Biographie d’Abdou Moumouni Dioffo : « Aime! Souffre! Potasse! »

Salamatou Doudou

Cette biographie a été préparée et rédigée par Salamatou Doudou pour le livre (en libre accès) Abdou Moumouni Dioffo (1929-1991) Le précurseur nigérien de l’énergie solaire, sous la direction de Frédéric Caille, 2018, Éditions science et bien commun, qui reproduit aussi deux articles de cet auteur.

Prologue

Abdou Moumouni, qui ne parlait pas beaucoup, disait ceci peu de temps avant sa mort, dans une allocution prononcée à Niamey le 5 mai 1988 à l’occasion de la présentation officielle du diplôme et de la médaille d’or qui lui a été décernée par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle :

« Mesdames, Messieurs,

Comme il est de tradition en pareilles circonstances, vous me permettrez de développer et exposer quelques réflexions qui me sont chères.

La première, découlant de l’expérience que j’ai vécue, est que nul n’est prophète en son pays, et qu’il est fondamental dans la vie d’un homme de s’attacher à un idéal et une vision de l’avenir de son pays, et plus généralement de l’humanité entière, plutôt que de se cantonner à une courte vue basée sur des calculs souvent sordides et conduits au jour le jour.

La deuxième est que seul le travail paie, et peut permettre de léguer un héritage à la postérité, et peut être un exemple à ceux qui nous suivent. Sur ce plan, comme j’aime à le dire à mes étudiants, la pensée d’Ibsen me semble d’actualité : Homme de la plaine, pourquoi grimpes-tu sur la montagne? Parce que je ne découvre la beauté de la plaine que du haut des sommets.

La troisième est que le travail ne vaut et n’est valorisé que s’il est conduit en équipe et avec un esprit d’équipe que peut-être les partenaires, dans le feu et les exigences de l’action, ne saisissent pas clairement, mais que le chef (puisque chef il doit y avoir) doit, lui, avoir constamment en vue. Et c’est peut-être le contexte adéquat pour rappeler “qu’il y a bien des sots, mais pas de sot métier”.

Mesdames, Messieurs, je voudrais finir sur une note d’humour. Quand j’étais en maths spéciales à Paris, il y avait une devise encadrée de façon permanente au tableau : A. S. KOH qui, traduit du jargon qui était le nôtre, signifiait : Aime, Souffre et Potasse. L’amour est évidemment une composante de la vie d’un homme; de même la souffrance et le travail (potasser signifiait travailler). »

Introduction

Le professeur Abdou Moumouni fut l’un des intellectuels les plus célèbres de l’Afrique et du Niger en particulier. Son père Moumouni Dioffo, issu d’une famille aristocratique de Kirtachi (kollo), faisait partie de la toute première génération de commis d’administration. Né le 26 juin 1929 à Tessaoua (Niger), Abdou Moumouni décéda le 7 avril 1991 à Niamey et repose à Kirtachi, son village natal. Premier agrégé de sciences physiques de l’Afrique francophone, il fut l’un des grands spécialistes des énergies alternatives, notamment l’énergie solaire. Il est également connu pour son célèbre livre intitulé Léducation en Afrique, publié chez Maspéro en 1964 à Paris. Selon Kimba Idrissa, « ce grand homme de la science et de la culture, ce militant engagé pour la cause africaine n’a pas attiré l’attention des chercheurs en sciences sociales » (Idrissa, 2016 : 106). Il est d’ailleurs plus connu et apprécié à l’étranger que dans son pays. Militant du panafricanisme, expert en éducation et spécialiste de renommée mondiale en énergie solaire, le parcours et l’œuvre d’Abdou Moumouni participent indubitablement d’une histoire intellectuelle de l’Afrique contemporaine.

Durant toute sa carrière d’enseignant et de chercheur, Abdou Moumouni n’avait qu’un but : servir son pays sans rien attendre de quiconque. C’est ainsi que pour immortaliser sa mémoire et pour lui rendre un hommage mérité, l’Université de Niamey a été baptisée le 21 août 1992 « Université Abdou Moumouni ». Cependant, beaucoup ignorent qui fut ce grand homme, car il n’existe pas de documentation le concernant. Ce chapitre couvre la vie et l’œuvre de ce grand scientifique. Il s’attache à retracer sa vie et ses œuvres en revenant sur ses inventions et réalisations majeures.

Formations

Après de brillantes études scolaires à l’école régionale de Zinder (1936-1942) et à l’École primaire supérieure de Niamey (1942-1944), Abdou Moumouni Dioffo fréquenta l’École normale William Ponty de Sébikotane (Sénégal) de 1944 à 1947. Il entra en 1948 au Lycée Van Hollenhoven de Dakar où il obtint le Brevet de capacité colonial (mathématiques élémentaires) en 1949. Il fut admis en préparation aux grandes écoles au Lycée Saint-Louis de Paris (1949-1951). Ses études supérieures à la Sorbonne à Paris ont été couronnées par :

  • une Licence ès sciences physiques en 1953;
  • un Diplôme d’études supérieures de sciences physiques en 1954;
  • une Agrégation de sciences physiques en 1956;
  • un Doctorat d’État ès sciences physiques en 1967;
  • une bourse de l’Académie des sciences de l’URSS de 1962 à 1964.

Étudiant militant et engagé, Abdou Moumouni fut membre fondateur de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) et membre fondateur du Parti Africain de l’Indépendance (PAI).

Carrière professionnelle

Abdou Moumouni fut d’abord un enseignant chevronné. Il servit successivement comme professeur :

  • au Lycée Van Vollenhoven de Dakar de 1956 à 1958;
  • au Lycée Donka de Conakry de 1958 à 1959 après le « Non » (aux accords avec la France) de la Guinée;
  • au Collège classique et moderne de Niamey de 1959 à 1961;
  • à l’École normale supérieure de Bamako de 1964 à 1969;
  • au cours postuniversitaire en énergie solaire de la Faculté de Perpignan de 1974 à 1975.

Comme chercheur, il créa et dirigea, de 1964 à 1969, le Laboratoire de l’énergie solaire de la République du Mali. De retour au Niger à partir de 1969, il dirigea l’Office de l’énergie solaire du Niger (ONERSOL) jusqu’en 1985. Il fut recteur de l’Université de Niamey de 1979 à 1982, et professeur de sciences physiques à la Faculté des sciences de 1975 à 1991.

En raison de sa spécialisation et de ses compétences dans le domaine de l’énergie solaire, le Professeur Abdou Moumouni Dioffo était régulièrement sollicité en tant que consultant. C’est ainsi qu’il fut :

  • Président du Conseil Scientifique du CRES, de la CEAO et du CILSS de 1989 à 1991;
  • Consultant du gouvernement algérien en 1968;
  • Consultant de l’UNESCO sur les problèmes de l’éducation en Afrique de 1967 à 1968;
  • Consultant de la Société tunisienne d’Électricité et du Gaz (STEG) sur les possibilités d’utilisation de l’énergie solaire;
  • Professeur au cours postuniversitaire en énergie solaire de la Faculté des sciences de Perpignan de 1974 à 1975;
  • Membre du Comité scientifique du Congrès international « Le soleil au service de l’Humanité » de l’UNESCO;
  • Consultant de la Fondation Internationale pour les Sciences (SUEDE) pour l’attribution de bourses d’études en énergie solaire;
  • Consultant de la Banque africaine de développement sur les énergies renouvelables de 1988 à 1990;
  • Consultant du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale en 1989.

Travaux et publications

Ouvrage et principaux écrits

  • L’Éducation en Afrique, Paris, Maspéro, 1964, 400 pages
  • « L’énergie solaire dans les pays africains », Présence africaine, 1964 (reproduit dans le présent ouvrage)

Thèses

  • Étude théorique et expérimentale de la répartition de l’énergie du rayonnement concentré dans le plan focal de miroirs paraboliques précis, 1re thèse de doctorat, Paris, 1967
  • Étude théorique de caractéristiques optiques (réflexion, absorption, transmission) d’un système de lames diélectriques : application à l’étude de la captation du rayonnement solaire par des dispositifs utilisant l’effet de serre et à la polarisation de la lumière par réfraction dans le cas de lames à pouvoir absorbant non négligeable, 2e thèse de doctorat, Paris, 1967

Articles et communications scientifiques

  • Nouveaux résultats expérimentaux relatifs à la courbe de répartition de l’énergie du rayonnement concentré dans le plan focal de miroirs paraboliques précis de type projecteur de D.C.A.C.R., Acad. Sciences, Paris, 1966, Th., 263 pages
  • « Justification théorique des résultats expérimentaux relatifs à la répartition de l’énergie concentrée dans le plan focal de miroirs paraboliques précis », C.R. Hebdomadaire séance Académie de Sciences de Paris, 1966
  • « Analyse des particularités du fonctionnement des radiomètres thermoélectriques à disques récepteurs absorbants en régime permanent et variable », Revue générale de thermique, vol. VII, n° 74, février 1968
  • « Étude théorique des caractéristiques optiques d’un système de lames électriques : application à la discussion de la polarisation de la lumière par réfraction (piles de glaces) dans le cas de lames à pouvoir absorbant non négligeable », Revue doptique théorique et expérimentale, T. 47, n° 2, février 1968, pp 49-68 et n° 3, mars 1968, pp 117-129, Paris
  • « Contribution à l’étude d’un système thermoélectrique alimentant un réfrigérateur thermoélectrique », Advanced Energy Conversion, Philadelphia, É.-U.
  • « Étude et expérimentation d’un chauffe-eau solaire adapté aux conditions du Sahel », communication au Congrès « Le Soleil au service de l’homme », UNESCO, Paris, 1973
  • « Étude et expérimentation d’un miroir cylindro-parabolique », communication au Congrès « Le Soleil au service de l’Homme », UNESCO, Paris, 1973;
  • « Le moteur solaire ONERSOL », conférence sur les applications de l’Énergie solaire. Toulouse, 1977
  • « Le capteur solaire ONERSOL », conférence sur les applications de l’Énergie solaire, Toulouse, 1977
  • « Les possibilités et limites des énergies renouvelables en Afrique », BAD, Banque Mondiale, PNUD, 1990
  • « A solar energy utilization for developing countries », in Solar Energy in Developing countries: perspectives and Prospects: a report of an ad hoc panel of the board on science and technology for international development, National Academy of science, Washington, 1972, p. 32-39
  • Brevet d’invention n° 55 407 04897 – Chauffe-eau solaire adapté aux conditions climatiques du Sahel et plus généralement de pays à climat tropical », février 1975, Yaoundé
  • Brevet d’invention n° 55 408 04898 – « Moteur à vapeur de fréon et à taux de détention fonctionnant entre les températures de 180° et 230° à la chaudière et 30°-35° au condenseur », février 1975
  • Brevet d’invention n° 55 409 04898 – « Ensemble capteur constitué par trois étages de collecteurs plans fixés et un miroir cylindro-parabolique tournant, réalisant une chaudière solaire produisant de la vapeur et de la température », février 1975 à Yaoundé

Autres distinctions

  • Commandeur de l’Ordre national du Niger
  • Officier des Palmes académiques du Niger
  • Prix «Guinness Awards for scientific achievement»
  • Diplôme de la médaille d’or de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Abdou Moumouni au service de l’humanité

Le combat politique d’Abdou Moumouni ne s’est pas limité au mouvement associatif estudiantin. Il a reçu de l’éducation de ses parents et de sa formation deux traits fondamentaux de son caractère qui furent une constante tout au long de sa vie : la rigueur et la mystique du travail. La mystique du travail renfermait chez lui deux aspects : le dépassement de soi et le travail comme action politique (Idrissa, 2016 : 141).

Abdou Moumouni était un visionnaire qui mettait sa créativité au service de l’humanité, c’est-à-dire de la femme et de l’homme les plus modestes. Les résultats de ses recherches leur sont destinés, comme la multiplication des applications domestiques portée par un engagement écologique et soucieux de lutter pour la protection de l’environnement et contre la désertification. Physicien internationalement respecté, il présida en 1973 l’option conversion thermodynamique de l’énergie solaire, au sein de la conférence scientifique de l’UNESCO intitulée « Le soleil au service de l’Humanité », devant d’éminentes personnalités.

Sur le plan social, Abdou Moumouni retournait régulièrement dans son village pour échanger avec les paysans et les artisans, s’asseoir au bord du fleuve Niger pour admirer la faune et la flore. Pragmatique et pédagogue, pour faire prendre conscience à son entourage de la consommation excessive de bois et des conséquences néfastes pour l’environnement, il arrivait qu’il se mette à compter pendant plusieurs heures le nombre de chargements de bois qui entraient dans la ville…

Sur le plan éducatif, son livre paru en 1964 sur la nécessité de réformer l’éducation en Afrique et de changer le système issu de la colonisation reste inégalé et toujours d’actualité. Il créa avec son épouse le Lycée Koira, toujours en activité, un lycée de la seconde chance pour les jeunes de famille modeste. Son ouvrage L’Éducation en Afrique, partant des spécificités de l’éducation traditionnelle africaine et des besoins immenses du continent, recommande une éducation ouverte pour mettre en place un système éducatif innovant réconciliant tradition et modernité.

Il était un militant qui croyait à la capacité et à la grandeur de l’humain. Il a milité dans le syndicat des étudiants à Paris dans les années cinquante. Il fait partie des intellectuels africains qui ont soutenu la Guinée indépendante de Sékou Touré. Il est donc une figure de combat de gauche pour l’indépendance de l’Afrique.

Alors qu’à de multiples reprises on lui proposa de travailler dans des laboratoires occidentaux, il avait choisi de servir là où personne de son rang ne voulait aller : l’Afrique. C’est donc à partir de l’Afrique qu’il a voulu apporter sa pierre à la recherche au service de l’humanité.

À Niamey, il a pris en charge la construction et le développement de la jeune université qui portera son nom en 1992. Par ses relations, il fit venir à Niamey d’éminents savants mondialement reconnus dans le domaine de l’énergie solaire, notamment le professeur émérite américain John A. Duffie, directeur du laboratoire solaire de l’université du Wisconsin, l’académicienne russe Valentina A. Baum, chef du laboratoire solaire d’Askhabad en Turkménistan, le physicien français Félix Trombe, père du four solaire de Mont Louis et d’Odeillo, et le Turc Dr Kudret Selçuk, spécialiste en séchage solaire. Tous ces scientifiques animèrent à ses côtés un atelier de réflexion sur les perspectives du solaire afin de sensibiliser d’autres scientifiques africains invités à Niamey en cette occasion et susciter l’intérêt quant au déploiement de cette filière technologique au service du développement de notre région.

Il était persuadé que, contrairement au photovoltaïque, la concentration solaire allait permettre de produire de l’énergie en grande quantité. Ses recherches sont à l’origine des immenses fermes de production d’énergie électro-solaire qui ont été réalisées et implantées aux États-Unis et en Espagne, et qui commencent à se développer ailleurs dans le monde aujourd’hui.

Les principaux soucis d’Abdou Moumouni furent l’éducation et l’environnement. La soif de transmettre le conduisit à vulgariser et à diffuser les résultats de ses recherches à l’ensemble de l’humanité, du paysan à l’artisan, de la ménagère au lycéen. À propos du problème lié à l’enseignement des langues, Abdou Moumouni souligne dans son ouvrage L’Éducation en Afrique que :

sa complexité découle du caractère artificiel des frontières des États africains actuels. Du fait du découpage arbitraire du continent africain entre les puissances impérialistes (Angleterre, Allemagne, France, Portugal, Espagne, Italie, Belgique), qui a précédé la conquête et la domination coloniale, les Territoires colonisés par ces différentes puissances ne correspondent à aucune unité linguistique. Cette situation a encore été aggravée dans bien des cas par le découpage ultérieur effectué par chaque puissance impérialiste pour les besoins de la conduite de la domination politique et de l’exploitation économique. Les États de l’Afrique Noire contemporaine, nés sur cette base, ont donc à faire face à des problèmes linguistiques qui ont généralement été aggravés du fait de la politique du Diviser pour régner, de l’étouffement systématique des langues africaines…  (Moumouni, 1964 : 363).

Les autres problèmes liés à l’enseignement des langues africaines abordé par Abdou Moumouni concernent les publications et les diverses éditions en lien avec l’élaboration des programmes et manuels scolaires. Il considère qu’une fois surmontés les problèmes et difficultés liés aux langues, notamment au niveau méthodologique, se posent d’autres problèmes, au premier rang desquels l’élaboration des programmes complets de l’enseignement à tous les niveaux, et l’examen et la solution des problèmes pédagogiques posés par l’utilisation des langues africaines : élargissement du vocabulaire relatif à certaines disciplines, rédaction de manuels et de publications diverses à l’usage de l’alphabétisation, de l’enseignement, de la vulgarisation scientifique et technique, etc. (Moumouni, 1964 : 365).

Il ne s’agit là que quelques aspects liés au grand projet éducatif en Afrique d’Abdou Moumouni. Aujourd’hui, la loi d’orientation du système éducatif nigérienne (LOSEN) initiée par son épouse, madame Moumouni Aïssata, lorsqu’elle fut ministre de l’Éducation nationale en 1998 reprend le fil conducteur de sa perspective : accueillir à l’école toutes et tous, enfants handicapés comme les autres, et faire de la place aux côtés de l’enseignement académique à l’apprentissage et à l’acquisition de savoir par l’expérience, par la pratique.

Recherches appliquées : les réalisations

Au sortir du premier Congrès mondial sur l’énergie solaire organisé à Rome en août 1961, le Niger, tout comme certains pays de la sous-région, s’est engagé dans la recherche et le développement orientés vers l’énergie solaire. À cet effet, une institution fut créée, en 1965, sous la dénomination de « Office national de l’énergie solaire » (ONERSOL). Amorcés dans le cadre d’une modeste entreprise de R et D et de production, avec les moyens limités de l’époque, les premiers efforts de production de systèmes fonctionnant à l’énergie solaire furent réalisés sous la conduite de l’ingénieur martiniquais Bernard Bazabas, à partir de matériaux locaux de récupération, le souci étant de minimiser les coûts.

En 1969, le Pr Abdou Moumouni fut nommé à son tour directeur de l’ONERSOL. Déjà connu par ses travaux sur la scène internationale, il apporta un souffle nouveau à l’institution à travers ses travaux sur la conversion thermodynamique de l’énergie solaire. L’ONERSOL est devenue en 1998 le Centre National d’Énergie solaire (CNES). Le Centre conçoit et perfectionne des procédés et des machines qui fonctionnent à l’énergie solaire ou autres énergies renouvelables. Tous les travaux se nourrissent de l’œuvre entreprise par le Pr Abdou Moumouni et son équipe entre les années 60 et 80, et la poursuivent.

Visionnaire et physicien passionné, Abdou Moumouni n’a eu de cesse d’imaginer et d’élaborer des prototypes, à l’échelle tant générale que domestique, basés sur l’énergie solaire. Vingt ans durant, il dialogua avec les chercheurs du monde entier, faisant du Niger un pays pionnier dans le domaine de l’énergie solaire. Après les Plans d’ajustements structurels qui ont contraint le Niger à diminuer ses ambitions en matière de recherche scientifique appliquée, fidèles à la devise de leur maître « Aime (M), Souffre (S), Potasse (KOH) », le Pr Moumouni et son équipe conçurent et fabriquèrent les panneaux solaires pouvant chauffer le gaz pour l’alimenter. C’est cette pompe qui fut installée en 1972 à Bossey-Bangou, ce petit village à quelques encablures de Niamey.

Confrontons sa pensée à la réalité d’aujourd’hui et au besoin cruel de développement. À quelques rares exceptions près, les machines imaginées et construites par le professeur Moumouni et son équipe sont remisées dans des hangars. Certaines des compétences acquises à l’époque n’ont pas été transmises. Aujourd’hui, dans le village où on installa la première pompe solaire thermodynamique, les femmes puisent à nouveau l’eau à la main. Comme l’a dit à cet égard le réalisateur Malam Saguirou : « Je veux faire un film en forme de question qui pointe et interroge cet inadmissible recul. Mais je veux aussi un film en forme d’espoir, qui se fasse l’écho du combat de cette nouvelle génération de chercheurs et d’entrepreneurs nigériens avides de proposer au monde des pistes de progrès. Pour que l’Afrique soit à nouveau au rendez-vous du donner et du recevoir ».

Le travail et l’engagement : réflexions et témoignages

Il est possible d’approcher un peu mieux la personnalité d’Abdou Moumouni à travers ceux qui l’ont connu ou ont reconnu son influence. Dans le livre Inventeurs et Héros Noirs, le Canadien Paul F. Brown mentionne « combien Moumouni a été un infatigable militant anticolonialiste et panafricaniste, en même temps qu’un homme d’une grande simplicité, d’une totale franchise et très exigeant vis-à-vis de ses collègues et élèves… » (Paul F. Brown, 2012).

Le réalisateur Malam Saguirou témoigne pour sa part aujourd’hui encore d’une influence transgénérationnelle d’Abdou Moumouni :

Jeune élève au collège, j’avais découvert Joseph Ki-Zerbo à travers mes cours d’histoire. Je l’avais tout de suite considéré comme un très grand intellectuel africain. Plus tard, j’avais découvert à travers mes lectures toute la sagacité de ses réflexions sur la question du développement en Afrique. Puis un jour, je suis tombé sur cette préface que Ki-Zerbo avait faite pour le livre LÉducation en Afrique d’un compatriote nigérien, dont le nom nous est familier parce qu’il est simplement celui de notre première Université. On a tous ouï-dire qu’il a travaillé sur l’énergie solaire au Niger… Ce monsieur, c’était Abdou Moumouni! Et la préface que j’ai citée plus haut est la suivante :

Abdou Moumouni était l’un de ces patriotes hors pair qui, placés à la charnière des temps, avaient synthétisé en eux-mêmes le meilleur de notre passé et le plus raffiné de la science contemporaine. Confluent des succulences venues d’ici et d’ailleurs, il était de ces fruits merveilleux du terroir indemnes de toute pollution, bien qu’ayant accumulé tous les trésors des quêtes intellectuelles les plus avancées et les plus exotiques. Le sentiment d’appartenance dont il disait que l’éducation devait être génératrice, il l’avait réalisé et porté à un niveau prodigieux.

J’ai eu tout de suite l’impression pour une nouvelle fois que je venais de découvrir une grande arnaque dont mes congénères et moi étions victimes. Nous ignorons notre propre histoire et le monde ne connaît pas notre histoire, qui pourrait tant lui apporter. Dès lors, s’est créée en moi une envie de découvrir qui était réellement Abdou Moumouni, au-delà de la caricature que la folle rumeur que Niamey voulait bien en donner, un chercheur fou de laboratoire, alcoolique et dont la seule bravoure était le fait qu’il pouvait dire non à notre craint militaire-président le général Kountché des années 70.

En avance sur son temps, Abdou Moumouni était l’un de ces hommes incompris de leur société. Ce genre de personnes que l’histoire pousse à la rébellion contre certains principes préétablis. Mais c’est aussi important de rendre hommage à ceux qui l’ont compris et qui l’ont accompagné dans sa quête, malgré son exigence qui souvent a été sans limites. Abdou Moumouni était une personne complexe, militant de gauche, scientifique innovateur et prince ancré dans sa tradition. C’est peut-être là une grande leçon de diversité à l’intérieur d’un même esprit.

Le souvenir qui revient dans tous les témoignages est celui d’un bourreau de travail. Khalilou Sall, cité par Kimba Idrissa, évoque « un modèle de rigueur pour la jeunesse estudiantine… » (Sall, 1993 : 80). Pour illustrer ses propos, il donne cette anecdote de l’admission d’Abdou Moumouni à l’agrégation : « Quand il passa l’agrégation, il l’avait réussie, et bien, mais il n’était pas content parce qu’il n’était pas parmi les premiers. Et c’est lui qui m’a raconté ça. Il va voir son professeur qui lui dit que ça s’est bien passé, Je suis bien heureux pour vous, vous avez obtenu l’agrégation, vous savez, c’est une agrégation très difficile, l’agrégation de physique. Les mathématiciens restent dans le domaine de la pensée et ils peuvent spéculer. Le physicien doit faire les deux : il faut qu’il soit un spéculateur intellectuel et en même temps un praticien. C’est pourquoi l’agrégation de physique est difficile. Alors Abdou Moumouni toujours grognon dit qu’il aurait quand même aimé avoir un rang intéressant. Le professeur lui répond : Vous venez d’Afrique. Vous êtes sixième après les normaliens! Vous savez, il y a beaucoup de Français qui aimeraient être à votre place! C’est vrai qu’il n’était pas très content parce qu’il savait qu’il avait travaillé plus que ça… C’était un rang honorable, mais pour Moumouni, sixième après les normaliens… » (Sall, 1993 : 80-81).

Abdou Moumouni était un maniaque du travail bien fait dans tous les aspects de sa vie : étudiant, militant du mouvement syndical, membre fondateur de la FEANF, militant politique (membre fondateur du Parti africain pour l’indépendance ou PAI), enseignant et chercheur (Idrissa, 2016 : 142). C’était un puriste dans la conception et dans ce qu’il faisait, malgré les apparences. Ce côté puriste de Moumouni, les gens ne le connaissaient pas, et pourtant c’était sa vie constante (Sall, 1993 : 24).

Abdou Moumouni s’est toujours fait remarquer par son engagement total et désintéressé. Cette ténacité a été permanente jusqu’à la fin de sa vie. Dans une entrevue accordée au journal Bingo en 1988, on lui a demandé de formuler un vœu et il répondit en ces termes : « Que les jeunes Africains travaillent pour leur pays. Qu’ils n’attendent pas d’avoir des récompenses » (SNECS, 1993 : 24).

C’est à ce niveau qu’interviennent le chercheur désintéressé et le patriote intransigeant. Bachir Attouman a fait la même remarque (Idrissa, 2016 : 142). Il y avait une idée constante chez Moumouni, un principe, c’était l’intérêt particulier qu’il avait pour le travail qui semblait être sa valeur suprême… Pour lui, les Africains devaient avant tout faire la preuve de leur compétence, de leur capacité à égaler et même dépasser les Européens… Cette valorisation du travail était une donnée permanente chez lui et il exigeait peut-être trop des autres (SNECS, 1993 : 79-80).

Pour comprendre cette dimension mystique du travail du personnage, il faut remonter aux luttes qu’il a menées dans le contexte colonial. Déjà, à cette époque, il considérait « le travail comme une action éminemment politique ». Il l’a illustré en devenant en 1956 le premier agrégé de sciences physiques de l’Afrique francophone « au moment où le Noir dans nombre d’esprits passait pour congénitalement inapte aux mathématiques et aux physiques. Il devint un mythe vivant, destructeur d’un mythe obscurantiste » (Ki-Zerbo, 1999 : 54, cité par Idrissa, 2016 : 143).

Toute sa vie, il a combattu les solutions de facilité. C’est la raison pour laquelle il a eu un parcours scolaire fulgurant depuis l’École primaire supérieure de Niamey jusqu’à l’Université de Paris, parce que démystifier les capacités des Africains était pour lui la première chose à faire pour redonner à l’Afrique sa dignité et le respect qu’elle mérite. Il a relevé ce défi grâce au travail par lequel il a prouvé au colonisateur que le Noir était intellectuellement capable d’accéder à ce niveau de formation et qu’il pouvait se libérer du complexe et du mépris intellectuel dans lesquels le système colonial le confinait.

Conclusion

Le Pr Abdou Moumouni a contribué tant par ses écrits sur l’éducation que par ses recherches scientifiques à rendre plus positive la vie.

Après son décès en 1991, ses collègues et amis ont créé une fondation pour immortaliser et pérenniser sa vision de la science, de l’éducation, et encourager la recherche sur les énergies renouvelables.

Chaque année, cette fondation, dont le principal animateur est Albert Wright, organise une manifestation publique pour fêter la science. C’est une journée de récréation jubilatoire où les élèves peuvent visiter les stands consacrés à l’énergie solaire et poser des questions. Ils peuvent toucher, s’essayer à des expériences telles que faire fonctionner une petite pompe solaire.

Références

Moumouni, A., (1964) L’Éducation en Afrique, Paris, Maspero, 400 p.

Moumouni, A., (1969) La conférence de Nairobi sur l’éducation scientifique et technique dans ses rapports avec le développement en Afrique, Présence en Africaine, n° 69, p. 178-187.

Moumouni, A., (1988) « Allocution prononcée à l’occasion de la présentation officielle du diplôme et de la médaille d’or par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ».

Amadou, B.S., (2006) Le rôle de la génération charnière ouest-africaine, Indépendance et développement, Paris, L’Harmattan, p. 124-125.

Idrissa, K., (2016) Abdou Moumouni Dioffo : les premiers pas d’un intellectuel africain, dans Niger- Les intellectuels, l’État et la Société, CODESRIA, p. 105- 154.

Keita, M.H., (2009) Dossier documentaire sur le professeur Abdou Moumouni, Master 2 en sciences de l’information documentaire, EBAD, UCAD, 90 pages.

Paul F. Brown, (2012) Inventeurs et héros noirs, Éditions 5 continents, Saint Léonard.

Journaux

Bingo n° 257 de juin 1974, p. 28-29.

J.O n° 10 du 15 mai 1969.

J.O n° 14 du 15 juin 2002.

J.O n° 12 du 15 juin 1998.

J.O n° 18 du 15 septembre 1992.

L’Étudiant d’Afrique Noire série n° 6 -octobre 1956, p. 4-5.

Sahel n° 3996 du 30 mai 1988, p. 3.

Sahel n° 4003 du 8 juin 1988.

Sahel n° 4594 du 8 avril 1991.

Sahel n° 4595 du 9 avril de 1991.

Sahel n° 4601 du 22 avril 1991.

Seeda n° 19, mai 2004.

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