3 Gisèle Chaleyat (1917-), France
Stéphanie Defoy-Robitaille
Féministe, co-fondatrice du parti Les Verts et mère de famille, Gisèle Chaleyat a dédié sa vie aux causes qui lui ont tenu à cœur. Menant des actions pour les femmes autant que pour l’environnement, cette grande dame a une place importante dans l’histoire de l’écologie et de la politique française.
L’événement déclencheur
Née en 1917, Gisèle Chaleyat, de son nom de jeune fille Gisèle Pagnon, se maria en 1944 à un ingénieur du génie maritime. Mère d’une petite fille, elle avait tout d’une mère de famille tranquille à Marseille, jusqu’à ce qu’un tragique événement vienne bouleverser sa vie. Au même moment où elle accoucha de sa deuxième fille, son mari fut victime d’un grave accident de travail. : alors qu’il faisait une démonstration pour l’OTAN sur le polygone de Gard, l’époux de Gisèle a été criblé d’éclats de métal à la suite de l’erreur d’un ouvrier. Il décéda trois ans après le jour fatidique, des suites de l’accident. Gisèle Chaleyat qui était à l’époque mère de deux enfants de trois et cinq ans devint donc veuve.
Le féminisme en réponse au plafond de verre
Afin de subvenir aux besoins de sa famille, Gisèle devint professeure dans une école de commerce de Marseille. Lorsqu’elle réalisa que ses étudiantes, même si elles avaient de meilleurs résultats que leurs collègues masculins, n’arrivaient jamais à avoir un poste bien placé dans la hiérarchie professionnelle, Gisèle fut outrée. C’est par la prise en compte un peu forcée de ces injustices que cette femme aux mille facettes devint une féministe engagée. Son rêve de voir le plafond de verre voler en éclats l’amena à poser des actions concrètes en ce sens. Elle organisa des réunions pour faire valoir ses étudiantes et discuta tant avec ses employeurs qu’avec le maire de Marseille quant à l’absence des femmes dans les hautes sphères professionnelles de la société.
En 1973, afin de suivre une de ses filles qui se mariait, Gisèle Chaleyat demanda son transfert de la Chambre de commerce de Marseille à la Chambre de commerce de Paris. Elle devint aussi membre du Soroptimist Club qui avait pour but de défendre l’accès aux femmes à la profession. À Marseille, elle avait fait partie de deux commissions extramunicipales : l’une pour les enfants, car Gisèle s’est toujours beaucoup préoccupée du sort des enfants en danger moral et physique, et l’autre pour représenter les femmes de son club Sorobtimist. Il n’y avait pas beaucoup de femmes dans le milieu économique, si bien que participer à une commission extra-municipale au sujet de l’économie était un moyen de faire entendre la voix des femmes dans le domaine. C’est par son militantisme féministe qu’elle eut ses premiers contacts avec la politique et qu’elle croisa Germaine Poinso-Chapuis, première femme ministre française de plein exercice.
La politique pour faire entendre sa voix
À l’époque, les femmes ne faisaient pas vraiment de politique, surtout lorsqu’elles élevaient des enfants. Toutefois, cette femme déterminée, qui n’avait pas au premier abord l’intention de faire la politique, a fait les deux. Pour faire entendre sa voix, elle devint membre du Parti féministe à Paris. Toujours engagée pour la cause des femmes et avec la volonté d’anéantir les limites hiérarchiques auxquelles les travailleuses se heurtent, un jour elle fit part à ses consœurs d’une préoccupation qui deviendra un enjeu de taille.
Étant donné le peu de femmes élues en France, tant que nous n’arriverons pas à avoir beaucoup de femmes pour défendre les femmes dans le milieu politique, nous ne pourrons pas avoir la promotion des femmes dans le milieu professionnel.
Avec des amies, elle monta une liste électorale du parti qu’elle dirigeait avec plusieurs noms de femmes. En 1978, ces suffragettes écrivirent une lettre au premier ministre alors en poste, Jaques Chirac, dans laquelle elles dénonçaient le fait que les femmes n’étaient présentes que dans l’électorat. Par la suite, le Parti féministe se présenta contre Chirac. Ces femmes n’ont peut-être pas gagné les élections, mais elles ont assuré une première présence d’un parti politique féministe dans une campagne électorale française, ce qui est en soit une petite victoire.
L’écologisme, pourquoi pas?
C’est par le féminisme que cette femme vaillante devint écologiste. Gisèle Chaleyat entendit le mot écologie pour la première fois pendant les élections présidentielles de 1974 auxquelles René Dumont, de qui elle sera proche par la suite, s’était présenté. Les écolos, parmi lesquels il n’y avait pas beaucoup de femmes à l’époque, approchèrent les membres du Parti féministe, leur promettant que, par leur intermédiaire, elles pourraient défendre leur point de vue. Gisèle prit alors la décision de se joindre aux défenseurs de l’environnement. « Il paraît que ce sont les moins machos », lui a dit une amie. À cette affirmation, celle qui mit l’environnement sur sa liste des priorités ajouta plus tard « à condition qu’on les surveille ».
C’est dans la campagne du chef du parti écologiste Brice Lalonde que Gisèle connut les premiers écologistes. L’année suivante, celle qui était nouvellement écologiste a été invitée à faire partie de leurs listes pour les élections législatives. Depuis, elle n’a jamais cessé de faire partie de listes électorales jusqu’à ce qu’elle soit trop âgée et cherche quelqu’un pour la remplacer. Toutefois, l’âge ne l’a jamais empêché de participer aux rencontres avec ses amis écolos et de distribuer des tracts pour la cause. Aussi, elle exigea pendant longtemps que la profession de foi du parti comporte d’un côté la profession de foi en faveur des femmes, et de l’autre, en faveur des écologistes. Après la campagne de Brice, elle travailla à la fondation de mouvement d’écologie politique.
Pour elle, l’écologisme, « c’est un état d’esprit et non pas des mots d’abord, mais […] ensuite, ça doit être réalisé dans les faits ». On peut donc dire que Gisèle Chaleyat était écologiste avant la création des Verts.
Les verts : une histoire d’amour
Désireuse de regrouper tous les écologistes, elle se vit confrontée aux ambitions de son ami Brice et prit la décision, en accord avec le mouvement d’écologie politique, de quitter son parti pour Les Verts qui étaient à l’époque un regroupement du Mouvement écologiste et du Mouvement d’écologie politique. Depuis 1984, elle n’a jamais cessé d’être avec eux.
Tout le monde connait Gisèle, très engagée dans le parti, dans le premier arrondissement de Paris; son portrait est même sur la façade de la mairie. L’après-midi, lorsqu’elle va savourer son verre de porto au Pied de Cochon ou au Chien qui fume, elle n’a même plus à commander. Car celle qui distribuait des tracts sur le trottoir en faveur des femmes, qui l’a fait pendant des années en faveur des écolos et qui le fait encore aujourd’hui en faveur des Verts est devenue un incontournable du militantisme dans son quartier. Son engagement lui a permis, selon elle, de faire des rencontres et de se lier d’amitié avec des gens extraordinaires. C’est avec Les Verts que Gisèle a rencontré Renée Dumont, qui a été un grand ami, lorsqu’il a collaboré avec eux lors d’une campagne, puis Henry Cartier-Bresson, de qui elle a aussi été proche.
Cette femme qui a le mot démocratie tatoué sur le cœur n’a jamais perdu espoir pour les Verts. Elle a toujours eu le même désir pour les Verts que pour les femmes : « si on n’a pas d’élus, on ne peut rien ». Au départ, il n’y avait ni droite, ni gauche chez les écologistes. C’est pour avoir des élus qu’elle a accepté que les Verts s’allient avec la gauche. Autrement, gauche ou droite, ce n’était pas le combat de Gisèle Chaleyat. Peu importait la direction, ce qui importait pour elle était la justice, l’équité et la protection de l’environnement.
Avec le recul, elle est fière de ce que les Verts ont accompli. Que ce soit au sujet du tramway de Paris, des passages réservés pour les bus, les vélos et les taxis, des actions entreprises pour militer pour le traitement des déchets et contre le nucléaire, Gisèle est heureuse de parler de ce qu’elle et ses amis ont fait. « En politique, il ne faut pas être modeste. Ça, pour les femmes de ma génération, ç’a été très difficile. Quand j’étais jeune, on disait que les femmes ne devaient pas se manifester, même en bien », affirme-t-elle. Pour ces années de dévouement social, le 8 avril 1998, Gisèle Chaleyat a reçu la Légion d’honneur en signe de reconnaissance pour tout ce qu’elle a accompli dans sa vie.
Maintenant arrière-grand-mère, Gisèle Chaleyat a remarqué une nette évolution tant pour la cause des femmes que pour l’écologie. Lorsqu’elle a commencé à faire de la politique, elle se faisait insulter sur les trottoirs; « va donc repriser les chaussettes de ton mari », « ah oui, où est ta bougie? Tu veux qu’on revienne à la bougie », se faisait-elle dire. Pour elle, sa détermination et celle des gens qui l’ont entouré ont porté leurs fruits. Les citoyens sont maintenant plus ouverts et plus tolérants. D’un optimisme frappant, elle déclare : « nous avons gagné en ce sens que nos idées se sont repandues et ça, ce n’est déjà pas si mal ». Toujours active dans le milieu, aujourd’hui elle se bat pour les générations futures. C’est le désir de léguer une terre saine aux plus jeunes qui l’anime désormais.
Dans la nature, tout se tient. Quand une espèce disparait, c’est une atteinte à la chaine de la vie et peut-être que nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants […] subiront les conséquences de quelque chose que nous n’avons pas su protéger, que nous n’avons pas su défendre, quelque chose que nous n’avons pas su créer.
Presque centenaire, Gisèle Chaleyat a eu une vie très remplie. Au final, cette grande dame a joué un rôle décisif dans la lutte pour l’environnement et le combat pour l’égalité d’emploi en France. Sa passion pour ses convictions a été et est si forte qu’elle en est contagieuse. L’ensemble de son œuvre a contribué à l’évolution sociale. Par son engagement et son amour de l’humain, à sa manière, Gisèle a changé le monde.
Références
Équipe Europe Écologie, « Gisèle Chaleyat : Mon message aux électeurs », vidéo sur Orange.fr.
http://video-streaming.orange.fr/actu-politique/gisele-chaleyat-mon-message-aux-electeurs-VID0000000BkwZ.html. (consulté le 9/10/15)
Gautier, Amélie (2010), « À 92 ans, une écolo encore très verte », TF1, 12 mars.
http://lci.tf1.fr/politique/2010-03/a-92-ans-une-ecolo-encore-tres-verte-5769032.html (consulté le 09/10/15)
Nazaret, Arthur (2014), « La vieille dame en vert », dans Charles : Les Verts 30 ans de transition politique. No 11, p.88-95.
Pierron, Maud (2014), « La doyenne des écolos est encore verte », 20 minutes, 27 janvier.
http://www.20minutes.fr/politique/1283294-20140128-20140128-doyenne-ecolos-encore-verte.
(consulté le 09/10/15)
Samuel, Laurent (2011), « Mémoires visuelles de l’environnement : entretien avec Gisèle Chaleyat, doyenne des Verts de Paris (extrait) », Réseau Mémoire de l’Environnement, 8 juin.
https://reseaumemoireenvironnement.wordpress.com/tag/memoires -visuelles-de-lenvironnement/ (consulté le 10/10/15)
S.a (2008), « Gisèle Chaleyat, une vie d’écologiste », Histoire de la révolution écologiste – L’écologie, les Verts, les podcast sur podcastchart.com.
http://www.podcastchart.com/podcasts/histoire-de-la-revolution-ecologiste-l-ecologie-les-verts-les-podcast/episodes/gisele-chaleyat-une-vie-d-ecologiste/pop (consulté le 09/10/15)
S.a. (1998), « Décret du 8 avril 1998 portant promotion et nomination », Legifrance, publication officielle du gouvernement français.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000388295 (consulté le 10/10/15)