38 Mariouche Gagné (1971-), Québec
Iris Chabot
Mariouche Gagné, propriétaire et designer de la marque Harricana spécialisée en manteaux de fourrure recyclés, est une femme à la volonté peu commune, menant de front une carrière internationale dans le domaine très compétitif de la mode, son engagement environnemental et son rôle de mère de deux enfants.
Enfance
Mariouche est née en 1971 à Loretteville, une petite ville de banlieue paisible et sans histoire jouxtant le célèbre village de Wendake, aussi connu par la population de Québec sous le nom de village des Hurons. Cette proximité avec la culture amérindienne fut sans conteste une source d’inspiration pour la jeune femme, connue pour ses créations mettant en vedette la fourrure, l’un des matériels de base de l’habillement des Amérindiens et des premiers colons d’Amérique.
Issue d’une famille n’ayant aucun lien avec le monde du commerce et de la mode, la créatrice en herbe a dû elle-même franchir une par une toutes les étapes et tous les écueils associés à la création d’une entreprise. La jeune femme en parle sans complexes lors d’une entrevue menée par Carole Vallières pour Le Devoir : « J’ai démarré à 23 ans. Comme je ne viens pas d’une famille où l’on parle affaires à table, je n’ai pas pu apprendre des erreurs de mon père ». Elle ne doit son succès qu’à sa persévérance et à sa détermination, trébuchant parfois, mais continuant sans cesse sa progression.
Qui pourrait croire en achetant l’une des soyeuses et luxueuses créations de la designer, qui a su séduire bien des personnalités en vue, que les premiers amours de cette dernière n’étaient pas la mode et le jet-set, mais le dessin et les excursions en forêt? Mariouche de son propre aveu ne se voyait pas entamer une longue carrière académique : « Je n’étais pas faite pour l’école ».
Un concept de mode basé sur le recyclage
L’originalité des créations d’Harricana est l’utilisation de fourrures recyclées. Bien que l’éthique de la responsabilisation environnementale et le concept de luxe écologique ou responsable soient aujourd’hui bien ancrés chez les nouvelles générations, il n’en allait pas de même à l’époque de ses premières créations, pour la plupart réalisées grâce aux dons de vieux manteaux récoltés au sein de sa parenté ou dénichés dans des friperies et des marchés aux puces. L’entreprise Harricana, portant le nom évocateur d’une superbe rivière ayant déjà appartenu à la légendaire Compagnie de la Baie d’Hudson, acteur incontournable de la traite des fourrures, prenait peu à peu forme et se montrait innovatrice dès ses premiers balbutiements.
Aujourd’hui, son entreprise a réussi l’exploit de recycler 80 000 manteaux de fourrure jusqu’en 2015 et de ce fait, d’épargner pas moins de 800 000 bêtes selon les calculs disponibles sur son site officiel. Pas surprenant lorsque l’on sait que toute jeune, Mariouche avait déjà planté plus de 200 000 arbres avant de débuter en 1989 au Collège Lasalle les études qui la guidèrent vers le monde de la mode. Ses valeurs actuelles sont directement issue de sa passion pour la nature.
En 1990, la désigner débutante qu’est à l’époque Mariouche reût un prix prestigieux décerné par la maison Cartier et Air France, à la suite de la création d’un manteau inspiré d’une légende inuite et de l’animal mythique de ce peuple, l’ours polaire. Cette première marque de reconnaissance face à son talent et à son implication environnementale sera suivie par de nombreuses bourses, mentions et stages à l’étranger. Lui ouvrant ses portes dès 1994, la Maison Simons, véritable institution québécoise du prêt-à-porter, lui acheta ses premières pièces officiellement enregistrées sous la marque Harricana. Cette collaboration entre la Maison Simons et Harricana porte encore ses fruits à ce jour et ne s’est jamais tarie.
Continuant sa progression vers le sommet, la jeune femme réalisa un tour de force commercial en 2000 quand elle débuta ses exportations à l’étranger. Celles-ci constituent la moitié du chiffre d’affaires de la griffe. En 2002, l’aventurière se lança dans un projet profondément humain et décida d’aller donner des formations de couture et de réparation de machines à coudre aux communautés inuites de Kuujjuaq. Comme si cela n’était pas suffisant pour occuper son temps et son cœur immense, Mariouche fit l’acquisition d’une ancienne banque située rue Saint-Antoine à Montréal pour la métamorphoser en son premier Atelier-Boutique.
Au fil du temps, de nombreux noms prestigieux offrirent à la griffe qui un contrat, qui une collaboration, qui un terrain d’essai. Pour ne citer que les plus connus : « Rossignol, , Chlorophylle, Citroën, le légendaire magasin Colette à Paris, Lise Watier, Hermès, le groupe gargantuesque des Hôtels Germain, le très apprécié restaurant Laurie-Raphaël » courtisèrent la marque! De plus, notons que des personnalités publiques bien connues des Québécois telles que Mahée Paiement, Sophie Durocher et Angelo Cadet ont accepté de défiler gracieusement pour elle. Loin de se glorifier outre mesure de ce chapelet de noms célèbres, la jeune femme garde les pieds sur terre et ne s’éloigne jamais de son éthique de base, le recyclage de matières nobles et animales. Ainsi, les matériaux se diversifient, passant par toute une gamme de textures, alliant la fourrure, la peau, la laine et la soie en un heureux mariage.
Le courage et la créativité bec et ongles
Bien que ce parcours ait l’étoffe du rêve aux yeux de certains, le cheminement de la marque ne s’est pas fait sans heurts ou revers de fortune. Ses principaux bassins de clientèles se situant en Amérique, mais également en Europe, la crise européenne et le déclenchement d’une hostilité palpable entre certains pays représentant auparavant des clients assidus ne pouvaient pas ne pas laisser d’empreintes : « Quand la crise financière a frappé, les clients qui dévoraient ses produits « écoluxe » chez Colette, à Paris, ou dans les belles boutiques de produits de ski de luxe de (…) tous les grands domaines skiables chics européens (…) se sont faits plus rares. Les clients russes, ceux de cette nouvelle classe aux portefeuilles bien garnis, se sont mis à délaisser les stations de France, pays perçu comme hostile dans la crise avec l’Ukraine », raconte-t-elle. Retroussant ses manches, la belle coupe où elle le peut tout en continuant à offrir des produits de qualité, ferme la boutique de Québec, pense à déménager celle de Montréal et instaure une présence plus mouvante avec la mise en place de boutiques temporaires lors d’évènements tels que la Braderie de Mode et les grandes ventes d’échantillons qui lui permettent d’épurer la marchandise.
Malgré ces quelques mésaventures qui auraient pu en décourager plusieurs, la griffe innove encore en explorant une nouvelle avenue, celle de la parfumerie. Une création olfactive, preuve de son désir de créativité allié à son amour de la nature dans toutes ses formes, est la nouvelle fragrance exclusive de sa griffe. Ce jus très vert et forestier lancé en 2013 est une collaboration entre Mariouche et l’équipe des parfums Monsillage, une maison de parfumerie ayant à cœur d’offrir des produits hors du commun et conçus dans le respect de l’environnement. Apparement, il n’y a pas de limite à l’inspiration de cette femme visitée par les muses!
Références
Dostie, Jessica (2012), « L’odeur d’Harricana», Le Journal Métro, 4 décembre.
http://journalmetro.com/opinions/tendances-etc/201856/lodeur-dharricana/ (consulté le 20/10/15)
Lortie, Marie-Claude (2015), « À table avec Mariouche Gagné : Faits d’hivers », La Presse, 23 janvier.
http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/marie-claude lortie/201502/23/01-4846524-a-table-avec-mariouche-gagne-faits-dhiver.php (consulté le 20/10/15)
St-Laurent, Sophie (2009), « Harricana et Ça va de soi : Cocon de maille et fourrure», La Presse, 17 mars.
http://www.lapresse.ca/vivre/mode/200903/17/01-837301-harricana-ca-va-de-soi-cocon-de-maille-et-fourrure.php (consulté le 20/10/15)
Turcotte, Claude (2008), « Portrait, à la source d’Harricana : Mariouche Gagné », Le Devoir, 1er décembre.
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/219893/portrait-a-la-source-d-harricana-mariouche-gagne (consulté le 20/10/15)
Vallières, Carole (2009), « Harricana a une âme : Mariouche Gagné», Le Devoir, 28 février 2009.
http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/236456/fourrure-harricana-a-une-ame-mariouche-gagne (consulté le 20/10/15)
Fiche biographique de Mariouche Gagné sur le site internet officiel d’Harricana (2015) :
http://www.harricana.qc.ca/index.php/about-mariouche/ (consulté le 20/10/15)