8 Manon Rosset

Mathéa Boudinet, Aline Tertre

Vivant avec un handicap moteur depuis sa naissance, Manon Rosset est âgée de 32 ans et occupe le poste d’assistante pédagogique à temps partiel dans un lycée professionnel[1]. Elle vit en concubinage avec un homme, dont elle a eu une fille qui a 4 ans.

Le parcours scolaire de Manon se déroule en milieu ordinaire. Elle explique que ses parents souhaitaient maintenir leur fille dans un environnement « le plus classique possible », et qu’une orientation en institution spécialisée leur semblait inenvisageable. Elle est donc scolarisée dans une école ordinaire dès la maternelle. Manon y fait une expérience qu’elle qualifie de positive, les instituteurs étant « volontaires » pour s’adapter à sa situation. Les choses se compliquent toutefois à partir de la classe de CE1 (Cours élémentaire 1ère année). L’institutrice refuse d’accueillir Manon dans sa classe du fait de son handicap. Les parents de Manon insistent, et obtiennent gain de cause, mais l’enseignante ne fait pas les aménagements nécessaires, ce qui impose à Manon des conditions « difficiles ». En plus de sa scolarisation, elle fait l’objet d’un suivi médical régulier à l’hôpital.

Du fait des difficultés rencontrées par leur fille, les parents de Manon entament des démarches pour la scolariser dans un centre spécialisé. En 1999, elle fait son entrée dans un collège 90 km de chez elle géré par l’APF France handicap (association). Ses résultats scolaires sont bons, elle s’y fait des amis, mais trouve que le rythme des cours est trop lent pour elle. Elle exprime un vif désir de retourner en milieu ordinaire. Pour elle, la vie quotidienne au centre était difficile, et même « pesante », puisque certains de ses camarades sont décédés dans cette période.

Elle entre en classe de quatrième dans un collège ordinaire où elle suit les cours, tout en étant interne au centre APF qui lui propose également des séances de kinésithérapie et d’ergothérapie.

Son entrée en seconde générale se fait dans le lycée public de son secteur. Manon explique que le proviseur était « volontaire » pour adapter l’établissement à sa situation. Son projet étant de travailler dans l’industrie des parfums, elle opte pour une filière scientifique STL (Sciences et technologies de laboratoire). Malheureusement, elle ne dispose pas d’AESH (Accompagnants d’élèves en situation de handicap), et son professeur de sciences refuse de l’intégrer dans sa classe, ce qui rend l’année scolaire très difficile dans un domaine qui plaisait pourtant beaucoup à Manon.  Celle-ci, prenant conscience que les métiers de laboratoire ne sont pas compatibles avec son handicap, notamment en ce qui concerne la dextérité requise, décide de modifier son projet.

Souhaitant recommencer son année de première, elle prend contact avec les lycées publics de sa ville d’origine. Parmi ceux-ci, un lycée que Manon qualifie « d’élitiste », refuse tout net de l’inscrire. Pour cet établissement, il était « hors de question » d’accepter une élève handicapée car celle-ci allait nécessairement « faire chuter les chiffres ». En 2005, Manon finit par intégrer une classe de première ES (Baccalauréat économique et social) dans un autre lycée mis aux normes pour pouvoir recevoir un public handicapé. Les deux dernières années de lycée se « passent très bien » pour Manon, en dépit de la grande quantité de travail exigée, et de la mauvaise réaction d’une professeure face à son handicap. Manon réussit son baccalauréat ES en 2009.

Dès l’âge de 18 ans, c’est elle qui s’occupe de son dossier MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Elle effectue également une demande d’AAH (Allocation aux adultes handicapés), qu’elle obtient un an plus tard.

Manon Rosset intègre la faculté de lettres de sa ville en 2009, mais ni les enseignements dispensés, ni le rythme des cours ne lui conviennent. De plus, les bâtiments ne sont pas accessibles, ce qui la contraint à s’arrêter. Elle demeure chez ses parents durant l’année scolaire 2009 et 2010, et pose sa candidature dans un IUT (Institut universitaire de technologie) pour la rentrée suivante.

En 2010, elle commence sa formation dans un IUT gestion de l’information et du document situé à plusieurs centaines de kilomètres de chez elle. Le choix de Manon est motivé par l’accessibilité des bâtiments, et par l’éloignement d’avec sa famille. Elle obtient son diplôme en 2012, après avoir effectué un stage dans un centre de documentation durant sa deuxième année.

Manon souhaite alors changer d’établissement pour se spécialiser dans la veille en entreprise. Elle est intéressée par une licence professionnelle à Dijon, mais celle-ci n’est pas accessible à son handicap. En concertation avec l’université, elle cherche des solutions pour pouvoir intégrer ce cursus, mais reçoit une fin de non-recevoir. Manon trouve « très dur » d’avoir dû renoncer à cette formation et déclare avoir « mis du temps à s’en remettre ». Elle parvient à s’inscrire dans un établissement mieux adapté pour passer une licence du même type. Elle choisit également de faire un stage dans un aéroport au cours de cette même année. Manon explique que ses multiples déménagements, du fait du manque d’accessibilité de certains établissements, est à l’origine de tensions avec sa famille.

Après sa licence, Manon change encore de ville pour intégrer un master en intelligence économique et communication stratégique. Les bâtiments où elle suit sa formation universitaire sont accessibles, mais elle rencontre des difficultés pour trouver un logement adapté. Manon peine à trouver un stage. Elle mentionne l’existence de son handicap dans ses lettres de candidature, mais ne considère pas que le refus qu’on lui oppose est conditionné par sa situation : « Je conceptualisais même pas le fait que le handicap puisse être un frein pour moi pour trouver un stage ou un travail ». Grâce aux partenaires de son école, elle finit par trouver un stage de veille économique d’une durée de 6 mois sur une île française. Pour elle, il s’agit de prouver aux futurs employeurs que son handicap ne constitue un frein ni à l’emploi, ni à ses déplacements.

Une fois sur son lieu de stage, Manon constate que son nouvel environnement ne répond pas aux critères d’accessibilité qui lui sont nécessaires.  Sa supérieure hiérarchique lui fait de nombreuses réflexions sur son handicap ce qui crée de mauvaises conditions de travail.

En août 2013, elle revient en métropole. L’entreprise où elle doit effectuer son alternance est située à plusieurs kilomètres de chez elle, et elle travaille intensément. En 2014, elle obtient son diplôme et retourne vivre chez ses parents dans la région lyonnaise. Elle se consacre à la recherche d’emploi, et effectue une demande de RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), qui lui est attribuée. Elle s’inscrit également à Pôle Emploi (Service public de l’emploi en France), qui la redirige vers Cap Emploi (Organismes de placement spécialisés exerçant une mission de service public). Elle multiplie les candidatures sans critère géographique particulier.

C’est ainsi que Manon trouve au début de l’année 2015 un remplacement de six mois au sein d’un laboratoire pharmaceutique dans une petite ville éloignée. Ce nouvel éloignement géographique entraîne de nouveau des tensions avec sa famille, mais Manon déclare que sa priorité est l’obtention d’un emploi. C’est dans cette période qu’elle rencontre son compagnon, lui sans handicap.

Elle décrit cette nouvelle expérience professionnelle comme « moyenne », Ses relations sont tendues avec ses collègues, certains lui reprochant de ne pas aller assez vite, et ses besoins d’aménagements ne sont pas pris en compte, ce qui la fatigue beaucoup.  Sans doute aurait-elle fini par exiger des adaptations de son poste si elle était restée plus longtemps, mais Manon explique que pour un remplacement de courte durée, cela ne valait « pas la peine ». Elle décrit la fin de son contrat comme un soulagement, et elle retourne vivre chez ses parents.

Entre 2015 et 2016, Manon se consacre à la recherche d’un emploi et entreprend de passer le permis de conduire. Elle réussit l’examen du code de la route, et tente pendant un an et demi d’obtenir son permis de conduire adapté. Les choses ne se passent cependant pas bien avec la monitrice de conduite, que Manon décrit comme peu tolérante vis-à-vis du handicap. Les cours de conduite pour personnes handicapées sont très coûteux (3000 €), et après un échec à l’examen, elle décide d’arrêter. Dans le même temps, elle recherche un emploi partout en France. Elle est inscrite à Cap Emploi, et est suivie par l’APEC (Association pour l’emploi des cadres). Elle déclare avoir passé « beaucoup » d’entretiens, lesquels n’ont jamais abouti. Elle explique que les employeurs ne justifiaient quasiment jamais leur raison de refus, mais elle considère que c’est bien l’existence de son handicap qui en est l’explication, puisqu’elle a eu l’occasion de faire le constat que l’envoi de candidatures sans mention du handicap se traduit par un taux plus important de réponse positives.  Manon précise également qu’elle refuse catégoriquement de travailler en milieu protégé, préférant ne pas travailler que de travailler uniquement avec d’autres personnes handicapées.

Au bout d’un an et demi de recherche, Manon fait une dépression. Elle décide alors de se consacrer essentiellement à sa vie personnelle et sentimentale. En 2016, elle prend la décision de partir vivre chez son compagnon ce qui est à l’origine de nouvelles frictions avec sa famille. Elle évoque l’incompréhension de sa mère qui lui reproche de ne « pas assez bien chercher » un emploi, et qui ne comprend pas qu’elle ne cherche pas à recueillir les fruits de « tous ces sacrifices ». Lorsqu’elle arrive chez son conjoint, elle a la ferme intention de trouver un emploi, quitte à envisager une reconversion et à passer le permis de conduire. Son compagnon, lui, travaille à temps plein dans une entreprise de la ville.

La région n’étant pas pourvue d’une école de conduite adaptée au handicap, le projet de Manon ne peut aboutir. L’agence Cap Emploi du nouveau département, lui conseillant de se réorienter, Manon opte pour   une formation dans le secteur bancaire, ce qui ne sera pas accepté par la responsable qui affirme « qu’elle est trop handicapée pour travailler chez eux ». Ce nouvel échec impose à Manon un changement de perspective. Elle décide de se consacrer   exclusivement à sa vie sentimentale au moins de façon temporaire, et accouche d’une petite fille en 2017.

Après la naissance de son enfant, le couple décide de mettre en garde leur fille deux jours par semaine chez une nourrice. Ce rythme permet à Manon de reprendre des séances de kinésithérapie et de recommencer à chercher un emploi. Elle envoie plusieurs CV dans des collèges et lycées, pour y travailler au CDI (Centre de documentation et d’information), ce qui correspond à sa formation initiale.

En septembre 2018, Manon obtient un poste d’assistante pédagogique à temps partiel dans le lycée professionnel de sa ville. Elle explique que cet emploi ne la passionne pas réellement, mais qu’il est important pour elle de travailler, en dépit du fait que la conjugalisation de l’AAH (prise en compte des revenus du conjoint dans la détermination du montant de l’allocation aux adultes handicapés) lui fait perdre de l’argent.  Dans le même temps, elle commence une préparation au concours du CAPES de documentation (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) proposée le CNED (Centre national d’enseignement à distance).

En juin 2020, elle passe le concours du CAPES sans succès. Elle garde en tête l’idée de recommencer ultérieurement et manifeste le souhait de s’engager politiquement. Ainsi envisage-t-elle d’être élue au conseil municipal de sa ville.


  1. Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Aline Tertre à partir d’un entretien réalisé par Mathéa Boudinet.

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Portraits de travailleuses handicapées Droit d'auteur © par Mathéa Boudinet et Anne Revillard est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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