19 Audrey Thomas

Mathéa Boudinet, Léo Le Roux

Audrey Thomas est une femme de 28 ans de nationalité française[1]. Elle est célibataire sans enfant, et vit en Bretagne. Audrey est en reconversion professionnelle pour devenir coach dans le domaine des compétences relationnelles et comportementales. Elle vit avec une maladie chronique invalidante depuis sa naissance : le syndrome d’Ehlers-Danlos, responsable notamment de douleurs articulaires chroniques.

Audrey Thomas est née en 1992 dans une famille d’agriculteurs. Elle effectue sa scolarité dans une toute petite structure (onze élèves répartis en trois niveaux) du secteur rural. Son parcours scolaire est rythmé par des problèmes liés à sa maladie. Elle parvient à suivre les cours grâce à un accompagnement personnalisé de la part du corps enseignant, qui lui transmet les cours lorsqu’elle doit se rendre à l’hôpital.

Au collège, Audrey a régulièrement des problèmes de dos, dus à des déplacements de vertèbres très douloureux. Les aménagements informels (cartable allégé, possibilité de se déplacer dans un couloir moins fréquenté) demandés par la famille d’Audrey au directeur du collège ne sont pas toujours respectés. Il arrive même que les professeurs et les élèves lui fassent des remarques au sujet de ses problèmes de santé, et de ses nombreuses absences. Audrey bénéficie d’un tiers-temps, recommandé par son médecin traitant. Elle obtient son brevet en 2007 et est admise en lycée général. Au cours de l’été qui précède son entrée au lycée, elle effectue un séjour dans un centre de rééducation.

En 2007, Audrey entre en classe de Seconde. Elle doit subir l’amputation d’une partie de la clavicule à la suite d’une luxation, et passe plusieurs semaines à l’hôpital. Grâce à des arrangements avec le directeur du lycée, elle peut tout de même suivre les cours lors de ses périodes d’hospitalisation. Ses professeur-e-s photocopient les notes prises par des élèves et un ordinateur portable est financé par l’établissement, afin qu’elle n’ait pas à écrire à la main. Elle bénéficie toujours d’un tiers-temps et de cours de soutien assurés par ses professeur-e-s de mathématiques et de physique-chimie pour lui permettre de rattraper le retard accumulé du fait de ses absences. Au moment des évaluations scolaires, elle a la possibilité de dicter ses réponses à des surveillant-e-s du lycée, lorsqu’elle se trouve dans l’impossibilité d’écrire, ce qui compense l’absence d’AESH (Accompagnant d’élève en situation de handicap).

À l’issue de la Seconde, Audrey opte pour une classe de Première S (Scientifique) suivie d’une Terminale dans la même section. Pour elle, il s’agit de suivre les conseils de ses parents, mais aussi les traces de son frère aîné qui a lui-même suivi cette voie. En dépit de l’attrait qu’elle éprouve pour les sciences sociales, Audrey estime que la filière scientifique lui ouvrira plus de portes. Après l’ablation partielle de la clavicule de sa fille, la mère d’Audrey, soutenue par le médecin du centre de rééducation, effectue les démarches nécessaires auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Dès 2008, Audrey obtient ainsi la RQTH (Reconnaissance de qualité de travailleur handicapé). Cette année-là, qui correspond à l’entrée en classe de Première, elle fait partie d’une classe dite « test » composée de 16 élèves, destinée à mettre en place de nouveaux types de pédagogie. Cela lui permet de bénéficier d’un suivi plus rapproché de la part du corps enseignant, ce qui lui permet de s’y épanouir.

2008 est également l’année où le syndrome d’Ehlers-Danlos d’Audrey est diagnostiqué. Elle explique que cette annonce la soulage, car cela lui permet de « poser des mots » sur un parcours médical qu’elle vivait comme parfois difficile à comprendre et de mettre fin à une errance médicale, ressentie comme violente.

Audrey effectue une partie de sa scolarité de lycéenne en fauteuil roulant, afin de soulager ses articulations, notamment lorsqu’elle sort de centre de rééducation. Elle obtient son Bac S en 2010, et décide de s’orienter vers des études de médecine. Sa décision fait suite à un stage d’observation qui lui avait particulièrement plu. Elle envisage à ce moment-là de devenir chirurgienne thoracique et cardiovasculaire.

En septembre 2010, elle s’installe dans la grande ville la plus proche de chez ses parents, dans un appartement du CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) situé au rez-de-chaussée. Elle perçoit l’AAH (Allocation adulte handicapé), ainsi qu’une bourse de l’État, ce qui lui permet d’être indépendante financièrement. Audrey indique qu’elle a rencontré des difficultés pour obtenir l’AAH : selon elle, cette demande implique de se justifier auprès de l’administration quant à l’ampleur des difficultés rencontrées. Elle raconte qu’il lui est difficile de faire face à la charge de travail exigée par la première année de médecine, et qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’accepter un emploi du fait de la fatigabilité inhérente à sa maladie. De surcroît, elle connaît une période de troubles moteurs et sensitifs d’origine inconnue, lesquels nécessitent une période de réadaptation et de rééducation fonctionnelle, afin de récupérer une certaine mobilité. De retour à la l’université, elle obtient des aménagements du même type que ceux qu’elle avait obtenus au lycée, assortis d’un tiers temps pour le passage des examens, de la possibilité d’utiliser un ordinateur pour la prise de notes et les évaluations, ainsi que des accès simplifiés et sans escaliers aux bâtiments. Toutefois, elle choisit de ne pas poursuivre ses études de médecine, car elle se dit choquée par les propos tenus par certains professeurs vis-à-vis des malades, propos qu’elle qualifie de violents.

En 2011, après l’arrêt de ses études de médecine, Audrey effectue divers stages dans des bibliothèques et médiathèques, elle est également bénévole dans un festival de littérature. Elle obtient des stages à l’aide de la Mission Locale ainsi que de l’association Osons l’Égalité! qui assure son suivi. Elle explique avoir réalisé ces stages pour ne « pas rester sans rien faire » et « trouver sa voie professionnelle ». Elle y découvre des métiers qui lui paraissent intéressants mais regrette que ceux-ci n’offrent pas suffisamment de possibilités d’évolution.

Devenue plus familière avec les questions de droits d’auteurs littéraires grâce à ces stages, elle décide de se réorienter en droit avec le projet de travailler comme juriste dans ce domaine.

En septembre 2011, elle se rapproche de chez ses parents et emménage dans un autre logement du CROUS. Elle commence une première année de Licence de droit, bénéficiant des mêmes aménagements qu’en médecine. Elle réussit ses examens, mais se verra contrainte d’interrompre sa deuxième année à l’hôpital, du fait d’une détérioration suffisamment importante de sa santé pour la conduire.

Après un nouveau passage en centre de rééducation, Audrey prend la décision de changer de nouveau d’orientation.

Après une courte période sans activité, elle trouve un emploi d’agent d’accueil dans une agence immobilière en avril 2014. Au bout de quelques mois, la directrice de l’agence, qui fait partie de son cercle familial, lui propose une alternance dans le cadre d’un BTS (Brevet de technicien supérieur) négociations et relations clients. Audrey accepte, cette proposition lui permet de « rebondir » et de disposer d’un revenu. Elle perçoit 800 à 900€ en plus de l’AAH, laquelle a été réévaluée en fonction de son salaire d’alternante. Cet emploi lui plaît, toutefois elle n’envisage pas de rester à ce poste « toute sa vie ».

Cette période de formation en alternance n’a pas été sans difficultés pour elle. En effet, Audrey fait l’objet de nombreuses remarques sur son handicap de la part de la responsable pédagogique du centre de formation : « Bah si j’avais su que vous aviez ça comme handicap, je sais pas si je vous aurais recrutée! ». Les relations professionnelles sont tendues du fait du manque d’aménagements de poste. Malgré l’obtention d’une aide financière de la part de l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) lors de son embauche, la somme d’argent allouée à l’aménagement du poste d’Audrey est utilisée pour la rénovation intérieure de l’agence. La directrice manifeste une certaine incompréhension du fait des arrêts de travail d’Audrey, et refuse de lui laisser prendre des jours de congés après son séjour dans le centre de rééducation, séjour qu’elle qualifie de « vacances ». Comme Audrey n’a pas la possibilité de télétravailler, l’ambiance se détériore petit à petit, et ses collègues ne se privent pas de faire des remarques sur ses nombreuses absences et son « manque de productivité ».

Audrey s’interdit d’insister ou de se plaindre de son environnement professionnel, du fait de la proximité de la directrice avec sa propre famille.

Elle passe son BTS avec succès en 2016, grâce aux aménagements dont elle a pu bénéficier et avec l’aide de professeurs compréhensifs qui ont veillé à lui transmettre les cours lors de ses absences. Pour autant Audrey ne souhaite pas poursuivre une licence professionnelle dans un domaine qu’elle trouve dépourvu des « valeurs de bienveillance, d’écoute et de partage ».

L’année de l’obtention de son BTS, Audrey avait été repérée par un chef d’entreprise lors d’une épreuve orale. En 2016, celui-ci lui propose d’effectuer un Bachelor en un an, en alternance, dans son entreprise de produits locaux. Elle accepte, et démarre une formation de responsable de développement commercial. Ayant été lui-même victime d’un accident de la route, celui-ci lui semble plus compréhensif que son ancienne directrice. Son supérieur met notamment en place des aménagements informels : Audrey peut organiser son planning comme elle le souhaite, avoir recours au télétravail, et ses déplacements sont pris en charge, ce qui comprend un défraiement des nuits d’hôtels, des repas et de l’essence. Malheureusement, Audrey est victime d’un grave accident de voiture et doit de nouveau être hospitalisée. Bien qu’elle soit limitée dans sa capacité de déplacement, et que ses douleurs soient à l’origine d’une augmentation de sa fatigabilité, son supérieur l’aide à terminer son alternance afin qu’elle puisse obtenir son Bachelor. C’est lui qui prend en charge l’essentiel des déplacements professionnels. Audrey en éprouve de la reconnaissance. Elle partage la zone de chalandise avec son ancien supérieur, pour pouvoir acquérir les compétences nécessaires à l’obtention du diplôme qu’elle réussit à décrocher en 2017, et décide de poursuivre dans la voie du développement commercial.

À la fin de l’année 2017, Audrey obtient un contrat chez un des fournisseurs qu’elle avait rencontré durant son alternance. Elle est alors responsable du développement commercial et s’occupe de la gestion des commandes et de la distribution des produits. Audrey explique que la directrice qui l’a embauchée travaille régulièrement avec les ESAT (Établissements et services d’accompagnement par le travail), ce qui la sensibilise au handicap. Son poste de travail est aménagé directement avec l’informaticien de l’entreprise. Malheureusement, alors que tout se passe bien pour Audrey, celle-ci fait l’objet d’un licenciement économique à la suite de la faillite de l’entreprise. Elle demande un CSP (Contrat de sécurisation professionnelle) qui lui est accordé par Pôle Emploi (Service public de l’emploi en France). Elle effectue alors un bilan de compétences en vue d’une réorientation professionnelle, et perçoit les allocations accordées par Pôle Emploi.

S’ensuit pour Audrey une période compliquée sur le plan économique. Elle retourne vivre chez sa mère, ce qui ne va pas sans difficultés puisqu’elle ne s’entend pas bien avec ses parents et que son autonomie lui tient particulièrement à cœur. Elle met ainsi son point d’honneur à régler elle-même ses dépenses de santé, même s’il lui arrive à de rares exceptions d’accepter l’aide de sa grand-mère.

Le retour d’Audrey chez sa mère s’accompagne du retour à son ancien emploi dans le secteur immobilier. Elle sollicite ce travail d’elle-même, et d’après elle son embauche est facilitée par son statut CSP (Contrat de sécurisation professionnelle). Toutefois, Audrey vit plutôt mal cette nouvelle expérience, notamment du fait du non-respect des aménagements de poste. Au moment de son entretien d’embauche, elle a pourtant fait état de sa RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) et expliqué les besoins qui sont les siens pour ce travail, ce qui selon elle avait été bien entendu par sa future directrice. Malheureusement, les aménagements requis ne sont pas mis en place, et elle effectue plus de 45 heures de travail par semaine. Lors d’une visite médicale, le médecin du travail rédige un écrit demandant que les 35 heures hebdomadaires soient respectées, ce qui n’est pas suivi d’effet. Audrey travaille six mois dans l’agence et se trouve en état de burn-out, ce qui lui vaut d’être mise en arrêt maladie par la médecine du travail.

La période qui suit est une période de forte remise en question pour Audrey qui envisage une réorientation pour mieux tenir compte de son handicap. Elle envisage de passer au travail indépendant, ce qui répondrait mieux à ses besoins, estime-t-elle. Des recherches menées sur Internet lui font découvrir le métier de coach, et elle décide de poursuivre dans cette voie.

En septembre 2020, elle s’adresse à Cap Emploi (Organismes de placement spécialisés exerçant une mission de service public) pour obtenir le financement de sa formation de coach professionnelle, dont le montant s’élève à 3 600€. Elle décrit sa conseillère comme « très investie » et insiste sur l’aide apportée par cette dernière pour qu’Audrey puisse obtenir sa formation. Pôle Emploi finit par financer la formation demandée, laquelle est en cours de reconnaissance par l’État, mais la discussion qu’a eue Audrey avec la directrice achève de la convaincre. En décembre 2020, Audrey obtient sa certification de coach professionnelle.

Au même moment, le renouvellement de sa prise en charge par la MDPH est refusé, et elle n’a plus droit à l’AAH. Elle bénéficie toujours de la RQTH qui lui a été accordée d’office pour 10 ans, mais perd ses autres allocations. Un recours déposé par ses soins est resté lettre morte.

Audrey crée son entreprise de coaching début 2021 et commence à démarcher les structures de santé au sein desquelles elle aimerait travailler. Elle considère que son statut d’auto-entrepreneuse est mieux à même de lui permettre d’aménager ses horaires et de trouver un rythme de vie qui convienne à sa maladie, notamment en ce qui concerne la fatigabilité.


  1. Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Léo Le Roux à partir d’un entretien réalisé par Mathéa Boudinet.

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