17 Peggy Toullec

Mathéa Boudinet, Léo Le Roux

Peggy Toullec[1] est âgée de 47 ans, de nationalité française. Elle est mariée, ses deux enfants, sont nés respectivement en 2008 et 2011. Elle vit en Bretagne et reprend ses études dans le but de devenir ingénieure pédagogique du numérique. Elle vit avec deux maladies chroniques, une maladie thyroïdienne et un trouble musculosquelettique, tous deux survenus à l’âge adulte.

Peggy Toullec grandit dans le milieu rural en Bretagne, et effectue sa scolarité dans les établissements publics de secteur. Arrivée au lycée, elle s’oriente vers un bac A2 (Philosophie Lettres Langues), l’équivalent du bac L actuel. Plus qu’un choix personnel ou familial, Peggy explique que cette orientation est déterminée par ses performances scolaires – notamment ses mauvaises notes dans les matières scientifiques – et par l’avis de l’équipe pédagogique de son lycée. Elle envisage alors de devenir journaliste. Peggy Toullec explique également que sa mère ne la pense pas capable de faire des études, ni d’accéder à une profession « plus haute que secrétaire de mairie ». Peggy abandonne alors son projet de devenir journaliste, par « autocensure », déclare-t-elle. Elle précise que les femmes de sa famille n’ont pas fait d’études et qu’elle se sent fortement incitée à se conformer à la norme familiale. Elle obtient son bac A2 en 1992.

Après son baccalauréat, Peggy Toullec effectue une année de LEA (Langues étrangères appliquées) à la faculté, conformément aux recommandations d’un conseiller de l’ONISEP (Office national d’information sur les enseignements et les professions). Ne se sentant pas suffisamment encadrée dans le milieu universitaire, et rencontrant des difficultés dans l’organisation de son travail, elle ne poursuit pas dans cette voie. Boursière depuis la classe de quatrième, à la suite du divorce de ses parents, elle habite dans une résidence étudiante et perçoit la pension alimentaire que lui verse son père ainsi qu’une bourse allouée sur des critères sociaux. Elle se réoriente en BTS communication et action publicitaire (Brevet de technicien supérieur) en 1993, obtenu en 1995. Elle estime que ce BTS lui permet de mettre en valeur ses compétences, et elle a alors pour projet de trouver un emploi dans le secteur de la valorisation du patrimoine rural.

Désireuse de suivre son compagnon de l’époque qui travaille dans la restauration, Peggy Toullec déménage en région parisienne après l’obtention de son BTS (Brevet de technicien supérieur). Elle s’inscrit alors à l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi) et postule à des emplois qu’elle décrit comme « en dessous de [ses] qualifications » : caissière, standardiste, etc. Elle a le sentiment qu’en région parisienne, le marché du travail est très concurrentiel et estime que son diplôme n’a pas assez de valeur. Après deux mois de chômage, Peggy Toullec, orientée par l’ANPE, intègre une entreprise en tant que standardiste. Elle a la possibilité d’évoluer et devient aide-comptable, puis assistante de communication au service commercial. Elle est alors rémunérée au SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance). Elle se sépare de son conjoint en 1998 et retourne en Bretagne avec son nouveau compagnon la même année. Elle démissionne alors de son poste d’assistante de communication, ce qui est considéré comme un « rapprochement de conjoint », et lui permet de percevoir des allocations chômage.

Une fois en Bretagne, Peggy Toullec emménage avec son compagnon, lequel travaille comme commercial. Elle s’inscrit dans une agence d’intérim, ce qui est pour elle un moyen d’augmenter rapidement ses revenus. Son niveau de vie lui apparaît comme plus confortable, le coût de la vie en Bretagne étant moindre qu’à Paris. Elle est embauchée en CDD (Contrat à durée déterminée) dans une PME (Petite et moyenne entreprise) à la suite d’une mission d’intérim mais exprime la volonté de continuer à se former et de concrétiser son projet de valorisation du patrimoine rural. Elle effectue une formation non qualifiante de 9 mois en 1999 dans un GRETA (groupement d’établissements). Si elle n’a pas opté pour une formation diplômante, c’est par « autocensure », et en raison de sa peur de l’échec. La formation qu’elle a choisie est en partie payée par la région en raison du statut de demandeuse d’emploi de Peggy qui continue de percevoir des allocations chômage. Pendant tout le temps de sa formation, elle vit chez son père et participe aux frais du quotidien. Après avoir effectué un stage dans une association dans le cadre de la formation, on lui propose un contrat jeune d’une durée de 5 ans qu’elle sera amenée à rompre après 13 mois en raison de fortes tensions survenues sur son lieu de travail. Pour Peggy, les difficultés proviennent de son patron décrit comme un « pervers narcissique » qui « exerce son pouvoir sur les employés ». C’est dans cette période qu’elle rencontre son futur mari – un ingénieur – et s’installe rapidement avec lui dans la région brestoise.

À la suite de ce déménagement, Peggy Toullec s’inscrit de nouveau à l’ANPE et dans une agence d’intérim. Elle effectue un certain nombre de missions, parmi lesquelles un remplacement de congé maternité dans le service marketing d’une banque. Elle explique que cet emploi améliore son confort de vie, puisqu’il est rémunéré au-dessus du SMIC. En 2001, l’ANPE lui propose un bilan de compétences à la suite duquel elle assure des remplacements dans des établissements gérontologiques. En 2004, cette expérience, la pousse à commencer une formation d’aide-soignante d’une durée de 18 mois, financée par L’ANPE. Elle obtient son diplôme en février 2005, et continue à percevoir des allocations chômage. À l’occasion d’échanges avec ses collègues, il lui avait été conseillé d’effectuer une formation d’éducatrice spécialisée. Mais la durée d’une telle formation lui paraissant trop longue, elle choisit de s’orienter vers une formation plus courte. Après l’obtention de son diplôme, Peggy effectue des remplacements dans différentes structures comme des EHPAD (Établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes) ou des cliniques où elle travaille très souvent de nuit. Son souhait est de travailler dans le domaine du maintien des personnes âgées à leur domicile, et obtient un CDI dans ce secteur d’activité en 2006.

En 2006, le médecin du travail invite Peggy Toullec à effectuer des tests et pose le diagnostic de maladie thyroïdienne. En 2007, elle demande un emploi en CDI à 80 % car elle souhaite avoir du temps pour rénover la maison qu’elle a récemment achetée avec son mari.

Le couple rencontre des difficultés à concevoir, et doit se tourner vers l’aide médicale à la procréation. Peggy décrit un parcours fatiguant, en raison de la fréquence des rendez-vous médicaux et des traitements à prendre. Elle est enceinte en 2007, et prend un congé parental à mi-temps dès la naissance de son fils en 2008. Elle perçoit alors des aides de la CAF (Caisse d’allocations familiales) en plus de son salaire d’aide-soignante à temps partiel. Après son congé, elle reprend le travail à 50 % car elle souhaite pouvoir conjuguer vie de famille, vie professionnelle, et se consacrer à sa passion pour la musique.

Ses problèmes de santé s’aggravent progressivement entre 2008 et 2011 : elle souffre de douleurs chroniques et de tendinites à répétition. En 2008, le diagnostic de troubles musculosquelettiques entraînant des douleurs musculaires chroniques est posé. Elle est suivie par un kinésithérapeute et par plusieurs médecins.

En 2011, Peggy donne naissance à une fille, également conçue par PMA (Aide médicale à la procréation). Elle se plaint d’une fatigue intense liée à son métier, du fait de la charge de travail, des conditions de travail, et de ses engagements syndicaux. Elle prend alors un congé parental à temps plein payé par la CAF (Caisse d’allocations familiales), et négocie une rupture conventionnelle avec son employeur. Peggy exprime les difficultés qu’elle rencontre pour s’occuper de sa santé et prendre le repos dont elle a besoin. Aussi devient-il nécessaire de confier sa fille deux jours par semaine à une assistante maternelle, et deux autres jours par semaine à la crèche. Cette solution permet à Peggy de consacrer du temps à ses projets de réorientation professionnelle, toujours dans le domaine médico-social.

Peggy explique que cette période est pour elle l’occasion de prendre conscience de son statut de femme handicapée. Cette prise de conscience implique pour elle de renoncer à certaines activités, dans la sphère professionnelle comme dans la sphère familiale, et l’acceptation de son besoin d’aide au quotidien.

Pour Peggy, la période 2012-2013 est particulièrement éprouvante physiquement et moralement. Elle se sent coupable de ne pouvoir assurer les tâches domestiques, ce qui entraîne une certaine tension au sein du couple. Elle a le sentiment de ne pas s’occuper de ses enfants de façon satisfaisante et que les « compensations » de son mari restent insuffisantes pour que la famille n’en subisse pas les conséquences.

En 2013, le médecin du travail annonce à Peggy qu’elle n’est plus en état d’exercer son métier d’aide-soignante. Il lui est proposé de se réorienter, et elle n’aura pas à faire les démarches de mise en inaptitude auprès de la Sécurité Sociale, puisque Peggy compte travailler dans un autre secteur. Peggy explique que son identité professionnelle a toujours revêtu une grande importance pour elle, aussi a-t-elle vécu cette période comme une « rupture biographique ». Elle obtient la RQTH (Reconnaissance de qualité de travailleur handicapé) la même année, à la suite de demandes faites à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Peggy précise qu’elle a jugé utile de « cocher tout » sur le formulaire, qu’il s’agisse des aménagements de poste, ou de l’AAH (Allocation aux adultes handicapés) espérant obtenir au moins une partie de ce qu’elle demande. Certains membres de sa famille ayant eu une mauvaise expérience avec la Sécurité sociale, elle explique ne pas juger utile d’effectuer des démarches auprès de cet organisme.

En 2013, les douleurs liées à sa pathologie musculosquelettique sont telles que Peggy ne peut plus s’occuper de ses enfants comme elle voudrait, et elle doit faire un séjour dans un centre de rééducation fonctionnelle. Le couple engage alors une aide à domicile pour effectuer les tâches ménagères 2 heures par semaine tous les 15 jours.

Après sa sortie, Peggy Toullec entreprend une formation en licence professionnelle de responsable d’action gérontologique dans l’optique de travailler dans le secteur médico-social. Un CIF (Congé individuel de formation) lui étant refusé, la formation est financée par la faculté elle-même, grâce à un fonds dédié, et Peggy continue à percevoir les allocations Pôle Emploi. Il s’agit d’une formation à temps plein en alternance. Elle fait le choix de ne pas parler de son handicap et ne réclame aucun aménagement, ce qu’elle regrettera ultérieurement, car elle éprouve des difficultés à suivre le rythme soutenu de cette formation. Elle explique qu’elle ignorait alors que des aménagements étaient possibles dans le cadre des formations, notamment dans les institutions publiques. Durant cette période, son mari et ses beaux-parents prennent le relais pour s’occuper des enfants, ce qui lui permet de consacrer du temps à ses études. Elle obtient son diplôme en juin 2014, et se dirige vers Cap Emploi (Organismes de placement spécialisés exerçant une mission de service public), afin de trouver un poste en EHPAD. Après trois mois de remplacements dans divers établissements et un an de chômage, elle réalise que ce métier ne lui convient pas. Elle explique qu’elle ne parvient pas à trouver un emploi qui réponde à ses critères : elle recherche un temps partiel aux horaires compatibles avec le rythme scolaire de ses enfants, de préférence proche de son domicile, car il lui est physiquement impossible d’effectuer quotidiennement des trajets trop longs en voiture.

En 2016, Peggy Toullec intègre une association de formation en tant que coordinatrice pédagogique, à temps partiel (80 % du temps de travail). Elle a trouvé cet emploi avec l’aide de Cap’Avenir (Service universitaire d’accueil, d’orientation et d’insertion professionnelle), qui lui donne des outils pour constituer un réseau professionnel et la rémunère à hauteur de 300€ par mois. L’association est située à 45 minutes en voiture de chez elle. Elle n’avait pas mentionné sa RQTH sur son CV, mais l’avait incluse dans les documents annexes, afin que l’employeur ait connaissance de son handicap. Elle justifie ce choix par le fait qu’elle ne souhaitait pas que cela soit la première chose qui apparaisse sur son profil. Dans cette association, Peggy a le sentiment d’être écoutée, notamment par son supérieur. Elle obtient ainsi un siège ergonomique à la suite d’une demande d’aménagements. Des tensions non liées à l’existence de son handicap et une dégradation de la qualité de son environnement de travail la poussent à demander une rupture conventionnelle en 2017.

Peggy Toullec change d’orientation et opte pour des études dans le secteur de la formation pour adultes. Elle effectue un stage d’un mois, ainsi que des PMSP (périodes de mise en situation en milieu professionnel), ce qui lui permet de confirmer son choix. En 2018, Peggy intègre un master de formations d’adultes à l’université de Brest. L’année de M1 est financée par le biais d’un contrat de professionnalisation. Elle effectue son alternance comme assistante pédagogique dans l’association où elle avait effectué un stage avant son entrée en Master. Ses revenus s’élèvent à 917€ par mois, en sus des allocations chômage Pôle Emploi.

Peggy demande des aménagements à l’université et obtient une dispense d’assiduité. Elle explique que cette dispense est une fausse bonne idée dans la mesure où elle doit rattraper les cours chez elle. Elle ne dispose du matériel ergonomique dont elle a besoin, ni à la faculté ni chez son employeur. L’université estime que le stockage du matériel est trop compliqué à mettre en œuvre; l’employeur, quant à lui, justifie son refus par l’importance des coûts qui lui incomberaient. Peggy considère que cette situation a entraîné une dégradation de son état de santé. En juin 2019, elle demande et obtient une rupture conventionnelle de son alternance, et ne valide pas son année de Master 1, du fait de notes insuffisantes et d’un long arrêt de travail.

À la suite de cette expérience, elle sollicite un rendez-vous avec un médecin conseil de l’Assurance Maladie, car elle souhaite faire valoir ses difficultés de santé pour obtenir une reconnaissance de son invalidité, même si cette prise en compte du handicap n’est pas assortie du versement d’une pension. Anticipant une probable dégradation de son état, elle estime que cela pourrait lui garantir un minimum de protection de la part de la Sécurité Sociale. Elle ajoute que ses démarches sont également motivées par le fait qu’elle ne parvient pas à faire valoir sa RQTH. Malheureusement, le médecin ne soutient pas la demande de Peggy qui considère que sa démarche s’est avérée inutile. Pour elle, cela ne fait que confirmer les difficultés qu’elle a eues à se faire entendre par le corps médical, et entraîne pour elle un certain épuisement.

Peggy reprend ses études en 2019, en redoublant sa première année de master, financée cette fois par la région et l’Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées). En dépit des obstacles que l’administration lui oppose, elle obtient les aménagements qui lui sont nécessaires. Grâce à l’aide que lui apportent sa conseillère Cap Emploi ainsi que certaines personnes de l’équipe pédagogique, elle obtient le droit de stocker son matériel ergonomique dans les locaux, et elle est dispensée de stage. Peggy valide sa première année de master (M1) et entre en M2 dont le financement – 6 000€ environ – est assuré par la région et l’Agefiph. Se souvenant des échanges qu’elle avait eus avec un ingénieur, elle souhaite s’orienter vers la pédagogie du numérique. L’année de M2 se déroule également en alternance, mais Peggy n’obtient aucun aménagement de son emploi du temps, ce qui la plonge dans un état d’intense fatigue et en février 2020, un nouvel arrêt d’une semaine s’avère nécessaire, en raison de douleurs musculaires et arthrosiques. La possibilité d’effectuer son stage en distanciel lui est offerte, ce qui lui permettrait de ne pas avoir à effectuer de trajets, mais Peggy tient à préserver le maintien des liens sociaux et elle refuse. Son tuteur de stage n’est autre que le collègue avec qui elle avait eu des échanges au sujet du métier d’ingénieur pédagogique. Très à l’écoute des difficultés de Peggy, il lui permet d’apporter son matériel ergonomique dans les locaux où elle travaille.

La période de la pandémie de Covid entraîne de nouveaux aménagements de la vie familiale. Le mari de Peggy travaille désormais uniquement à la maison, ce qui lui permet de s’occuper davantage des enfants et du ménage. En dépit des difficultés rencontrées pour concilier le confinement de mars 2020, les examens universitaires, l’éducation des enfants et les impératifs professionnels de son mari, Peggy estime qu’ils ont « trouvé un rythme de croisière » et qu’elle est parvenue à trouver un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle.


  1. Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Léo Le Roux à partir d’un entretien réalisé par Mathéa Boudinet.

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