2 Melissa Belhadji
Mathéa Boudinet, Léo Le Roux
Melissa Belhadji, âgée de 51 ans est une femme française d’origine algérienne habitant en région parisienne[1]. Elle est mariée, mère de trois enfants, nés en 1999, 2002 et 2007. Elle travaille en tant qu’auto-entrepreneuse dans le domaine de la sensibilisation au handicap, et gère également une association d’insertion des personnes handicapées. Elle est malvoyante depuis sa naissance.
Melissa naît en 1970 de parents voyants. Elle effectue sa scolarité dès l’école primaire en milieu spécialisé, similairement à ses frères et sœurs également malvoyants. Elle apprend à lire le braille à l’école primaire, puis à taper à la machine à partir de la sixième, afin de « communiquer avec les personnes voyantes ». Adolescente, Melissa veut devenir traductrice. Elle n’obtient pas le brevet des collèges, mais entre tout de même au lycée dans la filière générale en milieu spécialisé. Pendant son année de seconde, elle demande à ses parents de continuer ses études en internat à l’INJA (Institut national des jeunes aveugles). Cette demande est motivée par le sentiment qu’elle a de ne pas être suffisamment accompagnée, notamment en ce qui concerne la lecture de documents.
Elle rencontre des difficultés scolaires, notamment au niveau du choix d’une filière pour son baccalauréat. Ses notes étant assez basses dans les matières scientifiques, elle s’oriente vers une filière A2 (Lettres et Langues), dans le but d’entrer dans un cursus LEA (Langues étrangères appliquées) anglais. Elle estime toutefois que ses résultats sont trop faibles pour poursuivre dans cette voie, et après avoir obtenu son baccalauréat en 1989, elle opte pour la filière LCE (Langues et civilisations étrangères et régionales) anglais, qui lui paraît plus atteignable.
En septembre 1989, Melissa entre à la faculté. Elle valide sa licence en 1994. C’est durant cette période qu’elle dépose son dossier de RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), ce qu’elle obtient en 1990. Elle est reconnue handicapée à 80%, ce qui la rend éligible à l’AAH (Allocation aux adultes handicapés), et elle bénéficie d’une carte spécifique de stationnement. Pendant sa licence, il lui vient à l’idée de passer le CAPES (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire) pour devenir professeure d’anglais. Cette option s’avère finalement impossible du fait de sa nationalité algérienne.
Melissa prend alors la décision de se réorienter en BTS action commerciale (Brevet de technicien supérieur), en concertation avec l’association « Tremplin », qui a pour but d’aider les jeunes personnes handicapées à trouver des études adaptées et à faire valoir leurs droits. Pour la validation de son BTS, l’association l’aide à trouver une alternance dans une grande entreprise, où elle travaille au service de recouvrement de factures. Melissa obtient également ainsi des aménagements de son poste de travail, et du matériel adapté à la prise en note de ses cours. Elle perçoit alors un salaire d’alternant, complété par l’AAH, et obtient son BTS en 1995.
Après l’obtention de son diplôme, Melissa éprouve de difficultés à trouver un emploi compatible avec ses compétences et sa formation. Grâce à des relations personnelles, elle est embauchée dans une association d’insertion pour personnes handicapées visuelles, où elle effectue des tâches de secrétariat et de communication. Elle fait l’objet d’un licenciement économique au bout d’un an et demi. En novembre 1996, elle épouse son compagnon rencontré pendant ses années de lycée à l’INJA. S’ensuit pour Melissa une période de recherche d’un emploi.
Melissa ne fait pas mention de sa RQTH sur son CV car elle craint que cela rebute d’éventuels employeurs. On l’écarte à plusieurs reprises au moment des entretiens d’embauche : « Y en a qui disaient que dû à mon handicap, je ne pourrais pas faire ce métier-là ». Avec l’aide de l’UNADEV (Union des aveugles et déficients visuels), elle finit par trouver un emploi de téléconseillère dans la ville de Bordeaux, où elle déménage. Son mari étant encore étudiant, ils sont contraints de faire des allers-retours pour se voir pendant six mois.
À la fin de l’année 1998, Melissa occupe un poste entièrement adapté dans une des filiales d’un grand groupe commercial. Elle y est téléconseillère à temps partiel et s’occupe également de la saisie des commandes et du suivi du service après-vente. Le fait d’être à temps partiel lui convient parfaitement, car son emploi lui demande beaucoup de concentration. En effet, elle doit répondre aux demandes des usagers, tout en manipulant le logiciel de lecture à voix haute des documents. Elle reste dans cette entreprise jusqu’en 2000, avant de prendre un congé parental d’un an à la naissance de son premier enfant.
Melissa et son mari reviennent en région parisienne après la naissance de leur fils. Son conjoint est embauché dans un poste à temps plein. À la fin de son congé, elle reprend son poste de téléconseillère à temps partiel dans une autre centre d’appel de la même entreprise, située en région parisienne. Son fils est gardé par une nourrice. En 2002, Melissa accouche de son deuxième enfant. Il est prévu que le centre dans lequel elle travail ferme rapidement dans le cadre d’un plan social. Melissa espère alors pouvoir changer de poste à son retour de congé maternité. Cependant, son reclassement dans un autre service est refusé du fait de son handicap. L’employée des ressources humaines lui déclare que les personnes « déficientes visuelles [ne] pouvaient être que téléconseiller[ères] ». Melissa considère cet argument comme « totalement discriminatoire », et se sent « offusquée » que l’on considère les aptitudes des personnes porteuses d’une déficience visuelle comme aussi limitées. Néanmoins, elle dit ne pas avoir réagi à cette situation car elle ne connaissait pas « les lois protégeant les personnes handicapées ».
S’ensuit pour Melissa une période difficile : elle cherche un poste dans le domaine du secrétariat ou du téléconseil, et continue de s’occuper de ses deux jeunes enfants. En 2004, elle finit par trouver par ses propres moyens un poste de formatrice dans un centre de reclassement professionnel pour personnes déficientes visuelles. Elle suit alors de jeunes déficients visuels en formation professionnelle. Elle est responsable de leur formation et s’assure du dialogue avec les entreprises qui les accueillent en apprentissage ou en alternance. Au bout d’un an, cette activité de formatrice prend fin, et Melissa se retrouve donc sans activité précise au sein du centre. Elle continue toutefois à percevoir un salaire sans effectuer aucune tâche, et est isolée physiquement dans une salle au sein du bâtiment. Elle tente de nouveau d’obtenir un poste de formatrice au sein de l’association, mais qui lui est refusé en raison de son handicap. Elle poursuit alors l’association aux Prud’hommes, et décide d’accepter la compensation financière proposée par l’étudiante en droit en charge de son dossier. Elle démissionne de l’association en 2007. Elle est alors enceinte de son troisième enfant.
Après sa démission, Melissa déclare vouloir se reposer avant de reprendre ses recherches d’emploi. Elle traverse de nouveau une période « de vide » d’un an. Son quotidien est principalement consacré à ses enfants et aux tâches ménagères.
En 2008, elle commence une activité d’animation d’ateliers de sensibilisation au handicap, et effectue des missions ponctuelles dans le domaine de l’événementiel. Ce rythme lui plait beaucoup, car elles lui permettent d’être bénévole trois jours par semaine dans une association de gestion de travailleurs indépendants handicapés tout en s’occupant de ses trois jeunes enfants. En 2009, elle décide de suivre une formation à destination des femmes souhaitant se lancer dans l’entreprenariat.
Dans la lignée de ces deux expériences, elle crée sa micro-entreprise en 2011, toujours dans le domaine de la sensibilisation au handicap. Elle rencontre malheureusement un certain nombre de difficultés dans la prospection et la communication auprès des clients.
En 2013, Melissa effectue une formation de coach, et obtient sa certification. Elle crée en 2015 une association d’insertion qui est complémentaire de sa micro-entreprise. Elle explique que les expériences épanouissantes qu’elle a vécues dans ce domaine lui donnent envie de développer les activités autour de cette thématique.
- Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Léo Le Roux à partir d’un entretien réalisé par Mathéa Boudinet. ↵