Libre accès aux ressources scientifiques
7 La fracture numérique nuit-elle aux possibles effets positifs du libre accès en Afrique? Essai d’analyse et éléments de réponse
Samir Hachani
Introduction
Le mouvement du libre accès à l’information scientifique et technique a accompli de notables avancées depuis les premières expériences du début des années 1990. Les raisons ayant précipité son avènement sont multiples, mais peuvent être résumées en deux grandes occurrences pratiquement simultanées : la crise du prix des revues scientifiques, ainsi que la démocratisation accrue d’Internet. Ces deux événements conjoints ont permis le succès d’un mouvement sans cesse en progression. Les chercheurs pionniers veulent ainsi « libérer » les produits de la recherche du joug des éditeurs commerciaux (Elsevier, Taylor and Francis, Sage, etc.) qui font des profits astronomiques.
Les premières manifestations de ce mouvement ont toutes eu lieu en Occident, vu la prépondérance et le degré de développement de ces pays en la matière. Ce sont surtout les pays en développement, particulièrement ceux d’Afrique, qui, en principe, devraient profiter de cette manne informationnelle mettant à la portée des chercheurs et chercheuses les produits de la recherche scientifique mondiale. Mais cela n’est possible qu’avec un accès à une connexion Internet abordable, sûre et stable. Est-ce que la fracture numérique mondiale permet cette utopie?
Le sujet de la fracture numérique et de la différence entre les pays développés et ceux en voie de développement a été largement abordé dans la littérature scientifique. Ainsi, Hunter (2002) suggère de prendre en compte les spécificités locales des économies qui reçoivent de l’aide avant de les pousser vers les technologies numériques. Abordant le thème de la fracture numérique entre pays et à l’intérieur d’un même pays, Chen et Wellman (2004) estiment que les coûts élevés, la domination de la langue anglaise, l’absence de contenus et de supports technologiques appropriés sont des barrières pour les communautés défavorisées dans leur utilisation de l’ordinateur et d’Internet. Bien que la fracture tende à rétrécir, il n’en demeure pas moins que les communautés ne sont pas tous égales devant le virage numérique. Bagchi (2005) propose de nouveaux indicateurs différents de ceux habituellement utilisés (Internet, ordinateur, téléphonie mobile, téléphonie fixe) pour expliquer la persistance de la fracture numérique. Aux États-Unis, un rapport du Department of Commerce (National Telecommunications and Information Administration, 1995) identifia les disparités d’accès au numérique entre les zones rurales et les villes centrales. Dans une recherche menée dans 13 pays africains et 12 pays latino-américains entre 2005 et 2008 qui explorait les liens entre l’outil technologique et les femmes, Hilbert (2011) conteste l’idée selon laquelle ces dernières seraient technophobes alors que les hommes seraient de meilleurs utilisateurs d’outils numériques. Il montre que le fait que moins de femmes aient accès aux outils numériqus est le résultat direct de leurs conditions défavorables relatives à l’instruction, au niveau de revenu et à l’emploi. Quant ces variables sont contrôlées, les femmes s’avèrent être des utilisatrices plus actives des outils numériques que les hommes. Enfin, Fong (2005) évalue l’impact des TIC par quatre indicateurs (Internet, téléphonie fixe, téléphonie mobile et ordinateur) sur le Revenu National Brut des pays en développement. Elle trouva une forte corrélation pour les trois indicateurs (téléphonie fixe, téléphonie mobile et ordinateur) mais pas pour l’accès à Internet. Fong identifie aussi les facteurs que les pays en développement doivent considérer dans l’adoption et l’application des TIC pour le développement économique.
Le rêve que tout le monde soit à portée de clic n’est-il pas compromis par la situation économique défavorable des pays en développement, et plus particulièrement en Afrique? Les programmes d’aide aux pays des Suds, en particulier en Afrique, peuvent-ils être appliqués sans Internet? La question principale de ce chapitre est la suivante : est-ce que les avantages du libre accès sont annulés, dans les pays des Suds et particulièrement en Afrique, par la fracture numérique?
Progression de l’accès au web dans le monde
Il va sans dire que le libre accès n’aurait pas pu démarrer si Internet n’existait pas. En effet, Internet, après avoir été un outil militaire, puis universitaire, est devenu le phénomène planétaire que nous connaissons de nos jours : un outil qui gère et conditionne la vie de tous les jours dans les pays du Nord et dans les pays émergents. Son utilisation augmente de manière exponentielle si bien que presque la moitié de la planète est maintenant connectée, comme le montre le tableau suivant.
Ces chiffres démontrent de manière très claire l’étendue de la pénétration d’Internet, surtout dans les pays du Nord : l’Europe et l’Amérique du Nord représentent 26 % de la population mondiale connectée, alors que l’Afrique n’en représente que 9 %. Malgré ces différences, que nous aborderons plus explicitement plus loin, la progression d’Internet est fulgurante, comme le montre le tableau ci-dessous.
Progression du libre accès dans le monde
De leur côté, les deux voies du libre accès (les revues en libre accès ou les archives institutionnelles ouvertes) ont elles aussi enregistré une évolution des plus remarquables, un progrès similaire à celui d’Internet. Pour en arriver à ce constat, j’ai utilisé quatre sources incontournables de données :
- The Registry of Open Access Repositories (ROAR)[1]
- The Directory of Open Access Repositories (DOAR)[2]
- The Directory of Open Access Journals (DOAJ)[3]
- African Journals Online (AJOL)[4]
Ces quatre sites de référence offrent des données sur la progression du nombre d’archives ouvertes dans le monde (ROAR et DOAR) et du nombre revues en libre accès dans le monde (DOAJ) ou en Afrique (AJOL).
The Registry of Open Access Repositories : répertoire des archives numériques (voie verte)
Le 12 décembre 2016, ROAR recensait 4 366 archives ouvertes institutionnelles ou disciplinaires. Leur nombre a sans cesse progressé depuis 1991, passant de 2 à 4 366, malgré une augmentation plutôt faible pendant les premières années. La majorité des archives sont toutefois situées dans l’hémisphère Nord : plus du tiers en Europe et environ 1/5 en Amérique du Nord. L’Afrique, quant à elle, ne recèle que 3 % de l’ensemble des archives.
The Directory of Open Access Repositories – DOAR : deuxième répertoire des archives numériques (voie verte)
Le 12 décembre 2016, DOAR comptait 3 284 archives ouvertes dont 85 % de type institutionnel. Le site a démarré modestement en 2005 et a sans cesse augmenté son nombre d’archives répertoriées, comme le graphe suivant le montre :
À l’instar de ROAR, DOAR montre une claire hégémonie des pays de l’hémisphère Nord. Ainsi, l’Europe représente 45 % du total avec 1 439 archives, l’Amérique du Nord représente 18 % du total avec 582 archives, tandis que l’Asie représente 20 % du total avec 635 archives. L’Afrique ne possède que 140 archives, ce qui représente un maigre 4 %.
Comme on peut le voir, la voie des archives numériques ouvertes (ou voie verte) est dominée par les pays de l’hémisphère Nord. L’Afrique est distancée – et pratiquement absente – dans les statistiques, au point où le Royaume-Uni possède pratiquement le double (245) et les États-Unis presque le triple (478), comparativement à l’Afrique.
The Directory of Open Access Journals (DOAJ) : répertoire des revues en libre accès (la voie dorée)
Si la voie verte se caractérise par une quasi-domination des pays du Nord, qu’en est-il de la voie dorée, celle des revues en libre accès? La référence en la matière est The Directory of Open Access Journals (DOAJ) qui recense toutes les revues électroniques en libre accès au niveau international.
Le 12 décembre 2016, le DOAJ recensait 9 412 revues provenant de 128 pays, pour un total de 2 378 309 articles. Contrairement aux archives en libre accès où l’Afrique n’est que faiblement présente, les revues en libre accès répertoriées dans DOAJ signalent la présence de l’Égypte dans le top 4, avec 577 titres, ce qui représente 6 % de l’ensemble des journaux. L’Égypte n’est précédée dans ce classement que par le Brésil, le Royaume-Uni et les États-Unis, avec respectivement 885, 756 et 674 titres. L’Afrique du Sud se classe à la 31e position avec 60 titres. Quant au Nigéria, il se classe en 58e position avec 18 titres. Ces statistiques plus que respectables pour l’Afrique, surtout celles de l’Égypte, doivent cependant être nuancées par le fait que la position de l’Égypte est due à la présence de Hindawi Publishing Corporation dont la plupart des journaux pratiquent des frais de publication aux auteurs qui varient entre 400 $ et 2 250 $.
African Journal Online (AJOL)
AJOL est un site sud-africain de revues universitaires dont le but est de faire connaître la science africaine aux autres Africains ainsi qu’au reste du monde. Ce site veut inverser l’orientation de la science qui a toujours été du Nord vers le Sud et de l’Ouest vers l’Est. AJOL veut, de ce fait, faire connaître la science africaine surtout en dehors d’Afrique. Pour ce faire, le site agrège, au 12 décembre 2016, 520 titres dont 213 sont en libre accès. Ces 520 titres proviennent de 32 pays, mais l’immense majorité provient du Nigéria (219 titres) et de l’Afrique du Sud (95 titres) qui à eux seuls cumulent 60 % des titres. On remarque que l’Égypte, pourtant 4e au classement mondial avec 577 titres dans DOAJ, n’a que 14 titres dans AJOL dont 7 sont en libre accès. Il est à remarquer qu’AJOL impose un paiement basé sur la classification de la Banque Mondiale pour ses revues non libres d’accès, tel que résumé dans le tableau qui suit :
La fracture numérique : une réalité bien présente
La fracture numérique est une ligne de rupture symbolique, le tracé d’un clivage entre d’une part les individus ou groupes sociaux qui sont – ou se sentent – bien intégrés à la société de l’information, d’autre part ceux qui sont – ou se sentent – exclus de cette société (Voloz 2010).
Originellement, le concept de fracture numérique fut évoqué par Donald Maintland en 1985 (Union Internationale des Télécommunications (UIT), 1985). Il remarquait déjà à l’époque que sur « environ 600 millions de [ligne de] téléphones [fixes] dans le monde, […] 75 % étaient concentrées dans neuf pays industrialisés avancés ». Si ces chiffres paraissent ridicules maintenant que le nombre d’abonnement aux téléphones portables a dépassé le nombre d’habitants dans le monde en 2015 (La Tribune 2014), il n’en demeure pas moins que la fracture existe depuis longtemps entre l’hémisphère Nord et les pays des Suds. Comment calculer cette fracture numérique? Sept indicateurs sont utilisés pour déterminer le degré d’intégration des TIC dans un pays ou une région.
1. Abonnement aux lignes fixes
Les abonnements aux lignes fixes sont plus répandus dans les pays en développement que dans les pays développés. Ceci s’expliquerait par le fait que la téléphonie fixe est assez ancienne et par un phénomène de rattrapage, les pays en développement ayant récemment comblé leur retard et même dépassé les pays développés. Il y aurait ainsi, entre 2005 et 2013, entre 570 et 520 millions de lignes fixes pour les pays développés et entre 673 et 652 millions dans les pays en développement (statistiques de l’UIT). On remarque que les statistiques pour les deux groupes baissent depuis l’arrivée de la téléphonie mobile. La tendance qui semble se confirmer est un lent, progressif, mais inéluctable remplacement des lignes fixes par la téléphonie cellulaire.
2. Abonnements aux téléphones cellulaires mobiles
Les abonnements aux téléphones cellulaires mobiles ont connu ces dernières années une explosion des plus remarquables. Outil d’abord réservé aux plus nantis, le téléphone cellulaire a pratiquement envahi la planète au point où le nombre de personnes avec une ligne cellulaire a dépassé la population mondiale (Cuny). La cadence de l’augmentation est toutefois beaucoup plus lente dans l’hémisphère Nord, en raison d’un phénomène de rattrapage (par les Suds) et de congestion (au Nord). Ainsi, entre 2005 et 2013, les Suds sont passés de 1 213 000 000 lignes mobiles à 5 777 000 000 lignes, soit une augmentation de 476 % et une moyenne de 40 % d’augmentation annuelle. Quant aux pays développés, l’augmentation est beaucoup moins spectaculaire : le nombre de lignes est passé de 992 000 000 à 1 600 000 000, soit une augmentation de 62 %. Le taux de pénétration de cette technologie est complètement différent, celui des pays développés affichant un nombre autrement plus élevé que celui des pays en développement. Pour les pays développés, il passe de 82,1 % en 2005 à 126,7 % en 2016 et, pour les pays en développement, de 22,9 % en 2005 à 94,1 % en 2013. Il est à signaler que le taux de pénétration mondial a quant à lui a atteint presque les 100 % (99,7 %).
3. Abonnement à haut débit fixe
Un accès Internet à haut débit (ou à large bande) est un accès à Internet qui se fait à un débit supérieur à celui des accès par modem. Il est défini par l’UIT comme un débit supérieur ou égal à 256 kilobits par seconde. Dans les pays en développement, il est très rare, que ce soit en nombre d’abonnés ou en taux de pénétration. Il s’établit comme suit : de 71 millions d’abonnements en 2005, il atteint 504 millions en 2016. Dans les pays développés, le nombre d’abonnements de ce type était de 148 millions en 2005 et il culmine à 380 millions en 2016. Les taux de pénétration quant à eux s’établissent comme suit : ils passent de 12,3 % en 2005 à 30,1 % en 2016 pour les pays développés et de 1,3 % en 2005 à 8,2 % en 2016 pour les pays en développement. Le phénomène observé pour les trois indicateurs précédents est observé : rattrapage et même dépassement en nombre, mais grand écart dans le taux de pénétration.
4. Accès mobile à Internet
L’Internet mobile est beaucoup plus récent et date du début des années 2010. Il a été rendu possible par la commercialisation de smartphones et de tablettes équipés d’écrans haute définition et d’accès aux réseaux mobiles 3G et 4G. Même si les statistiques de l’UIT ne commencent qu’à partir de 2007, la même tendance se manifeste : une lente et constante progression de la part des pays développés qui passent de 225 millions d’utilisateurs en 2007 pour terminer à 1 milliard 540 millions en 2013, alors que les pays en développement affichent des débuts très discrets avec 43 millions d’utilisateurs pour ensuite observer une augmentation régulière qui leur permet non seulement de rattraper les pays développés, mais aussi de les dépasser dès 2013 au point où, en 2016, le nombre d’utilisateurs dans les pays en développement représente 220 % de ceux dans les pays développés. Ces bonnes performances doivent cependant être jugées à l’aune du taux de pénétration qui révèle toute la différence entre les pays développés et ceux en développement. Ainsi, le taux de pénétration était en 2007 de 0,8 % pour les pays en développement et de 40,9 % en 2016. À la même période, le taux de pénétration des pays développés était de 18,5 % en 2007 pour terminer à 90,3 % en 2016. C’est toujours la même tendance : une augmentation exponentielle pour les pays en développement du point de vue des nombres, mais qui ne se matérialise pas dans les taux de pénétration.
5. Ménages avec ordinateur
Cet indicateur calcule le nombre de ménages possédant un ordinateur. Les chiffres donnés n’incluent pas le nombre de ménages qui possèdent un ordinateur, mais plutôt le taux des ménages avec un ordinateur à la maison. Contrairement aux statistiques précédentes, les pays en développement ne semblent pas avoir un taux très encourageant, car il se situe entre à 14,6 % en 2005 pour terminer à 35,2 % en 2016. Dans les pays développés, ce taux est de 55,5 % en 2005 et de 82,4 % en 2016. Cette exception dans la tendance au rattrapage que nous avons vue pour les indicateurs précédents semble être liée à la situation économique de ces pays. En effet, si les prix des ordinateurs ont sensiblement baissé depuis les premiers modèles, il n’en demeure pas moins que leur prix est prohibitif pour l’immense majorité des habitants des pays en développement.
6. Ménages avec accès Internet à la maison
L’accès à Internet à la maison est un autre indicateur qui entre en ligne de compte pour calculer le degré d’inclusion dans la société de l’information. Les statistiques de l’UIT donnent les chiffres suivants : un taux de pénétration qui démarre à 55,5 % en 2005 et se termine à 82,4 % en 2016 pour les pays développés. Les pays en développement, quant à eux, affichent un taux bien moins élevé : 14,6 % en 2005 et 35,2 % en 2016.
7. Individus utilisant Internet
Cet indicateur calcule le nombre de personnes connectées par rapport à la population générale. On observe le même phénomène que dans les précédents indicateurs : une forte propension des pays en développement à rattraper le retard, mais un faible taux de pénétration comparé à celui des pays développés. Le nombre de personnes connectées était de 616 millions en 2005 et a atteint les 1 023 000 0000 en 2016 dans les pays développés, alors que pour les pays en voie de développement, il était de 408 millions en 2005 pour culminer à 2 465 000 000 en 2016. Pour ce qui est du taux de pénétration, il s’établit à 50,9 % en 2005 pour terminer à 81 % pour les pays développés et il passe de 7,8 % en 2005 pour arriver à 40,1 % pour les pays en développement.
L’analyse de ces sept indicateurs de l’UIT révèle d’intéressantes perspectives pour les pays en développement, notamment un effort de la part de ces pays pour faire des TIC des leviers de développement.
ICT Facts and Figures 2016 : les statistiques les plus récentes
Dans cette brochure, l’UIT dévoile non seulement les dernières statistiques en matière de TIC, mais aussi les différents buts fixés par la communauté internationale pour permettre au plus grand nombre d’accéder aux différents services de télécommunication. Ainsi, on apprend que :
- 95 % de la population mondiale est couverte par les services de la téléphonie cellulaire.
- 84 % de la population mondiale est couverte par l’accès mobile à Internet (3G et +), mais seulement 67 % en zone rurale.
- La norme LTE (technologie de réseaux mobiles 4G) couvre 53 % de la population mondiale.
- Il existe une fracture numérique entre les sexes : les hommes sont plus connectés que les femmes, et ce, dans toutes les régions du monde.
- Plus de la moitié de la population mondiale n’est pas connectée (dont une grande partie de l’Afrique), une donnée que traduit la carte suivante :
Le prix de l’accès aux TIC est le plus grand problème, car il est trop cher pour les pays en développement alors que ses prix continuent de baisser ailleurs. En 2011, la Commission des Nations Unies sur le Haut Débit a défini les objectifs suivants : « le niveau de base du haut débit doit devenir abordable dans les pays en développement à travers une régulation adéquate et les forces du marché (équivaloir à – 5 % du revenu mensuel moyen) ». Malheureusement, tel que le montre la figure suivante, non seulement cet objectif n’a pas été atteint, mais ce sont les pays développés qui bénéficient de meilleurs prix pour le haut débit par rapport au revenu mensuel moyen. On remarque, par exemple, que le prix moyen de connexion par rapport au revenu mensuel moyen est de plus en plus cher dans les pays les plus pauvres et de plus en plus abordable dans les pays développés. Cette injustice est à la base de la fracture numérique mondiale.
Ces statistiques émanant d’une organisation internationale respectée sur le sujet nous montrent le grand écart qui sépare le monde développé et le monde en voie de développement et surtout les pays qu’on appelle hélas les Pays les Moins Avancés (PMA). Ils peinent à assurer le minimum et se voient de ce fait distancés par les pays développés et les pays en voie de développement.
La bande passante et le taux de pénétration d’Internet : une fracture plus profonde pour les Pays les Moins Avancés
Les 48 pays les moins avancés économiquement (selon les critères de l’Organisation des Nations Unies) souffrent clairement d’une faiblesse dans l’accès à l’information. Parmi les indicateurs intéressants, j’ai retenu d’abord celui de la vitesse de la bande passante (aussi bien ascendante que descendante ou download et upload) qui indique la vitesse à laquelle l’information est reçue et envoyée par Internet. L’un des sites les plus complets en la matière est testmy.net qui donne les débits ascendant et descendant de 236 pays. J’ai analysé les données des 48 pays les moins avancés et constaté qu’elles confirment leur extrême indigence en matière d’accès à l’information. En effet, les débits de certains pays sont tellement faibles qu’il est presque impossible de se connecter. À titre d’exemple, le débit ascendant et descendant au Niger est de 1,4 Mbit/s et de 831 kbit/s alors que dans certains pays du Nord, on parle déjà de l’ultra-haut débit qui peut atteindre jusqu’à 100 Gbit/s. Ces débits ne donnent pas accès à une connexion décente et ne sont pas à même de permettre aux chercheurs et chercheuses de ces pays de profiter des bienfaits du libre accès.
Si la bande passante est un obstacle à l’accès à l’information, car la vitesse de transmission est importante pour bénéficier des bienfaits du libre accès, un autre indicateur très important est le taux de pénétration, c’est-à-dire le nombre de personnes connectées par rapport à la population en général. Alors que le taux de pénétration mondial est de 49,2 %, il n’est en Afrique que de 28,6 %; l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Océanie affichent respectivement des taux de 89 %, 73,9 % et 73,6 %. Ce taux de 28,6 % pour l’Afrique est assez trompeur, car certains pays (Kenya, Ile Maurice et Maroc, avec des taux de 60 % et plus) le tirent vers le haut. Ce taux est de 57 % au Sénégal, 12,2 % en Haïti, 11,5 % au Bénin, 9,7 % au Burkina Faso, 7 % au Mali, 5,7 % au Togo, 4,7 % au Burundi, 3,3 % au Tchad, 3,8 % en République démocratique et 2 % au Niger… La moyenne des taux de pénétration dans les pays les moins avancés est à 15,6 %. Cette donnée résume en elle-même les difficultés pratiquement insurmontables de certains pays pour accéder à l’information sur Internet.
Le libre accès dans les pays les moins avancés : une confirmation de l’influence de la fracture numérique?
Après avoir examiné ces statistiques qui indiquent toutes une grande faiblesse de l’accès à Internet dans les pays les moins avancés, notamment en Afrique, examinons leur présence dans les différents répertoires du libre accès présentés plus haut. Cette comparaison pourrait confirmer l’hypothèse selon laquelle la fracture numérique dont souffrent les pays les moins avancés en Afrique influe négativement sur leur performance dans le monde du libre accès.
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The Registry of Open Access Repositories (ROAR)
La présence des pays les moins avancés (en Afrique et sur d’autres continents) dans ROAR est des plus faibles : 45 archives.
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The Directory of Open Access Repositories – OpenDOAR
La présence de ces pays s’y résume à 33 archives.
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The Directory of Open Access Journals (DOAJ)
Le nombre de revues des pays des Suds dans le DOAJ est un peu biaisée par la présence de l’éditeur scientifique égyptien Hindawi Publishing Corporation, avec ses 577 titres qui boostent le classement et qui le placent dans le top 4 des éditeurs mondiaux. Cette présence est cependant nuancée par la politique des APC (frais demandés aux auteurs par certaines revues en libre accès : Author Processing Charges) pratiquée par cet éditeur qui nuit à la publication en libre accès. Les pays les moins avancés n’enregistrent que 44 titres dans le site.
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African Journal On Line (AJOL)
AJOL est le site de référence des revues scientifiques africaines. Il recense 517 titres dont la plupart (plus de 60 %) sont du Nigéria ou d’Afrique du Sud. Quant aux pays africains les moins avancés, seuls 90 titres leur appartiennent.
Ces données confirment l’hypothèse que la fracture numérique entraîne un dysfonctionnement dans le libre accès et dans l’accès aux bienfaits qu’il peut engendrer pour ces pays. Une dernière analyse m’a permis de constater que les pays complètement absents des quatre sites de référence du libre accès sont aussi ceux qui ont les plus bas taux de pénétration et la plus faible bande passante.
Conclusion
Mon analyse de plusieurs bases de données statistiques concernant la situation numérique des pays des Suds en général et d’Afrique subsaharienne en particulier a fait ressortir des dysfonctionnements dans la gestion d’Internet et de l’accès au web qui nuisent implacablement à l’épanouissement du libre accès dans ces pays, quelles qu’en soient les causes. Le libre accès peut pourtant constituer pour l’Afrique une opportunité inédite pour se réapproprier le levier de l’information aux fins du développement durable. Heureusement, le projet SOHA renforce les capacités de centaines de jeunes étudiants et étudiantes qui sauront, espérons-le, renverser la vapeur lorsqu’ils et elles investiront les espaces de décision publique. Un constat dur est nécessaire pour stimuler l’action!
Références
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Pour citer ce texte :
Hachani, Samir. 2016. « La fracture numérique contrebalance-t-elle les effets du libre accès en Afrique? Essai d’analyse et éléments de réponse ». In Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux. Pour une science ouverte juste, au service du développement local durable, sous la direction de Florence Piron, Samuel Regulus et Marie Sophie Dibounje Madiba. Québec, Éditions science et bien commun. En ligne à https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/justicecognitive1
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