13 Pour une organisation et une structure nouvelles du système d’éducation et d’enseignement

Dans le domaine de l’organisation et de la structure du système d’éducation, comme des autres aspects des problèmes généraux ou particuliers de l’éducation, il ne peut être question de faire table rase de l’expérience des autres pays, notamment de tous ceux qui, à un moment donné, ont eu à affronter des problèmes de même nature que ceux aujourd’hui posés aux peuples de l’Afrique Noire. Malgré des différences parfois profondes de contexte politique, économique, social et culturel, les formes d’approche, les solutions théoriques mises en oeuvre constituent pour quiconque s’intéresse à l’avenir et au destin des peuples de l’Afrique Noire et de façon plus générale, à ceux de tous les autres pays sous-développés, une source féconde et inépuisable d’enseignement et de profit. C’est une chance inouïe qu’ont les peuples qui se libèrent à notre époque de pouvoir disposer pour construire leur avenir d’une expérience si riche et variée, accumulée par d’autres peuples au prix de tant de sueur, de sang, de tâtonnements, d’échecs et de succès. Nous serions coupables vis-à-vis de nos peuples si nous ne faisions l’effort de réflexion nécessaire pour assimiler cet apport, nous en servir pour créer les moyens adaptés à nos conditions et à notre époque et capables d’être pour nos peuples des instruments efficaces dans leur lutte pour la consolidation de l’indépendance économique, la création de meilleures conditions matérielles et spirituelles de vie, pour une libération complète de l’homme de chez nous et pour l’épanouissement de son génie. C’est dire que sous de nombreux aspects, nous pensons qu’il ne faut pas hésiter à faire nôtre ce qui nous paraît bon et valable chez d’autres, pourvu que ce faisant nous le marquions du sceau de notre propre personnalité et le conformions à nos conditions concrètes. De ce point de vue, beaucoup d’éléments dans ce qui va suivre, n’ont rien d’inédit et il convient de le souligner. Il n’en demeure pas moins que par rapport à l’état actuel de l’éducation dans nos pays, il s’agit effectivement d’une nouvelle organisation et d’une nouvelle structure. Sur le plan africain, il est nécessaire de rappeler qu’un groupe de professeurs africains et de professeurs progressistes français ont collectivement élaboré et proposé au gouvernement de la République de Guinée un projet de réforme de l’enseignement, projet qui a d’ailleurs été adopté avec des retouches assez profondes et peu heureuses par les autorités guinéennes. Dans le cadre de divers problèmes concrets relatifs à la conduite d’une réforme de l’enseignement, des leçons qui se dégagent de la mise en application de la réforme de l’enseignement en République de Guinée seront examinées plus loin. Il faut cependant indiquer ici que notre participation à l’élaboration de ce projet et des programmes correspondants nous a fourni une base de travail très appréciable comme peuvent aisément s’en rendre compte tous ceux à qui ce projet est familier.

Ces remarques faites, nous étudierons la structure et l’organisation du système d’éducation en général, puis celle des services administratifs indispensables à son fonctionnement.

A. Structure de l’organisation de l’éducation

D’après les conclusions du chapitre précédent, elle devra correspondre à un enseignement général unique, un enseignement moyen spécialisé, un enseignement supérieur spécialisé, avec dans chaque cas deux formes de scolarité : celle à plein temps et celle à temps réduit (cours du soir et par correspondance).

1. Enseignement général

Dans le cadre de la conception unitaire de l’éducation, il revêt la forme d’une école unique de 10-11 ans, comportant un enseignement élémentaire de 5 ans, puis un enseignement moyen de 6 ans; chacune de ces sections étant subdivisée en cycles dans le seul but de marquer clairement les étapes successives de la formation de l’enfant ou de l’adolescent et de délimiter clairement les objectifs, le rôle et les responsabilités correspondantes à l’intention des enseignants Aucune cloison ne doit exister entre les enseignements élémentaire et moyen, pas plus qu’entre les différents cycles dans un même enseignement. L’enseignement moyen pourra être complet (6 ans) ou incomplet (3 ans), en liaison avec les deux niveaux de formation générale préalables à la spécialisation en vue d’une qualification moyenne ou supérieure.

L’objectif fondamental de l’enseignement général est d’initier progressivement l’enfant puis l’adolescent aux différents aspects de l’activité sociale de l’homme et simultanément aux fondements théoriques, scientifiques et techniques de cette dernière, l’amenant ainsi à une compréhension de plus en plus claire de la nature et de la société, du rôle qu’il sera appelé à jouer et des responsabilités qu’il aura à assumer. En même temps il doit permettre le développement de toutes les capacités, de tous les talents de l’élève, prélude indispensable à leur épanouissement futur et à leur mise au service de la société tout entière. Ce faisant, il doit scrupuleusement se conformer et s’adapter aux étapes successives scientifiquement établies de l’évolution de la mentalité de l’enfant puis de l’adolescent, savoir les utiliser judicieusement dans sa tâche de formation de l’individu. D’où la délimitation nécessaire des tâches précises des différentes sections et cycles de l’enseignement général, dont on ne peut guère assez souligner l’importance pédagogique et méthodologique dans le cadre de la conception unitaire de l’éducation qui a été retenue.

a. Écoles maternelles et jardins d’enfants

L’importance de l’organisation d’écoles maternelles et de jardins d’enfants a, jusqu’à présent, échappé totalement aux pouvoirs publics dans les pays de l’Afrique Noire : la preuve en est leur nombre très restreint et leur localisation dans les seules capitales des États d’une part, de l’autre le quasi-monopole exercé dans ce domaine par l’enseignement privé. Cependant la double portée sur le plan pédagogique et éducatif, mais aussi sur le plan social (libération de la femme africaine d’un des plus grands handicaps de sa participation à la production) n’a pas besoin d’être démontrée. Certes, la mise sur pied d’un réseau d’écoles maternelles et de jardins d’enfants, dans un premier temps dans les grands centres urbains, dans un second temps sur toute l’étendue du pays pose un certain nombre de problèmes : locaux, matériels, personnel qualifié. Outre qu’il s’agit en fait de problèmes parfaitement résolubles dans les conditions actuelles des pays africains pour les agglomérations urbaines, il convient de souligner que ce sont en tout cas des problèmes posés concrètement. Le fait que l’enseignement privé, au demeurant nullement gratuit, enregistre dans ce domaine des succès sociaux et financiers en constitue une preuve irréfutable : dans différentes villes africaines, les parents paient de mille à deux mille francs par mois la place d’un enfant dans des écoles maternelles tenues par les missions catholiques. On ne peut donc prétendre que le concours effectif des populations urbaines puisse faire défaut pour la mise en œuvre des moyens permettant de surmonter les difficultés relatives à la mise sur pied d’écoles maternelles et de jardins d’enfants.

Un examen attentif des divers aspects de ces difficultés permet de se convaincre de la possibilité réelle de les surmonter, à condition toutefois que les pouvoirs publics assument dans ce domaine particulier de l’éducation les responsabilités qui sont les leurs. C’est dire que la première mesure à prendre consiste en la création dans le cadre des services de l’éducation, d’une section responsable des écoles maternelles et des jardins d’enfants; parallèlement, la spécialisation d’un certain nombre d’inspectrices, d’institutrices et de monitrices en vue de la direction, la gestion, l’organisation et le contrôle pédagogique des écoles maternelles et des jardins d’enfants. Progressivement, un corps spécialisé d’enseignants pourra être mis en place, quitte à prendre les mesures indispensables sur le plan du recrutement et de la formation dans le cadre des cours normaux, des écoles normales ou même de la combinaison d’une formation accélérée spécialement mise au point à cet effet, qui sera suivie de stages, conférences, séminaires pour complément de formation.

En ce qui concerne l’implantation des écoles maternelles et des jardins d’enfants, rien ne s’oppose, dans un premier temps, à ce qu’elle soit calquée sur celle des écoles (en d’autres termes qu’elle soit réalisée sur la base des quartiers). De la sorte, les problèmes d’organisation, de contrôle pédagogique et même de formation du personnel pourraient dans la période de démarrage, être résolus (au moins partiellement) en s’appuyant sur le personnel enseignant des écoles élémentaires. De plus, sur le plan du concours actif de la population, le quartier assure une bonne base d’organisation, qui présente par ailleurs l’avantage de faire jouer une émulation dont les conséquences sont aisément prévisibles.

L’érection des locaux, leur équipement en matériel nécessaire — jouets, albums, images, etc., est tout à fait possible à des frais modestes si l’on n’hésite pas à s’en tenir à la stricte nécessité et à l’efficacité en faisant largement appel aux ressources locales. Enfin, les problèmes liés au déplacement et au « dépaysement » des enfants sont réduits au minimum.

L’on voit donc que dans leurs divers aspects, les difficultés sous-jacentes à la mise sur pied des écoles maternelles et des jardins d’enfants peuvent être résolues par les effets conjugués des pouvoirs publics et de la population. Notons que du fait des caractères particuliers à ce type d’établissement (inexistence d’un « enseignement » au sens classique du terme, utilisation obligatoire de la langue maternelle de l’enfant, activités réduites aux jeux ou devant en prendre nécessairement la forme, etc.), le recrutement du personnel au démarrage ne risque pas de présenter de grandes difficultés du moins sur le plan du niveau requis ou de l’organisation d’une formation accélérée adéquate.

Quant au profit découlant de la mise sur pied d’écoles maternelles et de jardins d’enfants, il est de toute évidence considérable : libération des femmes travailleuses, préparation à l’étape suivante de l’éducation, développement plus rationnellement conduit de l’hygiène infantile, action sociale au sein des familles à l’occasion du contact quotidien des « enseignants » et des parents.

Le recrutement des enfants devra être adapté aux possibilités concrètes, en commençant par les tranches d’âge les plus proches de l’âge requis pour le recrutement scolaire.

b. L’enseignement élémentaire

Recrutant les élèves à l’âge de 6-7 ans, correspondant à une scolarité de 5 ans, il constitue la première étape de l’enseignement général. Il est lui-même subdivisé en 2 cycles de 3 et 2 ans dont les objectifs respectifs et la justification seront bientôt examinés en détail.

Dans ses grandes lignes, l’enseignement élémentaire pourrait être assimilé à l’enseignement primaire actuel, avec cependant de sérieuses réserves liées à l’orientation, au contenu des programmes, aux méthodes pédagogiques et aux objectifs mêmes. Il doit fournir à l’enfant, dans le cadre de l’étape correspondante de son développement physique et intellectuel, les instruments, les moyens et les conditions propres à favoriser chez lui, l’éclosion d’une compréhension correcte de la nature et de la société, à guider et affermir ses premiers pas vers l’acquisition de la maîtrise du langage, l’élaboration et le maniement des concepts; en même temps il doit contribuer à développer les facultés, capacités et talents naissants de l’enfant et participer à lui communiquer tout un ensemble de connaissances, d’attitudes vis-à-vis des choses et des hommes, bases indispensables d’un élargissement futur, qui doivent cependant correspondre à son niveau intellectuel. Ces objectifs doivent évidemment se refléter directement dans la structure et le contenu des programmes qui seront étudiés au chapitre suivant.

1. Premier cycle de l’enseignement élémentaire

Il comprend trois ans et s’adresse donc en principe à des enfants d’âge moyen compris entre 6-7 et 9-10 ans. À ce stade de son développement psychique et intellectuel, l’enfant est caractérisé par son égocentrisme, par une capacité déjà notable à manier le langage dont il vient d’acquérir les éléments fondamentaux, mais aussi par une incapacité notoire (ou au plus de très faibles possibilités) d’abstraction, jointe à une curiosité à toute épreuve, à un sens aigu de l’observation (bien que l’exploitation en soit encore souvent fausse, incorrecte ou maladroite); tout ce qui précède coexiste avec une mémoire prodigieuse, une très grande imagination vagabonde, un sentiment inné et aiguisé de justice et une très grande affectivité. Dans ces conditions, il s’agit avant tout de lui donner les moyens et de créer les conditions de l’amélioration de sa maîtrise du langage et de l’expression de ses actes, pensées et sentiments, de l’assimilation progressive de concepts mais également de guider les premiers pas de sa pensée et de son raisonnement encore si fragiles. Indiscutablement, l’acquisition de l’écriture, l’exercice à la lecture, une initiation concrète à la numération et aux premiers éléments de calcul sur des collections réelles d’objets, constituent, avec un enrichissement méthodique et dosé du vocabulaire, l’essentiel de l’arsenal des moyens utilisables.

Aussi la première année du premier cycle de l’enseignement élémentaire doit être consacrée entièrement à l’alphabétisation de l’enfant. Toutes les matières de l’enseignement (langage, élocution, lecture, orthographe, vocabulaire, récitation, exercices sensoriels, calcul) doivent à travers différents aspects, concourir à cet objectif fondamental (notamment sujets et centres d’intérêt puisés dans le milieu social et naturel environnant et les actes sociaux qui se déroulent sous les yeux de l’enfant). La subordination absolue de tout à l’alphabétisation, l’orientation précise de tout l’enseignement dans ce sens doivent être strictement observées : il est non seulement inutile mais dangereux de vouloir faire de cette première année une année d’acquisition de connaissances nouvelles. Ce serait d’ailleurs matériellement impossible et pédagogiquement erroné; de plus le rendement découlant d’une telle dispersion des efforts serait défectueux, comme on peut le constater aisément chez les enfants qui ont quitté l’école primaire actuelle après le cours préparatoire : au bout de très peu de temps, il ne leur reste littéralement rien de tout ce qu’ils ont appris. On ne doit pas perdre de vue que l’enfant vient à l’école avec une expérience et des connaissances qui sont loin d’être négligeables malgré leur apparente modicité. La première tâche de l’école est d’abord de lui permettre de les utiliser, les exprimer, les coordonner et les organiser avant toute tentative de les accroître : en le rendant capable de lire, d’écrire, de s’exprimer, on lui met entre les mains les premiers outils dont la possession lui est indispensable pour s’engager et avancer dans cette voie. Surtout, il faut se rendre à l’évidence que l’alphabétisation est la base même de tout l’enseignement ultérieur, que de la justesse de sa conduite et de son déroulement dépendront l’efficacité et la portée des années suivantes de la scolarité. Il est certain qu’on ne peut prétendre alphabétiser l’enfant en une année si l’on utilise pour ce faire une langue étrangère à son milieu social et familial. La nécessité de conduire l’alphabétisation dans la langue maternelle de l’enfant ou dans une langue africaine suffisamment parlée autour de lui a été dé-montrée par ailleurs; non seulement le délai d’un an est alors parfaitement et largement suffisant, mais encore, comme l’indique une analyse déjà faite, l’introduction des langues africaines est le seul moyen de respecter et sauvegarder la personnalité de l’enfant, le lien de l’école avec la vie et le génie des peuples africains; c’est ainsi seulement qu’on peut préparer la renaissance des cultures africaines à travers le développement des langues nationales et la généralisation de leur utilisation dans l’enseignement comme dans toutes les sphères de l’activité sociale.

Les deux autres années du premier cycle de l’enseignement élémentaire auront pour but d’affermir les acquisitions de la première année, de les accroître et de les étendre, notamment sur le plan de l’acquisition des concepts et de leur maniement, de l’enrichissement de la langue, de la consolidation du raisonnement et de la connaissance du milieu naturel. Les matières d’enseignement restent donc pratiquement celles de la première année, sauf l’introduction en dernière année de ce cycle d’éléments d’histoire, de géographie, de sciences d’observation qui doivent cependant être constamment centrés sur ou partir de faits et objets familiers à l’enfant : famille, village, région, plantes et animaux de la flore et de la faune locale (plantes cultivées ou non, animaux domestiques et sauvages, etc.). L’enseignement du calcul devra connaître un développement notable, tout en restant le plus concret possible : sur la base de questions surgissant dans la vie courante et d’expériences conduites en classe l’enfant sera progressivement amené à maîtriser la technique des différentes opérations sur les nombres entiers, décimaux, fractionnaires simples : la pratique de la mesure de différentes grandeurs (longueur, surface, volume, etc.) fournira une introduction à la géométrie des figures planes simples et à la représentation graphique à l’échelle réduite. Les travaux manuels et les jeux collectifs ou individuels devront occuper une place digne de leur rôle éducatif général et de la possibilité qu’ils donnent à l’enfant d’avoir de nouveaux rapports avec les choses et les hommes : à ce point de vue un recensement complet des jeux traditionnels ou « importés », leur analyse pédagogique, sont autant de tâches préalables à leur systématisation et leur « modernisation » éventuelle (cette dernière s’entend par l’introduction de matériaux et de moyens fournis par la technique moderne dans les jeux à caractère pratique et créateur : construction, modelage, dessin, etc.). Certains jeux devront être intégrés aux leçons de culture physique et aux démonstrations sportives, voire aux leçons de langage ou de sciences d’observation (devinettes par exemple). On ne saurait assez souligner l’arsenal important sur le plan éducatif (pour les enfants eux-mêmes) et pédagogique (pour les maîtres, leur compréhension de l’enfant, du rôle du jeu et son utilisation judicieuse par l’enseignant), que représentent les jeux traditionnels. C’est là un aspect où nous avons beaucoup à apprendre et à retenir de l’éducation africaine « traditionnelle », et peut-être bien plus qu’on ne le croit généralement parce que n’appréciant souvent que l’aspect « sauvegarde des traditions » au détriment d’une réflexion et d’un jugement correct sur le rôle éducatif assigné aux jeux par l’éducation africaine traditionnelle.

La langue d’enseignement pendant les deux dernières années du premier cycle de l’enseignement élémentaire, doit nécessairement rester celle de la première année : les objectifs visés, les méthodes préconisées, les problèmes pédagogiques épineux posés par l’utilisation d’une langue étrangère européenne et les conséquences fâcheuses qui pourraient en découler (pour l’enfant et aussi pour les peuples africains), tout concourt à imposer cette orientation. Deux remarques doivent être présentées ici : d’abord, il convient de distinguer avec soin les capacités étonnantes de l’enfant à apprendre et retenir (en particulier une langue étrangère), capacités liées à sa mémoire prodigieuse, d’une soi-disant « inexistence » de tout problème psychique ou social chez l’enfant lorsqu’il s’agit non d’une langue parlée dans son milieu familial ou social, mais imposée en dehors de ce contexte et participant donc à l’en isoler et le singulariser en même temps; les phénomènes de « dépersonnalisation », et de « détribalisation » auxquels il est si souvent fait référence, sont indiscutablement des conséquences de l’utilisation unilatérale dans une série de pays africains, de la langue de la puissance coloniale comme langue d’enseignement et démontrent dans certains de leurs aspects le danger que comporte l’orientation actuelle de l’éducation dans ces pays; en même temps est démasquée la fausse théorie de « l’inexistence » de tout problème concernant l’enfant, théorie basée sur un aspect de sa vie psychique et mentale (possibilités de la mémoire) qui est loin d’être l’unique, ni même le plus important sur le plan pédagogique. Ensuite, la plupart des langues africaines, même dans leur état actuel de développement, sont parfaitement utilisables dans la conduite de l’enseignement élémentaire dans son ensemble; l’expérience des pays africains anciennement colonisés par la Grande-Bretagne, l’examen objectif du contenu de cet enseignement et des possibilités d’expression des langues africaines conduisent à cette conclusion.

À la fin du premier cycle de l’enseignement élémentaire, l’élève a en moyenne 9 à 10 ans. Il devra avoir acquis la maîtrise des premiers fondements de la langue : langue courante parlée et écrite; vocabulaire correspondant aux choses qui l’entourent, aux actes de la vie sociale qu’il peut observer et comprendre, et lui permettant de s’exprimer et de comprendre autrui. Il va de soi qu’en même temps, il devra avoir acquis une pratique suffisante des quatre opérations fondamentales, notamment à travers celle de la mesure des grandeurs usuelles, d’utilisation courante dans son milieu, des notions très élémentaires sur les plantes et les animaux de la région, l’organisation sociale, l’histoire et la géographie. L’organisation et la coordination des connaissances liées à l’expérience propre de l’enfant devra être pratiquement achevée, son aptitude à raisonner développée et consolidée; il devra déjà posséder les cadres fondamentaux indispensables à son évolution future, à la transformation progressive de son approche et de sa compréhension des choses et des hommes; il devra avoir appris à se servir de ses mains, à effectuer lui-même des activités à caractère pratique compatibles avec son développement physique, et s’être ainsi habitué à la confrontation concrète et active avec les choses.

2. Deuxième cycle de l’enseignement élémentaire

Ce cycle s’étend sur les deux dernières années de l’enseignement élémentaire. L’enfant y entre donc à l’âge de 9 ou 10 ans, ayant déjà la formation de base correspondant au premier cycle. Son développement psychique, physique, et intellectuel est déjà assez avancé pour permettre en utilisant l’acquis des années précédentes, de conduire un enseignement visant autant à un élargissement notable de ses connaissances dans tous les domaines qu’à asseoir définitivement la maîtrise et l’utilisation de la langue, du calcul, l’assimilation complète du mécanisme du raisonnement et de l’usage des concepts qu’il implique; en même temps il est possible de porter à un niveau et un degré supérieurs la connaissance et la compréhension qu’a l’enfant du milieu naturel et social dans lequel il vit pour déboucher sur des connaissances plus générales. En effet, à cette étape de son développement, les capacités intellectuelles de l’enfant se renforcent sans cesse; aptitude au raisonnement et l’abstraction, recherche d’une compréhension et d’une explication des choses et des phénomènes naturels et sociaux, imagination et mémoire plus organisées, grande capacité d’assimilation. Les matières d’enseignement tout en restant dans l’essentiel les mêmes que dans le premier cycle, doivent alors assurer des objectifs propres plus nettement définis, en même temps que revêtir de plus en plus effectivement les caractères spécifiques qui leur confèrent leur originalité et leur rôle pédagogique et éducatif propre. Des leçons de calcul élémentaire du premier cycle, on passera ainsi à l’étude d’éléments de géométrie plane et spatiale, à une plus grande systématisation, puis à un élargissement des connaissances en arithmétique, en métrologie. En géographie, on abordera les notions fondamentales de géographie générale élémentaire, de la géographie de l’Afrique et du globe et en histoire, l’extension sera parallèle : éléments de l’histoire générale en liaison étroite avec l’étude de l’histoire et de la préhistoire africaine, les grandes étapes qui jalonnent l’histoire universelle. Les sciences d’observation, tout en restant à un niveau élémentaire, devront embrasser une plus grande variété de phénomènes, d’êtres et de corps du monde animal, végétal et minéral, abordant ainsi des sujets relevant des diverses branches ou disciplines de sciences de la nature : zoologie, botanique, physiologie, physique, chimie, etc. À ce niveau, une trop grande « spécialisation » des leçons est à rejeter résolument; au contraire, en respectant l’impossibilité d’une telle orientation de l’enseignement des sciences de la nature à ce niveau, on devra amener concrètement l’élève à saisir et comprendre leur liaison et leur unité profonde, à avoir du monde et des choses une vision de moins en moins simpliste, de moins en moins schématique et reflétant autant que faire se peut leur complexité. De ce point de vue, la conduite de la classe par un seul maître est un atout sérieux qu’il convient d’exploiter entièrement. Dans l’ensemble de l’enseignement de ces matières, les travaux pratiques et manuels comme tout ce qui fait appel à l’observation directe et la participation active de l’enfant, doivent occuper une partie notable des horaires; non seulement c’est un moyen (et même une méthode) d’intéresser l’élève, mais encore l’assimilation des programmes lui en sera grandement facilitée, et le niveau de l’enseignement nettement rehaussé; l’exploitation complète et judicieuse de nombreuses ressources pédagogiques et éducatives de cet aspect « expérimental et pratique » de l’enseignement permet en effet d’approfondir et de mieux fixer les connaissances de l’élève.

L’étude de la langue africaine doit être poursuivie, en même temps que son utilisation dans l’enseignement comme langue véhiculaire. L’enrichissement du vocabulaire de l’enfant, le perfectionnement de son aptitude à s’exprimer seront les objectifs constants le long des deux années du 2ème cycle. Les contes, légendes, récits héroïques, les chansons folkloriques, rédactions sur des sujets touchant à la vie matérielle, sociale et affective de l’élève, tout doit être largement utilisé pour atteindre ce but. À partir de la première année du 2ème cycle de l’enseignement élémentaire, il est possible et souhaitable d’introduire l’enseignement de la première langue étrangère européenne. Le stade de développement alors atteint par l’enfant permet de progresser rapidement, d’autant plus que l’alphabétisation, la formation générale, la connaissance de la langue africaine sont alors autant des moyens puissante d’accélération de l’assimilation de la langue étrangère, pourvu qu’ils soient effectivement, complètement et convenablement exploités. En particulier, le recours à la langue africaine pour les explications (notamment dans les premiers temps), l’utilisation des nombreuses ressources puisées dans la vie sociale et économique seront d’une aide considérable. Il sera alors possible, à la fin du deuxième cycle de l’enseignement élémentaire, d’obtenir de l’enfant qu’il puisse lire, écrire, parler, s’exprimer couramment en langue étrangère, ou tout au moins de façon satisfaisante. L’expérience des premières années de l’enseignement colonial (où le recrutement des élèves se faisait à 9, 10 et 11 ans et où la scolarité était nettement plus courte) confirme si besoin est cette conclusion; c’est d’ailleurs sur la même base pédagogique (bien que dans des buts politiques évidents et diamétralement opposés aux nôtres) que certains experts étrangers de l’éducation ont préconisé un recrutement scolaire à 9-10 ans dans les campagnes, et un enseignement de 2 à 3 ans en langue étrangère européenne, toute langue africaine en étant exclue dans leur esprit (projets élaborés en 1960 pour la République de Haute Volta, en 1961 pour la République du Niger, etc.)[1].

À la fin de l’enseignement élémentaire, l’élève aura ainsi une solide formation de base alliant la possession d’une langue africaine (sa langue maternelle de préférence) et des éléments d’une première langue étrangère européenne. Ses connaissances dans les divers domaines, sans avoir une bien grande étendue, auront du moins la solidité et le sérieux que confèrent à la fois une moindre dispersion, un échelonnement et une gradation dans leur acquisition, et un plus grand contact pratique avec les choses et la vie.

c. L’enseignement moyen

Faisant suite à l’enseignement élémentaire, l’enseignement moyen correspond dans ses grandes lignes à l’enseignement secondaire actuel, tout en s’en différenciant de façon assez profonde. Il s’étend soit sur 3 années (enseignement moyen incomplet), soit sur 6 années (enseignement moyen complet), et se subdivise alors en deux cycles de trois ans.

On remarquera le raccourcissement de deux années (soit un peu moins du tiers de la scolarité secondaire actuelle) par rapport à la durée de l’ensemble primaire 4ème secondaire. Les tenants de l’identité des diplômes africains aux diplômes européens (français, anglais, etc.) correspondants chercheront à épiloguer sur la prétendue « baisse de niveau » qui en découlerait : à leur adresse, il convient de souligner que cette « baisse » serait effective qu’elle ne ferait que correspondre à un état de fait concret et réel; au demeurant des dirigeants politiques, hommes d’états, ministres et autres directeurs, chefs ou attachés de cabinets africains ont-ils, avant d’assurer les responsabilités qui sont les leurs aujourd’hui, attendu d’avoir le « niveau » de leurs collègues français, anglais et autres? Des chantres impénitents de la « négritude » et du « socialisme africain existentiel et lyrique », aux défenseurs d’une « personnalité » et d’une « originalité » africaines toutes métaphysiques ou simplement racistes, sans oublier les pourfendeurs permanents des intellectuels, un grand nombre de dirigeants africains célèbrent en chœur les vertus de la pratique, le contact avec les réalités africaines qu’ils confondent bien volontiers avec l’arrivisme le plus plat ou la trahison pure et simple des intérêts nationaux; quand il s’agit de promouvoir au sein de la jeunesse scolaire une pratique conforme à ces réalités, une seule question les obsède : les diplômes seront-ils identiques à tel ou tel diplôme français ou anglais? Tant il est vrai que « quand on réfléchit aux efforts qui ont été déployés pour réaliser l’aliénation culturelle si caractéristique de l’époque coloniale, on comprend que rien n’a été fait au hasard et que le résultat global recherché par la domination coloniale était bien de convaincre les indigènes que le colonialisme les a arrachés à la nuit. Le résultat consciemment poursuivi par le colonialisme, était d’enfoncer dans la tête des indigènes que le départ du colon signifierait pour eux retour à la barbarie, encanaillement, animalisation[2] ». La grande portée de l’influence de la domination coloniale, sur ceux-là mêmes qui prétendent monopoliser aujourd’hui en raison des postes qu’ils occupent, l’expression et les manifestations du génie de nos peuples, éclate au grand jour dès qu’ils affrontent les problèmes d’éducation; il serait oiseux de disserter ici sur les preuves de la réussite plus ou moins complète ou parfaite du colonialisme sur le plan de l’anéantissement culturel systématique en Afrique Noire. Concernant la durée de l’enseignement moyen telle qu’elle est ici proposée, qu’il suffise de rappeler que des générations de Soviétiques, d’Allemands, d’Américains et de nationaux de nombreux autres pays ont, sans avoir eu à en rougir, face à leurs collègues anglais ou français, suivi un enseignement moyen de 5 à 6 ans; depuis la libération de leur patrie de la domination française de nombreux Vietnamiens ont été formés sur cette base. Et personne ne peut discuter les succès éclatants de la culture et de la science soviétiques contemporaines, ni les progrès immenses enregistrés par la République Populaire Chinoise; encore moins les Africains de bonne foi, qui ont pu voir les nationaux de ces pays à l’œuvre en tant que techniciens aidant fraternellement les jeunes États qui ont fait appel à eux. À moins donc de croire à une « incapacité congénitale » des Africains, ou ce qui revient au même, de n’avoir aucune confiance réelle dans les capacités, le génie des peuples africains (ou de nourrir une peur et une crainte de leur épanouissement), aucune argutie ne peut justifier la résistance entêtée à tout changement touchant au système d’éducation hérité du régime colonial et en particulier à l’enseignement secondaire actuel. Les problèmes et les difficultés invoqués (qui ont été examinés par ailleurs) ne se résoudront certainement pas dans une position d’attente passive, ou par de timides « adaptations » maintenant en fait la situation actuelle.

En ce qui concerne ses objectifs l’enseignement moyen (complet ou incomplet) vise à poursuivre chez l’adolescent les tâches entamées par l’enseignement élémentaire, en s’adaptant à la nouvelle étape de l’évolution de l’élève et en exploitant toutes les possibilités qu’elle recèle. Plus particulièrement, c’est à l’enseignement moyen qu’il appartient de créer les conditions optima de la pleine révélation, du développement et de l’épanouissement des capacités de l’adolescent, et sur cette base de le guider et l’aider à s’orienter vers la forme d’activité la plus conforme à son goût, son talent et ses efforts, et en même temps la plus profitable à la société. Simultanément, il doit compléter, élargir, approfondir la formation de l’élève, l’armer d’une compréhension et d’une connaissance plus correctes des choses et des hommes, conduire le plus loin possible le processus de la prise de conscience chez l’adolescent, de son appartenance à une communauté donnée, du caractère inamovible des liens qui le lient à elle et scellent son destin et son avenir avec ceux de cette société, de la nécessité d’y assumer son rôle et ses responsabilités d’homme. Pour pouvoir mener à bien une tâche aussi importante que complexe, et dont l’accomplissement, non seulement conditionne toute la vie future de l’adolescent, mais exerce dans une large mesure une influence déterminante sur l’avenir politique, économique et social de la communauté toute entière, il est indispensable que l’enseignement moyen puisse proposer à l’élève un ensemble aussi varié que possible d’activités physiques, manuelles artistiques, techniques et scientifiques, constituant ainsi une véritable initiation aux différents aspects de l’activité humaine. L’enseignement moyen revêt ainsi une importance capitale dans la formation des futurs cadres moyens et supérieurs en Afrique Noire, en attendant d’être, comme c’est déjà le cas dans un certain nombre de pays, (Union Soviétique, autres pays socialistes) le creuset qui façonne tons les membres de la société. La division en deux cycles d’une durée de trois ans chacun correspond à la différenciation des niveaux de base requis pour entreprendre et mener à bien la formation de cadres spécialisés moyens et supérieurs : l’enseignement moyen incomplet (1er cycle) débouchant sur les écoles techniques moyennes, l’enseignement moyen complet sur les écoles supérieures spécialisées et l’université.

Les matières d’enseignement vont naturellement s’accroître en nombre et en complexité par rapport à l’enseignement élémentaire, conformément aux objectifs visés et aux possibilités liées aux capacités physiques et intellectuelles de l’adolescent : mathématiques (arithmétique, algèbre, analyse trigonométrique, géométrie et géométrie analytique) physique {mécanique, optique, électricité et électromagnétique, notions de physique atomique et nucléaire), chimie (chimie générale, métalloïdes et métaux usuels et leurs composés, chimie organique), histoire (sous l’angle de l’histoire des peuples et civilisations : antiquité, moyen-âge, « temps modernes » et succession des différents régimes sociaux et politiques), géographie (notions de géographie générale, étude des cinq continents, géographie politique, économique et humaine du monde contemporain), éléments de philosophie et d’histoire des sciences, dessin et histoire de l’art, musique et histoire de la musique, langues étrangères suivantes (anglais, français, allemand, russe, espagnol), travaux manuels (atelier et autres formes d’activités manuelles), botanique, zoologie, physiologie (notions générales d’organisation des êtres vivants), littératures nationales et étrangères. Cette simple énumération suffit à démontrer la nécessité absolue d’une élaboration des programmes visant moins l’accumulation de connaissances éparses (il en faut certes), que l’acquisition d’une formation générale : il est indispensable d’accorder plus d’importance aux idées générales, de se retenir de « toucher à tout » de façon superficielle pour ne réussir qu’à ancrer des idées fausses dans l’esprit de l’élève et à le submerger d’un amas de connaissances secondaires (qu’il pourrait d’ailleurs acquérir tout seul plus tard, avec plus de plaisir et de profit). Par ailleurs, on remarquera l’absence du latin et du grec dans les matières citées : la portée théorique et pratique de la connaissance de langues mortes est en effet bien mince, honnis pour les spécialistes, et ces derniers pourront s’y consacrer dans les écoles supérieures spécialisées correspondantes; quant à la valeur de formation de l’enseignement de ces langues, c’est là un aspect qui se retrouve tout aussi bien dans l’étude des langues vivantes étrangères et d’autres matières (mathématiques, physique…). Dans ces conditions, il est inutile de surcharger les programmes de matières qui peuvent certes présenter un intérêt pour certains pays (notamment ceux de l’Europe occidentale) dont les langues sont dérivées du latin avec de nombreux emprunts au grec, mais dont la valeur pour les pays africains est insignifiante.

En ce qui concerne l’importance relative à accorder à telle ou telle matière par rapport aux autres dans l’enseignement, autant pour des soucis de formation générale qu’eu égard à l’utilisation pratique ultérieure, les mathématiques, les sciences de la nature (physique, chimie, biologie animale et végétale, botanique, zoologie), la philosophie, l’histoire, la géographie et les activités manuelles doivent avoir une place privilégiée; à l’intérieur même de ce groupe, une certaine « hiérarchisation » doit d’ailleurs être faite en faveur soit des mathématiques, de la physique, de la chimie, soit de la philosophie de l’histoire, de la géographie ou des langues. Il résulte en effet des caractères généraux de la vie contemporaine comme des problèmes que doivent résoudre les pays africains, qu’une solide culture scientifique apparaît de plus en plus comme un des fondements de la formation de cadres spécialisés moyens et supérieurs, et plus généralement d’une adaptation aux conditions matérielles et sociales de vie de notre époque. Enfin, l’enseignement de certaines matières comme la physique et la chimie, devra débuter dès la première année de l’enseignement moyen : non seulement aucun argument pédagogique sérieux ne s’y oppose, mais au contraire on supprimera ainsi la rupture de fait existant actuellement entre les bases jetées au cours de l’enseignement primaire et leur élargissement ultérieur, qui n’intervient qu’au cours des trois dernières années du secondaire; il n’y a d’ailleurs aucune raison de ne pas exploiter tout au long de la scolarité entière de l’enseignement moyen la valeur de formation remarquable de ces matières; par ailleurs les connaissances mathématiques déjà acquises ou devant l’être pendant ces années permettent parfaitement de développer cet enseignement avec la progression et la rigueur nécessaire. La formation générale de l’élève, le niveau et la solidité de ses acquisitions en physique et chimie ne pourront que s’en trouver notablement améliorés.

Reste à examiner de plus près la question de la langue à utiliser du point de vue véhiculaire dans renseignement moyen; le niveau de l’enseignement élémentaire, la période du développement de l’enfant à laquelle il se place, les possibilités objectives immédiates des langues africaines et toute une série de raisons pédagogiques, politiques et sociales nous ont conduit à admettre la nécessité et la possibilité de conduire l’enseignement élémentaire dans la langue maternelle de l’enfant (ou dans une langue africaine véhiculaire). Est-il possible et souhaitable qu’il en soit de même pour l’enseignement moyen? Un certain nombre d’arguments à première vue irréprochables, sérieux ou même irréfutables sont avancés en faveur de l’utilisation d’une langue européenne et du rejet des langues africaines (ce qui implique très logiquement leur élimination de l’enseignement élémentaire, puisqu’il faut bien que l’élève ait appris la langue européenne prétendue indispensable); de fil en aiguille, c’est en fait le statu quo ante qui est alors subtilement défendu : tout doit rester comme les colonisateurs l’ont conçu à l’usage des Africains.

On avance souvent les deux arguments suivants contre l’emploi de la langue nationale dans le domaine scientifique. La langue nationale est trop pauvre pour pouvoir exprimer avec précision tous les concepts de la science moderne. L’emploi de la langue nationale dans l’enseignement supérieur n’est pas nécessaire; car l’essentiel, c’est le contenu scientifique, la langue n’étant que la forme; on peut employer par conséquent n’importe quelle langue. En outre la langue nationale étant peu connue dans le monde, son emploi n’ajoute que des difficultés aux échanges internationaux. (Le Van Thiem — l’emploi de la langue nationale dans l’enseignement supérieur, Nouvelle Critique, No Spécial, mars 1962 : L’expérience Vietnamienne)

On reconnaît là, exposé par un universitaire vietnamien, un refrain très familier aux Africains qui s’occupent des problèmes d’éducation : c’est une preuve supplémentaire que nos problèmes et difficultés dans tous les domaines ont été aussi ceux d’autres peuples et d’autres pays. La manière dont ils ont été résolus ailleurs, ne peut nous laisser indifférents, ne serait-ce que par la preuve ainsi faite qu’on peut les résoudre et les surmonter; or voici ce qui en est de l’expérience vietnamienne dans le domaine qui nous occupe :

Notre expérience montre que ces arguments ne sont pas fondés :

  1. La langue nationale, surtout celle qu’utilise la masse laborieuse, n’est pas du tout pauvre, mais variée et vivante. Si nous nous donnons la peine de réfléchir et de chercher, nous trouverons dans la langue nationale beaucoup de termes très suggestifs exprimant de manière exhaustive les notions scientifiques les plus abstraites. Bien plus, les terminologies nationales nouvellement découvertes sont parfois plus précises, plus systématiques que celles utilisées dans les pays développés; ces dernières en effet, ont été inventées à l’époque où la science n’avait pas encore atteint le niveau actuel. Parfois, elles n’arrivent pas à exprimer avec justesse les notions correspondant aux concepts modernes. Au contraire, pour les pays qui ont encore la possibilité de choisir les termes scientifiques, ils peuvent les prendre parmi ceux qui sont les plus précis. Ceci est d’ailleurs conforme à la loi de développement par bonds des pays retardataires.
  2. Quant au second argument, nous pensons que la création d’un véritable enseignement supérieur ou plus généralement d’une science véritable implique l’utilisation des résultats de la science moderne pour résoudre les problèmes qui se posent dans le domaine de la production. Pour cela il faut former une nombreuse armée de travailleurs scientifiques à différents échelons et ceux-ci doivent entretenir des liens étroits avec la masse des travailleurs.
    Pour atteindre ces objectifs, on ne peut pas utiliser une langue étrangère dans l’enseignement supérieur et dans le domaine scientifique. À l’opposé, ce n’est qu’en utilisant la langue nationale et en prenant racine dans la production du pays, que la science peut se développer sainement et acquérir un contenu suffisamment riche pour pouvoir participer à des échanges internationaux profitables. Il est évident que l’emploi de la langue nationale n’exclut pas l’étude des langues et des œuvres étrangères dans le but d’enrichir la science nationale. (Le Van Thiem, op. cit.)

Par ailleurs, les tentatives de Diop Cheikh Anta, concernant l’utilisation du Wolof pour l’enseignement des sciences, malgré leur caractère partiel, arbitraire à certains égards, et quelque peu épisodique, permettent cependant de conclure à la possibilité, au prix d’efforts sérieux et soutenus et d’un travail collectif mené en faisant appel à la collaboration la plus large, de l’élaboration d’un vocabulaire scientifique adéquat en vue de la conduite de l’enseignement moyen et supérieur en langue africaine.

L’élaboration du vocabulaire et de la langue scientifique dans la langue nationale est une œuvre collective. Il est nécessaire de mener un travail patient de recherche et de réflexion. Les méthodes de formation des termes sont nombreuses et varient suivant les peuples. Cependant, à notre avis, il faut attirer l’attention sur les deux points suivants :

  1. Il convient d’utiliser hardiment la langue des masses… Si l’on ne cherchait que des termes précieux, il serait impossible de trouver suffisamment de mots, la langue scientifique deviendrait l’apanage d’un petit nombre de personnes et se détacherait de la langue nationale. De plus, comme il est dit plus haut, ce sont les termes empruntés à la langue commune qui possèdent un grand pouvoir suggestif.
  2. Pour les termes scientifiques qui ont un caractère international — utilisés par de nombreux pays avancés — il est préférable de les reprendre en faisant la transcription phonétique nationale. En général, il faut alors se conformer à la phonétique du pays. Cependant il arrive parfois qu’il faut ajouter des sons nouveaux. Même dans ce cas, il faut se limiter aux consonances familières aux masses. L’application judicieuse de cette méthode contribue à enrichir la langue du pays. (Le Van Thiem, op. cit.)

Faisons remarquer sur ce plan qu’un assez grand nombre de mots d’origine européenne ont déjà été incorporés à la langue parlée courante dans la plupart des pays d’Afrique; il est clair que leur étude apportera beaucoup à la méthodologie de la formation des mots nouveaux d’origine étrangère.

Ainsi il est non seulement souhaitable et indispensable, mais aussi possible de réaliser l’enseignement moyen et l’enseignement supérieur dans les langues africaines. Certes, cela exige un travail et une préparation préalables, qui ne peuvent être effectués que collectivement. Ce n’est pourtant pas dire qu’il faille renvoyer aux calendes grecques la réalisation de ce programme; en effet :

1. Lors de la réorganisation complète du système de l’éducation (dans le sens notamment de l’introduction d’une langue africaine) il sera nécessaire, pour des raisons d’ordre matériel et pédagogique, de laisser « s’éteindre » les promotions d’élèves dont les études sont déjà trop avancées pour qu’on puisse envisager de leur appliquer les nouveaux programmes; avec des remaniements qui ne peuvent qu’être limités à certaines matières importantes (dont obligatoirement l’enseignement de la langue africaine), ce sont les anciens programmes et l’ancienne structure qui demeureront provisoirement en vigueur pour les classes correspondantes.

2. En ce qui concerne les élèves de l’enseignement élémentaire et moyen qui ne rentrent pas dans cette catégorie, et à qui l’on ne peut pas appliquer intégralement le nouveau système, il faudra prévoir un régime transitoire ayant pour but de réadapter, de compléter avec le moins d’inconvénients possible l’enseignement qu’ils ont déjà suivi afin de pouvoir dans les plus courts délais leur appliquer intégralement les nouveaux programmes.

3. Une situation analogue, avec des aspects différents, se présente dans l’enseignement technique moyen et spécialisé, mais là il est préférable et possible d’opérer plus radicalement, ayant plus affaire à des hommes qu’à des enfants.

De ce qui précède, il découle concrètement que la réorganisation sera dans une certaine mesure et jusqu’à un certain point progressive, mais aussi par d’autres côtés elle devra procéder par bonds. Au total, à travers une organisation judicieuse du régime transitoire et l’harmonisation de son application dans l’enseignement élémentaire et dans l’enseignement moyen, un certain délai (de l’ordre de 3 ans) sera disponible avant l’application intégrale des nouveaux programmes à l’ensemble de l’enseignement général; ce délai peut et doit être exploité en vue de l’étude sérieuse et de la solution de multiples problèmes, dont ceux liés à l’introduction de la langue africaine en qualité de langue véhiculaire dans l’enseignement moyen général, technique spécialisé et supérieur (entre autres création d’un vocabulaire scientifique, rédaction de manuels et travaux divers). De plus, comme il ressort des remarques précédentes, il est possible et méthodologiquement souhaitable, sinon indispensable, de sérier ces questions et problèmes, résolvant d’abord les plus urgents et les plus simples, avançant ainsi pas à pas en utilisant constamment les données de l’expérience pratique en vue d’une incessante amélioration du travail. Quoi qu’il en soit, il serait illusoire de croire qu’on peut attendre la « découverte » de la solution parfaite de tant de problèmes avant d’entreprendre quoi que ce soit : aucune solution, pas plus dans ce domaine que dans d’autres ne peut tomber du ciel; c’est dans la pratique et la pratique seulement que se révéleront la justesse ou l’erreur, les défauts ou les qualités de telle ou telle mesure. C’est la seule confrontation avec la pratique qui permettra la correction des erreurs et défauts au fur et à mesure qu’ils apparaîtront, l’analyse théorique préliminaire visant surtout à en éviter les plus graves et le plus grand nombre, notamment en examinant tous les aspects des problèmes et en assimilant l’expérience des autres pays et des autres peuples.

De ce point de vue, il est indispensable de mentionner ici quelques enseignements relatifs à la question capitale de l’emploi de langues africaines dans l’éducation élémentaire et moyenne, qui se dégagent de l’expérience d’un certain nombre de pays africains.

1. L’expérience dans ce domaine des pays africains anciennement colonisés par la Grande-Bretagne, nous l’avons déjà signalé, démontre non seulement la possibilité objective de l’utilisation d’une langue africaine comme langue véhiculaire dans l’enseignement, mais aussi les immenses possibilités de reconnaissance et de développement culturel (accélération de l’alphabétisation et de la scolarisation, enrichissement des langues, essor d’une littérature écrite dans différents domaines, etc.), liées à une telle option. En même temps, malgré tous les aspects positifs déjà signalés de l’emploi de la langue maternelle de l’enfant (ou d’une langue véhiculaire africaine) au stage de l’alphabétisation, l’expérience de pays comme le Ghana, le Nigeria, etc. montre l’insuffisance de l’utilisation de la langue africaine au seul stade de l’alphabétisation de l’enfant : ainsi, les statistiques montrent un déséquilibre accentué entre la scolarisation élémentaire et la scolarisation moyenne et supérieure, ce qui se traduit en particulier par un rythme de formation de cadres moyens et supérieurs extrêmement lent par rapport à celui de la scolarisation élémentaire, avec toutes les conséquences qui peuvent en découler pour la vie politique, économique, sociale et culturelle de ces pays. Sur le plan du développement de la langue africaine considérée, le fait de cantonner son usage au seul stade de l’alphabétisation dans l’enseignement élémentaire, (l’anglais ou toute autre langue étrangère prenant ensuite progressivement le pas sur elle pour finir par la supplanter), malgré le progrès ainsi réalisé (en particulier par rapport à la situation dans les anciennes colonies françaises), la prive cependant de conditions favorables à un enrichissement plus large, notamment dans le domaine de l’expression du contenu de la science contemporaine. De la sorte, il demeure apparemment « difficile » d’étendre son utilisation à des niveaux supérieurs de l’enseignement (élémentaire, moyen général, technique, supérieur).

2. L’expérience de la réforme de l’enseignement en République de Guinée montre par ailleurs que l’introduction d’une langue africaine dans l’enseignement sous la forme de « matière supplémentaire », alors que l’alphabétisation de l’enfant continue à être conduite en langue européenne, ne peut en aucun cas constituer une véritable étape sur la voie d’une conduite ultérieure de l’enseignement au moyen de cette langue africaine : sur la base de l’existence de problèmes liés au choix des langues (problèmes politiques, matériels et syllabaires, etc.), les autorités guinéennes n’ont en effet finalement décidé l’introduction dans les programmes de l’enseignement élémentaire de la langue africaine qu’à titre de matière supplémentaire, et cela sur l’insistance de l’équipe de professeurs africains qui ont participé à l’élaboration de la réforme; un tel point de vue s’est révélé entièrement erroné dans la pratique, et après plusieurs années d’application de la réforme de l’enseignement en République de Guinée, non seulement aucune langue africaine n’a été concrètement enseignée, mais encore de façon plus générale la solution des problèmes et difficultés surgissant, pour les anciennes colonies françaises d’Afrique Noire, de l’utilisation des langues africaines dans l’enseignement n’a pas progressé d’un pas. Il ne pouvait en être autrement, puisque la solution de tout problème concret ne peut résulter que de tentatives d’approche sur le double plan théorique et pratique; or aucun de ces deux aspects n’a été abordé : l’aspect théorique du fait peut-être du mépris affiché de la théorie, de l’incompréhension totale ou d’une compréhension erronée à l’égard de son rôle, d’une attitude systématiquement « anti-intellectuelle » qui ont cours au sein de la direction du P.D.G. (Parti Démocrate de Guinée), et l’aspect pratique parce qu’il a été purement et simplement éludé en écartant l’éventualité de l’alphabétisation dans la langue africaine, et en faisant de cette dernière l’objet d’un enseignement à caractère accessoire. Ainsi se confirment pleinement d’une part l’importance de la conduite de l’alphabétisation dans la langue maternelle ou une langue africaine véhiculaire, de l’autre l’inefficacité totale dans ce domaine de toute politique de tergiversation, de « juste milieu », de « prudence » et de méfiance vis-à-vis de la valeur et de la portée de l’introduction des langues africaines dans l’éducation.

3. Il est un autre enseignement important de la réforme de l’enseignement en République de Guinée, et plus généralement de l’activité de l’ensemble des enseignants de l’école primaire actuelle dans les anciennes colonies françaises d’Afrique Noire : c’est l’inconscience générale ou la prise de conscience insuffisante, chez les enseignants eux-mêmes, de la nécessité et de la portée d’une réorganisation complète du système de l’éducation, de la place centrale qu’y occupe la question de la langue maternelle (ou d’une langue africaine véhiculaire). À cela, il y a plusieurs raisons, au nombre desquelles la nature, l’orientation et le caractère de la formation acquise dans le cadre de l’enseignement colonial; l’opportunisme politique de la plupart des dirigeants des syndicats d’enseignants, générateur au sein de l’ensemble du corps enseignant des pays africains d’un carriérisme et d’une attitude tournant le dos à toute réflexion et à tout travail créateur, ou au contraire d’un repli pur et simple sur soi-même; d’où la nécessité absolue d’un travail sérieux et profond de préparation des enseignants eux-mêmes, et qui, pour être réel et fécond, ne peut s’effectuer dans un cadre bureaucratique et administratif, ni être basé sur l’autoritarisme; il appartient en tous cas à tous les maîtres conscients de leur rôle d’entreprendre et de mener sur ce plan auprès de leurs collègues l’action indispensable à une prise de conscience collective du corps enseignant dans son ensemble. De ce point de vue, l’expérience de la réforme de l’enseignement en République de Guinée démontre qu’un travail ne peut se faire correctement ni dans un climat « anti-intellectuel », ni par coercition, ni par une politique de « bouches cousues ».

En conclusion, l’utilisation d’une langue africaine convenablement choisie (langue maternelle de l’élève, ou langue africaine véhiculaire) pour conduire l’enseignement moyen pose certes des problèmes dont la complexité et les difficultés réelles ne peuvent cependant constituer un obstacle insurmontable; encore faut-il qu’on s’y attaque réellement, franchement (ce qui ne veut pas forcément dire qu’un recours éventuel à une approche indirecte soit définitivement écarté); on ne peut en tout cas réussir à les résoudre en les évitant ou en les escamotant, pas plus qu’on ne le peut sans créer les conditions favorables et indispensables au travail dans ses aspects théoriques et pratiques, qui doit obligatoirement être réalisé.

2. L’enseignement moyen spécialisé

Cet enseignement est dispensé dans les écoles techniques moyennes correspondant à des spécialités déterminées : agriculture et agronomie, élevage et médecine vétérinaire, médecine, travaux publics et techniques diverses — mécanique des moteurs, menuiserie métallique, etc. — coopération, administration. Il vise essentiellement la formation de cadres moyens spécialisés dans les différentes branches d’activité; les élèves y accèdent avec le niveau correspondant à la fin de la scolarité du premier cycle de renseignement moyen, et la durée des études doit être de 3 à 4 ans selon les branches. C’est en effet le délai moyen requis pour former des cadres spécialisés de qualification moyenne (conducteurs d’agriculture, assistants d’élevage, assistants du service de santé, conducteurs de travaux publics, géomètres, topographes, mécaniciens, instituteurs, etc.), à partir d’un niveau de base convenable. En même temps que l’étude théorique et pratique de la spécialité, l’enseignement moyen spécialisé devra sur le plan de la formation générale, prolonger et compléter le premier cycle de l’enseignement moyen général : de cette façon, à la fin de la scolarité, le technicien aura un niveau général équivalent à celui de l’enseignement général complet, tout en ayant dans sa branche une qualification technique moyenne. Il a déjà été indiqué que l’enseignement moyen et spécialisé doit nécessairement être conduit en liaison étroite avec les conditions concrètes, les problèmes et les difficultés que devra affronter le futur spécialiste; c’est dire la place importante qui doit être faite à la pratique et la participation à la production dans les écoles techniques et moyennes, et cela d’autant plus que la nature même du travail du futur cadre moyen est indissolublement liée à la conduite et l’exécution de telle ou telle tâche précise dans tel ou tel secteur déterminé de la production, de la gestion et de l’administration, de la vie sociale et culturelle. Une telle orientation ne doit cependant pas aboutir à un bas niveau théorique ni à un praticisme étroit : il s’agit surtout d’habituer le technicien à utiliser la théorie pour la formulation et la solution pratique des problèmes, à discerner correctement pour le résoudre, l’aspect théorique de tel ou tel problème pratique; ce qui implique un niveau théorique permettant une compréhension des fondements scientifiques et l’assimilation complète de la technologie et plus généralement des méthodes techniques relevant de la spécialité considérée. Pour mener à bien la formation des cadres moyens spécialisés, il est indispensable de combiner tout au long de la scolarité l’enseignement théorique et pratique à l’école et la participation directe sous forme de stages, à l’exercice de la profession et des responsabilités du futur spécialiste, dans les conditions concrètes qui seront celles qu’il sera appelé à vivre. Pour tenir compte des besoins en cadres dans tous les domaines, et en particulier pour certains secteurs d’importance vitale, la scolarité dans les écoles techniques moyennes doit comporter pendant une période transitoire, outre l’enseignement normal et complet, un enseignement accéléré dont la durée peut être de l’ordre de 1 à 2 ans au plus; un tel enseignement visera essentiellement la formation de cadres ayant une formation pratique suffisante pour pouvoir exécuter des tâches précises dans un domaine restreint de la spécialité correspondante, la formation théorique étant limitée aux éléments strictement indispensables à la réalisation de cet objectif et à un élargissement ultérieur de l’activité du technicien grâce à des cours du soir ou par correspondance. De la sorte, on pourra faire face aux besoins pressants dans l’agriculture, l’élevage, le service de santé, l’enseignement en formant des cadres de niveau au moins équivalent à celui des instituteurs adjoints, infirmiers, moniteurs d’agriculture actuels, sans pour cela boucher l’avenir de ceux qui y seraient engagés.

En ce qui concerne les différentes écoles moyennes qui pourraient être créées, il est évidemment plus judicieux de commencer par celles correspondant aux besoins les plus pressants. Sans prétendre épuiser la liste des écoles techniques moyennes possibles, on peut considérer comme s’imposant le plus aux pays africains les suivantes :

  • Écoles techniques moyennes d’agriculture et agronomie,
  • Écoles techniques moyennes d’élevage,
  • Écoles techniques des travaux publics,
  • Écoles techniques moyennes de mécanique (mécanique auto-mobile, menuiserie métallique, constructions mécaniques légères),
  • Écoles techniques moyennes de coopération,
  • Écoles techniques moyennes d’administration et secrétariat,
  • Écoles normales (instituteurs de l’enseignement élémentaire et du 1er cycle de renseignement moyen),
  • Écoles techniques moyennes d’électricité et radio.

Au fur et à mesure du développement économique, le nombre d’écoles techniques moyennes devra croître de façon à répondre aux exigences de l’économie du pays. À cet égard, la liste ci-dessus a évidemment plus un caractère indicatif qu’exclusif.

Enfin, on remarquera que la structure ci-dessus proposée pour l’enseignement moyen spécialisé correspond approximativement à l’enseignement technique sous sa forme actuelle : dans la mesure où il vise une formation générale, ses tâches sont transférées à l’enseignement général, tandis que son caractère de spécialisation revient à l’enseignement moyen spécialisé. L’organisation de l’enseignement « technique » telle qu’elle a été héritée de l’enseignement colonial correspond en effet à une conception basée sur la séparation sinon l’opposition entre travail manuel et travail intellectuel. De plus elle aboutit à une organisation anarchique de la formation des cadres techniques moyens dans la mesure même où les objectifs ne sont pas clairement définis : la très grande multiplicité des options dans un seul établissement étant le défaut principal d’où découlent une formation souvent insuffisante et coupée de la vie économique et de la production ainsi qu’un manque d’objectifs nets et précis et un gaspillage de moyens. L’enseignement « technique » actuel comme il a été souligné reflète la discrimination sociale entre les enfants telle qu’elle a été organisée par la bourgeoisie française pour cantonner les enfants issus de la classe ouvrière dans les professions indispensables à l’économie capitaliste; en même temps l’enseignement technique supérieur et l’enseignement supérieur sont ainsi érigés en citadelles pour enfants de la bourgeoisie. Il est évident que ni l’économie des pays africains, ni l’intérêt des larges masses de nos pays ne s’accordent avec cette conception de l’enseignement technique.

3. L’enseignement supérieur spécialisé

Il fait suite à l’enseignement général complet et aussi comme on l’a vu, à l’enseignement moyen spécialisé (puisque les techniciens moyens peuvent y accéder). Il est dispensé dans les écoles supérieures et instituts spécialisés ou dans les facultés et instituts des universités.

Sa durée moyenne est de 3-4 ans (écoles supérieures spécialisées) ou de 4-5 ans (facultés et instituts d’université).

a. Universités

L’université groupe un ensemble plus ou moins large de facultés et instituts qui peuvent en fait être assimilés à autant d’écoles supérieures spécialisées dans différentes branches scientifiques ou techniques :

  • Médecine,
  • Droit,
  • Sciences économiques,
  • Histoire,
  • Géographie,
  • Langues étrangères,
  • Physique et mathématiques,
  • Chimie,
  • Biologie,
  • Botanique,
  • Zoologie,
  • Géologie,
  • Géologie et mines.

Contrairement au système en vigueur dans les universités françaises, la scolarité est obligatoirement la même pour tous les étudiants : elle comporte l’étude d’un programme de matières déterminé, réparti tout au long des années d’études. Les certificats de Licence actuels seront donc en fait des examens relatifs aux programmes annuels; une plus grande place doit être donnée au travail de l’étudiant pendant l’ensemble de l’année dans l’appréciation de ses résultats, sans d’ailleurs supprimer pour cela les examens de fin d’année. Les différentes facultés ou instituts doivent former les spécialistes de branches définies, à fonction définie dans la production, la vie sociale, culturelle, la recherche, etc.. et conduire l’enseignement de façon à atteindre cet objectif : de la sorte le gaspillage provenant du manque de précision et de délimitation claire dans la définition des buts visés par l’enseignement des facultés sera éliminé en même temps que sera améliorée la qualité de la préparation des futurs cadres à l’exercice de leur profession.

b. Écoles supérieures et Instituts spécialisés

Ce sont des établissements indépendants des universités, où se poursuit la formation des cadres supérieurs dans certaines branches techniques très spécialisées.

  • Médecine,
  • Médecine Vétérinaire,
  • Agronomie,
  • Écoles supérieures d’ingénieurs,
  • Écoles Normales supérieures.

En ce qui concerne l’enseignement, sa conduite sera comparable à ce qu’elle est dans toutes les écoles de ce genre à travers le monde : scolarité définie et la même pour tous les étudiants, la durée étant déterminée en fonction du niveau à atteindre, mais aussi de la complexité de la branche technique intéressée; grande liaison de l’enseignement avec la pratique du métier, alliant ainsi un haut niveau théorique à une familiarisation complète avec les questions (théoriques, techniques, pratiques) de conception et d’exécution auxquelles doit faire face tout spécialiste pour exercer sa profession de façon féconde et avec un esprit créateur.

Quant à la mise en place de ces établissements, elle doit se faire conformément aux besoins de l’économie nationale et à ses différentes étapes de développement — procédure ne signifiant aucunement qu’il faille pratiquer une politique au jour le jour.

Dans le cadre d’une planification scientifique de l’économie (qui est la voie unique d’une liquidation rapide et rationnelle du retard économique, social et culturel des pays africains), les prévisions à long terme et les résultats partiels obtenus à court terme permettent d’élaborer un plan rationnel d’implantation des différents établissements d’enseignement supérieur spécialisé et de l’évolution de leurs effectifs, plan qui doit d’ailleurs être intégré à celui du développement de l’enseignement et de l’éducation dans leurs différents aspects. Il est par ailleurs évident que dans la pratique aucun pays d’Afrique Noire ne disposera pendant une période qui peut être assez longue, des moyens nécessaires à la création de la totalité des établissements d’enseignement supérieur spécialisé assurant la formation des cadres supérieurs dont il a ou aura besoin. C’est là un problème sur lequel nous reviendrons.

4. Les cours du soir et les cours par correspondance

II ne s’agit en fait que de formes particulières de l’enseignement élémentaire, moyen général, moyen spécialisé et supérieur spécialisé. Cependant toute une série de circonstances exigent qu’un examen séparé soit consacré à ces deux genres d’enseignement :

1. Ils se déroulent dans des conditions assez spéciales, puisqu’ils s’adressent à la fois à des adultes, des adolescents et même des enfants (tant que la scolarisation ne sera pas complète); de plus une grande partie des élèves travaillent et de ce fait ne disposent que d’un temps assez restreint (le soir ou à domicile) pour s’occuper de leurs études; d’où un certain nombre de problèmes pédagogiques et d’organisation.

2. Cette forme d’enseignement est quasi-inexistante ou peu connue dans les pays d’Afrique Noire, en dehors de tentatives localisées dans les grands centres et à caractère intermittent, dont la portée, pour aussi réelle qu’elle soit, reste néanmoins très limitée (cours de vacances des élèves et étudiants, universités populaires); car s’il est vrai que beaucoup de gouvernements africains font un grand tapage autour de « réalisations » qu’ils voudraient « spectaculaires » dans ce domaine, (cours d’adultes, enseignement par radio, éducation de base, etc.), ce n’est que de la poudre jetée aux yeux de l’opinion internationale; en effet les « cours d’adultes » ont avorté du fait de leur inspiration colonialiste, de leur contenu anti-national, et de leur orientation paternaliste et bureaucratique par surcroît; aucun Africain n’est dupe de l’inefficacité totale et du caractère illusoire d’un « enseignement par radio » et d’une « éducation de base » conduits en langue étrangère et dotés de moyens dérisoires (ils se limitent souvent à quelques « cadeaux » des puissances impérialistes pour servir leur propagande mensongère, le mythe de l’aide technique, et permettre à leurs valets de faire semblant de s’occuper de l’éducation).

Si on considère l’ampleur du retard économique, social et culturel des pays d’Afrique Noire, l’urgence que revêt la solution de toute une série de problèmes auxquels ils sont confrontés, et en même temps certains aspects de la démographie de ces pays qui sont appelés à se maintenir pendant une période relativement longue (faible densité de population, espérance de vie à la naissance de l’ordre de 30 ans, mortalité infantile élevée entre 0 et 4 ans, etc.), il devient clair que c’est essentiellement par une poli-tique de développement culturel et technique que l’on pourra liquider les divers aspects du « sous-développement », dans la mesure où la population active d’un pays à un moment donné est l’unique artisan de tout changement devant intervenir à cour terme; l’on peut aisément comprendre et évaluer l’importance de l’organisation d’un enseignement du soir et par correspondance; il est pas du tout exagéré de dire qu’avec l’alphabétisation des populations, c’est une des conditions d’un essor culturel, technique, social et économique rapide des pays de l’Afrique Noire; une soif de connaître et une volonté d’apprendre très vives chez les Africains de tout âge et de tout sexe frappent quiconque s’est occupé tant soit peu sérieusement et concrètement des questions d’éducation dans nos pays; il est permis d’affirmer que quant à elles, les masses africaines des villes et des campagnes n’attendent que le moindre signe pour prendre d’assaut les citadelles réputées inaccessibles pour elles de la culture, de la technique, du progrès économique et social. À ceux qui chantent que « si la raison est hellène l’émotion est nègre[3] » ou qui, parvenus grâce à leur sueur et au sang des peuples africains à tel titre ou tel diplôme se croient ou feignent de se croire « exceptionnels », et doutent des capacités de leurs pères et frères ou les nient au nom des prétendues « réalités africaines », la « sagesse » dont ils se réclament avec tant de bruit a déjà répondu : « Le fils a dépassé le père? Qui est-il?[4] ».

Les particularités précédentes montrent assez l’importance qu’il faut accorder aux cours du soir et par correspondance, dans le cadre d’un véritable essor de l’éducation dans les pays de l’Afrique Noire. En même temps elles imposent un examen minutieux des différents problèmes liés à ces types d’enseignement, et le déploiement d’un grand soin et d’une attention particulière dans l’élaboration de leur solution et dans la mise au point de l’organisation de ces cours.

Malgré les points qu’ils peuvent avoir en commun, des différences évidentes et importantes (présence physique effective ou absence du maître et les conséquences qui en découlent sur le plan pédagogique, et dans l’organisation pratique des cours), conduisent à la nécessité d’organisations séparées des cours du soir et de l’enseignement par correspondance. Ce faisant, il est indispensable de réaliser une judicieuse répartition des tâches entre ces deux formes de l’éducation de façon à tenir le meilleur compte des particularités, utiliser toutes les possibilités (maîtres, matériel, etc.) et résoudre au mieux les problèmes et les difficultés.

a) Les cours du soir

Il s’agit, comme l’indique l’appellation, d’un enseignement qui se déroule le soir, après la fin de la journée de travail. En Afrique Noire comme ailleurs, c’est en effet à ce moment que l’on dispose d’assez de temps pour se consacrer à des études ou à d’autres loisirs. De façon générale, et compte tenu d’un certain nombre de facteurs (fatigue des élèves et des maîtres après le travail quotidien, heure des repas du soir, etc.), on peut considérer qu’une moyenne de deux heures de cours constitue un maximum qu’on ne peut dépasser que dans des cas exceptionnels. Cela donne une idée précise du temps global moyen dont disposent maîtres et élèves pour étudier les matières au programme.

Les cours du soir doivent embrasser les différents types d’enseignement :

  • alphabétisation
  • enseignement moyen général
  • enseignement moyen spécialisé
  • enseignement supérieur spécialisé

Ce qui précède souligne la complexité des problèmes à résoudre, auxquels se greffent de surcroît d’autres d’ordre pédagogique, social ou humain : problèmes soulevés par l’hétérogénéité des élèves sur le plan de l’âge (enfants, adolescents et adultes) et du sexe (particulièrement chez les adultes hommes et femmes). D’où la nécessité de les examiner pour dégager les éléments de leur solution et ceux d’une organisation rationnelle d’ensemble des cours du soir.

1) Problèmes généraux

Ils sont très nombreux et variés. On peut les classer en problèmes matériels, problèmes du personnel enseignant, problèmes généraux à caractère pédagogique :

a) Problèmes matériels

Pour être conduits correctement, les cours du soir, comme tout enseignement, nécessitent des conditions matérielles : locaux, livres et fournitures diverses; il faut d’ailleurs souligner que les exigences diffèrent selon le niveau de l’enseignement dispensé, se faisant de plus en plus grandes à mesure qu’on passe de l’alphabétisation à l’enseignement élémentaire, puis à l’enseignement moyen général ou spécialisé, et à l’enseignement supérieur. Quoi qu’il en soit, il convient d’observer dans ce domaine une grande souplesse et de s’adapter aux possibilités concrètes.

Sur le plan des locaux, tout ce qui peut être disponible doit être exploité : écoles, salles de réunions, certains locaux administratifs ou publics (bureaux, hangars de marché dans les grands centres, etc.) et même les locaux privés d’habitation (dans le cas de l’alphabétisation en particulier). L’équipement nécessaire s’il est réduit au strict minimum indispensable, ne posera pratiquement pas de problèmes : aussi bien pour l’alphabétisation que pour l’enseignement élémentaire et une bonne partie de l’enseignement moyen général, un tableau (mural, portatif, en bois, ou en toile), de la lumière et des tables et des bancs en constituent l’essentiel. Le caractère plus évolué de l’enseignement moyen général ou spécialisé et de l’enseignement supérieur particularise, en ce qui les concerne, la position du problème des locaux et de leur équipement; et dans ces deux cas, le plus simple (quand cela est possible évidemment) est d’utiliser les locaux des établissements permanents correspondants, tout au moins pour l’enseignement de certaines matières spécialisées. Dans la mesure donc où les pouvoirs publics voudront sur ce plan accorder toute l’aide qu’ils peuvent, où l’on fait appel à l’initiative de tous, le problème des locaux et du matériel peut être correctement résolu, surtout si l’on utilise au mieux les possibilités. Cependant, cela ne signifie nullement qu’ils seront toujours suffisants : en particulier pour conduire l’alphabétisation avec l’ampleur et la rapidité nécessaires, il n’est pas possible d’envisager que les cours se tiennent nécessairement dans un local approprié; il faudra sur ce plan comme sur d’autres, faire feu de tout bois, improviser les classes comme les tableaux avec les moyens disponibles.

En ce qui concerne les livres et les fournitures, le problème essentiel est celui de leur existence et il n’est pas particulier à l’enseignement du soir. Dans un premier temps et faute de mieux, on peut utiliser les manuels correspondants de l’enseignement permanent (élémentaire, moyen général ou spécialisé, etc.); ce qui ne va certes pas sans poser des problèmes pédagogiques dans leur utilisation efficace (ces questions seront abordées plus loin). Il faut examiner maintenant de façon concrète comment les élèves se procureront les livres nécessaires. L’expérience de plusieurs années de cours du soir à Dakar (Université populaire de Dakar) et Niamey (Université populaire de Niamey) nous a convaincus de ceci que si les manuels existent et pourvu que leurs prix ne soient pas exorbitants, l’écrasante majorité des élèves est prête à consentir le sacrifice nécessaire à leur acquisition, à celle des cahiers et d’autres fournitures indispensables[5]. Comme on le voit, le fond du problème peut se résumer ainsi : les gouvernements et les États prendront-ils les mesures nécessaires pour assurer le ravitaillement en livres : s’occuperont-ils de leur élaboration et de leur édition, assureront-ils par la création d’organismes appropriés, la mise à la disposition des acheteurs, de livres à des prix abordables? Comme il a déjà été indiqué, c’est là des questions qui ne concernent pas seulement les cours du soir, mais tous les secteurs de l’éducation et de l’essor culturel des pays d’Afrique Noire. Il suffit d’indiquer ici qu’il n’existe aucun obstacle sérieux à la réalisation des conditions énumérées, sinon l’insouciance des gouvernements vis-à-vis des problèmes d’éducation, attitude démontrée par une multitude de faits : fraction du budget consacrée à l’éducation, utilisation des imprimeries gouvernementales aux seules fins politiques et administratives (journaux et brochures du parti au pouvoir, imprimés et textes administratifs divers, etc.); alors que tant de choses auraient déjà pu être faites en faveur de l’éducation. C’est dire combien il est urgent que ceux-là mêmes qui veulent s’instruire et tous ceux qui ont à cœur l’accès des masses africaines à l’instruction mènent une action résolue pour que soient créées les conditions favorables à une extension véritable de l’éducation. Puisque chaque fois qu’on aborde ces questions la réponse toute prête est la « pauvreté » de nos pays, disons qu’en dilapidant moins (en fêtes et réceptions, en missions, en traitements de ministres, de députés, de directeurs et chefs de cabinet, etc., en voitures de services), en employant rationnellement les ressources propres des États et celles provenant de l’aide extérieure et de prêts, il est possible, pourvu qu’on en fasse réellement l’objet de ses préoccupations, de faire déjà beaucoup plus et bien mieux pour la satisfaction des besoins et aspirations des masses africaines. De plus, les dépenses, dans le cas qui nous concerne, ne sont qu’un investissement (au sens commercial du terme comme sur le plan social) puisque livres et fournitures seront payés par les élèves (nous avons évidemment en vue ceux des cours du soir).

b) Problèmes relatifs au personnel enseignant

La position concrète des problèmes relatifs aux maîtres appelés à assurer l’enseignement des cours du soir revêt, suivant le niveau de l’enseignement, des aspects différents. Ainsi, quiconque sait lire et écrire peut, après un stage d’assez courte durée, participer en qualité de maître à l’alphabétisation; l’enseignement élémentaire, moyen général ou spécialisé posent déjà du point de vue de personnel enseignant, des problèmes plus complexes; encore faut-il ne pas les grossir démesurément, ni les embrouiller, car selon qu’il s’agit d’adultes ou d’enfants et adolescents, les exigences pédagogiques ne sont ni les mêmes, ni ne revêtent la même acuité. Bien sûr, il faudra faire appel au corps enseignant actuel : moniteurs, instituteurs, professeurs, etc., mais aussi, et cela est particulièrement important pour une généralisation effective de l’enseignement élémentaire, moyen général et spécialisé, à tous ceux qui ont un niveau suffisant pour pouvoir contribuer utilement à la transmission de connaissances dans tel ou tel domaine. Un commis peut enseigner le calcul, la rédaction, etc.. un moniteur d’agriculture les sciences d’observation et la géographie, un infirmier les sciences d’observation au niveau de l’enseignement élémentaire, de même un médecin ou un pharmacien peut assumer des cours de sciences naturelles, de physique, de chimie, un ingénieur ceux de mathématiques, physique et chimie, et tel autre technicien telle ou telle autre matière dans l’enseignement moyen général ou spécialisé. Il va de soi qu’une aide devra être apportée par les membres de l’enseignement aux autres maîtres, notamment sur le plan pédagogique. Le recrutement des maîtres n’est sujet à aucune difficulté, du moins tant qu’il est fait appel aux uns et aux autres dans le cadre d’une activité sociale désintéressée, et tant que les gouvernements s’abstiennent d’utiliser des mesures bureaucratiques (réquisition d’office, souvent à l’égard des seuls instituteurs), pu de vouloir faire des « réalisations » démagogiques et de pure façade, destinées à être exploitées auprès des masses ou sur le plan de la propagande extérieure.

Le fait que les instituteurs africains, souvent réticents quand il s’agit des cours d’adultes officiels, (organisés sur la base de décisions administratives, en principe rémunérés et pratiquement jamais), participent bénévolement et avec enthousiasme chaque fois que des cours du soir sont organisés sans intervention des gouvernements, la bonne volonté dont font preuve les techniciens de différentes branches dans ces mêmes circonstances, tout cela confirme simplement qu’ils ne sont, pas plus que les masses populaires, dupes de la politique menée par la plupart des gouvernements dans les pays d’Afrique Noire (notamment sur le plan de l’éducation). Il n’y a aucun doute que quand les « sacrifices » cesseront d’être le lot des seules masses laborieuses pour s’étendre à tous, à commencer par les dirigeants politiques, membres des gouvernements, députés, hauts fonctionnaires, quand les discours cesseront d’être en contradiction avec les actes, quand les intérêts nationaux prendront le pas sur la course au profit personnel, à la jouissance la plus effrénée et la plus dégradante, à la hâte d’amasser des biens (villas, terrains, actions dans les sociétés impérialistes, placements dans les banques suisses ou parisiennes), et qu’enfin seront menées une politique intérieure de démocratie et d’union véritable de tous les patriotes (mais non pas le déguisement de la dictature de la néo-bourgeoisie alliée au néo-colonialisme que constitue le parti unique dont le programme n’est ni décidé par le peuple, ni conforme à ses intérêts), et une politique extérieure anti-impérialiste, résolument opposée à toutes les formes du néo-colonialisme (politique, économique, culturelle), alors sur le plan de l’éducation, comme dans tous les domaines, pourront se déployer librement l’initiative, l’énergie, le génie créateur des masses populaires enfin convaincues qu’elles travaillent à l’amélioration de leurs propres conditions de vie et à la construction d’un avenir meilleur pour leurs enfants. Il est clair qu’une telle politique implique que l’éducation soit placée au centre des préoccupations des gouvernements, comme elle est dès aujourd’hui une des aspirations les plus vives des populations africaines; alors avec une appréciation correcte de son rôle de levier puissant du progrès économique, technique, social et culturel, avec la mise en place de toutes les mesures propres à assurer son essor, le concours enthousiaste et bénévole de tous sera acquis dans le domaine des tâches d’éducation.

Mais s’il faut saisir la liaison étroite des problèmes d’éducation avec l’ensemble des autres problèmes posés au pays de l’Afrique Noire, il serait erroné de penser qu’il faille « attendre » que ces autres problèmes soient résolus pour « attaquer » les questions d’éducation. D’abord parce que la lutte sur le front de l’éducation fait partie intégrante de la lutte générale; ensuite parce que bien que la solution correcte et complète des questions d’éducation ne peut exister en dehors de celle de l’ensemble des problèmes politiques, économiques et sociaux, c’est aussi un fait que tout pas en avant sur le plan de l’éducation ne peut manquer d’avoir des répercussions positives dans le domaine politique, économique et social. Et c’est en particulier un des devoirs des enseignants africains d’abord, de tous les Africains conscients aussi, d’y contribuer par tous les moyens, notamment par des initiatives concrètes (organisation de cours du soir par exemple), de façon à en démontrer la possibilité et à mobiliser les larges couches de la population pour l’obtention des conditions permettant l’accès de la culture à un nombre de plus en plus grand d’Africains, notamment par la généralisation des cours du soir.

c. Problèmes à caractère pédagogique et d’organisation

Les élèves des cours du soir se composent aussi bien d’enfants que d’adultes, d’hommes que de femmes. Un certain nombre de problèmes surgissent de cette situation. D’abord dans la conduite de l’enseignement, on ne doit pas ( du moins quand cela est possible) utiliser les mêmes méthodes dans les différents cas, non seulement sur la base de considérations théoriques évidentes (les mentalités de l’enfant et de l’adulte, de l’homme et de la femme sont différentes), mais aussi pour des raisons pratiques (efficacité de l’enseignement qui n’est pas sans rapport avec l’homogénéité mentale de la classe). De plus, c’est un fait d’expérience familier à tous ceux qui se sont occupés d’éducation des adultes en Afrique Noire que ces derniers sont généralement réticents à avoir pour collègues de classe des enfants, ou même d’autres adultes quand ils ne sont pas de même sexe. Ce phénomène, étroitement lié aux habitudes et à la mentalité au sein de la société africaine traditionnelle, s’estompe notablement (quand il ne disparaît pas) chez les adultes plus jeunes qui ont fréquenté l’école, ou vivent dans les villes, et s’observe surtout chez les adultes des classes d’alphabétisation et de l’enseignement élémentaire. Quelle que soit l’appréciation qu’on peut en avoir (et c’est assurément un comportement erroné, non pas anormal), il ne peut être question de vouloir le nier ou le combattre, en le niant; c’est au contraire en le prenant en considération au départ qu’on arrivera, à travers l’éducation, à l’estomper. Dans les classes d’alphabétisation et les premières années de l’enseignement élémentaire on aura donc à séparer assez souvent et autant que possible, d’une part les enfants, de l’autre les adultes; au sein des adultes, les femmes des hommes. Les adolescents pourront en général être groupés avec les adultes, ce qui n’empêche pas de les classer avec les enfants selon les conditions concrètes. Cela permettra de résoudre au mieux les problèmes pédagogiques (pour les maîtres) et ceux ayant trait aux rapports humains (chez les élèves). Dans les classes d’enseignement moyen (général ou spécialisé) et supérieur, aucune précaution particulière ne s’impose en général; l’âge moyen est déjà élevé, et la réticence des hommes vis-à-vis des femmes a souvent disparu avec l’acquisition de l’instruction élémentaire.

Quant aux problèmes plus étroitement pédagogiques, qu’il suffise de les indiquer ici et de souligner certains de leurs aspects fondamentaux, car c’est dans le cadre d’une étude collective de la confrontation avec la pratique que leur solution correcte se dégagera. La nécessité de la mise au point de méthodes particulières pour les adultes (au moins au stade de l’alphabétisation et de l’enseignement élémentaire) est généralement reconnue par tous. Il faut cependant remarquer que c’est beaucoup moins en déployant des efforts d’imagination contemplative ou d’invention abstraite et théorique qu’en observant et analysant l’attitude de l’adulte vis-à-vis de l’enseignement, ce qu’il en attend, comment et à quoi il compte utiliser ses acquisitions, ses conditions de vie et ses préoccupations diverses, etc., qu’on pourra y arriver sans trop de tâtonnements.

À cet égard, l’essentiel semble donc de concevoir le rythme et le contenu de façon à tenir le plus grand compte des différents aspects précédents : avant tout répondre au désir ardent d’utilisation pratique immédiate dans le cadre de la vie sociale de l’adulte, ce qui n’empêche nullement que le niveau puisse être respecté. Il est par ailleurs souhaitable, (pour des raisons découlant de façon immédiate de remarques précédentes) de confier chaque fois que cela sera possible les élèves adultes femmes à un maître du même sexe; une femme est évidemment mieux placée que l’homme ayant la meilleure bonne volonté pour comprendre d’autres femmes et se faire comprendre d’elles, mais de plus cela permet d’élargir considérablement la portée sociale de l’enseignement, notamment sur le plan de la prise de conscience par la femme africaine de son rôle social et familial si décisif pour l’évolution de nos pays. Enfin l’organisation d’une aide sur le plan de la technique de la classe, de conseils pédagogiques sous des formes diverses (conférences, instructions, etc.) en direction des maîtres non membres de l’enseignement est indispensable à leur utilisation rationnelle et efficace et à la sauvegarde d’un maximum d’homogénéité dans le niveau de l’enseignement et dans les résultats attendus.

Il y a bien entendu d’autres problèmes encore : répartition du temps entre les matières, adaptation judicieuse entre l’horaire limité disponible et l’étendue du programme à étudier, (un tel enseignement est forcément accéléré, ce qui est d’ailleurs réalisable sans difficultés avec les adultes, mais de façon plus délicate avec les enfants), rythme et intensité du travail à domicile (devoirs), tenue et discipline en classe, etc. L’expérience montre qu’en s’inspirant des normes de l’enseignement permanent, on peut les résoudre correctement (respect de la fraction du temps consacré à chaque matière, et pour une matière à chaque partie du programme, du nombre moyen de devoirs, etc.).

2) Organisation des cours

L’expérience des Universités populaires montre qu’on parvient à une organisation rationnelle des cours en procédant successivement :

  • à l’inscription des élèves dans des lieux déterminés, à des heures précises pour le centre considéré;
  • au dénombrement des élèves inscrits pour les différents niveaux d’enseignement, sur la base des renseignements recueillis;
  • à la détermination, au vu de l’importance numérique, des classes à ouvrir et de leur nombre, sur la base des maîtres disponibles et des heures qu’ils s’engagent à assurer;
  • à la répartition des élèves entre les locaux en tenant compte (quand c’est possible) des données géographiques : emplacement du local et lieu d’habitation des élèves;
  • à la répartition des maîtres entre les locaux, en constituant des équipes et en désignant un responsable pour chacune d’elles;
  • au sein de chaque équipe, à la répartition de l’horaire (quand il y a plusieurs maîtres pour une classe) et des classes;
  • à la fixation de la date de « rentrée ».

Cette énumération a l’avantage de faire toucher du doigt les différents problèmes concrets posés sur le plan de l’organisation. Il reste à examiner par quelles mesures on peut y faire face avec efficacité.

Organisme responsable

Il est évident qu’il faut, pour assumer toutes les tâches pratiques mentionnées ci-dessus comme pour assurer la direction et le contrôle de la conduite des cours, un organisme responsable. C’est le moment de crier « surtout pas de bureaucratie! ». Dans le cas des universités populaires, c’est l’ensemble des maîtres bénévoles qui assureraient provisoirement ces fonctions, sous la forme d’un « Comité de préparation », jusqu’à ce qu’après la rentrée, des représentants d’élèves soient élus pour que puisse siéger un « Conseil de perfectionnement » comprenant maîtres et délégués des élèves. Si dans le cas d’une organisation systématique à l’échelle d’un pays donné, conçue dans le cadre général du système d’éducation, la même procédure ne saurait être rigoureusement appliquée (du fait de l’intervention des autorités administratives en particulier), il n’en reste pas moins qu’on peut s’en inspirer. Dans chaque centre, le responsable de l’enseignement (directeur d’école, inspecteur, etc.), pourrait être chargé de la mise sur pied de cet organisme sans d’ailleurs devoir y jouer le rôle de « chef »; le noyau de base (ensemble des maîtres) se chargera alors des tâches pratiques à exécuter et, complété ensuite par les délégués des élèves, constituera l’organisme responsable des cours du soir dans le centre considéré. L’inspecteur désigné par le gouvernement ayant pour tâche de participer à toutes les réunions de l’organisme responsable de façon à pouvoir aider à la résolution des divers problèmes en contribuant à assurer la mise à la disposition des maîtres et élèves de tous les moyens disponibles sur le plan administratif (locaux, matériel, etc.). Par ailleurs il aura à assurer l’inspection des cours, (contrôle pédagogique). Il va de soi que l’organisme responsable élit ses dirigeants sans que l’inspecteur ait à intervenir, tient des réunions périodiques et organise des assemblées de maîtres, d’élèves sous des formes appropriées.

Dans les grands centres, le nombre des maîtres (et des élèves) peut amener à décider la mise sur pied de plusieurs organismes responsables dans différents secteurs géographiques déterminés au préalable; ne serait-ce que pour des raisons de coordination dans le cadre d’une utilisation rationnelle des moyens, d’émulation et d’échange d’expérience sur le plan de l’enseignement, une liaison doit alors exister entre eux : soit qu’ils se constituent comme des sous-comités d’un organisme unique, se réunissant plus souvent séparément et de temps en temps ensemble, soit que l’on mette sur pied un Comité de coordination sous une forme appropriée.

En ce qui concerne l’articulation générale de l’organisation des cours du soir, elle se présenterait ainsi : le fonctionnaire responsable de l’enseignement dans une région (en général inspecteur) est chargé de suivre et de contrôler pédagogiquement tous les cours du soir ayant lieu dans la dite région; en même temps il doit aider à leur mise sur pied, à leur fonctionnement (conditions matérielles) sur la base des informations reçues (des Comités, des « inspecteurs » de centres), et aussi d’observations faites au cours de tournées obligatoires d’inspection. Sur le plan national, la direction des cours du soir est placée sous l’autorité du directeur général de l’enseignement public, ou des directeurs des enseignements général, moyen et supérieur spécialisés dans les cas respectifs.

Principes d’organisation

S’il est impossible d’envisager une description de l’organisation des cours du soir dans un centre du point de vue de sa structure en raison même des conditions variables d’un centre à l’autre, on peut du moins tenter de dégager des principes généraux suffisamment souples pour s’adapter dans leur traduction concrète à différentes conditions.

– Tout d’abord, dans la répartition des locaux, il convient de réaliser et de respecter une correspondance entre le niveau de l’enseignement et l’équipement matériel des locaux : ceux à équipement sommaire pour l’alphabétisation, et ainsi de suite; encore faudra-t-il tenir compte des conditions concrètes (nombre respectif d’élèves, existence ou inexistence de telle classe, etc.).

– L’enseignement moyen général et spécialisé et l’enseignement supérieur ne peuvent faire l’objet de cours du soir que dans les centres où existent les établissements correspondants : c’est là presque un fait d’évidence eu égard au problème des maîtres et du matériel, mais il est bon de le souligner.

– Dans la répartition des maîtres, affecter en priorité les membres du corps enseignant aux classes d’enfants et les maîtresses (enseignantes ou non) aux classes de femmes adultes.

– Chaque équipe de maîtres devra comporter des membres du corps enseignant dont le plus expérimenté en assurera la direction pédagogique.

– Lorsque plusieurs locaux sont contigus (cas d’écoles à plusieurs classes), les affecter de préférence à une série de classes de niveau échelonné, de façon à former une « école du soir » comportant autant de classes à partir de l’alphabétisation.

– Accorder une grande importance à la collation des notes et appréciations, à leur conservation pendant toute la durée de la scolarité des élèves : utilisation d’un système de fiches individuelles (imprimées ou ronéotypées, que les élèves paieront éventuellement) permettant la conservation de divers renseignements sur l’élève, et dont la capacité est de l’ordre de 5 ans.

– S’efforcer de mettre sur pied une bibliothèque de manuels et de brochures diverses, avec la participation financière des élèves (elle est toujours assurée pourvu que la somme demandée soit à la portée de leur bourse).

– Instituer, autant que possible, un insigne ou à défaut une carte d’élève des cours du soir.

– Enfin, conformément à une division rationnelle du travail entre les cours du soir et l’enseignement par correspondance, n’ouvrir des classes que pour un nombre raisonnable d’élèves (en particulier dans le cas de l’enseignement moyen général ou spécialisé et de l’enseignement supérieur) même si locaux et personnel sont réunis.

b) Enseignement par correspondance

L’enseignement par correspondance s’adresse aux personnes qui, désirant poursuivre leur instruction, ne peuvent pas pour une raison ou une autre (isolement, inexistence de cours, etc.), ou n’ont pas la possibilité de suivre des cours du soir. II se dispense sous la forme de cours polycopiés (ou de plan de cours), de devoirs qui sont envoyés à l’élève. L’élève étudie le cours, fait les devoirs, exercices et problèmes seul, en l’absence de toute présence physique d’un maître. Les devoirs et exercices envoyés à un centre de correction sont renvoyés corrigés à l’élève, avec des annotations et des conseils devant le guider dans son travail. De par sa forme même, un tel enseignement présuppose chez l’élève une certaine maturité jointe à un niveau minimum : de fait l’enseignement par correspondance ne peut s’appliquer avec fruit qu’au niveau de l’enseignement moyen général ou spécialisé et de l’enseignement supérieur spécialisé. En effet, d’une part l’âge de l’élève (qui est alors au moins un adolescent, sinon un adulte) garantit un minimum de maturité (indispensable à un travail à caractère personnel prononcé) et d’autre part son niveau lui permet alors de poursuivre avec fruit les études entreprises. (Il sait rédiger au moins passablement et est capable de tirer profit des annotations et des conseils).

Dans ces conditions, l’organisation peut-être relativement simple : un Centre National d’Enseignement par correspondance comprenant :

1°) un service pédagogique chargé de la rédaction des plans de cours, de celle de recueils d’exercices, pour les différentes matières (il est en effet indispensable de réaliser l’uniformité et l’homogénéité dans de telles circonstances), des conseils et directives etc., le tout étant multiplié et envoyé au fur et à mesure des nécessités aux élèves.

2°) un service de correction comprenant des enseignants de haute qualification (dans leur spécialité comme sur le plan pédagogique); en général, ce sont des maîtres ayant une grande expérience de renseignement qu’il faudra y placer.

3°) un service de courrier qui reçoit, dépouille, classe les copies pour les confier aux professeurs et après correction les reprend, enregistre les notes et assure l’expédition.

Du point de vue de la structure interne de son organisation, le Centre d’enseignement par correspondance doit comporter des sections (ou divisions) correspondant aux différents ordres d’enseignement : moyen général, moyen spécialisé, supérieur. Au sein de chaque section, une coordination doit obligatoirement avoir lieu entre les maîtres affectés à une classe déterminée : ainsi le travail des élèves sera suivi non pas seulement de façon étroite dans telle ou telle matière, mais dans son ensemble; les conseils ne pourront que s’en trouver plus adaptés à la situation et aux conditions de ceux à qui ils s’adressent en même temps que sera respecté l’objectif de formation générale visé par l’enseignement.

B. Organisation administrative des services de l’éducation

Nous avons déjà examiné l’organisation administrative actuelle de l’éducation, telle qu’elle a été léguée aux États africains par le régime colonial et conclu à la nécessité de la remplacer par une autre plus adaptée aux conditions de nos pays. Cela s’impose avec encore plus d’évidence dans le cadre d’une réorganisation complète du système d’éducation : les rouages administratifs dans tout État sont en effet conçus pour permettre la mise en œuvre d’une politique donnée des classes ou couches dirigeantes du pays considéré et sous les différents aspects qu’elle revêt : économique, social, culturel; on ne peut donc prétendre amener des changements effectifs dans un domaine quelconque tout en renonçant à toucher en quoi que ce soit aux rouages existants. Il est vrai que la capacité de résistance de ces derniers est énorme, y compris dans l’esprit des hommes (qui finissent par les con-sidérer comme des tabous, des fétiches intouchables). Il est non moins vrai que c’est s’exposer à des déboires et à des échecs cuisants que de ne pas prêter une attention suffisante aux mesures d’organisation destinées à permettre l’application effective d’une décision quelconque.

Pour assurer la direction et la gestion administrative, la coordination et le contrôle pédagogique des différents secteurs de l’éducation, pour veiller à la mise en œuvre correcte de la conception, de l’orientation et du contenu du système d’éducation préconisé, une organisation administrative appropriée est indispensable. Elle doit naturellement comporter différents services de conception et d’élaboration, de coordination, de contrôle, de gestion, et d’exécution; les rapports entre ces services, leur nombre et la répartition géographique doivent par ailleurs refléter, dans une certaine mesure et jusqu’à un certain point, ceux de l’organisation politique administrative du pays. En vue de l’obtention du maximum d’efficience dans le travail, une spécialisation de ces services en rapport avec les divers aspects de l’activité du ministère doit être instituée, sans nuire pour cela à la coordination entre eux. De plus, il convient de prendre garde de ne pas multiplier inconsidérément le nombre de ces services et de leurs sections, afin de ne pas en alourdir et compliquer inutilement l’organisation et la coordination. Dans le même ordre d’idées, on doit insister sur le fait que nos pays ont hérité de la domination coloniale un développement exagéré de la bureaucratie dans toutes les branches de l’administration. Un grand nombre d’institutions, de rouages, de formes d’organisation, trouvaient leur justification dans les méthodes et les objectifs propres à assurer l’oppression politique et le pillage systématique des richesses économiques des territoires africain par l’impérialisme (français, anglais, belge, etc.); ils visaient aussi à créer un véritable rideau de fumée destinée à prévenir et empêcher toute compréhension claire du mécanisme de l’administration du pays dans son ensemble de la part des populations comme des cadres subalternes indigènes, à tout embrouiller par une complexité apparemment inextricable, de façon à inculquer et entretenir chez les fonctionnaires africains de tous niveaux le mythe de « la nécessité du blanc pour que ça marche » (mythe qu’on ne dénoncera jamais assez tant il est ancré dans la conscience et le subconscient d’un grand nombre d’Africains — y compris souvent ceux qui prétendent et claironnent publiquement leur manque de complexes); en même temps était ainsi rendue quasi-impossible chez les masses africaines la possibilité de comprendre le mécanisme profond de l’exploitation coloniale, la nature et le rôle de l’appareil politico-administratif d’oppression coloniale, tout cela visant à retarder ainsi leur prise de conscience politique et ses conséquences. À moins de viser des buts identiques ou analogues, on ne peut maintenir en place une telle superstructure[6]. Par ailleurs, compte tenu des moyens dont disposent les États africains, de leur étendue et de l’importance numérique de leur population, la bureaucratie entraîne un gaspillage sur le double plan de l’immobilisation d’un grand nombre de cadres à des postes bureaucratiques (où leur rendement social est quasi-nul), et du renforcement d’une lenteur administrative déjà persistante du fait des conditions nouvelles (inexpérience, incompétence ou même inconscience aiguë des cadres et leurs conséquences). Il n’est pas non plus superflu de souligner que ce n’est pas dans la copie servile, sans aucun effort de réflexion critique et d’adaptation des institutions politico-administratives des États capitalistes (en premier lieu des anciennes métropoles), pas plus d’ailleurs que de celles des États socialistes, copie d’ailleurs souvent cantonnée dans tout ce qu’il y a de plus factice et superficiel (dénomination et titres, habitudes et autres faits extérieurs), que réside comme le pensent trop de gouvernements africains, la transformation de nos pays en « États modernes ». Il serait d’ailleurs erroné de ne pas voir le rôle joué dans ce domaine par le néo-colonialisme. Par l’intermédiaire du réseau soigneusement mis en place « d’experts » de tout crin, de « conseillers techniques » et autres cadres « généreusement et gratuitement prêtés » aux gouvernement africains par l’assistance technique, il développe ses plans et les met en application; en particulier, dans la mesure même où le maintien, mieux l’accroissement de la bureaucratie est un moyen puissant de corruption des couches de la petite et moyenne bourgeoisie (fonctionnaires, intellectuels, etc.), de leur transformation en valets soumis, en même temps que l’occasion d’inonder les pays d’un flot de techniciens étrangers, le néocolonialisme ne peut qu’encourager cette orientation. Ce serait se tromper lourdement que de croire que l’éducation n’est pas visée par ces plans; nous avons à cet égard déjà analysé la politique culturelle du néo-colonialisme. Un discours récent programme d’Adlai Stevenson, représentant des U.S.A. à l’O.N.U. jette une lumière crue sur les intentions impérialistes dans ces domaines.

Tout d’abord j’aimerais que nous mesurions et que nous acceptions l’obligation que nous avons de donner à l’Afrique l’instrument fondamental de son progrès — l’éducation. Quiconque a eu la chance de visiter ces régions d’Afrique où l’éducation est prodiguée de longue date — je pense au Ghana méridional, au Nigeria ou au Sénégal — ne doute pas un instant que 50 ans d’une tradition d’éducation ne puissent susciter des Africains formés aux disciplines et capables de diriger les destinées de leur pays. (Comment, c’est ce que l’orateur précise ainsi) : Après nous avoir aidés pendant un demi-siècle à maintenir notre niveau de vie, les Africains veulent maintenir leur part du gâteau. Et pour l’obtenir, ils doivent travailler. Pour l’obtenir, si besoin est, la domination africaine se fera plus cruelle que la domination blanche. (Dans quel but, c’est ce qu’indique clairement l’homme d’État américain) : Nous devons établir nos buts clairement : constitution d’une Afrique indépendante, unifiée si possible, formant une entité, ou bien groupant ses peuples dans les régions où la survie est possible. À cette immense zone en gestation, nous devons fournir les capitaux et l’aide technique nécessaire afin de faire éclater le circuit fermé de l’ancienne économie colonialiste, et d’édifier un marché intérieur étendu et développé. (Adlai Stevenson : Discours prononcé le 13 avril 1962 dans l’État d’Illinois in Afrique Nouvelle du 30 mai 1962)

En conclusion, on peut mesurer combien il est indispensable, sur un plan général comme sur celui de l’éducation, de mettre sur pied une organisation aussi simplifiée que possible des services, la moins bureaucratique possible, de façon à déjouer les plans d’invasion des « expert » et d’autres « techniciens » impérialistes, à mettre effectivement entre les mains des nationaux et sous leur contrôle effectif la conduite du développement de l’éducation. On doit également veiller, ce faisant, à adopter des structures telles qu’elles puissent aisément se prêter à des remaniements ultérieurs prévisibles ou qui peuvent se révéler nécessaires au cours de l’évolution politique, économique, sociale et culturelle des pays de l’Afrique Noire.

Sans préjuger du détail de l’organisation administrative de l’État considéré, on peut distinguer des services centraux installés dans la capitale (services du ministère de l’éducation) des services régionaux dans les capitales administratives ou économiques des régions (la définition de la délimitation de ces dernières pouvant être basées sur des arguments aussi bien administratifs, économiques que linguistiques), des services locaux, qui se réduiront pratiquement à l’aspect administratif de la direction des établissements scolaires.

1. Services centraux de l’éducation

Conformément aux conclusions présentées plus haut, on peut répartir les tâches et fonctions des services centraux de l’éducation comme suit :

  1. direction technique et administrative, coordination des différents secteurs de l’éducation; contrôle pédagogique; élaboration et conception (programmes, manuels, examens, planification, etc.);
  2. gestion administrative et financière du personnel et des établissements scolaires; statistiques scolaires;
  3. équipement des établissements scolaires (fournitures diverses, livres, matériel scientifique d’enseignement, etc.);
  4. publications, éditions (documents pédagogiques divers, manuels, programmes, brochures diverses, etc.);
  5. démarrage et coordination de la recherche scientifique.

Les différents organismes et services doivent assumer ces tâches et fonctions sous le double signe d’une spécialisation (reflétant une division rationnelle du travail) et d’une coordination pleine et entière. La solution de ce problème est heureusement largement simplifiée par les conditions objectives existantes dans le domaine de l’éducation en Afrique Noire : développement insuffisant de l’éducation, avec comme conséquence la primauté à accorder à son extension, et en premier lieu à l’alphabétisation et à l’enseignement élémentaire et moyen (général comme spécialisé); quasi inexistence de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans ces conditions, aucun éparpillement ne s’impose sur le plan de la direction, du moins pendant une période dont la durée dépend de la situation actuelle comme des efforts qui seront déployés dans l’immédiat. Une direction unique comportant des services spécialisés et s’appuyant sur des organismes à caractère non administratif permet de répondre correctement aux exigences actuelles et à venir.

a. Direction générale de l’éducation

Le personnel responsable qui la compose peut valablement être réduit à :

– Un directeur général de l’éducation directement responsable devant le ministre de l’éducation, chargé de la coordination générale, des questions de planification et s’occupant plus spécialement de l’enseignement moyen (général et spécialisé) et de l’enseignement supérieur; il est également chargé des questions et problèmes relatifs à la formation des maîtres pour l’enseignement moyen et supérieur;

– Un directeur général adjoint de l’éducation à qui revient plus particulièrement la charge de l’enseignement élémentaire, de l’organisation des cours du soir et de l’enseignement par correspondance; en outre, il s’occupe de la formation des maîtres pour l’enseignement élémentaire.

De façon collective, les deux directeurs assument les tâches d’élaboration et de conception, de contrôle pédagogique avec le concours d’inspecteurs généraux et dans le cadre de services et organismes qui seront examinés plus loin.

– Des inspecteurs généraux de l’enseignement, choisis parmi les maîtres en raison de leur qualification professionnelle (spécialité et pédagogie) et dont au moins trois résident de façon permanente dans la capitale, les autres pouvant enseigner (comme d’ailleurs les trois premiers), mais dans différents centres du pays; l’inspection de l’enseignement moyen (général et spécialisé) est du ressort des inspecteurs généraux qui l’assurent périodiquement pour les différentes matières; il ne doit d’ailleurs pas être exclu que des personnalités non membres de l’enseignement puissent être chargées de missions d’inspection dans les circonstances particulières (manque d’enseignants qualifiés, enseignement spécialisé, etc.)

– Un « administrateur » chargé sous l’autorité des deux directeurs de la gestion administrative et financière.

– Le personnel auxiliaire nécessaire au fonctionnement des services et organismes.

Du point de vue de l’organisation, les services directement intégrés à la direction générale de l’éducation peuvent comporter un Bureau pédagogique, un Bureau du Personnel et des Statistiques, un Service Administratif.

 

1. Bureau, pédagogique dirigé par le doyen des inspecteurs généraux. Il comprend :

  • une section inspection – méthodes pédagogiques;
  • une section programmes-examens;
  • une section rédaction de manuels.

Chacune de ces sections est placée sous la responsabilité d’un inspecteur général, le doyen étant chargé de la première section en plus de ses fonctions de directeur du Bureau Pédagogique. Les fonctions de chacune des sections sont suffisamment explicites pour nous dispenser de longs développements. Dans l’accomplissement de ses tâches, le Bureau pédagogique s’appuie d’une part sur les inspections régionales (voir plus loin) qui ont évidemment un grand rôle à jouer sur ce plan, particulièrement en ce qui concerne l’enseignement élémentaire, sur le travail d’inspection de l’ensemble des inspecteurs généraux et sur des commissions dirigées par chacun des responsables de section : Commission des Programmes, Commission des Manuels, Commission Pédagogique. La composition et le fonctionnement de ces dernières seront indiquées dans le cadre de l’examen de l’ensemble des organismes à caractère non administratif.

 

2. Bureau du personnel et des Statistiques. Dirigé par un « administrateur » sous l’autorité directe du directeur général et de son adjoint, il est chargé de suivre le recrutement, la répartition, l’affectation, le mouvement et la carrière du personnel de l’éducation et des écoles de formation des maîtres. Pour la commodité du travail il peut être divisé en 2 sections :

  • Enseignement élémentaire et Écoles Normales.
  • Enseignement moyen et supérieur et Instituts pédagogiques supérieurs.

Ces sections fonctionnent pour les affectations et l’avancement du personnel, en liaison avec les inspecteurs et les Commissions d’avancement et de mutation pour chaque corps d’enseignement (instituteurs, professeurs, etc.). Parallèlement chacune d’elles s’occupe des statistiques scolaires dans le secteur de ses activités.

 

3. Services administratifs sous la responsabilité d’un « financier ». Il est chargé de la gestion et du contrôle financier des différents établissements et du personnel : traitements, pensions, bourses, etc. Il suit, surveille et contrôle l’utilisation des ressources du budget de l’éducation. Sous l’autorité du directeur général et de son adjoint, ce service prépare le projet de budget, les commandes de matériel, etc.

b. Services rattachés à la direction de l’éducation

En plus des services faisant organiquement partie intégrante de la direction générale de l’éducation, il est indispensable d’en mettre en place trois autres qui peuvent lui être rattachés pour des raisons qui deviendront bientôt évidentes : le Centre d’enseignement par correspondance, le Centre d’équipement des établissements scolaires, le Service des éditions et publications de l’éducation.

1. Centre d’enseignement par correspondance

Étant une forme d’enseignement comme les autres, sa direction doit évidemment être assumée en liaison avec celle des autres secteurs de l’éducation. De plus, la structure décrite (et sur laquelle nous ne reviendrons pas) montre la nécessité, pour mener à bien les diverses tâches (réception, correction et expédition; élaboration de divers documents pédagogiques, etc.) de disposer d’un nombre suffisant de professeurs (correction) et de moyens matériels; toutes choses qu’il est plus facile de trouver dans la capitale et auprès du ministère de l’éducation. Le centre est dirigé par un professeur désigné et fonctionne, comme nous l’avons déjà indiqué, sous l’autorité du directeur général adjoint, les correcteurs étant recrutés parmi les maîtres (ou autres spécialistes) disponibles. Un personnel réduit peut assumer la réception et l’expédition des copies, leur classement et la tenue d’un fichier de notes et appréciations.

2. Centre d’équipement des établissements scolaires

Ce centre mérite une très grande attention. L’expérience du métier d’enseignant en Afrique Noire (et peut-être le poste idéal d’observation qu’occupe tout professeur de sciences physiques) nous a amené dès 1959 à proposer la création d’un tel centre pour les raisons suivantes, perceptibles à quiconque se préoccupe d’une meilleure utilisation des ressources financières mises à la disposition de l’éducation dans nos pays.

Selon les habitudes léguées par l’administration coloniale, tout le matériel (fournitures, livres, appareils scientifiques, etc.) nécessaire aux établissements scolaires est « commandé » par l’intermédiaire des maisons de commerce : il en résulte un prélèvement systématique de bénéfices (pouvant dépasser 30 ou 40% du coût réel) bénéfices qui sont des cadeaux gracieux consentis aux trusts commerciaux par les gouvernements; ces derniers, par ailleurs, se plaignent constamment de la modicité des ressources du budget. Il est vrai qu’il n’est pas rare que ces commandes (comme celles qui ont cours dans d’autres ministères) soient l’occasion de « pots de vin » perçus par tout un éventail d’individus (pouvant aller du ministre au fonctionnaire subalterne), ce qui permet de comprendre aisément pourquoi, tout en reconnaissant (en paroles) l’absurdité d’un tel système les responsables ne font concrètement rien pour le faire disparaître. Or, il est évident (et la mesure vaut pour tous les services), que les États africains vu leurs ressources, ont le plus grand intérêt à prendre dans leurs propres mains tout ce qui a trait aux commandes de matériel à l’étranger; notamment par l’intermédiaire du secteur d’État de l’économie dont ce peut être un des moyens de démarrage. En ce qui concerne l’éducation, cela s’impose d’autant plus que le commerce des fournitures, livres, matériel scientifique est peu développé quand il n’est pas inexistant : nombre très insuffisant de librairies et papeteries, ce qui permet à celles qui sont installées de faire la loi sur le marché, tant en ce qui concerne le prix (près de 100% ou plus de bénéfices) que le choix de livres; invasion de romans policiers, d’ouvrages faisant l’apologie de l’impérialisme; peu ou pas de livres fondamentaux sur l’histoire, la géographie, l’économie, les problèmes actuels de l’Afrique; absence quasi-totale d’ouvrages scientifiques et techniques, orientation ouverte de leurs affaires vers la seule clientèle européenne.

Dans le même ordre d’idée, le matériel le plus simple, même lorsqu’il est réalisable sur place, est commandé en Europe : d’où un prix de revient sans rapport avec sa valeur réelle et son usage dans l’enseignement; tel dispositif qui ne comporte que planches et poulies, tel autre constitué de boules métalliques suspendues avec des ficelles sur un support, bref de nombreux appareils simples d’enseignement de la physique, les tubes à essai et à réduction et bien d’autres pièces simples de verreries viennent (le plus souvent endommagés) d’Europe. Or, il n’y a aucun doute qu’il est parfaitement possible et combien plus profitable de construire et monter en Afrique une grande partie de l’appareillage utilisé dans l’enseignement. Certes, il faut pour cela les machines et les matériaux nécessaires, les ouvriers qualifiés ne manquant pas (les entreprises privées, elles, les trouvent bien). Les dépenses correspondantes sont loin de valoir celles que l’on accumule une année après l’autre par le système de commandes, et les prix de revient plus avantageux, surtout si l’on tient compte de la plus grande quantité qui pourra être produite; enfin, on peut également utiliser dans ce sens les élèves des établissements d’enseignement moyen spécialisé, et les travaux d’atelier dans renseignement moyen général.

On voit tout l’intérêt qu’il y a à créer un centre d’équipement des établissements scolaires, avec deux sections :

  • Fournitures (cahiers, plumes, craies, crayons, etc., livres).
  • Appareillage et matériel d’enseignement.

La 2ème section comprendra un atelier doté de quelques machines-outils courantes (tours, fraiseuses, perforeuses, scieuses, etc.), qui peuvent être combinées, d’un certain nombre d’autres appareillages (soufflage du verre, soudure, bobineuses, menuiserie), de façon à permettre de travailler les métaux, le bois, le verre. Il devra être approvisionné en matériaux bruts divers : divers métaux et alliage sous forme de barres, plaques et fils, verre en vrac; quelques ouvriers spécialisés (tourneurs, ajusteurs, fraiseurs, soudeurs, menuisiers) y travailleront sous la direction technique du contremaître ou d’un ingénieur, lequel d’ailleurs peut y occuper une partie seulement de son temps. Les projets établis par des enseignants avec la collaboration éventuelle d’autres spécialistes, sont examinés par une commission présidée par l’inspecteur général doyen, chiffrés, et une fois adaptés, transmis à l’atelier pour exécution.

Les dépenses correspondantes sont bien entendu prévues au budget sous la rubrique équipement et le matériel est comptabilisé dans le cadre du budget des établissements auxquels il est livré. En plus de l’atelier, est adjoint un magasin.

La 1ère section est essentiellement un magasin où sont rangés les fournitures commandées par les soins des services financiers sur décision prise d’après un projet de la direction générale.

La livraison est faite sur commande des établissements par décision du directeur général de l’éducation et son adjoint selon le secteur intéressé. Elle peut également être décidée pour l’ensemble des établissements d’un type donné par les mêmes autorités.

3. Service des publications et éditions de l’éducation

Le Ministère de l’éducation doit disposer d’une façon autonome d’un minimum d’équipement pour l’édition des documents divers : ronéo, petite imprimerie, même dans le cas où il peut, pour des publications importantes, s’adresser à une imprimerie existante du gouvernement (cas des éditions de certains manuels, brochures, etc.). Aucun travail sérieux n’est en effet possible dans le domaine de l’éducation dans les pays d’Afrique Noire sans la mise à la disposition des services de l’éducation des moyens nécessaires pour produire sur place et à bon prix toute une gamme de matériaux imprimés ou ronéotypés; qu’il s’agisse du matériel devant permettre de conduire l’alphabétisation et de poursuivre la consolidation et l’élargissement de la base culturelle qu’elle constitue, des manuels simples de l’enseignement élémentaire et moyen, et surtout des documents à caractères pédagogiques (instructions, guides pour l’enseignement de différentes matières lors du démarrage de la réorganisation des études et programmes, plans de leçons, conseils pédagogiques, etc.), la nécessité d’en disposer sur place, au moment voulu et en quantité requise est évidente. Aucun essor culturel ne pourra effectivement avoir lieu si ces conditions ne sont pas réalisées.

Les dépenses correspondantes (qui peuvent d’ailleurs par des mesures judicieuses être réduites au minimum indispensable) sont inévitables et dans ce domaine la coopération internationale[7] et interafricaine (sur laquelle nous reviendrons) peut jouer un rôle considérable. Et que ne pourrait-on pas en Afrique Noire avec moins de gaspillage, moins d’esprit de jouissance et l’arrêt du drainage actuel des fruits du travail du peuple dans les coffres des sociétés capitalistes et les poches des couches dirigeantes!

c. Organismes officiels à caractère non administratif

En plus des services et organismes examinés ci-dessus, et pour permettre une élaboration collective des différents aspects du travail, des organismes officiels à caractère non « administratif » travaillent auprès du ministre de l’éducation :

1. Un Conseil National de l’Éducation comprenant des enseignants, des spécialistes des différentes branches d’activité et présidé par le ministère ou le directeur général. Ce Conseil examine, discute et décide des questions d’orientation générale de l’éducation.

2. Commissions de travail : chargées de l’élaboration dans leurs domaines respectifs.

  • Commission des programmes et examens.
  • Commission de rédaction des manuels.
  • Commission pédagogique.

Placées sous la direction d’inspecteurs généraux, elles étudient, élaborent, dans le cadre d’une division du travail combinant l’apport individuel et le style collégial, les questions qui relèvent de leurs compétences respectives. Les projets de solution, après examen et discussion collective et adoption, sont transmis aux directeurs généraux pour être, selon le cas, examiné par le Conseil National de l’Éducation avant leur mise en application.

Ces commissions sont composées d’enseignants de différentes spécialités désignés par la direction générale sur proposition des inspecteurs régionaux. Tout enseignant peut leur faire parvenir sous forme de document qu’elles sont tenues d’examiner, ses suggestions, critiques, projets, etc. dans le domaine de leur compétence.

d. Commission du plan de l’éducation

Elle comprend des représentants de tous les secteurs d’activités de l’économie du pays, le directeur général et son adjoint, les inspecteurs régionaux. Elle est présidée par le Ministre de l’Éducation et est chargée de l’élaboration du projet de plan de l’éducation en liaison étroite avec les besoins et prévisions, et les objectifs dans le domaine de l’éducation.

2. Services régionaux

L’ensemble du territoire national peut être découpé en régions correspondant autant que possible aux divisions administratives (région ou ensemble de plusieurs cercles), à des unités économiques ou linguistiques. Au chef-lieu administratif (ou économique) est installée l’inspection régionale de l’éducation. Les services sont dirigés par un inspecteur de l’éducation et comprennent :

  • Un Bureau pédagogique,
  • Un Bureau du Personnel et Statistique,
  • Un Bureau Administratif.

Les inspections régionales assurent et contrôlent l’exécution des tâches de l’éducation sur l’étendue géographique qui leur est confiée. L’inspecteur régional est responsable du contrôle administratif du fonctionnement de tous les établissements d’enseignement (élémentaire, moyen et du soir) de sa région, en même temps que du contrôle pédagogique de l’enseignement élémentaire. Il est chargé de l’organisation des cours du soir, et dirige l’exécution des mesures d’aide du personnel enseignant aux participants à la campagne d’alphabétisation. En rapport direct avec les instituteurs, directeurs d’école d’une part, et de l’autre avec la direction générale de l’éducation, l’inspecteur régional joue un rôle particulièrement important autant sur le plan pédagogique qu’administratif : c’est dire tout le soin qu’il faut apporter à son choix.

L’unité administrative de base est naturellement l’établissement scolaire : école élémentaire, école moyenne incomplète, école moyenne complète, etc. Sous la responsabilité d’un Directeur (instituteur, professeur, ou spécialiste désigné selon le cas), elle constitue la cellule d’exécution des tâches d’éducation. Les rapports de l’école avec l’inspection régionale sont non seulement d’ordre administratif, mais doivent surtout se développer sur le plan pédagogique : soit lors d’inspections, de conférences régionales, soit même dans le cadre de rapports dénués de tout bureaucratisme entre enseignants de quelque sorte que ce soit.

3. Organigramme général de l’organisation administrative de l’éducation

Note des éditeurs : « L’ « organigramme général de l’organisation administrative de l’éducation » figurant dans l’édition originale, qui reprenait ce qui a été évoqué précédemment, n’a pas été reproduit dans cette édition.

C. Les programmes et les examens

Dans la mesure où les programmes constituent la traduction concrète de la conception, des objectifs et de l’orientation de l’éducation, et les examens un moyen incontestable de vérifier et sanctionner l’accomplissement des différentes tâches à travers les résultats de l’action d’éducation chez ceux qui la reçoivent, on ne peut éluder la question des programmes et des examens dans l’élaboration de tout système d’éducation. Il ne peut être question (et nous n’en avons pas la moindre prétention), de formuler les programmes des divers ordres d’enseignement : c’est là un travail qui pour être correctement accompli, nécessite d’être entrepris collectivement et cela à un double point de vue; non seulement le concours de spécialistes de différentes disciplines et travaillant dans différents ordres d’enseignement est indispensable, mais même pour une matière donnée et un ordre d’enseignement déterminé (élémentaire, moyen général ou spécialisé, supérieur), le recours à un collectif d’enseignants qualifiés est le moyen le plus sûr d’assurer une élaboration judicieuse. C’est pourquoi il ne peut s’agir ici que de présenter des remarques et propositions à caractère général.

1. Les programmes

Dans le cadre d’une conception unitaire (globale) de l’éducation, les programmes doivent fondamentalement être un ensemble homogène et coordonné tant horizontalement (au niveau d’une classe donnée), que verticalement (du point de vue de la succession des années d’études pendant la scolarité). En même temps, pour tenir compte de l’évolution physique, psychique et mentale de l’élève au cours de sa scolarité ou pour répondre à des objectifs précis de spécialisation, une délimitation des responsabilités respectives est nécessaire à différents stades de la formation de l’enfant et de l’adolescent, délimitation d’où découle une particularisation relative des tâches, moyens et méthodes. En ce sens on peut et doit distinguer :

  • Les programmes de l’enseignement élémentaire,
  • Les programmes de l’enseignement moyen général,
  • Les programmes de l’enseignement moyen spécialisé,
  • Les programmes de l’enseignement supérieur spécialisé.

a. En ce qui concerne l’enseignement élémentaire, les matières fondamentales sont :

  • la langue maternelle ou véhiculaire africaine,
  • les mathématiques (calcul),
  • sciences,
  • éducation morale et sociale,
  • activités pratiques,
  • éducation esthétique (musique, chant, dessin, etc.),
  • éducation physique,
  • la première langue étrangère.

L’enseignement simultané de toutes les matières (du moins sous une forme séparée, spécialisée) ne peut évidemment être conduit dès le début. Il n’en reste pas moins que dès les premières années, il peut et doit prendre place à travers les leçons de vocabulaire, la lecture, etc.

La première question qui surgit est celle de l’importance relative à donner aux différentes matières. Avant toute discussion, il est intéressant de citer quelques données statistiques, relatives aux moyennes des pourcentages de l’horaire global consacrées aux différentes matières dans l’enseignement élémentaire, dans 70 pays concernés par une enquête de l’UNESCO[8].

Moyenne pour l’enseignement élémentaire

Matières

Moyenne

Moyenne des écarts

Langue 13,16 ∓ 11,00
Mathématiques 15,98 ∓ 3,30
Sciences 10,69 ∓ 5,17
Éducation morale et sciences sociales 8,72 ∓ 5,61
Éducation esthétique 7,17 ∓ 4,02
Activités physiques 10,33 ∓ 6,14
Éducation physique 6,36 ∓ 2,63
Religion 5,14 ∓ 5,03
Autres activités 3,98 ∓ 2,47

Ces chiffres constituent un point de repère utile pour tous ceux qui, de près ou de loin, s’occupent de l’élaboration des programmes de renseignement élémentaire.

En ce qui concerne l’aspect théorique de la question soulevée (il a déjà été précisé qu’il ne s’agit pas de proposer ici une rédaction des programmes), il est important de l’examiner non dans le cadre de considérations abstraites et artificielles relatives à une détermination (alors inévitablement fausse malgré les semblants de justification invoquée), de « l’ordre de priorité » des matières en fonction du seul aspect des connaissances à faire acquérir ou d’un « équilibre » à réaliser, mais scientifiquement en partant des conditions concrètes comme des objectifs de l’enseignement au niveau considéré.

La part de chaque discipline particulière est (doit-être — A.M.) fixée en fonction tant de ses propres résultats et de sa logique que des besoins historiques concrets de la société. Il n’est pas moins indispensable de prendre en considération le rôle que joue l’appropriation des connaissances et capacités relevant de cette discipline dans le développement intellectuel de l’enfant, et ceci à chaque stade. La psychologie ne s’est pas occupée jusqu’ici de ce problème des proportions, c’est-à-dire du rapport des divers stades du développement de l’enfant à la quantité moyenne des matières susceptibles d’être assimilée par lui à un âge donné et dans une branche donnée. Il s’agit au fond d’étudier les modifications qualitatives et quantitatives complexes qui vont de l’activité de perception directe des connaissances par les sens à la pensée logique de l’élève. À chaque stade de développement de l’enfant, il faut déterminer la matière d’enseignement concrète qui est primordiale dans le processus d’appropriation du système de connaissances dans la catégorie considérée.

La pratique pédagogique atteste que les connaissances ne se fixent dans la mémoire que si elles rentrent dans un système dont les parties se rattachent les unes aux autres; il faut choisir le système en fonction du développement mental de l’enfant de manière à assurer la succession des connaissances (par exemple par les cycles d’enseignement).

Des recherches pédagogiques et psychologiques doivent être menées à ce sujet par des maîtres expérimentés. (Josef Linhart, Professeur à l’Université de Prague, Maître de recherches à l’Institut de Pédagogie de l’Académie Tchécoslovaque des Sciences in Recherches internationales, no 28, nov.-Déc. 1961, p. 156)

Autant que permettent d’en juger tant les résultats actuellement acquis à la suite de recherches relatives à l’évolution psychique, intellectuelle et mentale de l’enfant que ceux de l’expérience pédagogique dans les classes de l’enseignement élémentaire et moyen, une attention particulière doit être accordée en premier lieu à l’enseignement de la langue, ensuite à celui des mathématiques, des sciences d’observation et aux activités pratiques.

Le développement psychique de l’enfant se déroule au court d’un processus de communication, initialement pratique. Mais l’enfant entre très tôt en contact avec ceux qui l’entourent. Il rencontre des mots, commence à comprendre leur signification et à les employer activement dans son langage. L’acquisition du langage est la condition essentielle de son développement intellectuel car le contenu de l’expérience historique des hommes et leur pratique historico-sociale qui se fixent tout forme de choses matérielles se généralisent et se reflètent dans la forme verbale. C’est sous cette forme que se présente à l’enfant l’abondance des connaissances accumulées et des notions sur le monde qui l’entoure. (Alexis Leontiev, Professeur de Psychologie à l’Université de Moscou, Membre de l’Académie des Sciences pédagogiques, Vice-président de la Société des psychologues de l’U.R.S.S., Membre du Comité exécutif de l’Association internationale de psychologie scientifique, in Recherches internationales, No 28, nov.-déc, 1961, p. 29)

On peut d’ailleurs constater, sur la base des données statistiques déjà mentionnées, que de façon générale, l’importance particulière de l’enseignement de la langue est reconnue, bien qu’elle se traduise inégalement dans la pratique, puisque l’écart moyen de l’horaire consacré à la langue atteint le tiers de la valeur globale de cet horaire. De plus, il convient d’insister ici sur le fait que le « processus de communication » entre l’enfant et le milieu naturel et social, dans son aspect de « contact verbal » se déroule dans la langue parlée autour de l’enfant. L’école ne peut donc prétendre y contribuer positivement, tout en écartant cette langue et en imposant artificiellement à l’enfant un instrument de « contact verbal » étranger à son milieu social, et par là-même, tendant beaucoup plus à l’isoler de ce milieu : c’est en fait superposer au processus naturel, tel qu’il se déroule au sein de la famille et de la société, un deuxième, purement artificiel prenant place uniquement dans les murs de l’école; les conséquences d’un tel état de choses ont été examinées par ailleurs : perturbation du développement psychique et intellectuel normal de l’enfant, relâchement (sinon rupture) des liens qui l’attachent à son milieu, etc. Quant à l’enseignement des mathématiques, des sciences d’observation et aux activités pratiques, ils peuvent (et doivent) jouer un rôle non négligeable dès l’école élémentaire non seulement par leur contribution au développement et à l’affermissement de nombreuses qualités chez l’enfant (esprit d’observation, raisonnement, habileté manuelle et goût du travail manuel, attitude objective devant les choses, etc.), mais aussi et surtout dans la mesure même où ils répondent à des préoccupations présentes chez l’enfant (curiosité, recherche de justifications aux choses, besoin d’ordre et de classification, logique enfantine, etc.). Naturellement, toutes les matières ne peuvent raisonnablement pas être enseignées dans toutes les classes de l’enseignement élémentaire : ainsi le premier cycle doit être essentiellement consacré à la langue, aux premiers éléments de calcul et seulement en dernière année commencera l’enseignement des sciences d’observation (éléments d’histoire, de géographie, vie des plantes et animaux, etc.); le second cycle pourra alors voir un développement progressif des mathématiques et des sciences d’observation, du dessin, des activités pratiques autant individuelles que collectives, etc., la langue gardant toujours une place importante, bien qu’occupant alors une moins grande fraction de l’horaire global (par rapport au premier cycle).

Après l’examen de l’importance relative à accorder à chaque matière, il est nécessaire d’entreprendre celui du contenu des programmes. Il importe tout d’abord de mettre en garde contre les tendances à considérer que seuls les programmes de l’enseignement « secondaire » actuel méritent d’être révisés, tendance basée sur l’appréciation que les « adaptations » successives des programmes du primaire actuel les auraient rendus satisfaisants. Il n’en est rien. Tout d’abord parce que ces « adaptations » ne sont que des replâtrages par surcroît souvent improvisés, et qui n’ont pas fondamentalement changé l’esprit (sinon la lettre) des anciens programmes; de plus dans le cadre d’une conception unitaire de l’éducation, l’enseignement élémentaire n’étant qu’une phase d’un processus global (phase qui a certes comme les autres ses particularités propres en liaison avec les étapes correspondantes du développement de l’enfant), il ne peut être question de la séparer de l’enseignement moyen ni de prétendre réexaminer les programmes de la phase ultérieure en laissant de côté ceux du début; enfin il ne fait aucun doute que l’utilisation d’une langue africaine dans l’enseignement ne manquera pas d’impliquer des changements importants dans la structure et l’agencement des programmes.

L’aspect fondamental des changements qui nous semblent devoir intervenir sur le plan du contenu des programmes est leur « africanisation », dont l’introduction d’une langue africaine dans l’enseignement constitue déjà un point capital. De quoi s’agit-il? Moins d’ « enfermer » l’enfant africain dans le cadre étroit de son village, sa ville, sa région ou son pays, ou de lui inculquer un quelconque chauvinisme ou un racisme imbéciles que de partir chaque fois de son milieu naturel (matériel, socio-culturel) pour fonder et élargir progressivement sa prise de conscience, ses connaissances des choses et des hommes et son adaptation à la vie dans la société où il évolue, le conduisant ainsi à assumer son rôle et ses responsabilités futures d’Africain, plus généralement de membre de la communauté humaine. C’est d’ailleurs la seule orientation correcte eu égard aux stades de son développement parcourus par l’enfant tout au long de l’enseignement élémentaire, comme d’ailleurs aux étapes successives de tout processus d’acquisition de la connaissance.

Ainsi s’élargira progressivement le champ de vision de l’enfant, sa découverte de l’univers lui-même ainsi que son milieu de moins en moins immédiat, dans un cercle de plus en plus large, suivant le vrai chemin de la culture, qui va du proche au lointain, du particulier au général, du concret à l’abstrait, de l’individualité à la généralité, de l’intérêt égocentriste à l’intérêt altruiste. Ceci est vrai du contact avec les hommes autant que du contact avec les choses. (Paul Langevin. La pensée et l’actionop. cit. pp. 243 et suiv.)

Une objection plus ou moins clairement formulée par ses promoteurs et ses défenseurs africains (conscients ou inconscients) et étrangers (idéologues du néo-colonialisme) doit être examinée ici : celle qui veut voir dans une telle orientation du contenu des programmes un « retour au passé » (sous-entendu de barbarie et de sauvagerie), une attitude tournant le dos au « monde moderne », etc. À cet égard, il convient de remarquer qu’en Afrique Noire comme ailleurs la connaissance du passé est indispensable à une compréhension réelle du présent, et que si du moins on s’en tient aux faits objectifs, à la réalité concrète des pays africains actuels, les vestiges et les traces plus ou moins profondes du « passé » côtoient les manifestations matérielles et spirituelles du « monde moderne »; c’est cet ensemble complexe et mouvant qui constitue objectivement le milieu naturel (matériel et socio-culturel) de l’enfant dans l’Afrique Noire contemporaine. Certes, jusqu’à un passé récent, et dans une très large mesure encore aujourd’hui, ces deux aspects ont été ou sont plus juxtaposés que mis en position de pouvoir fusionner harmonieusement, ceci dans le cadre de la logique implacable des objectifs et méthodes de la domination coloniale. Il est vrai également que d’une part, l’idéologie colonialiste à travers ses thèmes favoris de propagande et l’influence qu’elle a exercé sur les Africains, d’autre part, la prise de conscience par ces derniers de la stagnation et du retard inséparables de la domination coloniale, ont eu pour conséquence d’opposer dans l’esprit de beaucoup d’entre nous l’idée du progrès avec la sauvegarde de l’héritage historique qui est le nôtre. Mais c’est un faux problème (ou une position fausse des problèmes), comme le montrent les faits et la vie, que de vouloir ramener la question à celle d’un « choix » et de plus en plus il devient manifeste qu’on le voudrait même, ce choix est impossible. La traduction concrète de l’ « africanisation » des programmes doit embrasser toutes les matières (calcul, histoire, géographie, science d’observation, etc.) et surtout être effective dans les manuels, ce qui pose le problème important de la rédaction de nouveaux manuels, problème que nous examinerons de façon plus particulière plus loin.

b) En ce qui concerne renseignement moyen général, les matières peuvent être réparties comme suit :

  • Langue et littérature :
    a. langue maternelle (ou véhiculaire africaine),
    b. langues modernes,
    c. langues classiques.
  • Mathématiques,
  • Sciences expérimentales,
  • Sciences humaines,
  • Activités et connaissances pratiques,
  • Éducation physique,
  • Éducation esthétique.

À titre de documentation et base de réflexion, voici des données statistiques relatives à l’importance respective des différentes disciplines d’après une enquête de l’UNESCO; dans 70 pays[9]; les moyennes calculées l’ont été sur la base de classement préliminaire en pays à enseignement unique et pays où existent des « sections » dans l’enseignement moyen général.

Moyenne pour l’enseignement moyen
Matières ou Disciplines Enseignement unique Enseignement sect. classique « Section » scientifique
Moyenne Écart Moyenne Écart Moyenne Écart
Langue maternelle 13,8 ± 2,55 15,36 ± 3,47 13,72 ± 3,20
Langues modernes 13,18 ± 5,77 15,67 ± 5,16 15,25 ± 4,21
Langues anciennes 1.71 9,59 2,12
Mathématiques 13,43 ± 1,95 10.71 ± 1,99 16,32 ± 3,60
Sciences expérimentales 14,50 ± 3,39 11,34 ± 3,30 18.28 ± 4,44
Sciences humaines 17,48 ± 4,61 18,08 ± 5,05 13,45 ± 3,42
Connaissances pratiques 7,87 ± 7.12 3,23 ± 2,89 4,29 ± 3,74
Éducation artistique 6,62 ± 3,00 4,60 ± 2,20 5,43 ± 2,83
Éducation physique 6,69 ± 2,15 7,57 ± 2,30 7.45 ± 2,30
Enseignement religion 1,40 2,52 2,48
Disciplines diverses 3,24 1,29 1,16

Quant à l’importance à donner aux différentes disciplines et au contenu des programmes, les remarques générales et les conclusions développées plus haut restent valables : choix des matières principales en fonction de l’étape du développement de l’enfant et l’adolescent, « africanisation » (dont le caractère véritable pourra enfin se révéler grâce au développement mental maintenant notable de l’enfant).

Si la langue (maternelle ou africaine véhiculaire) doit encore garder une place importante (en tant qu’instrument d’expression de la personnalité de l’individu), les mathématiques, les sciences de la nature et les sciences humaines, les activités pratiques, l’apprentissage des langues modernes étrangères doivent voir s’élargir considérablement la part qui leur est faite dans l’enseignement, en accord avec et tout en respectant sur le plan pédagogique les particularités des étapes correspondantes de l’évolution de l’enfant. Pendant le premier cycle, en dehors de toute ambition déplacée d’accumuler le plus de connaissances et de toute spécialisation hâtive et arbitraire, toutes les disciplines devront être équitablement représentées, de façon à fournir à l’enfant les moyens nécessaires à l’éclosion et au développement de ses facultés et de ses capacités dans tous les domaines de l’activité humaine. Alors seulement pourra être préparée une orientation rationnelle (autant par rapport à la personnalité de l’individu que vis-à-vis des intérêts de la collectivité) et qui pourra alors s’opérer progressivement pendant le second cycle. Au cours de ce dernier, pourra s’effectuer une division en deux séries : sciences humaines et sciences de la nature, l’enseignement de base restant le même (langues, histoire, géographie, mathématiques, activités pratiques, etc.), avec seulement des particularités, la différenciation portant plus sur la place réservée respectivement aux sciences humaines et aux sciences de la nature.

L’enseignement des sciences physiques et naturelles débutera avec la scolarité du premier cycle :

C’est en effet de 12 à 15 ans que devrait se placer la seconde étape de l’initiation, correspondant à l’acquisition de la notion de loi, de série causale, établissant des liaisons nécessaires entre les faits, dont la connaissance nous permet d’agir sur les choses et de prévoir les événements. J’ai pu constater personnellement qu’un semblable enseignement, fondé le plus largement possible sur des travaux pratiques, réussit admirablement avec des enfants de cet âge. (Paul Langevin, La pensée et l’action, op. cit. pp. 219 et suiv.)

Concurremment les mathématiques occuperont une place de choix, tout en revêtant un caractère concret; l’histoire et la géographie devront perdre le caractère de catalogues de faits et de chiffres entassés pêle-mêle pour s’orienter vers l’acquisition d’une compréhension de l’évolution des sociétés, des cadres matériel et naturel de l’activité millénaire de l’homme, des transformations issues de cette dernière; les activités pratiques individuelles et collectives (self-service, travaux manuels divers, etc.) sont indispensables autant pour le développement de l’habileté de l’enfant que pour éviter la naissance d’une mentalité plus ou moins méprisante à l’égard du travail manuel.

Le passage au second cycle de renseignement moyen, avec la répartition des élèves en deux séries comme il a déjà été mentionné, ne doit pas pourtant prendre l’allure d’une fausse « spécialisation ». Il s’agit surtout de développer et d’aider à conduire à leur épanouissement les facultés de l’enfant et de l’adolescent, en passant à une autre étape de sa formation. D’où la place à donner à l’enseignement des sciences : sciences de la nature et sciences humaines, mathématiques, dont la valeur ne doit pas être jugée sur la base étroite d’une future spécialisation, ni même sur le seul caractère utilitaire des connaissances correspondantes pour la vie moderne, mais surtout pour tout son aspect hautement éducatif, pourvu qu’il s’articule avec un cours d’histoire des sciences, des peuples et civilisations. Avec Paul Langevin, nous pensons que cet « enseignement qui doit développer l’esprit de l’enfant par le contact avec la réalité et lui donner le sens d’un effort collectif et continu de notre espèce, possède non seulement un intérêt scientifique mais contribue aussi à la culture morale et à la culture générale[10] ». Car comme le notait Berthelot :

Nous sommes les esclaves d’une vérité qui nous est extérieure et que nous ne pouvons connaître qu’en l’observant… La vérité s’impose ainsi avec la force inéluctable d’une nécessité objective, indépendante de nos désirs et de notre volonté. Rien n’est plus propre que cette constatation pour donner à l’esprit cette modestie, ce sérieux, cette fermeté, cette clarté de conviction qui le rendent supérieur aux suggestions de la vanité ou de l’intérêt personnel… L’habitude de raisonner et de réfléchir sur les choses, le respect inébranlable de la vérité, et l’obligation de s’incliner devant les lois nécessaires communiquent à l’esprit une empreinte ineffaçable. (Berthelot cité par Langevin)

Mais ce n’est pas là « tout le bénéfice que l’on peut tirer des études scientifiques : la troisième étape, dans laquelle l’être humain vient en quelque sorte s’insérer dans la vie collective de l’humanité en lutte contre un monde initialement hostile doit faire comprendre aux élèves quelle solidarité en résulte entre les générations et quels devoirs elle leur impose[11] ».

Les programmes doivent éviter au maximum l’orientation dogmatique de ceux actuellement appliqués, l’encombrement de l’esprit de l’élève par un amas de connaissances, lois, formules sans lien cohérent et par surcroît souvent dépassées sinon périmées, la confusion entre culture et formation et volume des connaissances emmagasinées; ils doivent refléter la conviction que « l’enseignement ne peut donner en réalité, qu’un commencement de culture, qui met l’individu à même de désirer et de goûter celle-ci[12] », et viser à donner plutôt des bases solides et conformes au mouvement incessant de progrès que de prétendues « connaissances définitives ».

On est convaincu depuis longtemps que la formation humaine, qu’elle soit générale ou professionnelle, doit être renfermée dans les murs de l’école. Les capacités acquises en dehors de ces murs, par d’autres voies, paraissent toujours imparfaites, et indignes de confiance. Ce point de vue incline à introduire dans les programmes scolaires, tant de formation générale que professionnelle, tout ce que l’homme doit savoir dans toute sa vie. Les conséquences de cette tentative sont d’abord, les programmes surchargés, ensuite l’introduction « en provision » de matières trop difficiles pour un âge donné. Le travail scolaire fondé sur une telle construction ne peut produire de bons résultats ni pénétrer en profondeur dans la vie intérieure de la jeunesse. En s’appuyant sur de tels principes, non seulement nous ne réussirons pas à lier l’enseignement général à l’enseignement professionnel, mais encore, en les considérant séparément, nous alourdirons davantage les programmes et en rendrons la réalisation difficile.

(…) Dans la période où nous vivons, période de civilisation instable, l’école est tout à fait incapable de donner une instruction universelle. Même en élargissant les programmes et en allongeant la période scolaire, nous n’arriverons jamais à assurer aux individus et aux groupes la formation suffisante pour toute leur vie. Ils devront toujours modifier et compléter ce qu’ils ont appris en classe. C’est en tenant compte de cette nécessité et en créant les conditions appropriées de sa réalisation que nous serons amenés à considérer l’école comme une institution donnant seulement aux élèves des notions élémentaires et fondamentales de culture générale et professionnelle. Ainsi nous éviterons de surcharger les programmes d’une façon stérile et dangereuse. (Bogdan Suchodolski, directeur de l’Institut des Sciences pédagogiques de l’Université de Varsovie, in Recherches Internationales, no 28, 1961, 123)

3. En ce qui concerne l’enseignement moyen spécialisé et l’enseignement supérieur, eu égard à la grande variété des disciplines et spécialités, il ne peut être question d’entreprendre, même sur un pian tout à fait général, un examen différencié des programmes respectifs.

a. Les programmes de l’enseignement moyen spécialisé doivent tenter de concilier un certain nombre d’exigences : rapidité relative de la formation des cadres devant les besoins pressants, bonne maîtrise de la spécialité intéressée, tout en évitant une formation trop étroitement « pratique » qui ne résisterait pas à l’épreuve du progrès technique, et se transformerait inévitablement en une routine pure et simple. Dans ces conditions, il est particulièrement important de sérier les problèmes et les difficultés, afin d’aboutir à une solution rationnelle : avant tout, il faut se convaincre et reconnaître qu’une formation complète et idéale au sein des établissements ne peut permettre de satisfaire les besoins, du moins pour certaines branches d’activité (notamment santé publique, éducation, etc.); mais aussi, il convient de se garder d’une orientation sacrifiant totalement la qualité de la spécialisation à la quantité de spécialistes, orientation dont les conséquences seront catastrophiques à plus ou moins brève échéance. C’est pourquoi il est indispensable de concevoir de front, pour les spécialités où l’ampleur des besoins justifient une telle procédure, deux programmes de formation : l’un normal, l’autre accéléré, en établissant un rapport adéquat entre leurs durées respectives selon la spécialité, sur la base des données de la pratique de la profession considérée. Ainsi serait écarté une première difficulté. Il serait évidemment illusoire de s’en tenir là : il est indispensable que cette formation accélérée s’articule avec la poursuite de l’étude de la spécialité pendant l’exercice de la profession sous une forme organisée et obligatoire (combinaison de l’enseignement par correspondance et de stages de perfectionnement), réalisant ainsi une répartition judicieuse et appropriée des programmes de formation normale entre la période d’enseignement accéléré et celle qui se place immédiatement après. Quant aux autres exigences, la base essentielle de leur résolution se trouve incontestablement dans une spécialisation reposant sur une culture scientifique aussi large que possible, évitant un praticisme étroit : chose tout à fait possible, si l’on sait s’en tenir aux fondements indispensables et si simultanément, on communique aux futurs spécialistes l’habitude du travail personnel de documentation, de mise au courant, etc., de façon à leur permettre de pouvoir dans les conditions du travail productif, poursuivre par les cours du soir, l’enseignement par correspondance et l’étude individuelle, l’élargissement de la formation scientifique générale acquise à l’école.

Depuis que le travail professionnel des hommes dépend du progrès scientifique, la connaissance des bases scientifiques d’action doit être un élément indispensable de la préparation professionnelle. Acquérir des capacités pratiques ne peut suffire; mieux comprendre la théorie est de plus en plus indispensable. Depuis que, sous l’influence scientifique et technique, le travail subit des transformations rapides, savoir suivre le progrès et s’en approprier les résultats doit entrer nécessairement dans la formation professionnelle. Il ne suffit pas de produire des stéréotypes d’action figée, il faut savoir briser les schémas appris, surmonter la routine, réaliser sur de nouvelles bases… Dans les conditions techniques actuelles, n’est pas bien préparé le travailleur qui arrive dans le métier capable d’accomplir des fonctions étroitement spécialisées, mais celui qui y arrive, avec une solide connaissance des bases scientifiques générales et de celles de sa profession, capable d’acquérir de façon intelligente et rapide la technique d’action exigée dans un lieu de travail donné et au degré technique correspondant. (Bogdan Suchodolski, op. cit. pp. 133-134)

b. Un grand nombre de remarques déjà faites (notamment en ce qui concerne l’enseignement moyen spécialisé) s’appliquent également à l’enseignement supérieur. Il est cependant évident qu’à ce niveau le raccourcissement de la durée moyenne des études s’obtiendra plus rationnellement par l’organisation des études et une conception plus juste des programmes. Si, en raison du développement scientifique et technique et du niveau théorique requis de cadres hautement qualifiés, l’enseignement supérieur doit donner une haute formation théorique, il importe de ne pas vouloir « tout apprendre » à la faculté, à l’institut, ou à l’école d’ingénieur. Là encore plus qu’ailleurs, en raison des changements rapides des techniques liés au rythme de l’évolution scientifique contemporaine, l’acquisition d’habitudes de travail personnel, de recherche et d’utilisation de la documentation, etc., est aussi importante sinon plus que celle d’une masse de connaissances.

Il ne peut être question de réduire en quoi que ce soit la base de culture scientifique indispensable à la formation de spécialistes hautement qualifiés; il est par contre tout à fait possible, souhaitable, indispensable même, de ne pas submerger les programmes de recettes techniques, mais plutôt de s’en tenir fondamentalement aux méthodes et procédés généraux, en les éclairant par la base technique et scientifique de laquelle ils surgissent. L’organisation appropriée du travail de documentation en ce qui concerne les « recettes techniques » permettra de purger les programmes, en même temps que de communiquer de saines habitudes de travail aux futurs spécialistes. Il faut aussi à ce point de vue, souligner que le contact, la liaison, la participation à l’activité productrice, a, sur le plan de l’assimilation de procédés et de recettes, plus d’efficacité que n’importe quelle description morte. Une telle orientation traduite dans les programmes permettrait une formation plus solide, parce qu’en contact avec les problèmes plus concrets de l’exercice de la spécialité intéressée, contact qui ne manque d’ailleurs jamais, quand il est judicieusement orienté, de rejaillir considérablement sur le niveau de la formation théorique si tant est que cette dernière est réellement élevée. Le contenu des programmes ne doit pas être figé pour pouvoir être continuellement et concrètement adapté aux acquisitions nouvelles de la science et de la technique : c’est là une préoccupation qui doit être constante et qui rejoint les autres dans le sens de la nécessité de donner à la formation scientifique générale une place primordiale.

Les cours des écoles supérieures doivent tout le temps être améliorés. Pour cela, sans doute, il ne faudra pas s’engager dans la voie de l’élargissement continu des cours existants, de leur surcharge par une nouvelle et toujours nouvelle documentation. De la sorte n’est pas résolue la question d’une certaine surcharge des étudiants. C’est pourquoi dans les cours il faut inclure seulement les fondements de la science donnée et aussi un choix de ses acquisitions les plus nouvelles, que l’on doit systématiquement renouveler. Les étudiants doivent avoir une représentation correcte à l’échelle de la science contemporaine, comprendre clairement qu’il ne peut être question de transmettre son contenu complet par des cours quelconques, apprendre à chercher eux-mêmes et à choisir la littérature scientifique sur les questions plus étroites qui les intéressent. (V. Eliontine, Ministre de l’Enseignement supérieur et de l’Enseignement technique de l’U.R.S.S., Pravda, 20 juillet 1962 [traduction de l’auteur])

Des idées générales, claires et bien groupées, dit Langevin, laissent au contraire à l’étudiant la souplesse nécessaire pour assimiler les faits à mesure des besoins, et le sens vivant du progrès lui permet de jeter à propos le lest des choses surannées; tandis que les dogmes inflexibles ne peuvent que se briser au contact de faits contraires et laissent désarmé celui qui les reçut, heureux encore si lui-même n’en a pas subi de déformation permanente[13].

Nous ne pouvons mieux conclure l’examen des programmes des différents ordres d’enseignement qu’en soulignant la liaison étroite qui doit se refléter dans les programmes, entre l’école et la vie. Avec Paul Langevin, nous plaidons pour l’unité de l’école et de la vie, du réel et de la pensée, de la matière et de l’idée, de la culture générale avec la formation professionnelle,

C’est une liaison organique qu’il faut instituer entre l’école et son milieu et non des rapports occasionnels sous forme de classes promenades ou de visites scolaires isolées dans les usines ou sur les chantiers. L’école doit s’unir à la nature et à la vie, quitter souvent les murs de la classe pour y revenir chargée d’observations et d’expériences, s’enrichir de réflexions et de méditations, s’initier à la notation, à l’expression, à la représentation des choses vues, vécues ou senties. Elle doit se sentir constamment solidaire de ce monde extérieur dont elle prépare l’accès. (Paul Langevin, op. cit.)

2. Les examens

Dans une conception saine et démocratique de l’éducation, les examens doivent perdre le caractère de moyens de discrimination qu’ils revêtent trop souvent entre les enfants selon les différentes couches sociales dont ils sont issus. Ils doivent constituer uniquement sur le plan pédagogique une partie (qui a son importance, mais une partie seulement) de l’arsenal des moyens et méthodes permettant de garantir et contrôler le niveau des études, le travail des élèves comme l’efficacité des maîtres, des méthodes et des programmes eux-mêmes. Ceci dans le cadre de haute conscience des responsabilités des maîtres comme des élèves en dehors de toute orientation malthusienne mais aussi de toute démagogie qui ne peut, tôt ou tard, qu’être préjudiciable à la collectivité; en effet une conception saine des examens, jointe à une judicieuse mise au point des formes concrètes de leur organisation, à leur adaptation aux différents stades de l’évolution de l’enfant ou de l’adolescent, peut faire beaucoup dans le sens de la naissance et du développement d’une émulation véritable tout au long du processus d’éducation.

C’est dire que leur nombre ne peut qu’être très limité en ce qui concerne l’enseignement général (élémentaire et moyen) : ils doivent avoir des objectifs pédagogiques définis et se placer impérieusement aux périodes de passage de l’enfant d’un stade à un autre dans son évolution et en même temps correspondre à des raisons objectives de contrôle. Pour l’enseignement moyen supérieur spécialisé, les examens doivent revêtir soit le caractère d’un contrôle préliminaire des aptitudes requises pour l’exercice d’une profession (et jouer un rôle de moyen d’orientation correcte des élèves), soit garantir le niveau et la formation du technicien ou du spécialiste par l’école fréquentée. En particulier, le passage d’une classe ou d’une année à une autre dans un cycle d’enseignement donné ou dans un établissement d’enseignement spécialisé doit se faire essentiellement sur la base du travail pendant l’année correspondante et non sur la base de quelques épreuves, correspondant à un délai trop restreint pour permettre ou justifier un jugement fondé et équitable. L’acquisition de la capacité de réaliser en un temps limité doit certainement retenir l’attention des maîtres et être un souci constant de l’éducation Encore faut-il soigneusement la distinguer d’un certain automatisme dans le maniement des formules et d’une surcharge de la mémoire dont l’ampleur tend à devenir dangereuse. C’est beaucoup plus par un entraînement méthodique et rationnel mené tout au long des années de scolarité sous des formes appropriées, plutôt que par des exigences subites et non préparées qu’on arrivera à assurer une efficience réelle chez l’élève. Il est plus juste, plus profitable à l’élève comme à la collectivité, en même temps que plus conforme aux objectifs de formation de l’éducation à tous les niveaux, de transformer radicalement l’atmosphère et les conditions des examens, notamment en permettant l’usage d’une documentation (dont l’étendue et le contenu peuvent au besoin être très strictement définis); cela rapprocherait bien plus les conditions d’examens des conditions concrètes de la vie et supprimerait toute une série d’aspects négatifs liés à la conception en cours (fraudes, bachotage; efficacité réelle et valeur objective douteuses des examens en tant que moyens de contrôle).

D’une façon plus précise, il n’y a place pour aucun examen avant la fin du premier cycle de l’enseignement moyen général : les passages de classe en classe dans l’enseignement élémentaire puis de ce dernier à l’enseignement moyen doivent se dérouler normalement sur l’appréciation du travail scolaire de l’année écoulée. Que subsiste le Certificat d’études élémentaires, sous la forme d’un examen, mais surtout d’un document attestant l’accomplissement dans des conditions normales de l’enseignement élémentaire, on ne peut raisonnablement s’y opposer dans les conditions actuelles des pays d’Afrique Noire : il serait délivré par l’Inspecteur régional sur la base d’un contrôle (qui entre dans ses attributions normales) des effectifs scolaires et des résultats dans son secteur. Une telle procédure permettra de tenir compte de l’existence d’élèves qui peuvent être appelés à entrer pour une raison ou une autre dans la production ou dans les écoles de formation professionnelle. Le premier examen se placera à la fin du premier cycle de l’enseignement moyen général, avec un caractère d’orientation soit vers l’enseignement général (2ème cycle), soit vers les écoles moyennes spéciales; bien entendu, compte devra être tenu dans cette répartition du goût des élèves et des besoins de l’économie nationale.

Le deuxième examen de l’enseignement général se placera à la fin du 2ème cycle; tout conduit à lui donner beaucoup plus le sens d’un diplôme de fin d’études et de contrôle de niveau, plutôt que d’un moyen de barrage à la poursuite des études par les adolescents. La seule assurance de la sauvegarde d’une telle signification, en même temps que la garantie d’un niveau convenable, réside dans une double considération des notes du 2ème cycle et d’un nombre limité de compositions où l’interrogation orale doit occuper une place prépondérante.


  1. Respectivement projet Christol-Médard et projet Degout.
  2. Frantz Fanon, Les damnés de la terreop. cit. p. 158.
  3. Léopold Sédar Senghor.
  4. Boutade djerma qui se dit de quelqu'un dont on veut marquer la valeur; quand une personne dit la première partie, une autre ajoute immédiatement la seconde.
  5. (Test ce que démontre également le succès remarquable à tous les points de vue (clientèle, chiffre d'affaires, rayonnement) de la Librairie Populaire du Mali bien que les livres vendus soient édités en français.
  6. Superstructure : en général ensemble des institutions politiques, juridiques, religieuses dans un pays ou un États; ici ensemble des rouages administratifs.
  7. La fourniture de biens d'équipement (en particulier dans le domaine de l'éducation : imprimerie, papier, appareils scientifiques, machines, outils divers) est certainement plus conforme aux besoins réels et aux aspirations des peuples africains que celle exclusive d'armes que sont toujours prêts à donner les impérialistes à des pays que personne ne menace : jeeps, motos équipées, stock de mitraillettes, etc. sont évidemment destinés à la répression contre le peuple afin d'assurer la domination économique et politique du néo-colonialisme.
  8. Élaboration des programmes du 2e degré, UNESCO Publication, n° 125.
  9. Élaboration des programmes op. cit.
  10. Paul Langevin, op. cit.
  11. Paul Langevin, op. cit.
  12. Paul Langevin, op. cit.
  13. Paul Langevin, op. cit.

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