22 Sophie Morin
Léo Le Roux, Julia Vidal
Sophie Morin est une femme française de 67 ans[1]. Ses parents sont commerçants, elle est issue d’un milieu aisé. Sophie a un fils, né en 1974. Elle est atteinte de dépression chronique. Elle exerce une activité de psychologue et de bénévole dans plusieurs structures associatives.
Née en 1955 en région parisienne, Sophie suit une scolarité dans l’enseignement privé religieux non mixte, et obtient un baccalauréat scientifique en 1973. Elle entre ensuite à la faculté pour préparer une licence d’histoire. Elle interrompt ses études après avoir rencontré son mari, un homme originaire d’Allemagne. Ils se marient en 1974 et partent s’installer en Allemagne, où Sophie donne naissance à un fils. À cette époque, elle ne travaille pas et se consacre à l’éducation de son enfant. Son mari « ne veut pas [qu’elle] travaille ». En 1979, le couple se sépare, et Sophie retourne en France avec son enfant. Son ex-mari ne s’occupe pas de leur enfant et ne paie pas de pension alimentaire. Alors qu’elle résidait encore en Allemagne, Sophie avait commencé une thérapie. Elle est encore en traitement à l’heure actuelle.
À son arrivée en France, Sophie trouve un emploi au sein d’une association d’aide aux personnes âgées où elle exerce des fonctions d’assistante sociale. Son poste évolue et elle devient coordinatrice. Dans le même temps, elle souhaite reprendre des études et s’inscrit à des cours par correspondance pour préparer une Licence d’allemand. Quelques années plus tard, elle contacte la directrice de son ancien collège. Celle-ci lui propose de devenir professeure d’allemand au sein de son établissement, quand bien même Sophie n’a pas encore son diplôme. Il s’agit d’un poste à plein temps, mais qui lui laisse davantage de temps pour s’occuper de son fils. Durant les années suivantes, elle continue à dispenser des cours d’allemand et de français dans le même collège. Elle obtient sa Licence de Lettres modernes, et s’inscrit en Master d’allemand. Elle n’adhère pas aux agissements de certains collègues, notamment au sujet de propos sexistes proférés par une enseignante à l’encontre d’une jeune élève. Elle décide de démissionner.
Sophie Morin, qui s’intéresse à la psychologie, décide alors d’entreprendre de nouvelles études dans ce domaine. Elle opte de nouveau pour des cours par correspondance, de façon à pouvoir continuer de travailler. Une amie lui parle du concours d’institutrice; Sophie décide de tenter sa chance, bien que n’ayant pu s’y préparer comme elle l’aurait souhaité, devant travailler en parallèle. Elle est reçue et intègre l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) à la rentrée suivante, dans le but de préparer le concours interne de psychologue scolaire de l’Éducation Nationale. Sophie est rémunérée durant cette formation. Elle explique qu’il s’agit d’une formation « très scolaire », très différente de ce qu’elle a connu en Allemagne, induisant pour elle un sentiment de « décalage ». En parallèle, elle commence à préparer un DESS (Diplôme d’études supérieures spécialisées, équivalent d’un Master 2) de Psychologie clinique. Elle termine sa formation à l’IUFM en 1990 et commence à travailler dans une école publique parisienne en tant qu’institutrice. Là, elle est confrontée à de la « maltraitance » envers les élèves, et trouve l’« ambiance » assez fermée, ce dont elle rend responsable la directrice de l’école. Certains parents d’élèves lui confient leurs soupçons de pédocriminalité au sujet d’un des enseignants, aussi décide-t-elle de « faire attention » au comportement de son collègue, ce qui lui vaut d’être « bannie », et même de faire l’objet de violence physique. Sophie est également victime de violences sexuelles de la part d’un professeur de psychologie à la faculté. Ces événements se cumulent et Sophie « sen[t] qu’[elle va] craquer ». C’est dans cette période qu’elle devient dépressive.
Après une année dans cet établissement, Sophie demande une mutation en « brigade », de façon à faire des remplacements au sein de différentes écoles. Elle est alors envoyée dans une école en ZEP (Zone d’éducation prioritaire) de la banlieue parisienne. Elle y est témoin de négligences de la part de certain-e-s enseignant-e-s, et décrit le climat comme « violent ». Déçue par l’Éducation Nationale, elle « déchante », mais décide tout de même de continuer à exercer son métier, alors qu’elle souffre toujours d’insomnies, phobies et idées noires. Sophie fait plusieurs tentatives de suicide. À l’issue de l’une d’entre elles, elle se retrouve dans le coma. En sortant du coma, elle appelle ses parents qui refusent de venir la chercher, avant de céder, suite à l’insistance de l’hôpital. Ses parents l’hébergent alors mais ne s’occupent pas de son fils, alors adolescent, qui trouvera refuge chez un ami, sans argent. Sophie « veu[t] en finir », est envahie par la « culpabilité » à l’idée d’être une mère suicidaire et fait une nouvelle tentative, alors qu’elle se trouve chez ses parents. Un ami de ses parents rédige alors un certificat de complaisance pour la faire interner en hôpital psychiatrique, sans lui en parler. Au bout de trois semaines d’hospitalisation, elle rentre chez elle à Paris avec l’appui de son fils.
De retour à Paris, elle est évaluée par un psychiatre de l’Éducation Nationale qu’elle qualifie « d’affreux personnage ». Elle a « peur de [se] faire virer » à l’occasion de ce rendez-vous, mais l’entretien aboutira à une mutation dans une autre école parisienne. Il s’agit d’une école « particulière » où les élèves sont plus âgés. Une fois encore, Sophie déplore la maltraitance dont font preuve ses collègues vis-à-vis des enfants, ce qui la pousse à démissionner. Elle est ensuite mutée dans diverses écoles ZEP et continue ses études. Elle anime également un séminaire de psychologie à l’IUFM.
En 1999, après dix années passées à travailler pour l’Éducation Nationale, Sophie confie à son psychiatre son projet de passer le concours interne de psychologue scolaire. Ce dernier s’y oppose, et la pousse à signer « un papier » dans le but de la mettre en invalidité. Celle-ci ne pourra plus travailler et touchera une pension d’invalidité de 900 euros environ. Sophie, qui souhaite continuer à travailler, décide alors de consulter un autre médecin dans sa ville natale, lequel lui suggère d’entamer des démarches auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Elle obtient le statut de travailleur handicapé en raison de sa dépression et des phobies dont elle souffre. Durant cette période, elle loge dans différents hôtels non loin de sa ville natale, pour se rapprocher du médecin qui s’occupe de son dossier. Avec l’aide de la MDPH, elle effectue une formation de bureautique et trouve un emploi « très, très mal payé » dans une radio. Les trajets à effectuer et les horaires décalés sont source d’angoisse pour elle. Au bout de quelques mois, elle s’inscrit chez Handipass (Agence de Pôle Emploi spécialisée dans l’insertion des travailleurs handicapés), et se voit attribuer « plus d’heures » au sein de la radio. Elle trouve également d’autres « petits boulots » dans le secteur associatif, notamment chez les Alcooliques Anonymes où elle s’occupe du service administratif, et plus particulièrement du classement des dossiers. Petit à petit elle parvient à augmenter le volume de son temps de travail. Sophie finit par trouver un emploi mieux rémunéré et quitte l’association.
Il s’agit cette fois d’un poste d’accueil dans une association sportive. Sophie y est « harcelée » par la directrice, elle a « peur de [se] retrouver seule ». Elle contacte alors Pôle Emploi (Service public de l’emploi en France) afin de changer de poste. Elle redoute que le harcèlement dont elle est victime la pousse au suicide, mais sa demande n’aboutit pas. Elle démissionne et trouve un nouvel emploi, mais cette fois, elle est victime de harcèlement accompagné de menaces physiques. Elle explique qu’elle se sent « vulnérable », et qu’il est très dur d’être une femme handicapée. Elle précise que, connaissant l’importance des « quotas » pour le recrutement, elle avait à chaque fois fait valoir sa RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleuse handicapée) pour chacun des emplois occupés.
En 2005, Sophie obtient son DESS de psychologie clinique et commence à exercer. Elle s’inscrit sur la liste des psychologues germanophones à l’ambassade d’Allemagne à Paris. Elle apprend à ce moment qu’elle peut bénéficier d’une aide de la CRAMIF (Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France).
Sophie intervient en tant que psychologue bénévole dans diverses associations. Elle s’exprime régulièrement sur des sujets variés, comme l’amour ou les relations de couple, au sein d’institutions internationales et à la faculté. Depuis quelques années, l’Université Sigmund Freud de Berlin lui a proposé un poste, dans le cadre duquel elle forme en allemand les futur-e-s thérapeutes allemand-e-s et autrichien-ne-s. Elle est actuellement en train d’effectuer les démarches nécessaires pour faire valoir ses droits à la retraite. Être stigmatisée du fait de son handicap la fait souffrir, notamment dans le cadre de sa profession où elle est régulièrement appelée « la psy handicapée ».
À l’issue d’un parcours professionnel qui l’a amenée à travailler dans différents milieux et à différents échelons (ménage, vendeuse, secrétaire, surveillante), elle souligne être « toujours restée honnête et propre ». Parallèlement à ce parcours professionnel difficile, Sophie a été victime de violences physiques et psychologiques dans le cadre conjugal : « j’ai divorcé deux fois de deux hommes très violents, qui me frappaient et me torturaient psychiquement ». Elle indique avoir été ensuite « maintes fois violée, abusée et agressée ». Elle décrit une grande solitude, déplorant notamment l’absence de soutien moral ou financier de sa famille. Son médecin, l’Agefiph et la MDPH ont été dans ce contexte des appuis importants : « Tout le monde m’a tourné le dos, mis à part mon médecin, l’Agefiph, la MDPH ».
Dans ce parcours très difficile, Sophie trouve force et espoir dans sa relation très positive avec son fils et dans son nouveau statut de grand-mère :
Ce fut un parcours extrêmement douloureux, difficile et plein de misères. En tant que femme seule, j’étais une proie. En tant d’handicapée, c’était la honte, les railleries. Tout le monde m’a tourné le dos. J’ai beaucoup souffert du sentiment d’abandon… C’est grâce à l’Amour pour mon Fils que j’ai trouvé la Force et l’Espoir. Ces malheurs nous ont rapprochés et à l’heure actuelle, je suis très fière de nos relations de qualité. J’ai même le Grand Bonheur d’être devenue Grand-mère et de m’émerveiller devant ma petite Fille.
Elle conclut : « je crois en la Force du Travail, de la Volonté et de l’Amour ».
- Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Léo Le Roux à partir d’un entretien réalisé par Julia Vidal. ↵