5 Solange Fernex (1934-2006), France

Josée-Ann Dumais

SolangefernexAward

Baisser les bras, Solange Fernex en est incapable. Depuis son enfance, elle est en révolte tranquille et rebelle. L’action humanitaire en faveur du tiers-monde, la protection de la nature et la préservation des maisons anciennes, la lutte pour le désarmement, pour l’arrêt des essais atomiques et des centrales nucléaires, pour le respect des droits humains et de la santé sont toutes des causes que Solange Fernex a défendues au cours de sa vie de militante pacifiste. Solange savait écouter et savait prendre parti. Elle ne pouvait se résigner à baisser les bras et à accepter l’inacceptable. Portrait d’une femme insoumise.

Son enfance, des années tristes

Solange naquit en 1934 à Strasbourg. Elle était la deuxième plus vieille de sa famille. Son papa, Evrard de Turckheim, était ingénieur agronome et sa mère, Marguerite Vogel, originaire de Bâle, s’occupait des quatre enfants de la famille à la maison. Elle avait cinq ans lorsque le conflit armé qui rompit son enfance paisible éclata. Orpheline de guerre, elle eut une enfance difficile, marquée par la grande tristesse de sa mère en deuil de son mari tué au combat en 1940. De son enfance, Solange garda surtout le souvenir d’années malheureuses. Elle souffrit grandement de l’absence de son père et du chagrin familial. L’engagement de Solange prit racine dans son enfance marquée par la guerre et l’histoire familiale.

Anecdote : C’est la guerre et l’Alsace est occupée par l’Allemagne. À l’école primaire de Heiligenstein, l’instituteur doit enseigner en allemand et véhiculer l’idéologie nazie. Un jour, le professeur demande à ses élèves s’ils aimeraient accueillir Hitler dans leur région. Tous les enfants répondent oui, tous, sauf la petite Solange. Même toute petite, Solange refusait d’entrer dans le moule. Elle était déjà en révolte intérieure contre la guerre et contre l’attitude de son entourage face aux Allemands.

Alors que Solange était persuadée, très jeune, que les filles ne devaient pas se contenter d’apprendre à tenir leur maison, mais qu’elles devaient être éduquées pour devenir indépendantes, sa mère préférait la voir travailler au jardin et ne l’a jamais encouragée à étudier.  Solange vécut une jeunesse en harmonie avec la nature, à l’écart du village. Sensible à l’injustice, à la fragilité de la vie et de la nature, elle ne pouvait rester passive.

À l’adolescence, Solange lit beaucoup. Elle parcourait la bibliothèque familiale et y consultait tous les classiques. Elle lit Albert Schweitzer et Gandhi, puis Teilhard de Chardin et Massignon. Elle découvrit principalement l’auteur Romain Rolland qui lançait des appels à la paix et qui s’élevait contre la guerre. Cet auteur a une sœur prénommée Madeleine, cofondatrice de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté. Solange ne se doutait pas dans les années 1950 qu’elle serait plus tard présidente de la section française de cette association. À l’âge de 20 ans, elle lit l’œuvre de Gandhi et s’en imprégna.

Si vous êtes dans le doute face à une action à entreprendre, demandez-vous si elle rendra service aux plus petits et plus faibles des humains. La réponse vous sera donnée sur l’attitude à prendre.

Cette réflexion marqua particulièrement la pensée de Solange. Après son bac, elle s’inscrivit à la Faculté des sciences de Strasbourg. Elle voulait devenir médecin. Les sciences naturelles l’attiraient grandement, mais elle n’était pas forte en mathématiques et physique et échoua aux examens. Après deux années d’études, l’une à Strasbourg et l’autre à l’Institut catholique de Paris, la jeune femme retourna à Truttenhausen et travailla à la ferme familiale.

Une expérience africaine

Plus tard, Solange se maria avec un Genevois nommé Michel Fernex. Michel était médecin et souhaitait se spécialiser en médecine tropicale. Ce fut l’occasion pour Solange de renouer avec les sciences naturelles. Solange et son mari firent un séjour à Dakar où ils vinrent en aide à des femmes démunies. Elle accompagnait son mari lors des visites aux malades du service de médecine générale réservé aux femmes et elle y amena ses enfants pour humaniser le contact avec ces gens. Son séjour à Dakar suscita chez elle l’indignation et ce fut à ce moment, à la fin des années 1950, que Solange découvrit le tiers-mondisme. À son retour, en 1964, elle s’installa dans une vieille maison de pierres en ruine inhabitée depuis près de 100 ans dans le petit village Alsacien de Biederthal. Elle y vécut avec son mari et leurs quatre enfants.

Les quatre enfants de Solange et Michel étaient éduqués à l’autonomie et au partage des tâches. Certains la critiquèrent de ne pas être assez présente pour sa famille. Elle leur répondit que le combat qu’elle livrait était en partie pour sa famille. Selon elle, l’instinct qui fait qu’une mère protège ses enfants s’exerce au-delà de la maison familiale. Sa responsabilité de mère, elle l’assumait donc aussi à l’extérieur du foyer lorsqu’elle militait.

Premiers combats

L’inacceptable, selon Solange Fernex, c’est de ne pas respecter la vie, de ne pas préserver les ressources pour les générations futures, de ne pas construire un monde vivable pour tous et toutes. Solange rêvait d’un monde plus fraternel et solidaire, de paix et de justice, c’est ce qui la poussait à agir. Elle ne faisait pas que critiquer, elle proposait des solutions de remplacement. Elle travailla toute sa vie à sensibiliser l’opinion publique à de nouvelles manières de penser et d’organiser la société. Plutôt que de se laisser submerger par la révolte ou le pessimisme, elle agissait pour transformer la réalité d’abord localement. Son action fut solidement ancrée dans les associations.

Pendant son séjour en Afrique, Solange découvrit le désastre de la culture du tabac importée d’Europe. Pour elle, c’était inacceptable. Elle créa Terre des Hommes dans le Haut-Rhin en 1965, mais se rendit vite compte des limites de l’aide humanitaire. Elle avait compris qu’il ne suffisait pas d’apporter son aide en situation d’urgence. Elle voulait faire changer les politiques. Solange quitta Terre des Hommes au bout de quelques années en raison de conflits entre personnes qui se sont finalement résolus par une scission.

Vers la fin des années 1960, Solange s’intéressait de plus en plus à la protection de la nature au contact de son mari Michel, naturaliste passionné. Ils entrèrent ensemble dans la fédération d’association AFRPN et y prirent peu à peu des responsabilités. Solange y sera élue présidente du Haut-Rhin de 1974 à 1978. Ces quatre années seront une période de luttes intenses, d’occupation de terrain, de débats virulents et de structuration du mouvement de protection de la nature.

Contre l’énergie nucléaire

En 1973, préoccupée par le développement du programme nucléaire civil français, Solange adhéra à l’association Les Français contre la Bombe créée par Mme Claude Richard Molard pour s’opposer aux essais nucléaires et à la course aux armements. À partir de cette campagne contre les essais nucléaires, Solange participa à la plupart des luttes antinucléaires. Durant trente ans, elle s’opposa avec une constance radicale au nucléaire, qu’il soit civil ou militaire. Solange participa à l’occupation du site de Whyl et à celui de Marckolsheim afin de protester contre l’énergie nucléaire. Ces occupations de terrain furent l’occasion pour elle d’expérimenter la pensée pacifiste de Gandhi.

C’est en 1978, au cours d’un voyage à Hiroshima et Nagasaki auquel elle fut invitée par les antinucléaires japonais, que Solange prit conscience de l’ampleur du problème. Pour la première fois, elle rencontra des victimes des essais nucléaires en rendant visite aux habitants des iles Marshall irradiées par les bombes de Bikini et d’Eniwetok. À travers les témoignages de ces personnes, elle découvrit que les essais nucléaires étaient incontestablement très nocifs et qu’ils faisaient des victimes parmi les populations autochtones. Elle resta bouleversée par ces rencontres et fit de la question des essais nucléaires militaires l’un de ses combats. Elle recueillit des témoignages et intervint par la suite dans de multiples conférences internationales pour revendiquer l’arrêt des essais et la prise en compte des victimes. Le bureau international de la Paix, les Verts, le réseau Stop Essais, elle ne lâcha pas cette cause.

En 1977, Solange jeûna pendant 23 jours, du 10 février au 6 mars, pour protester contre la mise en service de la centrale nucléaire de Fessenheim. De retour à la maison, elle apprit que le conseil municipal sortant de son village l’avait inscrite comme candidate sans qu’elle n’ait demandé à l’être. Sans campagne électorale, elle fut élue à l’assemblée parce que les habitants de son village avaient été émus par son jeûne. Solange fut vraiment surprise et réjouie d’avoir été élue. Son engagement personnel avait réussi à toucher des personnes qui ne savaient probablement que peu de choses de l’énergie nucléaire. À cette époque, elle était la seule femme de l’assemblée. Solange finit par totaliser 24 ans de présence active au conseil municipal de son village.

Le jeûne, qui est le moyen d’action suprême de la non-violence selon Gandhi, devint un moyen de pression privilégié par Solange qui, à plusieurs reprises, se priva de nourriture pour interpeler l’opinion publique. Selon elle, le jeûne permet de partager la souffrance des victimes d’injustice. Elle jeuna entre autres en 1983 à New Delhi devant le mémorial de Gandhi à l’occasion du sommet des pays non alignés, puis à Paris durant un jeûne de quarante jours pour obtenir le gel nucléaire. Elle jeuna également pendant plusieurs années du 6 au 9 août pour soutenir la commémoration des explosions de Hiroshima et Nagasaki. Par deux fois, elle s’engagea dans un jeûne d’une durée indéterminée, en 1977 contre Fessenheim et en 1983 pour le gel nucléaire.

L’un des grands combats de Solange et son mari a été de démontrer la vérité sur Tchernobyl. Ils ont créé l’association Enfants de Tchernobyl en 2001 afin d’aider les enfants contaminés par les radionucléides suite à la catastrophe. Ils souhaitaient tous deux que le public connaisse les conséquences de cet évènement, entre autres pour les sensibiliser aux dangers de l’énergie nucléaire, mais aussi pour que les gouvernements prennent en compte les victimes.

Sa lutte féministe

Depuis qu’elle était enfant, Solange s’opposait au modèle traditionnel de la femme au foyer. Elle refusa de se soumettre aux rôles traditionnels dévolus aux femmes de sa génération, notamment au modèle bourgeois de son milieu. En près de quarante années de militantisme, Solange a toujours poussé les femmes à prendre leurs responsabilités, à s’impliquer et à donner leur avis. Elle est d’ailleurs à l’origine de la parité hommes-femmes chez les Verts en 1987, premier parti en France à faire la promotion des femmes en politique. Solange estimait que les femmes apportent une autre sensibilité et qu’elles devaient se faire une place chez les Verts et dans la société en général. Elle les encourageait à l’action et à la confiance en soi. Selon elle, le féminisme n’était pas une fin en soi, mais une composante qu’elle harmonisait avec l’écologie et le pacifisme. Elle soulignait l’importance du rôle des femmes dans l’occupation de terrain de Marckolsheim et Wyhl, durant lesquels leurs actions ont été déterminantes.

La politique

Solange participa à la création du premier parti écologiste d’Europe, Écologie et Survie. En 1973, pour la première fois en Europe, des écologistes se présentaient aux élections. Au moment des élections législatives de mars 1973, les candidats alsaciens de droite comme de gauche défendaient un programme incroyable : ils voulaient couvrir la plaine du Rhin d’industries, de centrales nucléaires et d’autoroutes. Le parti de Solange réussit à obtenir 1,93% des voix malgré le fait qu’elle et son équipe se soient engagées dans la campagne trois semaines seulement avant le scrutin. Solange expliqua que certains les ont certainement pris pour des fous, mais que leur démarche avait aussi fait réfléchir beaucoup de gens.

Dix ans plus tard, à Paris, elle participa largement à la fondation du parti des Verts. Elle fit du désarmement un thème important de la plate-forme des Verts. Solange avait une position radicale en faveur du désarmement total, parce que selon elle, tant qu’il y aura des fusils, on s’en servira. Par contre, cette position n’était pas majoritaire chez les Verts que certains trouvaient utopique.

Solange appréciait le principe de la présidence tournante mis en place dans des associations dont elle avait fait partie antérieurement. Elle reprit ce principe plus tard au sein du parti des Verts, mais aussi dans de nombreuses autres associations. Solange fut élue en 1989 comme députée européenne et s’immergea sans hésitation dans les questions agricoles en planchant avec enthousiasme sur l’agriculture biologique. Le travail acharné d’une députée et la tribune qui nécessitait aplomb et énergie ne lui faisaient pas peur. Solange s’investit dans son rôle de députée pour une Europe non violente et de solidarité surtout avec le tiers-monde, les plus démunis et les agriculteurs.

En 2001, Solange reçut, pour son engagement contre l’armement nucléaire, le Nuclear-Free Future Award. En 2004, à 79 ans, elle était toujours bénévole, ce qui n’est pas surprenant puisqu’elle a consacré sa vie entière au bénévolat étant donné son désintérêt face à l’ascension sociale et à l’argent. Michel et elle deviendront treize fois grands-parents et une fois arrière-grands-parents. Elle décéda en 2006 après avoir appris quelques années plus tôt qu’elle souffrait d’un cancer du sein.

Références

Brom, Jean-Marie (2006), « Solange Fernex : une vie d’engagement pour le respect de la vie et les droits de la personne », Sortir du Nucléaire, no 33, décembre.
http://www.sortirdunucleaire.org/Solange-Fernex-une-vie-d (consulté le 07/11/15)

Schulthes, Élisabeth (2004), Solange Fernex l’insoumise : Écologie, féminisme, non-violence. France : Éditions Yves Miche. 211 p.

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