30 Marina Silva (1958 -), Brésil

Danaé Robidoux

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Militante écologiste et femme afro-brésilienne engagée en politique, Marina Silva est un modèle de courage et de détermination. Malgré les épreuves qu’elle traversa tout au long de sa vie, de la maladie à sa défaite aux élections en passant par les décès de ses proches et les résistances au sein du gouvernement de Lula, elle n’abandonna jamais son combat pour la préservation de l’Amazonie tout en promouvant la justice sociale et le développement durable.

Éveil

Née le 8 février 1958 dans l’État brésilien de l’Acre, Marina Silva grandit dans un village reculé au cœur de l’Amazonie. Elle était donc constamment en contact avec la faune et la flore, d’autant plus qu’il n’y avait ni électricité, ni eau courante, ni même église ou école dans son village. La radio, seul lien avec l’extérieur, était considérée comme le « totem technologique » de la région.

Marina Silva passa son enfance au sein d’une communauté de récolteurs de caoutchouc appelée Seringal Bagaço. La vie y était exténuante, marquée par le travail acharné, la pauvreté et les maladies. Dès son jeune âge, Marina, tout comme ses frères et ses sœurs, se levait tôt pour aider son père, soit en préparant le repas du matin, soit en travaillant à ses côtés. Ses parents peinaient à subvenir aux besoins de leurs douze enfants, mais n’hésitaient pas à se sacrifier pour eux et elles.

I remember looking at my father and mother and asking : Are you not going to eat? And my mother answered… my mother answered : we are not hungry, raconte Marina, visiblement émue.

Sa mère et trois enfants de la famille furent été emportés par les maladies tropicales. Crises de malaria à répétition, contamination au mercure et hépatite : Marina Silva n’était pas en reste. À l’adolescence, sa santé fragile la poussa à rejoindre la capitale de l’État, Rio Branco, afin d’y être soignée.

Nul doute que ces épreuves ont contribué à forger la force tranquille de Marina qui ne recule devant rien pour faire valoir ses convictions.

Premiers engagements

Après avoir quitté son village natal, Marina Silva fut recueillie par la Congrégation de Marie où elle y reçut une éducation catholique et travailla comme femme de ménage. Analphabète jusqu’à l’âge de 16 ans, elle est la seule personne de sa famille à avoir appris à lire et à écrire. Quelques années plus tard, elle s’inscrivit à l’Université fédérale d’Acre et en sortit diplômée en histoire à l’âge de 26 ans.

Marina Silva songea brièvement à devenir religieuse, mais sa rencontre avec Chico Mendes, un célèbre syndicaliste qui fut abattu en 1988, l’amena plutôt à évoluer dans la sphère politique. Elle devint une militante aguerrie contre la déforestation massive de l’Amazonie et l’invasion des terres autochtones. Elle codirigea des dizaines de manifestations pacifiques, participa en 1984 à la création du premier syndicat de travailleurs d’Acre, le Central Unica dos Trabalhadores (CUT), et rejoignit le Parti des travailleurs (PT) en 1985.

Malgré l’assassinat de Mendes et d’autres collègues militants, Marina Silva poursuivit ses activités de militantisme pour la protection de l’environnement. En 1994, elle fut élue sénatrice d’Amazonie et devint la première personne issue d’une famille de récolteurs de caoutchouc à accéder au Sénat fédéral du Brésil, ainsi que la plus jeune de l’histoire du pays. Ce rôle était pour elle une façon de lutter pour l’adoption de lois et de règlements visant à inverser la tendance en ce qui concerne la destruction de la forêt tropicale.

Ces premiers engagements témoignent du courage et de la détermination dont a fait preuve Marina pour mettre l’environnement au centre des préoccupations sociétales.

Leadership environnemental

Membre du Parti des travailleurs, Marina Silva intègra le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva, ex-ouvrier de la métallurgie élu président, et fut nommée ministre de l’Environnement en 2003. Durant son mandat, elle continua de mobiliser ses énergies vers la préservation des forêts brésiliennes, la promotion de la justice sociale et la mise en place de solutions durables. Elle instaura un plan national de lutte contre la déforestation, en incluant notamment de nouvelles plantations d’arbres et des mesures plus drastiques contre toute activité illégale de déboisement, et créa des zones immenses protégées pour les populations indigènes et forestières.

Elle incarne un modèle brésilien de l’écologiste où la défense de l’environnement rejoint celle des populations vulnérables les plus dépendantes de la nature pour leur subsistance : petits agriculteurs sans terre, chasseurs cueilleurs, petits pêcheurs, indigènes ou ‘caboclos’ nés de l’union entre portugais et amérindiens. (Secondi, 2010)

Sa présence à la tête du ministère entraîna un changement dans la dynamique politique entourant l’Amazonie. La déforestation, d’abord considérée comme étant nécessaire au développement économique du Brésil, un pays émergent, fut graduellement perçue comme une exploitation destructrice et inutile des ressources du patrimoine brésilien. Il reste que Marina a dû user d’ingéniosité devant l’accélération du déboisement et la prédominance d’intérêts économiques qui s’opposent avec férocité à la conservation de la forêt amazonienne. Elle coordonna donc les efforts de l’IBAMA, l’organisme chargé de la protection de l’environnement au Brésil, avec ceux de la police et de l’armée afin de procéder à l’arrestation des coupeurs de bois clandestins. Au total, 300 opérations ont été menées pour arrêter plus de 700 personnes et démanteler plus de 1 500 entreprises dans un pays où 80 % de la production de bois est illégale. Différentes zones furent délimitées pour préserver la nature sauvage, créer des parcs nationaux et protéger le mode de vie des peuples autochtones, des récolteurs de caoutchouc et d’autres populations forestières, mais également pour contrôler l’extraction durable des ressources naturelles de la forêt amazonienne.

En outre, en œuvrant ardemment pour l’environnement au sein du ministère, Marina Silva aida à augmenter la crédibilité internationale du Brésil qui devint un nouveau joueur dans les négociations mondiales sur les changements climatiques. En 2008, ses initiatives menèrent à la création du Fonds pour l’Amazonie qui vise à prévenir les émissions de gaz à effet de serre grâce à la conservation de la forêt tropicale. Le Fonds est financé par des contributions nationales et internationales. Il faut savoir que le Brésil représente une puissance environnementale colossale puisqu’il « détient 11% de l’eau potable dans le monde, 22 % des espèces vivantes, la plus grande forêt tropicale, une diversité culturelle fantastique avec près de 220 peuples et 180 langues », explique Marina (Secondi, 2010). La contribution du pays est donc essentielle à la réduction du CO2 responsable du réchauffement mondial.

Marina Silva souhaitait intégrer un modèle de développement durable qui conciliait la croissance économique et l’écologie en utilisant avec sagesse les ressources. Toutefois, sa position rencontra de nombreuses résistances au sein du gouvernement, dont elle devint de plus en plus isolée, et de la part des entreprises, notamment celles qui œuvraient dans les secteurs de l’agriculture, des transports et de l’énergie. Elle retarda l’octroi de permis pour les projets ayant un fort impact environnemental, ce qui lui valut plusieurs critiques, et n’arrivait plus à faire valoir son point de vue qui s’opposait aux nouveaux barrages hydroélectriques, au programme de biocarburant et à la plantation de cultures génétiquement modifiées. Conduite à révoquer certaines de ses décisions, Marina estima qu’elle n’avait plus sa place, et ce, plus particulièrement lorsque le président Lula da Silva désigna le ministre des Affaires stratégiques pour coordonner un projet de développement durable en Amazonie. Le sort de la forêt l’incita donc à quitter son poste de ministre en 2008 : « le dispositif contre la déforestation que nous avions mis en place était menacé. » a-t-elle dit (Secondi, 2010).

Les efforts de Marina pour assurer une gestion durable des ressources de la forêt amazonienne ont contribué à accroître la réputation internationale du Brésil sur le plan environnemental et mis de l’avant un fort leadership qui représente une source d’inspiration pour tous et toutes.

Écologie politique

Marina Silva fit de son départ du ministère un geste d’opposition contre le lobbying du secteur agro-exportateur. Bien que les politiques du gouvernement de Lula aient permis d’améliorer considérablement le niveau de vie des plus démunis par la mise en place de nouveaux programmes sociaux visant à réduire la pauvreté et la faim, Marina considérait que le Parti des Travailleurs se montrait incapable de saisir le sens de la lutte environnementale alors que « la question de l’environnement doit être la question transversale de la vie politique ». C’est pourquoi elle décida de quitter le parti dans lequel elle militait depuis 25 ans pour rejoindre le Parti vert en 2009. L’année suivante, elle posa sa candidature à l’élection présidentielle et provoqua la surprise en attirant près de 20 % des votes, et ce, malgré des moyens très limités et une faible couverture médiatique.

Toutefois, le Parti vert semble plus connu au Brésil pour ses batailles partisanes que pour ses préoccupations environnementales. Marina Silva le délaissa donc en 2012 pour fonder son propre parti appelé le Réseau durable. Il reste qu’elle ne disposait pas des signatures nécessaires en vue des élections de 2014 pour en valider l’inscription au Tribunal supérieur électoral. Rapidement, elle s’allia alors au Parti socialiste brésilien en 2013 et devint colistière du candidat Eduardo Campos pour l’élection présidentielle. Ce dernier décéda dans un accident d’avion et Marina, dont le capital électoral semblait inestimable, fut désignée pour le remplacer. Cette femme qui repoussait les obstacles pour imposer le débat sur l’écologie avait une réelle occasion de l’emporter, ce qui ne se concrétisa pas toutefois.

Dans la septième économie du monde, aujourd’hui en récession, le discours de Marina Silva séduit un milieu jeune, urbain, intellectuel qui, en juin 2013, manifestait pour davantage d’investissements dans la santé, l’éducation et la sécurité, note Jean- Jacques Fontaine, spécialiste du Brésil. Elle convainc une partie des indécis ou ceux qui n’avaient pas prévu de voter (Carrasco, 2014).

Marina incarne le changement et l’antipolitique. Elle est une femme noire issue d’un milieu extrêmement pauvre et qui affiche une allure sobre et une personnalité discrète. Elle défend un programme politique écologique qui est porté par une vision socio-environnementale intégrant l’économie à travers une gestion durable des ressources et des énergies propres sans atteinte à la forêt. Dès ses premiers engagements, elle ne démord pas de sa mission, soit la défense de l’environnement.

Il va sans dire que Marina est une personne très persévérante qui ne se laisse pas abattre par les difficultés et qui croit profondément en l’importance d’une politique tenant réellement compte des préoccupations environnementales.

Prix et réalisations

Les actions de Marina Silva se soldent par des résultats concrets et impressionnants en faveur principalement de la conservation de la forêt amazonienne. Elles lui valent deux distinctions : le prix Goldman en 1996 et le prix Sophie en 2009.

Le prix Goldman récompense l’implication de Marina dans les manifestations contre la déforestation et l’expulsion des communautés forestières. Son militantisme aboutit d’abord à la protection de deux milliers d’hectares de la forêt tropicale et, ensuite, à la mise sur pied de réserves durables, qui englobent deux millions d’hectares, gérées par ceux et celles qui les habitent. Des centaines de familles, notamment de récolteurs de caoutchouc et d’indigènes, voient alors leurs moyens de subsistance préservés.

Le prix Sophie, quant à lui, souligne les mesures prises par Marina lorsqu’elle était à la tête du ministère de l’Environnement. Durant son mandat qui s’échelonna sur cinq ans, sa lutte mena à la réduction de la déforestation en Amazonie, et ce, jusqu’à la faire baisser de 60 %, évitant du même coup les émissions de 520 millions de tonnes de CO2. La poursuite de son travail pour la cohabitation entre la forêt et l’agriculture traditionnelle des peuples autochtones a une influence considérable sur la politique environnementale du Brésil.

Références

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Secondi, Jacques (2010), « Marina Silva, l’écolo évangélique », Les Influences (Paris), 11 octobre.
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Fiche biographique de Marina Silva sur le site internet officiel de la Sophie Prize Foundation (s.d.) :
http://www.sofieprisen.no/Prize_Winners/2009/index.html (consulté le 29/10/15)

Fiche biographique de Marina Silva sur le site internet officiel de la Goldman Environmental Foundation (2015), en tant que récipiendaire du prix Goldman :
http://www.goldmanprize.org/recipient/marina-silva/ (consulté le 29/10/15)

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