42 Sandra Freitas (1977-), Togo
Poyodi Batana
Née en 1977, Sandra Flore Adéyêmi Akpéné Akua Freitas est originaire de la République du Togo, petit pays de 56 700 km2 situé en Afrique de l’ouest. Celle que rien au départ ne prédestinait a priori à l’engagement écologique compte aujourd’hui parmi les actrices clés de la protection environnementale tant dans son pays que sur le continent africain.
L’origine de mon nom ainsi que la longue liste de mes prénoms reflètent un transfert de plusieurs courants culturels qui me sont encore pour l’essentiel inconnus, mais que traduit de manière évidente mon identité et ma personnalité pour le moins décidée et marquée par l’assurance,
nous confie, dans l’entrevue réalisée dans le cadre de la rédaction de ce portrait, celle qui fut la première et unique femme au Togo au sein de l’équipe de la communication nationale pour le changement climatique dans le cadre onusien.
De l’économie à l’écologie
Chez Sandra Freitas, la passion et l’engagement pour la nature, comme on le verra au fil de la petite l’histoire de sa vie, sont un peu le fait du hasard. Mais quel miracle peut bien faire le hasard sans un esprit préparé?
C’est d’abord l’univers des sciences économiques qui berça sa plus tendre enfance. En effet, Jacqueline Freitas, la mère de Sandra, économiste de métier, exerça en qualité de Directrice de l’économie au sein de l’administration publique togolaise, avant une reconversion dans la consultance internationale pour la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
C’est donc un peu « naturellement » que Sandra Freitas s’orienta vers la formation en économie à l’Université de Lomé au Togo après son baccalauréat en 1995. Elle en sortit quatre années plus tard, nantie d’une maîtrise. Sa mère était sans aucun doute sa grande influence à cette étape de sa vie : « avant ma découverte de la lutte écologique, dit-elle, j’ai été modelée par ma mère et cette expérience a de toute évidence forgé mon esprit analytique et rationnel. » C’est d’ailleurs aux côtés de sa mère qu’elle fit ses premières armes dans le monde du travail. Elle commença comme assistante à la recherche dans un champ lié au développement et à la macroéconomie, avant d’entreprendre entre 2009 et 2010 des études en diplomatie de l’environnement auprès de l’Université de Genève en Suisse, soldées par une certification d’études avancées. Plusieurs autres formations sont venues, au fil de sa carrière, renforcer son savoir-faire en matières de protection environnementale. Il s’agit notamment des formations à la mise en œuvre des programmes nationaux d’adaptation au changement climatique et aux méthodes d’intégration du genre et du changement climatique dans les politiques de développement, puis des séminaires annuels sur la construction du consensus dans les négociations internationales sur le climat, à l’université d’Oxford en Grande Bretagne.
La naissance d’une diplomate du climat
Alors que presque tout la destinait à une brillante carrière dans le domaine de l’économie et des finances, c’est plutôt l’amour de la nature qui a peu à peu damé le pion à tout le reste. Dès 2007, elle fit un grand pas vers l’engagement écologique au niveau local, en rejoignant l’ONG Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE), un groupe de jeunes Togolaises et Togolais dévoués à la cause environnementale. Frappés par son esprit prospectif et son énorme potentiel, ses compagnons de lutte lui confièrent très vite le rôle stratégique de chargée de programmes. Une expérience enrichissante qu’elle conduisit jusqu’en 2009, année où elle fonda l’ONG Action en Faveur de l’Homme et de la Nature (AFHON). Par cette initiative, elle décida de placer au cœur de son combat l’impact du changement climatique sur les communautés les plus vulnérables, en particulier les femmes, tant dans les zones urbaines que rurales. Une vision alors inédite au Togo.
Environnement et genre: deux combats complémentaires
Le modèle de combat écologique dont elle est l’une des pionnières dans son pays est axé sur l’arrimage entre le changement climatique et la réduction de la pauvreté à l’aune de l’égalité des sexes. Dans cette logique, la femme est à la fois cible des actions et actrice de la lutte. Sandra Freitas œuvre alors dans l’accompagnement des femmes (qui constituent la majeure partie de la population togolaise) en leur offrant des alternatives efficaces dans l’exercice de leurs activités économiques souvent en lien avec la gestion des ressources naturelles. D’autre part son enjeu a consisté à allumer en elles la flamme de la lutte environnementale.
Les femmes togolaises sont reconnues pour leur bravoure légendaire. L’engagement pour l’environnement en tant que domaine d’action est l’un des plus ouverts pour un rôle actif de la femme en termes d’amélioration de la gestion de la terre, de l’adoption de pratiques culturales plus propices, et de l’amélioration des ressources forestières, des ressources en eau et autres écosystèmes (extrait d’une entrevue donnée à l’auteur).
Mais tout ceci marquerait le pas en l’absence d’un cadre institutionnel adéquat. Voilà pourquoi, depuis de longues années, en plus de l’intervention sur le terrain avec son ONG, Sandra Freitas est impliquée dans presque toutes les démarches à impact environnemental engagées par le gouvernement togolais, en aidant à la formulation et à la conception des politiques climatiques et de développement.
La lutte écologique à l’africaine
L’action de Sandra Freitas ne se limite pas au seul contexte togolais. Elle met également son savoir-faire au profit du continent africain auquel elle voue une grande passion. Bien que l’Afrique reste encore, selon elle, le continent dont l’empreinte écologique est la plus faible en termes de mode de vie, de consommation et de production, le seuil admis pourrait être vite franchi si des actions urgentes ne sont pas entreprises. Et ceci devrait passer notamment par la mise en place et le renforcement des cadres normatifs, l’éducation, la formation, la sensibilisation et la communication sur l’environnement afin d’induire un comportement plus éco-citoyen dans tous les pays. « Un mode de vie écologique ne devrait pas être une panacée pour les plus courageux, les plus déterminés, parfois traités de marginaux. Un mode de vie écologique devrait être la norme », insiste-t-elle.
Combat écologique rime avec action collective
L’intuition écologique de Sandra Freitas part du principe que les résultats extraordinaires sont la somme d’actions ordinaires. Pour elle, de petits gestes collectifs sont à terme plus porteurs que des actions héroïques, mêmes si ces dernières impulsent parfois de façon radicale le mouvement. C’est pourquoi, soutient-elle, la meilleure stratégie consiste non seulement à se battre pour l’environnement mais aussi à en faire un combat collectif. Sandra n’a pas de figure de proue comme modèle. Mais elle admet vouer une admiration sans borne à celles et ceux qui, au quotidien, abattent un travail de fourmi dans le secret, sans avoir accès au feu des projecteurs.
Mes modèles restent généralement des personnes anonymes, parfois méconnues qui agissent avec force et dans le silence. Je partage leur vision de toujours réfléchir chacun à sa spécificité et d’apporter sa contribution en fonction des réalités que nous vivons et ce en toute discrétion. Ce genre de modèles est important pour notre réussite, déclare-t-elle.
Engagements et actions: bilan et perspectives
En seulement dix années d’engagement écologique, peut-être il est-il trop tôt pour parler de bilan chez Sandra Freitas. Néanmoins à ses dires, sa passion est restée intacte. À 38 ans, sa vocation s’est même renforcée et son action s’est diversifiée. L’écologiste togolaise a énormément contribué à enraciner l’esprit de la protection environnementale dans son pays (en plaçant la femme au centre de son action) et en Afrique, en renforçant les capacités et les compétences dans le domaine, et en encourageant d’autres à s’y investir.
Sandra Freitas consacre aujourd’hui toute sa vie à la question environnementale et court le monde au rythme des rencontres consacrées à l’avenir de la terre. Elle est d’ailleurs impliquée à un niveau très élevé dans les négociations actuelles à l’échelle de la planète. Conseillère technique du président des pays les moins avancés (PMA) dans les négociations au sein de la Convention cadre des nations unies sur les changements climatiques (l’Accord de Paris COP 21 sera signé en décembre 2015), elle co-coordonne les négociations sur la plateforme de Durban pour le groupe des PMA et est la porte-parole de ce groupe dans les négociations internationales sur les changements climatiques. Elle représente, en Afrique, plusieurs organisations de renommée internationale et est co-auteure de nombreux documents d’information sur le climat.
À la question de savoir si ces multiples responsabilités ne lui pèsent pas trop lourd sur les épaules, elle me répond, la tête dans les étoiles :
Qu’ils sont nobles ces engagements qui nous rappellent la nécessité de préserver l’équilibre fragile de la vie, qui nous rappellent que la terre nous est laissée en héritage et que nous devons à notre tour la transmettre à la génération qui vient. À bien des égards, ce type d’engagement offre une plus grande sérénité et apporte une source de plus grand contentement!
Le type de message à faire germer en chacun la fibre écologique.
Publications de Sandra Freitas
Africa’s Adaptation Gap: Bridging the Gap – Mobilising Sources. Michiel Schaeffer, Florent Baarsch, Gilbert Balo, Kelly de Bruin, Richard Calland, Felix Fallasch, Mahlet Eyassu Melkie, Len Verwey, Sandra Freitas, Laetitia De Marez, Jerome van Rooij, Bill Hare (2015).
Loss and Damage in Africa. Michiel Schaeffer, Florent Baarsch, Leon Charles, Kelly de Bruin, Sandra Freitas, Bill Hare, Andries Hof & MJ Mace (2014).
Africa’s Adaptation Gap: Climate-change impacts, adaptation challenges and costs for Africa. Michiel Schaeffer, Florent Baarsch, Sophie Adams, Kelly de Bruin, Laetitia De Marez, Sandra Freitas, Andries Hof, Bill Hare (2013).
Science/Research Update Durban. Michiel Schaeffer, Sandra Freitas, Kirsten Macey, Joeri Rogelj (2011).
Mitigation, pledge, impacts and effects on LDC. Michiel Schaeffer, Felix Fallasch, Sandra Freitas, Andries Hof, Kirsten Macey, Joeri Rogelj, Bill Hare (2011).
Periodic Review, Background and Analysis. Bill Hare, Michiel Schaeffer, Kirsten Macey, Sandra Freitas, Henrike Doebert (2011).
Références
Équipe IUCN (2010), « Powering change: IUCN celebrates International Women’s Day », site internet officiel de l’Union internationale pour la conservation de la nature :
http://www.iucn.org/news_homepage/?4876/Powering-change–IUCN-celebrates-International-Womens-Day (consulté le 19/10/15)
Fiche biographique de Sandra Freitas sur le site internet officiel de Climate Analytics (2015) :
http://climateanalytics.org/about-us/team/sandra-freitas (consulté le 23/10/15)
Fiche biographique de Sandra Freitas sur le site internet officiel de The JWH Initiative (2015) :
http://www.jwhinitiative.org/participants/sandra-adeyemi-akpene-akua-freitas-1977/ (consulté le 23/10/15)
Site internet officiel des Jeunes Volontaires pour l’Environnement (2015) :
http://www.jve-international.org/index.php?lang=fr (consulté le 23/10/15)
Page Wikipedia du Togo (2015) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Togo (consulté le 23/10/15)