11 Lydia Schmidt

Léo Le Roux

Lydia Schmidt est âgée de 30 ans[1]. Née en région parisienne, elle est l’aînée d’une fratrie de quatre enfants. Elle est issue d’un milieu aisé. Lydia vit en couple dans une ville moyenne, elle est mère d’un enfant né en 2019. Elle a fondé une société de conseil aux entreprises, tout en continuant des études de Psychologie. Elle est atteinte d’endométriose et d’adénomyose. Elle a également des troubles des apprentissages (dyslexie et dyscalculie).

Lydia Schmidt poursuit une scolarité qu’elle qualifie elle-même de « standard », en milieu ordinaire. Au cours de ses années d’école primaire, elle manifeste des difficultés d’apprentissage et de concentration. Elle est alors suivie par un orthophoniste qui pose le diagnostic de dyslexie.

À cette période, ses parents s’inquiètent car Lydia grossit et grandit de façon anormale. Non seulement elle est de grande taille, mais sa poitrine et sa pilosité pubienne commencent à apparaître. Ses parents l’emmènent chez une pédiatre qui pose le diagnostic d’une puberté précoce (4 ans de plus sur les plans osseux et hormonal), Lydia étant alors âgée de 8 ans. Elle recevra donc un traitement par injection tous les 28 jours, assorti d’un suivi en hôpital de jour, dans le but de retarder sa croissance. Lydia se souvient d’une période qu’elle décrit comme « difficile », voire « horrible », notamment au moment des injections qui sont très douloureuses, et en raison de la fatigue induite par le traitement. Ce traitement lui fait également prendre du poids, « plus de 15 kilos », ce qui ne fait qu’augmenter le sentiment qu’elle a d’être différente des autres enfants de son âge.

Au bout de 18 mois, après discussion avec la pédiatre et la gynécologue, elle arrête son traitement. En 2002, à l’âge de 10 ans, Lydia a ses premières règles. Comparées aux divers effets secondaires du traitement médicamenteux, les règles sont plutôt une libération pour elle. Lydia n’a « pas de souvenirs de douleurs » liées à ses premières règles.

Toutefois, le décalage avec ses camarades se creuse et des problèmes relationnels apparaissent. En 2003, Lydia Schmidt entre au collège. Elle a alors pour projet d’effectuer des études de droit, et de devenir Juge d’instruction. À cette époque, elle n’est « pas bien dans sa peau », en raison de son surpoids, et aussi d’une hyperpilosité du visage (menton et lèvres), due notamment au traitement hormonal. Ses règles deviennent rapidement hémorragiques et douloureuses, ce qui l’amène à être régulièrement absente en classe. Elle est suivie par une gynécologue de ville qui « [la] croit » lorsque Lydia lui parle de ses douleurs, et lui prescrit une pilule, pour agir sur les douleurs, l’acné et la pilosité. Du fait de son âge, les examens dit « invasifs » ne sont pas réalisables. Au cours de son adolescence, elle change régulièrement de pilule, afin de stopper totalement ses règles. La gynécologue évoque la possibilité d’une endométriose. Lydia traverse une période difficile : elle est victime de harcèlement scolaire, elle ressent un grand mal-être, elle souffre d’obésité, et ses règles sont responsables de douleurs chroniques. Elle est suivie par un psychologue.

À son arrivée au Lycée, Lydia souffre d’obésité sévère. Après une Seconde tumultueuse, et avec l’accord de ses professeur-e-s, elle opte pour un redoublement. En effet, les enseignant-e-s considèrent qu’il lui « manquait des bases » dans les matières scientifiques. Pour Lydia, le redoublement est dû en grande partie à ses problèmes de santé psychique et physique. Il est également destiné à lui permettre d’« augmenter » ses notes dans les matières littéraires. En effet, un accident de cheval survenu au cours de sa première année de Seconde lui vaudra des douleurs chroniques l’empêchant de suivre normalement sa scolarité. Elle fait en effet une chute de cheval avec écrasement du pied par celui-ci, qui déclenchera une algodystrophie parcellaire de type II (lésion nerveuse). Ce syndrome l’empêche notamment de marcher correctement de nombreux mois et augmente sensiblement ses absences. De plus, pendant cette période, Lydia continue à souffrir de règles « extrêmement fatigantes ». Initialement, elle souhaitait poursuivre sa scolarité dans une filière économique, mais ses difficultés en mathématiques la contraignent à continuer en filière littéraire. Sa dyscalculie est diagnostiquée au même moment. En 2010, au moment des épreuves du « bac blanc », Lydia développe un kyste ovarien, qui « implose dans [son] ventre », ce qui l’empêche de se présenter à son examen. N’ayant pas d’explication concluante, le médecin des Urgences lui explique que son surpoids est en cause. En classe de Première, elle participe à l’atelier de préparation du concours de Sciences Po (Institut d’études de sciences politiques de Paris), et continue en Terminale. Concentrée sur ce projet, elle néglige ses révisions et bien qu’ayant réussi la première partie du concours, elle échoue au baccalauréat et choisit de redoubler.

En 2012, Lydia obtient son baccalauréat. Elle souhaite toujours devenir Juge d’instruction et choisit de s’inscrire en Licence de droit et sciences politiques. Ses douleurs menstruelles ne cèdent pas, et Lydia se trouve encore en surpoids. Elle éprouve « de grosses douleurs » au moment des règles, ce qui la contraint à être « alitée une semaine dans le mois ». La gynécologue de ville qui la suit ne met pas en doute ce qu’elle ressent, mais les examens cliniques ne révèlent pas d’endométriose. Lydia finit par prendre rendez-vous chez un spécialiste de l’endométriose, qui lui conseille d’utiliser un stérilet, ce qui présente l’avantage de stopper ses règles. Le médecin procède au retrait d’un nodule sus-pubien d’endométriose, et à la pose du stérilet. Celui-ci est à l’origine de douleurs utérines intenses, au point que Lydia doit « s’accrocher à son lit » tant elle souffre. Le gynécologue ne prend pas ses douleurs au sérieux. Au téléphone, il dit à la mère de Lydia, que sa fille « devrait arrêter de confondre son estomac avec son utérus ». Épuisée par la souffrance, Lydia finit par abandonner ses études en 2013. Au même moment, elle « fai[t] la connaissance d’un petit garçon autiste » dont elle va s’occuper d’abord comme baby-sitter, puis comme éducatrice à domicile, et AESH (Accompagnant-e d’élèves en situation de handicap) dans la CLIS (Classe pour l’inclusion scolaire) où il est scolarisé. À cette fin, elle a suivi plusieurs formations, notamment auprès d’un psychologue BCBA (Board certified assistant behavior analyst – analyse appliquée du comportement).

Le médecin traitant de Lydia lui explique qu’il lui faudra « serrer les dents » et « régler ses problèmes d’obésité », afin que le corps médical accepte de se concentrer sur ses problèmes gynécologiques. Elle consulte alors un chirurgien gastrique, mi-2014, qui lui propose d’effectuer une « sleeve », (technique chirurgicale visant à retirer une partie de l’estomac), dans le but de perdre du poids. Dans la même période, elle rencontre sur Internet son futur conjoint, qui fait des études d’ingénieur. À la fin de l’année 2014, elle se rend à une manifestation de victimes d’endométriose, « l’Endo-Marche », où elle rencontre d’autres femmes atteintes de la maladie. Celles-ci lui recommandent un nouveau gynécologue que Lydia consulte pour la première fois en janvier 2015. Le médecin préfère « attendre la fin de [sa] perte de poids » pour demander une IRM. Le diagnostic d’endométriose et d’adénomyose sera posé à la fin de l’année 2015.

En 2016, désireuse de partir vivre avec son compagnon qui a obtenu son premier poste d’ingénieur, elle arrête son travail d’éducatrice spécialisée à domicile pour les enfants porteurs d’un trouble du spectre de l’autisme. Son compagnon l’encourage à commencer des études de Psychologie. Munie d’une lettre de son gynécologue et de son médecin traitant, Lydia prend contact avec le « service handicap » de sa faculté, ce qui lui permet de se voir accorder un tiers-temps lors des examens, ainsi que la possibilité de se rendre aux toilettes pendant les épreuves. Pour elle, ces démarches ont été « très simples ». C’est à ce moment qu’un autre gynécologue lui propose d’essayer une pilule micro-dosée, dans le but d’éviter les effets secondaires tels que la prise de poids. Malheureusement cette pilule ne convient pas, les douleurs réapparaissent, notamment au moment des rapports sexuels, ce qui, associé à une baisse de la libido, entraîne des problèmes dans le couple. Lydia et son conjoint décident alors de consulter un sexologue.

En 2017, le compagnon de Lydia est muté, et elle emménage avec lui dans une autre ville. Elle trouve un emploi dans une entreprise de recrutement, ce qui l’amène à s’intéresser à la psychologie sociale, tout en poursuivant sa deuxième année de licence. Elle fait part de sa maladie chronique à son employeur, dans le but « d’être transparente ». Elle redouble sa deuxième année et décide de poursuivre ses études à distance, pour pouvoir continuer à travailler avec davantage de flexibilité.

En 2018, Lydia et son compagnon décident d’avoir un enfant. Avant l’arrêt des traitements, le gynécologue demande un spermogramme, afin d’être certain que le couple est capable de procréer. Le résultat est concluant, et elle arrête sa contraception. Toutefois, le gynécologue ne veut pas laisser la maladie s’installer et donne un délai de six mois pour une conception naturelle. Après six mois, ils devront entrer en parcours PMA (Aide médicale à la procréation). L’arrêt des traitements entraîne des douleurs si intenses que Lydia a des pensées suicidaires.

Elle tombe enceinte le dernier mois d’essai naturel, en janvier 2019. La rétroversion de son utérus, responsable de tensions sur les lésions d’adénomyose, entraîne des douleurs importantes. Lydia est alors suivie par une sage-femme, qui « [l]’aide énormément », à la fois sur le plan personnel en ce qui concerne l’estime de soi, et sur sa vision des douleurs associées à l’hyper-contractilité de son utérus et d’endométriose. Avec son aide, Lydia rédige un « projet de naissance », mis en œuvre en octobre 2019 lors de l’accouchement, qu’elle arrive à réaliser. Elle accouche sans péridurale, assise sur un tabouret hollandais, soutenu par son compagnon.

Elle continue à être suivie par son gynécologue spécialisé, lequel lui conseille de se faire opérer, ce qui sera fait en mars 2021. L’intervention a pour effet de soulager les douleurs chroniques – notamment digestives et urinaires – dont souffrait Lydia. Après avoir validé sa licence de Psychologie, Lydia déménage avec sa fille et son compagnon qui a installé sa société dans une autre région.

En janvier 2022, elle crée son entreprise de conseil aux entreprises et de recrutement, en tant qu’auto-entrepreneuse. Actuellement, Lydia Schmidt souhaite avoir un deuxième enfant. Elle continue de prendre des cours par correspondance de Psychologie du travail à distance, ce qui lui permet d’avoir le temps de s’occuper de sa fille et de développer son entreprise. Lydia ne souhaite pas effectuer de démarches auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), même si l’endométriose est désormais reconnue comme handicap. Lydia s’était renseignée pour pouvoir bénéficier d’une RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), en vue d’obtenir des dispositions supplémentaires, comme le droit d’aller aux WC lors des examens, mais la complexité de celle-ci l’a découragée et elle pense qu’elle « ne l’aura pas ».

Lorsque sont évoquées des difficultés de compréhension de son entourage, Lydia Schmidt explique qu’elle a le sentiment de devoir sans cesse justifier son état de fatigue et de devoir faire régulièrement des « mises au point » concernant la pathologie dont elle souffre, notamment avec sa belle-famille. Actuellement, il lui arrive de souffrir de façon sporadique, malgré son stérilet. Il lui arrive régulièrement de sentir la présence de kystes, ce qui provoque douleurs et fatigue. Heureusement, elle peut compter sur le soutien de son conjoint, de ses parents et de ses frères et sœurs.


  1. Entretien réalisé et portrait préparé par Léo Le Roux.

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