui de Robert Fossaert, sociologue et économiste français qui, dans les dernières années de sa vie, avait décidé de ne plus publier dans des maisons d’édition et de diffuser son travail directement dans les Classiques des sciences sociales. S’il reconnaissait avoir perdu des revenus provenant de ses droits d’auteur, il trouvait plus important d’avoir gagné un lectorat en rendant ses publications accessibles gratuitement. Ses œuvres, depuis 2003, ont été téléchargées 370 343 fois en date du 26 avril 2018.
Les Classiques des sciences sociales rendent accessible un important patrimoine scientifique en sciences humaines et sociales de langue française. L’action des Classiques contribue ainsi à la démocratisation de l’accès aux savoirs en sciences humaines et sociales. Néanmoins, les difficultés et les enjeux ne manquent pas comme nous avons pu le voir dans ce texte. En se penchant sur la structure et le fonctionnement actuel des Classiques, il est possible d’identifier quelques problèmes et enjeux qu’il importe de solutionner, et ce, pour assurer le développement, la professionnalisation et la pérennité de la bibliothèque.
- Une structure fragile basée sur le travail central d’une personne aidée d’un réseau de bénévoles;
- Une organisation qui fonctionne avec un budget assurant seulement sa survie;
- Des moyens financiers absents pour moderniser le site des Classiques, le tenir à jour et assurer son développement futur;
- Une conception du libre accès qui a peu évolué;
- Un manque de compétences dans certains domaines et champs de spécialisation (bibliothéconomie, science de l’information, administration, informatique, etc.) au sein de l’organisme Les Classiques qui gère la bibliothèque;
- Peu de liens et de partenariats développés avec des institutions publiques dans le milieu de l’éducation, et particulièrement de l’enseignement supérieur, et de la recherche;
- Peu de collaborations développées avec des organisations qui œuvrent au niveau de la francophonie;
- Peu de liens et de partenariats développés avec d’autres organismes et projets qui œuvrent dans l’édition électronique en accès libre dans les domaines des sciences humaines et sociales.
La bibliothèque Les Classiques des sciences sociales a tout intérêt à revoir son modèle d’affaires pour assurer sa pérennité. Il serait souhaitable, pour ce faire, qu’elle ait une équipe de personnes salariées travaillant en collaboration avec le réseau de bénévoles, ce qui implique entre autres d’aller chercher des subventions et de nouer des partenariats. Les possibilités sont nombreuses et devraient être explorées. Par ailleurs, la bibliothèque a toujours une politique d’utilisation très restrictive, notamment en ce qui concerne les droits de réutilisation, de diffusion, de partage, etc. L’accès libre ne se limite pas à la gratuité et une évolution à ce niveau serait souhaitable. En ce qui concerne la gestion de la bibliothèque, les Classiques ont tout à gagner à s’entourer non seulement de personnes passionnées des sciences humaines et sociales comme c’est le cas actuellement et de personnes qui croient en l’accès libre, mais aussi de spécialistes en bibliothéconomie et en sciences de l’information qui ont des compétences et des connaissances essentielles pour l’amélioration et l’évolution technique et technologique de la bibliothèque. Des liens sont à construire avec différentes organisations. Les initiatives de diffusion en libre accès sont nombreuses aujourd’hui et les collaborations entre organisations qui poursuivent des missions similaires peuvent être très fructueuses.
Références
Baillargeon, Stéphane. 2009. « Le chef-d’œuvre méconnu ». Le Devoir, 31 octobre.
https://www.ledevoir.com/lire/274544/le-chef-d-oeuvre-meconnu
Delisle, Catherine. 2004. « Bibliothèque numérique francophone : Investissement bénévole de… 10 millions $ ». Le Quotidien, 21 septembre.
Dorcé, Ricarson et Émilie Tremblay. 2016. « La mise en valeur par les Classiques des sciences sociales des savoirs produits en Haïti ». Dans Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux. Pour une science ouverte juste, au service du développement local durable. Sous la direction de Florence Piron, Samuel Régulus et Marie Sophie Dibounje Madiba. Québec : Éditions science et bien commun.
https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/justicecognitive1/chapter/la-mise-en-valeur-par-les-classiques-des-sciences-sociales-des-savoirs-produits-en-haiti/
Émond, Serge. 2001. « Sur son site l’UQAC offre une collection de volumes numérisés ». Progrès-Dimanche, 11 mars.
http://classiques.uqac.ca/inter/On_pointe_sur_nous/signets_2001/2001_03_11_pd/PD_2000_03_11.pdf
Tremblay, Émilie. 2018. « Rapport d’activité 2017 ». Les Classiques des science sociales.
Tremblay, Jean-Marie. 2012. « Les Classiques des sciences sociales ou l’accès libre à notre patrimoine intellectuel en sciences sociales et en philosophie ». Communication au colloque Bibliothèques numériques : au carrefour des disciplines et des institutions, Palais des congrès, Montréal, 8 mai.
http://classiques.uqac.ca/inter/Evenements_speciaux/2012_05_08_ACFAS/2012_ACFAS.html
Tremblay, Jean-Marie. 2005. « 2000-2005. 5 ans sur le Web!!! Les Classiques des sciences sociales, une bibliothèque numérique en ligne depuis 5 ans déjà! ».
http://classiques.uqac.ca/inter/Evenements_speciaux/5e_anniversaire_2000_2005/5e_anniversaire.html
Tremblay, Marc-Adélard. 2005. « Les Classiques des sciences sociales : une bibliothèque virtuelle en voie de réalisation ». Conférence présentée au 73e congrès de l’ACFAS, UQAC, Chicoutimi, 9 et 10 mai.
http://classiques.uqac.ca/contemporains/tremblay_marc_adelard/Classiques_des_sc_soc/Classiques_des_sc_soc.pdf
- Ce texte n’aurait pas été aussi riche sans les nombreuses discussions avec Jean-Marie Tremblay, qui a bien voulu creuser le passé et fouiller dans ses archives (courriels et autres) pour se remémorer différents événements. Je le remercie pour sa précieuse collaboration. ↵
- Merci à Gilles Caron d’avoir bien voulu, le temps d’un entretien, partager ses souvenirs avec moi de sa première rencontre avec Jean-Marie et du travail qui en a suivi. ↵
- Cet arrangement demeura en vigueur jusqu’en 2015, moment où une entente officielle a été signée entre les Classiques des sciences sociales et l’UQAC. Madame Suzie Robichaud fut d’une grande aide dans ces démarches. ↵
- https://constellation.uqac.ca ↵
- Pour en savoir plus, voir la page de tous les bénévoles : http://classiques.uqac.ca/inter/benevoles.php ↵
- En 2009, à l’occasion du 4 000e titre à mettre en ligne. Stéphane Baillargeon publia dans le journal Le Devoir un article intitulé « Le chef-d’œuvre méconnu ». ↵
- Lors du colloque de l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED) qui s’est tenu en octobre 2004 à Québec, une conférence avait été organisée sur les Classiques des sciences sociales. Roch Denis était venu présenter le point de vue d'un chercheur et Jean-Claude Larouche, le fondateur des Éditions JCL, celui d’un éditeur. Jean-Marie et Jean-François Tremblay, un doctorant en sociologie participaient également à la conférence. Voir : http://jmt-sociologue.uqac.ca/www/html/centre_fichiers_info/ACFAS_2005/Larouche_jean-claude/ASTED_congres-2004.pdf ↵
- Le prix Laure-Gaudreault est un méritas décerné à une personne ou à groupe de personnes qui se sont distinguées de façon particulière dans le secteur des sciences humaines. Sont pris en considération les retombées scientifiques, sociales et culturelles, le caractère novateur et original, le rayonnement puis la contribution à l'avancement des connaissances. ↵
- Pour plus de détails, voir la page http://classiques.uqac.ca/inter/Evenements_speciaux/5e_anniversaire_2000_2005/5e_anniversaire.html ↵
- Depuis lors, le Cégep de Chicoutimi est partenaire des Classiques et une entente officielle de partenariat a été signée en 2015, notamment grâce à la directrice générale du Cégep de l’époque, Madame Denyse Blanchet. ↵
- De plus, en novembre 2014, les Classiques des sciences sociales ont été reconnus comme un organisme de bienfaisance au Canada. ↵
- Un autre conflit avait aussi opposé quelque temps auparavant Jean-Marie et des contributeurs de Wikisource qu’il avait traités de « wikiprédateurs » puisque des titres du domaine public étaient intégrés dans Wikisource sans demande de permission et sans mention de la provenance. Jean-Marie souhaitait qu’on mentionne la provenance des œuvres en reconnaissance du travail effectué par les Classiques des sciences sociales. Deux visions du domaine public se rencontrèrent. ↵
- Charbonneau, Olivier. 2011. « Domaine public malmené ». Culture libre.ca, 28 février. http://www.culturelibre.ca/2011/02/28/domaine-public-malmene/ ↵
- Gathier, Félix. 2011. « Camus en ligne de mire ». Libération, 2 février. http://next.liberation.fr/culture/2011/02/02/camus-en-ligne-de-mire_711779; Rioux, Christian. 2011. « Une bibliothèque numérique québécoise est accusée de bafouer les droits d’auteur ». Le Devoir, 3 février. https://www.ledevoir.com/lire/315958/une-bibliotheque-numerique-quebecoise-est-accusee-de-bafouer-les-droits-d-auteur ↵
- Bien entendu, il ne s’agit pas de mettre tous les éditeurs dans le même panier. Un grand nombre d’éditeurs permettent aux Classiques de diffuser des œuvres encore en circulation commerciale comme Les Presses de l’Université de Montréal, les Éditions Sciences et Culture, les Éditions du Renouveau pédagogique, Fidès, Lux Éditeur, les Éditions Hurtubise HMH, les Éditions Nota Bene et ainsi de suite. ↵
- En effet, les Classiques des sciences sociales proposent des fichiers en format DOC, PDF, RTF, HTML et EPUB. ↵
- Pour plus de détails voir : http://classiques.uqac.ca/contemporains/etudes_haitiennes/etudes_haitiennes_index.html ↵
- http://classiques.uqac.ca/contemporains/etudes_ivoiriennes/etudes_ivoiriennes_index.html ↵
- http://classiques.uqac.ca/contemporains/etudes_cameroun/etudes_cameroun_index.html ↵