10 Sylvie Monnier

Juliane Anger, Léo Le Roux

Sylvie Monnier est âgée de 53 ans, de nationalité française[1]. Mariée, elle a trois enfants, et vit en zone rurale. Elle est issue d’un milieu populaire, son père travaillant dans le bâtiment et sa mère étant sans profession. Elle est atteinte de fibromyalgie depuis 2014, ainsi que d’un syndrome du côlon irritable.

Après sa scolarité secondaire, Sylvie poursuit un BEP (Brevet d’études professionnelles). Elle obtient son diplôme et se met en recherche d’un emploi. Après de nombreuses difficultés, au bout de quelques mois elle est embauchée dans une scierie. Un poste dont elle démissionne au bout de six mois. Elle effectue par la suite un stage d’une durée de trois mois, dans un magasin de bricolage.

En 1989, Sylvie donne naissance à son premier enfant, et arrête toute activité professionnelle. Deux autres enfants suivent entre 1990 et 1995. Pendant cette période, Sylvie se consacre à l’éducation de ses trois enfants. Lorsque ceux-ci entrent à l’école, elle décide de reprendre une activité salariée, et effectue des missions d’aide à domicile pour les personnes âgées. Après deux ans d’activité, en 2000, elle se présente au concours d’aide-soignant-e, sans succès, du fait de notes insuffisantes à l’oral. Elle continue alors son activité d’aide à domicile.

En 2002, Sylvie traverse une période difficile pour sa santé mentale, avec une phase dépressive à la suite du décès de son père. Elle présente de nouveau en 2005 le concours d’aide-soignant-e et le réussit. Après une formation d’une durée d’un an, elle est embauchée dans un EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Elle reste onze ans au sein de cette structure. À partir de 2008, Sylvie commence à ressentir « des douleurs gastriques sur tout le côté droit », mais elle ne consulte pas. En 2014, on lui diagnostique un syndrome du côlon irritable. En dépit de crises qui pouvaient durer jusqu’à deux jours, elle n’est jamais mise en arrêt maladie.

Les conditions de travail dans l’EHPAD sont difficiles. Sylvie fait partie des délégué-e-s du personnel et participe au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à partir de 2016. En 2017, elle vit un événement particulièrement traumatisant dans le cadre de son travail, la tentative de suicide de l’une de ses collègues. Elle est alors mise en arrêt maladie par son médecin traitant, et déclarée inapte au travail au bout de six mois en raison de sa dépression et de « son état de stress ». Elle fera plus tard une démarche auprès de l’Ordre des médecins afin de faire reconnaître des irrégularités dans cette procédure. En effet, elle estime que la médecine du travail aurait dû faire la demande auprès de son médecin traitant de l’époque de faire reconnaître son état de stress et de dépression comme maladie professionnelle, ce qui n’a pas été le cas, la privant de ce fait de ce statut plus protecteur. Sa démarche n’a pas abouti : « On m’a fait comprendre qu’il fallait avoir de bons arguments pour s’attaquer à des médecins ».

Licenciée pour inaptitude en 2017, elle touche les allocations chômage jusqu’en 2019. Après son licenciement, elle se rend à Pôle Emploi (Service public de l’emploi en France), et explique qu’elle ne souhaite plus travailler « dans le milieu du soin », mais envisage de faire une reconversion professionnelle pour être assistante sociale. En plus de ses douleurs gastriques, Sylvie souffre de fatigue chronique. Son médecin généraliste lui conseille de consulter un rhumatologue qui trouve qu’elle est « une femme fatiguée » et lui confirme qu’elle souffre de fatigue chronique. Ce médecin prescrit un premier traitement, qui s’avère inefficace. Sylvie ne supporte pas les effets secondaires d’un deuxième traitement (perte d’appétit, évanouissements). À la suite d’une « crise », son mari décide de l’emmener à l’hôpital, où elle est hospitalisée en rhumatologie, puis en psychiatrie. Les rhumatologues posent le diagnostic de fibromyalgie. Sylvie supporte mal son passage dans le service de psychiatrie, elle ne se considère pas comme « folle ». Le psychiatre lui explique qu’elle est « dans le déni » et « hypocondriaque ». À sa sortie au bout de quelques jours, il lui est conseillé de se faire suivre par un psychologue, ce qu’elle fera pendant un an. Son thérapeute estime que sa fibromyalgie pourrait avoir été causée par son travail.

En 2018, elle est suivie par l’AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes). À cette époque, Sylvie est victime de « crises » au cours desquelles elle s’évanouit et convulse. Sylvie craint que ces épisodes se reproduisent. Avec l’aide de son médecin traitant, elle tente de faire reconnaître sa fibromyalgie comme maladie professionnelle auprès de la Médecine du travail. Il évoque la « tendinopathie » dont souffre Sylvie mais ce motif n’est pas retenu.

En 2019, Sylvie Monnier rencontre une assistante sociale de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) à l’occasion d’une réunion proposée par Pôle Emploi. Cette dernière, constatant les difficultés de Sylvie pour marcher, lui conseille de faire des démarches auprès de la MDPH pour obtenir une RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Un des médecins de la MDPH l’aide alors dans ses démarches administratives. En parallèle, son généraliste considère qu’elle fait une dépression. Il lui prescrit des antidépresseurs et des anxiolytiques, estimant qu’elle continue à être « dans le déni », à la fois en ce qui concerne sa maladie et ses difficultés à garder son emploi. Sylvie, qui a eu l’occasion d’en discuter dans le cadre d’une association de patient-e-s à l’hôpital, ne comprend toujours pas pourquoi cette maladie n’est pas reconnue comme maladie professionnelle. La MDPH lui accorde la RQTH ainsi qu’une carte de stationnement prioritaire. Toutefois, le médecin conseil de la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) lui refuse le statut d’invalidité, arguant que « elle peut marcher et lever le bras ».  En 2019, Sylvie décide alors de se mettre à la recherche d’un emploi en tant que travailleuse handicapée. Elle commente : « Dans ma tête j’ai l’envie mais mon corps lui n’est pas comme avant. Il est vite fatigué, douloureux, et pourtant je voudrais reprendre le contrôle de ma vie. Ne pas me retrouver à dépendre de mon mari. Je veux pouvoir être libre financièrement ». Avec l’aide de l’Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), elle effectue des formations et des stages, dans un magasin bio et auprès d’une secrétaire médicale. Les stages sont de courte durée (deux semaines tout au plus), mais pour Sylvie, force est de constater qu’elle n’est pas capable de tenir une journée entière du fait de sa fatigue chronique. En 2020, Sylvie Monnier rencontre de nouveau son assistante Pôle Emploi, et lui dit que « c’est fini [pour elle] le monde du travail ». Elle se concentre alors sur ses démarches administratives en vue d’obtenir le statut d’invalidité et la reconnaissance de sa dépression et de sa fibromyalgie comme maladies professionnelles, démarches qui n’aboutissent pas. Elle se décrit aujourd’hui comme une femme qui « n’a pas de statut, pas de reconnaissance, et qui passe son temps à vivre avec ce nouveau corps qui n’en fait qu’à sa tête ».

Sylvie est suivie dans un centre antidouleur par une algologue qui lui conseille de réaliser des exercices de relaxation et de méditation. Elle accepte de « prend[re] en compte » ses douleurs, et le suivi se passe « bien ». Sylvie a également essayé les injections de kétamine, qui se sont avérées inutiles. Aujourd’hui, même si elle souffre de douleurs chroniques « partout », Sylvie ne prend pas d’antalgiques. Elle pratique l’auto-hypnose et porte un collier cervical pour se soulager. Elle fait état de son « épuisement », et de son incapacité à effectuer les tâches quotidiennes. Elle a le sentiment d’être « une personne qui n’a rien du tout ». La maladie a également des répercussions conjugales : son mari « ne comprend pas le manque de traitements », ni le fait que ses douleurs soient constantes. Elle ne dispose d’aucun revenu, le salaire de son mari étant considéré comme trop important pour qu’elle puisse toucher l’AAH (Allocation aux adultes handicapés). Sylvie a décidé d’adhérer à une association de malades chroniques, dans laquelle elle participe à des groupes de parole et à des séances de méditation guidée.


  1. Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Léo Le Roux à partir d’un entretien réalisé par Juliane Anger.

Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

Portraits de travailleuses handicapées Droit d'auteur © par Mathéa Boudinet et Anne Revillard est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre