12 Lucie Sauvé (1946-), Québec
Duc Tuê Dang
Lucie Sauvé est professeure titulaire au Département de didactique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Spécialisée en éducation à l’écocitoyenneté et à la santé environnementale, et plus spécifiquement intéressée par les enjeux de la formation des éducateurs et de la participation communautaire concernant les questions socio-écologiques, elle est une figure emblématique de l’éducation relative à l’environnement (ERE) au Québec comme à l’étranger.
Parcours dédié à l’environnement
Commençant sa carrière comme enseignante d’histoire, de géographie et de latin, Lucie Sauvé a contribué pendant plusieurs années à la production et à la diffusion de matériels pédagogiques au Québec. Elle s’inscrivait alors dans le mouvement du « renouveau pédagogique » de la fin des années 1960 et du début des années 1970. C’est avec l’intention de mieux structurer ses apprentissages en pédagogie et en environnement, acquis à travers ses expériences professionnelles, que Lucie Sauvé intégra l’université. Elle entreprit au milieu des années 1980 une maîtrise en sciences de l’environnement et puis, au début des années 90, elle poursuivit un doctorat, le premier du monde francophone axé spécifiquement sur l’éducation relative à l’environnement.
En 1991, Lucie Sauvé débuta sa carrière de professeure-chercheure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, puis elle entra à l’UQAM en 1993. En 2001, elle devient titulaire d’une chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement. Au cours des dix ans d’existence de cette chaire, elle contribua activement au développement de la formation et de la recherche en éducation relative à l’environnement. Elle mena également d’importants projets de coopération internationale tels que EDAMAZ (Educación ambiental en Amazonia, en Bolivie, au Brésil et en Colombie; Prix de l’AUCC et de l’ACDI) et ECOMINGA (Écodéveloppement et santé environnementale, en Bolivie).
En 2009, Lucie Sauvé coordonna et co-présida le 5e Congrès mondial d’éducation relative à l’environnement, tenu à Montréal, et reçut le Prix de reconnaissance de l’Association des doyens, doyennes et directeurs, directrices pour l’étude et la recherche en éducation au Québec (ADEREQ) pour l’excellence de ses travaux en éducation.
En 2011, la Chaire de recherche en éducation relative à l’environnement arriva au terme de son mandat. Cette structure fut remplacée en 2012 par le Centre de recherches en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, le Centr’ERE de l’UQAM. Ce centre, qui se veut « une structure plus inclusive et pérenne », regroupe une équipe internationale de chercheurs universitaires, d’organisations formelles et de la société civile ayant une mission éducative en matière d’environnement. Selon Lucie Sauvé, nommée au poste de directrice, le centre promeut « une approche participative autour des questions socio-écologiques et entend participer au développement d’une citoyenneté informée, critique, créative et engagée au regard des questions du « vivre ici ensemble » ».
Membre de l’Institut des sciences de l’environnement et de l’Institut Santé et Société de l’UQAM, et contribuant au Réseau Dialog sur les questions autochtones, Lucie Sauvé dirige la revue internationale Éducation relative à l’environnement – Regards, Recherches, Réflexions, qu’elle a créée en 1997. Elle participe très activement aux activités du Programme court de 2e cycle en éducation relative à l’environnement de l’UQAM, qu’elle a développé en 1996 et qui est offert sur le campus et à distance.
L’éducation relative à l’environnement : quoi et pourquoi ?
L’objet de l’ERE n’est pas d’abord l’environnement comme tel – celui-ci est l’objet des sciences de l’environnement ou des études environnementales. L’objet propre de l’ERE est plus spécifiquement notre relation à l’environnement. La professeure explique :
Le rapport à l’environnement contribue à la formation de notre être-au-monde. Ce rapport est multidimensionnel. Mais en particulier, en raison des problèmes socio-écologiques contemporains, l’éducation relative à l’environnement devient une invitation à l’investigation critique des réalités, une invitation à prendre position, à s’engager.
Pour Lucie Sauvé, il n’existe pas une définition consensuelle de l’environnement. Il s’agit d’une réalité culturellement et contextuellement déterminée, socialement construite. S’intéressant aux représentations de l’environnement, « aux visions de l’environnement dont chacun est porteur et qui détermine son agir », Lucie Sauvé en identifie les types dominants : l’environnement – nature (à apprécier, à respecter, à préserver) ; l’environnement – ressource (à gérer, partager – il s’agit de l’environnement tel qu’appréhendé par le développement durable) ; l’environnement – problème (à résoudre); l’environnement – système (à comprendre, pour mieux décider) ; l’environnement – milieu de vie (à connaître, à aménager) ; l’environnement – biosphère (où vivre ensemble et à long terme, lieu de la solidarité internationale); l’environnement – projet communautaire (où s’engager). C’est donc à travers « un ensemble de dimensions interreliées et complémentaires que se déploie la relation à l’environnement ». « Une éducation relative à l’environnement limitée à l’une ou l’autre des dimensions reste incomplète et entretient une vision réductrice du rapport au monde », souligne-t-elle.
« Certes, il faut qu’on ait de l’eau propre à boire, une alimentation suffisante et de qualité, des habitats sains à partager, etc., c’est essentiel! ». Mais cette perspective environnementale qui sous-tend l’éducation relative à l’environnement, doit aussi être associée, selon la professeure, à deux autres : une perspective éducationnelle (pour le développement intégral des personnes et des groupes sociaux) et une perspective pédagogique (pour enrichir les façons d’enseigner et d’apprendre).
L’éducation relative à l’environnement est à la base du développement de toute personne, en contribuant à la construction de son identité individuelle et sociale, à l’apprentissage de l’altérité humaine et au développement de relations harmonieuses avec le milieu de vie partagé.
L’environnement au cœur de tout projet d’éducation
Lucie Sauvé tient à l’expression « éducation relative à l’environnement » car pour elle, « il s’agit bien d’une éducation centrée sur la relation entre l’humain et l’environnement, dans toutes ses dimensions », ce qui est différent de la proposition réductrice d’une éducation pour le développement durable. Elle explique :
Dans le rapport Brundtland[1] de 1987, la notion de développement durable a servi de stratégie judicieuse pour faire débloquer la situation qui opposait les acteurs du monde de l’économie à ceux de l’environnement. Le développement durable a donc été le compromis accepté par les différents protagonistes. C’était sans doute une clé conceptuelle efficace à ce moment-là pour créer un pont entre économie et environnement. Mais ce concept a débordé de son intention d’origine. S’il convient aux acteurs du monde politico-économique (auxquels il était destiné), il ne convient certes pas comme fondement de notre action éducative. Le “développement durable” considère l’économie comme une entité exogène, désocialisée : il s’agit alors d’une économie sans nom, sans visage, sans responsabilité, un peu comme une locomotive sans conducteur, et qui détermine pourtant les rapports entre la société et l’environnement. Le consentement à l’inévitabilité du dictat de l’économie n’est pas un projet de société ni une finalité éducative. On ne peut pas éduquer pour un développement durable qui consacre une telle vision du monde. Il faut resocialiser l’économie et reconstruire le lien entre société et environnement, entre nature et culture.
L’ERE invite à revoir les choix économiques de nos sociétés. Bien sûr, il faut reconnaître les avancées progressives en matière d’environnement, mais l’économie pèse de plus en plus dans la balance et l’environnement est le plus souvent réduit à une contrainte à “gérer”. L’ERE ne peut pas soutenir “l’insoutenable durabilité”, la méprise d’une stratégie maintenant considérée comme un fondement éducatif, d’autant plus que le développement durable est porteur d’un biais culturel nord-occidental qui contraint la diversité culturelle nécessaire au déploiement de diverses façons complémentaires d’“être au monde” et d’interagir avec l’environnement.
Bien sûr, la notion de « soutenabilité », sustainability en anglais, permet d’échapper à l’étroitesse du « développement durable ». Mais il faut aller plus loin pour enrichir notre éthique du rapport social à l’environnement. Pour cette professeure engagée, l’éducation relative à l’environnement (ERE) est « un univers de réflexions et de pratiques peu connu ou mal compris, qui serait pourtant de nature à enrichir toute l’éducation dans son ensemble ». On observe certes une reconnaissance progressive et désormais indéniable de l’ERE dans le milieu de l’enseignement et de la recherche, mais tout n’est pas gagné.
Il n’y a qu’une partie du chemin de fait. Nous ne sommes encore que trop peu d’éducateurs, de formateurs, de chercheurs à être conscients de l’importance d’une éducation relative à l’environnement pour achever notre projet d’humanité. Le rapport à soi et à l’autre, c’est essentiel, mais si on n’inclut pas le rapport à l’environnement, nous demeurons des êtres inachevés. L’ERE permet de compléter l’acte éducatif en incluant la sphère d’interaction avec le milieu de vie – notre oïkos, sphère qui a été évacuée jusqu’ici des systèmes éducatifs.
Selon Lucie Sauvé, l’éducation relative à l’environnement est
d’autant plus riche quand elle s’inscrit dans une dynamique de critique sociale et une perspective politique, quand elle permet aux gens de développer un pouvoir-faire et un vouloir-faire collectifs pour transformer les réalités, résoudre les problèmes, construire et reconstruire un monde qui ressemble à leurs aspirations et répond à leur système de valeurs. C’est important de reconnaître que l’ERE doit contribuer à l’émergence d’une écocitoyenneté capable de prendre part aux décisions et aux choix collectifs. Il s’agit d’apprendre à “vivre ici ensemble”, c’est-à-dire apprendre à s’engager collectivement et à donner un sens à notre engagement. Qui sommes-nous dans ce milieu de vie partagé ? Que voulons-nous ? Que pouvons-nous faire ensemble ?
Un engagement exemplaire
Ses travaux dans le domaine de l’éducation relative à l’environnement sont depuis des années source d’inspiration et d’enrichissement aux quatre coins de la planète. Elle devint un modèle d’engagement à travers les projets qu’elle poursuit depuis le début de sa carrière, en lien avec le milieu scolaire, les mouvements associatifs et divers contextes qui lui ont permis d’approfondir à la fois les questions socio-écologiques et le champ de la pédagogie de l’environnement. À l’occasion de la remise d’un doctorat Honoris causa, à l’Université Veracruzana du Mexique en 2015, on a souligné
la cohérence de ses travaux académiques et de son engagement écosocial. Cette chercheure a non seulement contribué à structurer le champ théorique et pratique de l’éducation relative à l’environnement et inspiré la recherche et la formation, notamment en Amérique latine, mais elle a aussi mis en évidence la dimension politique de l’action éducative dans ce domaine ainsi que l’importance de l’engagement citoyen et du milieu académique.
Cet engagement social, Lucie Sauvé l’a déployé à propos de divers enjeux socio-écologiques, mais en particulier, à titre de coordonnatrice depuis 2011, du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, qui exerce une veille critique sur le projet de développement des hydrocarbures au Québec.
Valorisant l’apprentissage collectif dans l’action sociale et la recherche participative sur des questions vives, « partager » est bien son mot d’ordre. Elle le fait en tant que directrice du Centr’ERE qui est, depuis sa création, incontestablement un carrefour international d’échanges en éducation relative à l’environnement. Elle le réalise aussi à travers les différents partenariats qu’elle a suscités avec des organisations du domaine de l’éducation et de l’environnement. Au terme d’une longue trajectoire marquée par la cohérence et l’authenticité, elle conserve son enthousiasme et sa passion dans ce vaste chantier sans cesse inachevé de croiser l’éducation et l’environnement.
Deux ouvrages de Lucie Sauvé
- Sauvé, Lucie (dir.), 2001. L’éducation relative à l’environnement. École et communauté : une dynamique constructive. Montréal, Hurtubise HMH.
Cet ouvrage s’offre comme une proposition pédagogique où l’enseignant et l’élève s’engagent dans un échange axé sur la participation. Le questionnement constant de l’un suppose une attention particulière de l’autre. Deux clés de lecture sont possibles : une démarche globale d’éducation relative à l’environnement (ERE) à laquelle se greffent des suggestions d’activités pédagogiques destinées aux élèves (2 et 3° cycles du primaire et premier cycle du secondaire); une démarche d’auto-formation ou de co-formation professionnelle des enseignants et des éducateurs, explorant les fondements de la pédagogie de l’ERE et son intégration à la pratique quotidienne. L’environnement y est exploré sous quatre approches: « mon milieu de vie », « des problèmes à résoudre », « des projets pour ma communauté ».
(Source : http://www.reseau-idee.be/outils-pedagogiques/fiche. php?media_id=972)
Ce livre est téléchargeable en PDF sur http://www.centrere.uqam.ca/public_html/Repere/PDF/ecole-communaute-dynamique-const.pdf
- Sauvé, Lucie (dir.), 2013. Pour une écoalimentation. Dix belles histoires. Presse de l’Université du Québec.
C’est encore généralement sous l’angle restreint de la santé individuelle que la question de l’alimentation est envisagée. Pourtant, on reconnaît de plus en plus les liens entre la santé de chacun et la santé collective, et on comprend de mieux en mieux que la santé humaine et celle des écosystèmes sont indissociables. Dans cette perspective, un important mouvement de transformation des pratiques et des mentalités prend force. Jardins communautaires ou collectifs, groupes d’achats, coopératives, marchés de solidarité, tables champêtres, initiatives de permaculture, paniers biologiques sont quelques-unes des multiples formes d’innovation éco-sociale qui contribuent à transformer nos rapports à l’alimentation et à enrichir nos savoirs. Cet ouvrage est le fruit d’une vaste étude portant sur les acteurs de l’éducation non formelle en matière d’éducation relative à l’écoalimentation, c’est-à-dire d’une éducation en contexte communautaire ou populaire visant à favoriser un cheminement individuel et collectif vers une alimentation saine, produite, distribuée et consommée dans le respect des écosystèmes et le souci d’équité sociale. Basé sur un travail d’enquêtes collaboratives menées auprès des artisans de 10 initiatives d’écoalimentation, il met en évidence la dimension éducative de ces initiatives, comme une valeur ajoutée, comme une contribution au changement social. Il célèbre la créativité et le courage de ces gens qui contribuent à réinventer le rapport au monde, du champ ou du jardin, celui de la campagne ou de la ville, jusqu’à l’assiette.
(Source : http://www.puq.ca/catalogue/livres/pour-une-ecoaliment ation- 2508.html)
Références
Échange avec Lucie Sauvé, novembre 2015.
Collectif (2011), « Éducation relative à l’environnement (ErE) : de quoi s’agit-il ? » dans Tous éducateurs !, répertoire d’outils créés par les formateurs de l’Institut d’Éco-Pédagogie (IEP), janvier.
http://www.institut-eco-pedagogie.be/spip/spip.php?article346 (consulté le 01/12/15)
Cunningham, Julie (2012), « Entrevue avec Lucie Sauvé », DIALOG, octobre, p.8-13.
http://www.reseaudialog.ca/Docs/BulletinDIALOGOctobre2012.pdf
(consulté le 01/12/15)
Martin, Valérie (2011), « Dix ans de recherche en éducation relative à l’environnement », Journal l’UQÀM, vol. XXXVIII, no 6, 14 novembre.
http://www.uqam.ca/entrevues/entrevue.php?id=983 (consulté le 01/12/15)
Sauvé, Lucie et Lange, Jean-Marc (2013), Conférence sur l’École d’été en éducation relative à l’environnement et au développement durable, institut EDS (université Laval), novembre, vidéo accessible sur youtube.com
https://www.youtube.com/watch?v=SWpg9jlUmKI (consulté le 01/12/15)
Teret, Céline (2014), « Lucie Sauvé, portrait d’une inspiratrice », blog Écologie au Maroc, 29 janvier.
http://ecologie-au-maroc.centerblog.net/15-lucie-sauve-portrait-une-inspiratrice (consulté le 01/12/15)
S.a. (2015), « Lucie Sauvé, docteure honorifique », Journal des actualités de l’UQÀM, 13 mars.
http://www.actualites.uqam.ca/2015/lucie-sauve-recoit-doctorat-honoris-causa-universite-veracruzana (consulté le 01/12/15)
S.a. (2012), « Inauguration du centre de recherche en éducation et en formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté », Journal des actualités de l’UQÀM, 22 octobre.
http://www.actualites.uqam.ca/2012/inauguration-du-centre-de-recherche-en-education-et-formation-relatives-lenvironnement-et (consulté le 01/12/15)
Répertoire des professeur.e.s de l’UQÀM, fiche de Lucie Sauvé :
http://professeurs.uqam.ca/component/savrepertoireprofesseurs/ ficheProfesseur?mId=5z2Bq%252fcOhBc_ (consulté le 01/12/15)
Répertoire des chercheur.e.s du groupe Écopsychologie, fiche de Lucie Sauvé :
http://eco-psychologie.com/recherche/lucie-sauve/ (consulté le 01/12/15)
[1] Le Rapport Brundtland, officiellement intitulé Notre avenir à tous (Our Common Future), est une publication issue en 1987 des travaux de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Utilisé comme base au Sommet de la Terre de 1992, le rapport utilise pour la première fois l’expression de « sustainable development », traduit en français par « développement durable », et il lui donne une définition : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. (Source : Wikipedia)