1 Albane Toutain

Mathéa Boudinet, Léo Le Roux

Albane Toutain est une femme de 25 ans, de nationalité française, issue de classe populaire[1]. Elle est mariée, habite à la campagne avec son conjoint et n’a pas d’enfants. Elle vit avec une sclérose en plaques, diagnostiquée à l’âge adulte. Elle est actuellement assistante administrative et commerciale à temps plein dans une petite entreprise.

Albane Toutain effectue l’intégralité de sa scolarité primaire et secondaire près de chez ses parents qui habitent dans une zone rurale. Après un bac scientifique obtenu en 2013, elle choisit une ville moyenne pour se lancer dans un DUT (Diplôme universitaire de technologie) dans le secteur médical. Pour elle, ce départ est motivé par le besoin de s’émanciper et de partir de chez ses parents. Une bourse d’études supérieures lui est allouée et, ne souhaitant pas demander d’argent à sa famille, Albane travaille ponctuellement durant l’été afin de payer son loyer et ses dépenses personnelles. Elle réalise son stage de fin d’études en 2015 dans un laboratoire d’analyses médicales, ce qui ne lui plaît pas. Elle décide donc de se réorienter, en invoquant le « manque d’humanisation » du secteur dans lequel elle travaillait, alors que l’entreprise lui avait proposé un CDI (Contrat à durée indéterminée).

En septembre 2016, Albane décide d’entreprendre des études dans le domaine de la communication, et entre en licence dans une autre ville. Elle est plus intéressée par le contenu de la licence que par les débouchés eux-mêmes, et exprime le souhait de travailler dans la vente. En parallèle de ses études, elle travaille dans une fromagerie qui lui a proposé un contrat à l’heure, ce qui lui prend une très grande partie de son temps libre. Elle explique qu’il lui arrive parfois de faire des semaines de soixante heures durant les vacances, un rythme de vie très soutenu qu’elle apprécie. Durant ses heures de travail à la fromagerie, elle travaille près de son conjoint actuel, qui est primeur et employé dans une entreprise non loin de la sienne.

Au cours du premier semestre de sa troisième année de licence, à la fin de l’année 2018, une première crise de sclérose en plaques se produit. Albane ne parvient plus à bouger une partie de son visage et perd l’usage de la vue. Une neurologue lui prescrit une IRM : le diagnostic est posé. Albane Toutain décrit la période qui suit comme une période de « déni » : elle souhaite alors se prouver à elle-même et à son entourage que la maladie n’a de répercussions ni sur sa vie professionnelle, ni sur ses études. Il lui est difficile d’accepter son statut de malade. Ainsi, une fois la crise passée, elle reprend le travail et rattrape les cours manqués. Elle considère que la sclérose en plaques lui a « volé [sa] vie ».

Le diagnostic ayant été posé, Albane Toutain contacte la responsable de son département au sein de sa faculté ainsi que ses professeurs, dans le but d’obtenir des aménagements d’horaires. Elle choisit de ne pas les utiliser mais dit se sentir rassurée par la compréhension que lui manifeste l’équipe pédagogique de sa faculté.

Au cours du deuxième semestre de L3 en 2019, Albane connaît un nouvel épisode aigu de la maladie, au cours duquel elle perd l’usage de ses jambes. À cette occasion, sa neurologue « menace » de la faire hospitaliser, si elle « ne lève pas le pied », car elle est épuisée physiquement. Elle va alors se reposer chez ses parents à la campagne, et prend la décision de changer de mode de vie. Pour elle, cette décision lui permettra de combiner au mieux la prise en compte de sa santé et son épanouissement personnel.

Au cours de l’été 2019, elle abandonne son emploi à la fromagerie, en dépit du CDI qui lui a été proposé et de sa position à responsabilité. Elle refuse également une place en master de communication dans sa faculté. Albane ne se sent plus capable de poursuivre le mode de vie qu’elle avait jusqu’alors, et fait le choix d’arrêter ses études pour ménager sa santé. Elle décide de faire une pause. Elle n’a alors aucun revenu, dépend financièrement de son conjoint et de ses parents qui l’aident parfois. Son médecin traitant l’aide à faire une demande d’ALD (Affection longue durée), qui est acceptée. Albane est soulagée de ne plus avoir à avancer d’argent pour ses frais médicaux. Elle a le sentiment d’être moins dépendante de son conjoint, lequel payait pour elle les différentes dépenses de santé.

En septembre 2019, Albane Toutain effectue un service civique (engagement volontaire pour une mission d’intérêt général pendant 6 à 12 mois) dans l’association où elle avait réalisé son stage de fin d’études, avec pour projet de partir s’installer à la campagne avec son conjoint, ce qui se fait en novembre 2019.

Les mois qui suivent sont consacrés au repos. Durant cette période, Albane Toutain entame les démarches pour être reconnue comme travailleuse handicapée, et obtenir l’AAH (Allocation aux adultes handicapés). La RQTH (Reconnaissance de qualité de travailleur handicapé) lui est accordée, mais l’AAH lui est refusée, car la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) lui oppose que son expérience de service civique témoigne de sa capacité à travailler à temps plein. En plus de la RQTH, elle obtient une carte de stationnement. Elle raconte les nombreuses difficultés administratives qu’elle a pu rencontrer, notamment lorsqu’il lui faut remplir des formulaires qui ne lui paraissent pas adaptés à sa situation, ni au caractère aléatoire des crises de sclérose en plaques. Elle ressent un décalage entre son vécu de femme handicapée, et ce qui est exigé par l’État pour avoir droit aux différentes aides. Albane éprouve des difficultés à se définir comme personne porteuse de handicap, elle effectue toutes ces démarches « pour le futur », du fait, notamment, de la difficulté à anticiper l’évolution de sa maladie.

Albane décide alors de s’inscrire à Pôle Emploi en janvier 2020. Les propositions de postes (majoritairement en usine) qui lui sont faites ne sont pas en rapport avec sa formation en communication ou son expérience professionnelle en fromagerie, et sont incompatibles avec son handicap. Elle trouve un emploi par elle-même, en répondant à une annonce sur un site Internet. Elle choisit de ne pas faire figurer la mention RQTH sur son CV, craignant de subir une discrimination, mais décide d’en parler lors du deuxième entretien de recrutement. Ses employeurs organisent alors avec elle des horaires aménagés et flexibles, afin qu’elle puisse intégrer la structure.

En février 2020, elle devient assistante administrative et commerciale à temps plein dans une petite entreprise de 5 employés, alors qu’elle cherchait de préférence un temps partiel en raison de ses problèmes de santé. Albane explique qu’elle s’épanouit dans son travail car ses supérieurs sont « compréhensifs » vis-à-vis de sa maladie, et qu’elle bénéficie d’une grande flexibilité horaire, ce qui lui permet de télétravailler lorsqu’elle le souhaite. Ainsi, elle peut organiser son travail en tenant compte de ses impératifs de santé.

Albane Toutain exprime sa surprise devant la compréhension et la bienveillance dont font preuve ses employeurs face à sa maladie. Elle ne s’attendait pas à bénéficier d’autant de flexibilité et de possibilités d’aménagements dans son travail. Son mari quant à lui, continue de travailler dans la distribution alimentaire, avec un salaire supérieur.

Albane projette de devenir mère et réduire son temps de travail en fonction. Elle aimerait avoir un enfant rapidement, « avant mes 30 ans » dit-elle : cette planification est justifiée selon elle par l’anticipation d’une dégradation de son état de santé du fait de sa maladie. Elle ressent la nécessité de choisir entre sa carrière professionnelle et son futur statut de mère, car l’énergie dont elle dispose s’amenuise au fur et à mesure de l’évolution de sclérose en plaques. Elle n’ose pas former de projets à très long terme, il lui est difficile d’imaginer l’avenir du fait de l’incertitude liée sa maladie.


  1. Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Léo Le Roux à partir d’un entretien réalisé par Mathéa Boudinet.

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