16 Lois Gibbs (1951-), États-Unis

Housseyn Belaiouer

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Lois Gibbs est une figure exceptionnelle de la protection de l’environnement et de l’amélioration du bien-être humain aux États-Unis et dans le monde. Militante dès son plus jeune âge, pendant une période de développement industriel marquée par des catastrophes humaines, environnementales et sanitaires, elle a réussi à mobiliser son pays entier, à faire changer la politique environnementale américaine et à instaurer de nouvelles lois.

Une fille d’une famille aisée 

Lois Gibbs est née Lois Marie Conn le 25 juin 1951, à Grand Island, dans l’État de New York, aux États-Unis. Gibbs a grandi avec cinq frères et sœurs. Son père, un maçon, travaillait dans les aciéries, tandis que sa mère travaillait comme femme au foyer à temps plein. Pendant son enfance, Gibbs était extrêmement timide; elle n’a pas participé à des activités extra-scolaires ni fait de sport, mais elle a passé beaucoup de son temps libre à profiter de son passe-temps favori, la couture. Peu de temps après la fin de ses études secondaires en 1969, elle épousa son premier mari, Harry Gibbs, un travailleur chimique de sa ville. Le couple a eu deux enfants, Michael et Melissa et, en 1972, déménagèrent dans une maison de trois chambres à Love Canal pour vivre leur rêve américain.

La découverte troublante

Pendant les années 1970, le mouvement pour la défense de l’environnement n’était pas structuré aux États-Unis et les gros pollueurs cachaient leurs méfaits en enterrant des tonnes de déchets toxiques un peu partout. La compagnie Hooker Chemical Corporation avait transformé un canal de l’État de New York, le Love Canal, en un lieu d’enfouissement de déchets toxiques. Après l’avoir recouvert de chape argileuse, la compagnie avait vendu le terrain en 1953 pour la modique somme de 1 $ à la commission scolaire locale. Un cadeau qui se révéla empoisonné.

Dès 1955, une école fut construite sur le Love alors que des émanations dangereuses des déchets toxiques commençaient à sortir.  Après l’édification de l’école, de multiples maisons furent construites dans les environs du canal malgré les dangers pour la santé. À cette époque, il n’y avait pas de mécanismes ou de lois précises aux États-Unis pour forcer les pollueurs à décontaminer les terrains et à indemniser les citoyens vivant autour de sites dangereux.

Au printemps 1978, Gibbs découvrit la réalité des déchets enterrés à proximité de la baissière d’approvisionnement d’eau pour la population locale. L’eau polluée par les déchets toxiques était soupçonnée de provoquer des grappes de maladies inexplicables et des malformations congénitales. Ayant identifié l’exposition aux produits chimiques toxiques comme la racine des problèmes de santé (cancer, mortalité infantile élevée et malformations congénitales) de sa communauté, la jeune mère déterminée se transforma pratiquement en une nuit d’une femme au foyer timide à une organisatrice locale et à une militante écologiste mondiale quelques mois plus tard.

Un combat sans précédent

Dès les premiers jours de son constat, Lois Gibbs a agi en ramassant des preuves sur tous les problèmes de santé recensés. L’objectif central de la militante était que le gouvernement fédéral américain rachète les maisons situées dans les zones à risque. Elle a fait bouger la grosse machine gouvernementale avec des assemblées, réunions et interventions dans les médias, où tous les intervenants américains ont été mis à profit; la commission scolaire, le gouvernement de l’État de New York, le gouvernement fédéral, et même le président américain, Jimmy Carter. Gibbs a fait face à une querelle de compétences où tous les intervenants se renvoyaient la balle et où personne ne s’estimait responsable de la situation; personne ne voulait assumer une responsabilité et ne voulait payer. La militante trouvait donc qu’il y avait un vide dans la responsabilité environnementale aux États-Unis.

Points de repère

Le 15 avril 1978 : le journal « Niagara Gazette » publia un article montrant l’existence d’une série de problèmes issus de la présence de déchets dangereux à Niagara Falls, y compris la décharge de Love Canal.

Le 25 avril 1978 : le directeur de santé publique de l’État de New York confirma qu’il existait un risque de santé publique dans la communauté de Love Canal.

Fin avril 1978 : Lois Gibbs commença à démarcher le quartier avec une pétition pour fermer l’école, fréquentée par son fils de cinq ans, située près du centre de la décharge.

Le 2 août 1978 : un petit groupe de la population locale, dirigé par Lois Gibbs, se déplaça à Albany pour présenter au ministre. leur pétition demandant la fermeture de l’école

Le 2 août 1978 : le secrétaire d’État de New York de la Santé déclara l’état d’urgence à Love Canal et ordonna la fermeture de l’école. Il ordonna aussi un plan de nettoyage immédiat et le déplacement des femmes enceintes et les enfants de moins de deux ans.

Le 7 août 1978 : le président des États-Unis Jimmy Carter déclara l’état d’urgence dans le quartier de Love Canal et débloqua des fonds pour reloger de façon permanente les 239 familles vivant dans les deux premières rangées de maisons, qui entouraient le site d’enfouissement.

Le 8 septembre 1979 : 300 familles supplémentaires, vivant dans le quartier, ont été temporairement déplacées, à la suite de problèmes de santé causés par des expositions chimiques provoquées par les activités de nettoyage.

Le 19 mai 1980 : Lois Gibbs et les résidents du Love Canal, irrités par le manque d’action du gouvernement, mirent au défi la Maison-Blanche de déménager toutes les familles le mercredi 21 mai à midi, à défaut de quoi la population locale passerait à l’action.

Le 1er octobre 1980 : Le président américain Jimmy Carter visita Niagara Falls et signa le projet de loi de crédits, qui a fourni le financement pour une réinstallation permanente de toutes les 900 familles souhaitant quitter le quartier.

Le 20 décembre 1983 : Lois Gibbs et les 1328 résidents du Love Canal déposèrent une plainte contre l’Occidental Chemical Corporation, une filiale d’Occidental Petroleum.

Septembre 1988 : l’État de New York publia un plan quinquennal concluant que des parties du quartier de Love Canal étaient habitables.

Le 15 septembre 1989 : suite à l’appel d’une mobilisation nationale lancé par Lois Gibbs, les gens à travers le pays rejoignirent les anciens résidents du Love Canal à la capitale pour protester contre la décision de réinstaller de nouvelles familles au quartier.

Le 22 juin 1994 : grâce au travail de Lois Gibbs, l’Occidental Petroleum a accepté de payer 98 millions $ pour couvrir les coûts de nettoyage de l’État de New York.

Août 1997 : le département de santé d’État de New York reçut une subvention fédérale de trois millions de dollars pour mener une étude sur les familles qui vivaient près de Love Canal, avant 1979.

Août 1998 : une aire de jeux a été construite sur la partie sud, non habitable, du quartier Love Canal.

Une loi historique

Les efforts de la militante portèrent fruit. Les 833 familles de son quartier reçurent des indemnités et furent relogées et le canal fut nettoyé. L’action de Lois Gibbs eut un effet durable sur la manière de gérer à l’avenir les questions environnementales aux États-Unis. Ce pays adopta en 1980 l’« U.S. Environmental Protection Agency’s Comprehensive Environmental Response, Compensation and Liability Act » (Superfund). Cette fameuse loi fédérale américaine surnommée “Superfund” vise à faire nettoyer les sites souillés par des déchets dangereux partout au pays.

La mère du centre de santé, de l’environnement et de la justice

Au fil de son long combat pour le bien-être collectif, pour sauver des vies, protéger l’environnement et instaurer la justice, Lois Gibbs a créé le Centre pour la Santé, l’Environnement et la Justice (CHEJ) en 1980. Depuis lors, le centre a agi pour bâtir des collectivités saines à l’échelle nationale aux États-Unis, pour instaurer la justice sociale, le bien-être économique et physique et la gouvernance démocratique. Grâce au savoir-faire de Lois Gibbs, le centre propose des ressources essentielles, des partenariats stratégiques et des formations pour les dirigeants locaux afin de prévenir les dommages et les problèmes de santé causés par l’exposition aux menaces environnementales.

Prix, honneurs et œuvres

Pour souligner son implication et sa passion de protéger l’environnement et de défendre le bien-être des individus, Lois Gibbs a reçu plusieurs prix et doctorats honorifiques de différentes Universités et institutions.

  • Le prix Goldman pour l’environnement, en 1990
  • Le prix Heinz Award de l’environnement, en 1998
  • Le prix John Gardner de leadership, en 1999
  • Une nomination pour le prix Nobel de la paix, en 2003
  • Un doctorat honorifique d’Haverford College et de l’Université de New York, en 2006
  • Un doctorat honorifique de Green Mountain College, en 2009

La militante a également publié Love Canal : and the Birth of the Environmental Health Movement, en 1998. Ce livre raconte comment Gibbs et ses voisins ont lancé un mouvement national sans précédent qui continue jusqu’à nos jours et qui nous renseigne à propos de menaces pour la santé environnementale et de la manière de les prévenir. Un film en a été tiré.

Références

Becher, Anne et Richey, Joseph (2004), « Gibbs, Lois Grassroots Environmental Activist and The « Mother of Superfund » (1951–) », série Pollution A to Z sur Encyclopedia.com.
http://www.encyclopedia.com/topic/Lois_Gibbs.aspx (consulté le 20/11/15)

Copeland, Libby Ingrid (1998), « Lois Gibbs’s Grass-Roots Garden », The Washington Post Company, 29 juillet.
http://www.washingtonpost.com/wp-srv/style/daily/loisgibbs.htm (consulté le 20/11/15)

Curwood, Steve (2013),« Love Canal and Lois Gibbs 35 years later », entrevue à l’émission de radio américaine Living on Earth, 13 décembre.
http://loe.org/shows/segments.html?programID=13-P13-00050&segmentID=7 (consulté le 20/11/15)

Gibbs, Lois Mary (2015), « History : Love canal. The Start of a Movement », site internet de la Boston University.
http://www.bu.edu/lovecanal/canal/ (consulté le 20/11/15)

Green, Ronnie (2013), « From homemaker to hell-raiser in Love Canal », site internet du Centre of Public Integrity, 16 avril.
http://www.publicintegrity.org/2013/04/16/12465/homemaker-hell-raiser-love-canal (consulté le 19/11/15)

Raeburn, Paul (2008), « Okay, you want to fight back ? », Audubon magazine, novembre-décembre.
http://archive.audubonmagazine.org/profile/profile0811.html (consulté le 19/11/15)

Shetterly, Robert (2015), « Lois Gibbs », portrait sur le blog Americans Who Tell The Truth.
http://www.americanswhotellthetruth.org/portraits/lois-gibbs (consulté le 20/11/15)

Fiche biographique de Lois Gibbs sur le site internet de l’Université Fredonia de New-York (2015) :
http://www.fredonia.edu/convocation/gibbsbio.asp (consulté le 20/11/15)

Fiche biographique de Lois Gibbs sur le site internet du Centre of Health Environmnet and Justic (2015) :
http://chej.org/about/our-story/about-lois/ (consulté le 20/11/15)

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