4 Niveau d’instruction, formations professionnelles et activités économiques des adolescents et jeunes déscolarisés dans l’arrondissement de Tchaourou

Alassane Gbadamassi

Résumé

L’analyse des indicateurs statistiques sur le niveau d’instruction, les formations professionnelles et les activités économiques des adolescents et jeunes déscolarisés de l’Arrondissement de Tchaourou ainsi que les facteurs associés a fait l’objet de ce article. L’Analyse des Correspondances Multiples a permis de déterminer le profil des adolescents et jeunes déscolarisés. La régression logistique est utilisée pour identifier les facteurs qui influent sur la possession d’activité économique de ces derniers. Il ressort de ce travail que la majorité de ces adolescents et jeunes ont un niveau d’enseignement secondaire. La plupart d’entre eux sont formés en couture et en coiffure. Le commerce est la principale activité économique à laquelle ils s’adonnent. La plupart des célibataires parmi ces déscolarisés sont des hommes âgés de moins de 18 ans. Par contre la majorité des mariés parmi eux est constituée des femmes âgées de 18 à 24 ans et exercent plus dans le secteur tertiaire. Enfin ceux d’entre eux âgés de 18 à 24 ans, de sexe féminin, non célibataires et ayant reçu une formation professionnelle, sont ceux qui ont plus de chance d’avoir une activité économique.

Mots clés : niveau d’instruction,  activité économique,  formation professionnelle, adolescents et  jeunes,  déscolarisé

 

Introduction

La déscolarisation est présentée comme un problème social d’ordre mondial. En effet, le recueil des données mondiales sur l’éducation (UNESCO, 2012) nous révèle que 31 millions d’élèves sont déscolarisés dans le monde en 2010. En Afrique, 10 millions de déscolarisés sont enregistrés chaque année (soit 1/3 des cas dans le monde). En ce qui concerne le Bénin, le taux d’abandon est de 13,39 % (INSAE, 2012). Dans l’arrondissement central de la plus grande commune du Bénin, Tchaourou, l’École Nationale de Statistique de Planification et de Démographie (ENSPD) a réalisé en 2016 une enquête ayant pour thème : « Activités économiques, santé de la reproduction et scolarisation des adolescents et jeunes dans l’arrondissement central de Tchaourou » qui révèle que plus de 22 % des adolescents et jeunes sont déscolarisés. Parmi ces derniers, 41 % ont reçu une formation professionnelle et 52 % exercent une activité.

La définition du terme « déscolarisation » est complexe et fait appel à plusieurs facteurs à prendre en compte. Ainsi Esterle-Hédibel (2004, p. 202) pense que :

Le terme de déscolarisation, plus large, permet de reprendre plusieurs hypothèses concernant les processus qui amènent hors du système scolaire des jeunes de moins de 16 ans : (i) l’exclusion, non suivie de reprise dans un autre établissement; (ii) le décrochage progressif, signalé par un absentéisme important et grandissant; (iii) la rupture biographique (accident de santé, placement en institution spécialisée, errance liée à une modification de la configuration familiale, etc.).

Par ailleurs, ce terme définit « une situation ‘en creux’ (anomie, errance, disparition) : le fait de ne pas être ou de ne plus être scolarisé » (Proteau, 2003, p. 103, cité par Esterle-Hédibel, 2006, p. 43). D’un autre point de vue, l’Organisation Internationale de la Francophonie (2009, p. 14) définit la déscolarisation comme étant « le retrait de l’école d’un enfant en âge scolaire ». Les auteurs Geay et Meunier (2003) quant à eux définissent la déscolarisation comme étant « la situation objective de l’élève (arrêt de fréquentation), plutôt que par sa désignation comme telle par l’institution scolaire » (cités par Esterle-Hédibel, 2006, p. 44).

De toutes ces définitions, nous retenons dans notre cadre d’étude que la déscolarisation est la sortie, volontaire ou non, du système éducatif, d’un adolescent-jeune en âge scolaire.

Définition de quelques concepts

Niveau d’instruction 

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (1979), le niveau d’instruction d’une personne est celui qui correspond à la dernière année d’études accomplies ou au plus haut degré atteint ou suivi à son terme par cette personne dans le système d’enseignement ordinaire, d’éducation spéciale ou d’éducation d’adultes de son État d’origine ou d’un autre État. À notre niveau, nous retenons que le niveau d’instruction d’une personne est le degré d’études le plus élevé atteint par la personne. Autrement dit, dans notre cas, nous considérons le niveau d’instruction comme la dernière classe atteinte (par l’adolescent-jeune déscolarisé).

 

Formation professionnelle

D’après le Ministère de l’Éducation nationale de la France (2010), nous avons deux types de formations professionnelles : la formation professionnelle initiale et la formation professionnelle continue. La formation professionnelle initiale se fait suite à la formation générale et prépare les jeunes à s’insérer dans un emploi qualifié, d’ouvrier à ingénieur. Par contre, la formation professionnelle continue s’adresse à toutes les catégories d’adultes actifs, salariés, demandeurs d’emploi, fonctionnaires, travailleurs indépendants et chefs d’entreprise. Elle leur permet de renforcer ou d’acquérir un niveau de qualification reconnue. Dans les deux cas, nous pouvons retenir que la formation professionnelle est définie comme étant un ensemble d’acquisition de compétences et de connaissances dans un domaine spécifique. De même, selon F. de Lavergne (2012), la formation professionnelle « contribue à l’amélioration des connaissances et compétences destinées à enrichir les métiers et à améliorer les trajectoires professionnelles, au service du développement économique, de l’insertion dans le marché du travail et dans la société de la connaissance, comme elle est au service de l’apprentissage de l’autonomie et du développement des capacités sociales des personnes ». Nous retenons quant à nous que la formation professionnelle est un apprentissage, une acquisition de compétences et de connaissances nécessaires à l’exercice d’un métier à l’issue duquel est délivré un diplôme.

 

Activité économique

L’activité économique d’une unité de production est le processus qui conduit à la fabrication d’un produit ou à la mise à disposition d’un service (Institut National de la Statistique et des Études Économiques, 2016, France). D’après Le Goff (2013), « au sens du Bureau International de Travail, la définition de l’activité économique inclut la notion de subsistance d’une part, et la notion de production d’autre part. En premier lieu, l’activité économique inclut non seulement des activités orientées vers le marché, c’est-à-dire, dont le produit est susceptible de faire l’objet d’un échange, qu’il soit marchand ou non marchand, mais aussi des activités de production destinées à la consommation propre d’un individu (production hors marché). En second lieu, une activité sera considérée comme économique si le produit de cette activité peut être classé dans la nomenclature du système de comptabilité nationale (System of National Account) ».

Pour nous, l’activité économique est le travail exercé par une personne dans le but de produire ou de participer à la production des biens et des services économiques. La personne qui exerce une activité économique perçoit généralement en contrepartie de son activité une rémunération en espèce ou en nature.

 

Adolescent

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2017) considère que l’adolescence est la période de croissance et de développement humain qui se situe entre l’enfance et l’âge adulte, entre les âges de 10 et 19 ans. Nous prendrons ici comme définition d’adolescent, toute personne âgée de 12 à 19 ans.

 

Jeune

L’UNESCO utilise la définition universelle de l’Organisation des Nations Unies qui définit les jeunes comme étant les personnes âgées entre 15 et 24 ans. Nous maintenons cette définition de jeune : une personne dont l’âge est compris entre 15 et 24 ans.

 

Adolescent-jeune

Des deux définitions précédentes, nous retenons qu’un adolescent-jeune est une personne dont l’âge est compris entre 10 et 24 ans. Cependant, pour notre cas d’étude, nous considérons comme adolescents-jeunes, les individus d’âge compris entre 12 et 24 ans.

Bref revue de littérature sur la déscolarisation

Les rapports des recherches sur la déscolarisation ont permis d’identifier les conséquences et le devenir des déscolarisés une fois hors du système éducatif. De ces investigations, il ressort que la majorité des cas de déscolarisation a lieu au premier cycle de l’enseignement secondaire (Banque mondiale, 2015). N’ayant aucune qualification, les jeunes ayant rompu avec le système éducatif sont confrontés aux problèmes socioéconomiques et la majorité constitue une charge pour l’État (Janosz, 2000, p. 106).  De même les études réalisées par Hartnagel et Krahn (1989);

Gouvernement du Canada (1993); Orr (1987); Sewell et Hauser (1975); Steinberg, Blinde et Chanl (1984) aboutissent à la conclusion selon laquelle : « l’intégration socioprofessionnelle ainsi que l’accès à la formation professionnelle sont en majorité les difficultés auxquelles ils sont soumis » (cité par Janosz, 2000, p. 106-107). Lorsque la déscolarisation est non relative aux problèmes familiaux, elle conduit les jeunes aux risques de délinquance. Mais avant tout il est noté que le niveau de rupture des jeunes avec le système scolaire se situe entre le primaire et avant la fin du premier cycle du secondaire. Par ailleurs, le niveau d’instruction des parents influe sur la déscolarisation des enfants. Quant à la formation professionnelle, elle occupe une place de choix et pour les jeunes déscolarisés et pour leurs parents (OIF, 2009). Alors que la déscolarisation concerne davantage les filles en Afrique, ce sont plutôt les garçons qui en sont victimes en Europe et en Amérique (Fédération Wallonie-Bruxelles, 2013; Théorêt et Hrimech, 1999). Au Bénin, les jeunes déscolarisés se retrouvent dans la tranche d’âge de 15-19 ans. L’accès à la formation professionnelle ne semble pas difficile pour eux, contrairement à ce qui est remarqué dans les pays européens et américains. Un nombre non négligeable de ces derniers sont occupés comme aides familiaux et comme apprentis (Rapport final EMICoV, 2011 p. 39, Esterle-Hédibel, 2008, p. 7). Au Bénin, les personnes ayant abandonné l’école exercent une activité économique le plus souvent dans le commerce et la restauration, l’industrie et d’autres services (Rapport final EMICoV, 2011 p. 39).

Méthode

Source des données et population cible

Les données de cette étude sont issues de l’enquête réalisée par l’École Nationale de la Statistique, de la Planification et de la Démographie (ENSPD) du Bénin, sur le thème : « Activités économiques, santé de la reproduction et scolarisation des adolescents et jeunes dans l’arrondissement central de Tchaourou ». Notre étude s’intéresse à la population des adolescents-jeunes déscolarisés de l’arrondissement central de Tchaourou.

Échantillon

Un échantillonnage stratifié a été adopté pour cette étude suite à la définition de certaines caractéristiques de la population d’étude. Ainsi, l’échantillon est constitué de déscolarisés du primaire et du secondaire répartis dans les six villages /quartiers de villes de l’arrondissement central de Tchaourou. Ces déscolarisés ont été identifiés à partir des éléments de réponses obtenus dans la base de données de l’enquête. Il s’agit des adolescents-jeunes déscolarisés âgés de 12 à 24 ans de cet arrondissement. De cette base nous avons constitué un échantillon de 489 déscolarisés.

Outils statistiques d’analyse

Au terme de cette étude, des analyses univariée, bivariée et multivariée ont été réalisées. L’analyse univariée a consisté à produire des tableaux de fréquences, des camemberts et des diagrammes en bande pour la description des variables. L’analyse bivariée a permis d’étudier les comportements de deux variables l’une par rapport à l’autre. Elle a permis également de détecter d’éventuelles liaisons qui pourraient exister entre ces variables à travers le test d’indépendance de Khi-deux ou le test exact de Fisher. Quant à l’analyse multivariée, elle a porté sur l’Analyse des Correspondances Multiples (ACM) et sur la régression logistique. L’ACM est utilisée en vue d’affiner non seulement le profil des déscolarisés, mais aussi de les caractériser. Quant à la régression logistique, elle a été réalisée pour présenter les chances des déscolarisés à trouver ou se créer une activité économique.

Résultat et discussion

La population des déscolarisés représente 22 % de la population des adolescents et jeunes. La majorité de ces déscolarisés est composée d’individus de sexe féminin (78,48 %) et les hommes représentent 21,52 % de l’échantillon. Les individus de cette étude sont des adolescents et jeunes âgés en majorité de 18 à 24 ans (68,71 %); alors que 31,29 % ont moins de 18 ans. En ce qui concerne l’état matrimonial des enquêtés au moment de l’enquête, 46,76 % d’entre sont célibataires et 53,24 non célibataires.

De nos analyses, il ressort que la majorité (56,85 %) des cas de déscolarisés a lieu au premier cycle de l’enseignement secondaire. Un fait qui peut être traduit par les faibles taux de réussite et la non gratuité de l’enseignement secondaire comparativement au primaire.

Les résultats du test de Khi-deux montrent aussi qu’il n’y a pas d’association significative (p-value = 0,494>0,05) entre la variable « niveau d’instruction des déscolarisés » et la variable « niveau d’instruction de leurs parents/tuteurs » au seuil de 5 %. Ce dernier résultat peut s’expliquer par le fait que nous nous trouvons dans un milieu plus ou moins rural.

 

Tableau 1 : Niveau d’instruction des déscolarisés

Fréquences (%) Fréquences cumulées (%)
Primaire
CP1 0,82 0,82
CP2 3,07 3,89
CE1 3,68 7,57
CE2 7,98 15,54
CM1 11,86 27,4
CM2 15,75 43,15
Secondaire
6e 15,75 58,9
5e 15,34 74,23
4e 13,09 87,32
3e 12,68 100
Total 100

Source : Enquête ENSPD 2016

 

En ce qui concerne la formation professionnelle des déscolarisés étudiés, moins de la moitié (41,1 %) parmi eux a reçu une formation professionnelle. Ceux qui étaient en cours de formation professionnelle représentent 15,9 % et ceux qui n’ont reçu aucune formation représentent 43 % des effectifs au moment de l’enquête. Ainsi, l’artisanat est la principale catégorie de formation professionnelle à laquelle la majorité des déscolarisés s’intéresse. En effet, près de 90 % d’entre eux ayant reçu une formation professionnelle se trouvent dans cette catégorie avec la couture (50 %) et la coiffure (20 %) comme formations dominantes. Donc une fois hors du système éducatif, les déscolarisés se lancent majoritairement dans la formation professionnelle contrairement à ce qu’ont trouvé la Fédération Wallonie-Bruxelles (2013) et Esterle-Hédibel (2008) dans leurs enquêtes. Le mouvement massif de ces déscolarisés vers les formations professionnelles pourrait s’expliquer par le fait que la déscolarisation de la majorité d’entre eux résulterait de la volonté des parents à placer leurs enfants en apprentissage, car ne disposant pas de moyens suffisant pour la poursuite de leur scolarité. Quant au contraste de nos résultats avec ceux de la Fédération Wallonie-Bruxelles (2013) et d’Esterle-Hédibel (2008), il serait dû au fait que les niveaux de développement des régions d’étude diffèrent ou qu’ailleurs, l’accès à une formation professionnelle est plus exigeant. Toutefois, parmi les 41,1 % qui ont reçu une formation professionnelle, 42 % disposent d’un diplôme après la formation. L’analyse entre la catégorie de formation professionnelle des déscolarisés et leur niveau d’instruction montre que la majorité des déscolarisés qui reçoivent une formation professionnelle après l’école sont du niveau primaire (près de 61,69 %). L’analyse des données permet de constater aussi que les milieux ruraux génèrent moins de déscolarisés formés; et que la quasi-totalité des individus formés dans ces milieux exercent dans l’artisanat.

 

Graphique 1 : Répartition (en %) des déscolarisés par catégorie de formation professionnelle

Source : Nos travaux à partir des données de l’Enquête ENSPD 2016

 

Quant à l’activité économique des adolescents et jeunes déscolarisés, sur les 489 déscolarisés, 432 sont actifs[1] (soit environ 90,39 %). Plus de la moitié des adolescents et jeunes déscolarisés actifs de l’arrondissement central de Tchaourou sont occupés. Ainsi, le taux d’activité de ces derniers s’élève à 54 %. Ce taux est relativement plus élevé dans les milieux plus ruraux que dans les semi-ruraux. Le test de Khi deux confirme (au seuil de 5 %) que l’occupation des jeunes par une activité économique dépend de leur secteur de résidence (p-value = 0,037<0,05). Cet état de choses serait dû au fait que dans les milieux ruraux ceux qui ne se lancent pas en formation professionnelle se cherchent automatiquement une activité économique à faire. L’activité économique des adolescents et jeunes déscolarisés de l’arrondissement central de Tchaourou est concentrée dans le secteur tertiaire (56 %). La représentation considérable de ce secteur est liée à la contribution importante du commerce (46,61 %) dans le secteur. En ce qui concerne le secteur secondaire (38 %), il doit son importance à l’artisanat avec plus de 36 % de contribution. Par contre le secteur primaire majoritairement constitué de l’agriculture est le moins intéressant pour ces adolescents et jeunes. Ce constat confirme le fait que les zones rurales sont moins attractives pour les jeunes, entrainant ainsi leur exode vers les milieux urbains. La consistance du taux du secteur tertiaire grâce particulièrement au développement du commerce peut trouver son explication ou justification dans la proximité de la zone d’étude avec le « géant » Nigeria industrialisé et pourvoyeurs d’articles de toutes sortes pour la vente.

 

Graphique 2 : La répartition (en %) des déscolarisés par secteur d’activité  

Source : Nos travaux à partir des données de l’Enquête ENSPD 2016

 

L’analyse réalisée entre l’activité économique des déscolarisés et celle de leurs parents ou tuteurs révèle qu’il n’y a pas une association entre l’activité qu’exerce le déscolarisés et celle de ses parents ou tuteurs (test exact de Fisher, p-value > 0,069).

L’analyse différentielle selon le sexe révèle que le niveau d’instruction des déscolarisés ne dépend pas du sexe (test de Khi-deux ; p-value = 0,531>0,05). Par contre nous avons une association significative entre le sexe des déscolarisés et leur formation professionnelle (p-value=0,000<0,05). En effet, nous avons près de 96 % des adolescents et jeunes déscolarisés de sexe féminin formés dans l’artisanat contre 73,17 % chez leurs pairs de l’autre sexe. Mais pour ce qui est de leur occupation, il n’y a pas de dépendance entre l’occupation des déscolarisés et leur sexe (p-value=0,934>0,05). Pourtant, d’après le rapport final d’EMICoV (2011), tel n’est pas le cas : les jeunes femmes sont plus occupées que les jeunes hommes (60,7 % contre 57,6 %). Pour ce qui est de leurs activités économiques, elles sont significativement associées au sexe (test exact de Fisher ; p-value=0,000<0,05). Ainsi, la majorité des femmes déscolarisées est plus attirée par le commerce que celle des hommes (57,38 % contre 9,92 %). Cela peut s’expliquer par le fait que dans nos sociétés, les opérations de vente (et d’achat) dans les marchés, dans les rues et dans les boutiques sont plus l’apanage des femmes. Quant aux hommes, ils sont plus intéressés par l’artisanat que les femmes. Nous avons plus de 48 % d’entre eux contre 32,24 % chez leurs homologues de l’autre sexe dans cette activité.

 

L’analyse par rapport à l’âge révèle que la tranche d’âge n’influence pas significativement la catégorie de formations professionnelles, ni le secteur d’activité du déscolarisé au seuil de 5 % (test exact de Fisher; p-value = 0,246>0,05; p-value = 0,1681>0,05; respectivement). Effectivement, quelle que soit l’appartenance des déscolarisés à une tranche d’âge donnée, la plupart d’entre eux se retrouvent fortement dans l’artisanat.

Quant à l’état matrimoniale, les résultats de l’analyse des données montrent que le niveau d’instruction des déscolarisés de l’Arrondissement Central de Tchaourou est associé significativement à leur situation matrimoniale au seuil de 5 % (test de Khi deux ; P-value = 0,002<0,05). La majorité parmi les mariés a le niveau du secondaire (plus de 56 %). Cela peut être dû au fait que ces mariés ont été surpris par leur âge (élevé) pendant qu’ils fréquentaient le secondaire (pour les filles surtout), ce qui a favorisé leur entrée en mariage. De même l’état matrimonial des déscolarisés est significativement associé au seuil de 5 % (p-value = 0,000<0,05) à leurs activités économiques. Il est constaté que plus de la moitié des mariés sont occupés. Particulièrement chez les monogames, plus de trois sur cinq ont une occupation contre 56,94 % chez les polygames. Chez les célibataires, par contre, seulement un peu plus de quatre sur neuf ont une occupation. L’occupation des déscolarisés mariés est certainement due au fait qu’ils ont une famille à charge. Ainsi, l’activité économique du déscolarisé dépend significativement de sa situation matrimoniale (test exact de Fisher; p-value = 0,007<0,05). Parmi les déscolarisés mariés, plus d’un sur deux est commerçant. En ce qui concerne les déscolarisés célibataires, près de quatre sur dix sont artisans; tandis que pour les mariés l’artisanat constitue un second choix d’activité économique.

L’Analyse des Correspondances Multiples révèle que les adolescents et jeunes déscolarisés de l’arrondissement central de Tchaourou âgés de moins de 18 ans (12 à 17 ans) sont pour la plupart célibataires et majoritairement de sexe masculin. Par contre, ceux d’entre eux qui sont âgés de 18 à 24 ans sont non célibataires et exercent dans le secteur tertiaire.

Lorsque nous nous intéressons aux rapports de chances de ces déscolarisés quant à exercer une activité économique, nous nous rendons compte que les déscolarisés en cours de formation ont 12,5 fois moins de chance d’exercer une activité économique que ceux qui en ont déjà reçue une. Le déscolarisé de niveau d’instruction secondaire a 1,49 fois moins de chance d’exercer une activité économique que celui qui a le niveau primaire. Cette chance est 3,7 fois moins grande pour un individu de sexe masculin que pour un individu de sexe féminin. Par contre les individus de la tranche d’âge 18 à 24 ans ont 11,21 fois plus de chance d’exercer une activité économique que leurs pairs de la tranche d’âge 12 à 17 ans. De même, un déscolarisé non célibataire a 7,72 fois plus de chance d’exercer une activité économique qu’un célibataire.

Conclusion

L’étude a porté sur le devenir des déscolarisés une fois sortis du système éducatif dans l’arrondissement central de Tchaourou. Elle s’est intéressée à leur niveau d’instruction, leurs formations professionnelles ainsi qu’aux activités économiques auxquelles ils s’adonnent. Elle s’est également intéressée à l’analyse des interrelations existant entre leur niveau d’instruction et celui de leurs parents/tuteurs. Enfin, elle s’est attachée à la vérification d’une liaison éventuelle entre leurs activités économiques et celles de leurs parents/tuteurs. Pour y parvenir, ce travail s’est appuyé sur les données issues de l’enquête réalisée en 2016 par l’École Nationale de la Statistique de la Planification et de la Démographie (ENSPD) portant sur le thème : « Activités économiques, santé de la reproduction et scolarisation des adolescents et jeunes dans l’arrondissement central de Tchaourou».

De cette étude, nous pouvons retenir que le niveau d’instruction ne dépend pas du sexe de l’adolescent-jeune déscolarisé, mais qu’il est directement lié à sa tranche d’âge et à son état matrimonial. La tranche d’âge de 12 à 17 ans est dominée par les individus qui ont un niveau primaire et celle de 18 à 24 ans est composée majoritairement de ceux qui ont atteint le niveau secondaire. En ce qui concerne la situation matrimoniale, les individus de niveau primaire sont moins mariés que ceux de niveau secondaire. Quant à l’activité économique, elle est associée au sexe du déscolarisé ainsi qu’à sa situation matrimoniale. que les hommes exercent le plus souvent dans l’artisanat (48 %) et dans l’agriculture (17 %), les femmes exercent davantage dans le commerce (57 %) et un peu dans l’artisanat (32 %). Quant à la formation professionnelle, elle dépend uniquement du sexe. Les hommes sont non seulement formés dans l’artisanat (73 %), mais aussi dans le secteur des services (27 %). Quant aux femmes, la quasi-totalité (96 %) est formée dans l’artisanat.

Nous retenons également que les adolescents et jeunes déscolarisés de l’arrondissement central de Tchaourou âgés de moins de 18 ans (12 à 17 ans) sont célibataires et sont plutôt des individus de sexe masculin. Par contre ceux âgés de 18 à 24 ans sont non célibataires et exercent dans le secteur tertiaire. Quant à ceux qui sont formés hors de l’artisanat, ils présentent des caractéristiques complètement différentes des autres.

L’analyse issue des estimations des régressions apporte d’une manière ou d’une autre une confirmation de ce qui est observé plus haut et de nouvelles informations. Ainsi, dans la population des déscolarisés de l’arrondissement central de Tchaourou, le fait qu’un individu soit de sexe féminin ou qu’il ait un niveau d’instruction primaire, ou qu’il soit non célibataire ou âgé (de 20 à 24 ans) augmente la probabilité qu’il ait une activité économique.

Cette étude ouvre une piste de recherche par rapport à une démarcation entre les activités économiques et les formations professionnelles des non instruits et celles des déscolarisés. Cette perspective de recherche fera l’objet de notre étude future sur la déscolarisation.

ANNEXE

Tableau: Récapitulatif des résultats issus de la modélisation de possession d’activité économique du déscolarisé

Variables Coefficients
Erreurs types
p-value Odds Ratios Effets Marginaux
Réception de formation professionnelle
Oui Référence
Non -0,354 0,383 0,356 0,70 -0,09
En cours -2,594 0,402 0,000 0,08 -0,56
Niveau d’instruction
Primaire Référence
Secondaire -0,398 0,288 0,167 0,67 -0,1
Sexe
Féminin Référence
Masculin -1,301 0,373 0,000 0,27 -0,31
Tranche d’âge
12-17 ans Référence
18-24 ans 2,417 0,343 0,000 11,21 0,52
Situation matrimoniale
Célibataire Référence
Non célibataire 2,049 0,322 0,000 7,72 0,47
Log likelihood = -167,60622
LR Chi2(6) = 2197,06
Prob> Chi2 = 0,0000
Pseudo R2 = 0,3952
Correctly classified = 78,25 %
Area under ROC curve = 0,8827
Nombre d’observations = 400

Source : Nos calculs à partir des données de l’Enquête ENSPD 2016.

 

Références bibliographiques

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  1. actifs : sont appelés actifs ici, les individus de l’échantillon âgés d’au moins 15 ans.

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Tchaourou, une commune béninoise Droit d'auteur © 2017 par Alassane Gbadamassi est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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