15 Nadia Amri

Juliane Anger, Léo Le Roux

Nadia Amri est âgée de 38 ans[1]. D’origine algérienne, célibataire et sans enfants, elle vit avec sa famille en région parisienne. Nadia est professeure des écoles et formatrice en langue française, mais se trouve actuellement à la recherche d’un emploi.

La scolarité primaire et secondaire de Nadia se déroule en Algérie. Dès l’enfance, elle décrit des douleurs musculaires et surtout articulaires « atroces » qui surviennent par crises. Après l’obtention d’un baccalauréat scientifique, elle décide de continuer ses études supérieures en France. Elle déménage donc en région parisienne à l’âge de 18 ans. Elle commence par s’inscrire en Licence de biologie, mais elle éprouve des difficultés importantes à suivre un enseignement en français, et se voit contrainte d’arrêter. Nadia fait « une petite dépression », et sur l’injonction de son père, se met à chercher du travail.

Elle trouve alors un emploi de nuit dans un fast-food, et des heures de garde d’enfants. Elle occupe ces deux emplois pendant huit mois, puis décide de s’inscrire dans une autre formation. Elle commence un BTS action commerciale (Brevet de technicien supérieur), dont elle redouble la première année. Ses professeur-e-s lui disent qu’elle « n’a pas le profil ». Pour pouvoir payer son loyer et ses dépenses courantes, elle conserve son emploi de nuit. Nadia ne parvient pas à valider sa deuxième année de BTS. Elle passe avec succès un examen d’arabe dans le but de s’inscrire en Licence d’arabe littéraire. Elle entre donc en Licence dans une nouvelle faculté. Elle rencontre des difficultés pour renouveler son titre de séjour, au motif des changements de formation au cours de ses quatre premières années en France. De ce fait, elle se voit contrainte de travailler de façon non déclarée pendant plusieurs années, et vit dans la précarité.

Nadia réussit à valider sa Licence d’arabe, et poursuit par un Master dans le même domaine. Après avoir régularisé sa situation, Nadia trouve un emploi d’AESH (Accompagnant d’enfants en situation de handicap). Elle cumule cet emploi avec des gardes d’enfants, et des heures de surveillance dans les cantines scolaires. Pendant cette période, elle souffre de douleurs gastriques que les médecins ne prennent pas au sérieux. On lui prescrit des antidépresseurs, sans qu’il soit jugé utile de l’orienter vers un-e spécialiste. De son propre chef, elle finit par consulter un gastro-entérologue, qui diagnostique un ulcère. Nadia explique que d’une façon générale, les médecins ne l’écoutent pas lorsqu’elle évoque ses douleurs, se contentant de lui demander « quels médicaments [elle] veut », ou remettant en question son envie de travailler.

Après avoir mené de front ses études et ses différents emplois pendant deux ans, Nadia s’inscrit en première année de Master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF) pour devenir professeure des écoles. Elle valide sa première année de Master en alternance, et postule sur un temps plein dans une école primaire. Pendant cette période, elle se trouve en « burnout » du fait des horaires difficiles, cumulées à de nombreuses douleurs chroniques et à un choc post-traumatique lié à une agression sexuelle – Nadia établit aujourd’hui un lien entre deux agressions sexuelles qu’elle a subies et les douleurs chroniques dont elle souffre. Elle s’absente pendant de longues périodes sur son temps de stage, et son contrat n’est pas renouvelé. Nadia est victime de nombreuses crises de douleurs, notamment une cervicalgie aiguë qui l’oblige à porter une minerve pendant environ six mois. On lui prescrit des antidépresseurs qui ont pour effets secondaires une hypersomnie et une fatigue chronique « handicapante ». Nadia se plaint de « dormir tout le temps », et indique peu se souvenir de cette période.

À la fin de son contrat, Nadia Amri traverse une période difficile sur le plan de sa santé mentale. Elle « fai[t] des crises de nerfs », et a beaucoup de mal à réaliser des tâches quotidiennes comme prendre les transports, à cause des conséquences psychologiques de l’agression sexuelle. Elle consulte plusieurs médecins qui tous soupçonnent l’existence d’un fibromyalgie, sans pour autant poser formellement le diagnostic. Elle prend l’avis d’un rhumatologue qui pose le diagnostic « en cinq minutes », et décrit la fibromyalgie comme la maladie du « mal partout ». Pour autant, Nadia se sent démunie car le médecin « n’a rien fait ».

Elle reprend le travail graduellement avec l’aide d’une amie. Elle dispense des cours de français dans un lycée professionnel. Elle effectue le même travail, à temps plein au sein d’une association, et décide de passer un DU (Diplôme universitaire) de Français langue étrangère et alphabétisation pour obtenir un diplôme qualifiant en rapport avec le métier qu’elle exerce. Cette formation se trouvant dans une autre ville, Nadia déménage et obtient son diplôme en 2020. Nadia connaît alors une période de chômage qui correspond à la survenue de la pandémie de Covid-19.

En 2021, Nadia Amri trouve un emploi d’animatrice sociolinguistique. De nouvelles crises douloureuses la conduisent à s’absenter fréquemment, ce qui explique, selon elle, que son employeur décide de ne pas renouveler son contrat. Elle se sent alors victime de discrimination. Nadia relate un épisode particulièrement marquant lorsqu’elle avait dû se rendre à ses frais à un rendez-vous avec le médecin contrôleur de l’Assurance maladie alors qu’il lui était devenu impossible de marcher du fait de ses douleurs chroniques. Cet épisode met en évidence les nombreuses dépenses qui incombent à Nadia : les séances de psychothérapie, d’ostéopathie, les vitamines et compléments alimentaires destinés à atténuer la fatigue chronique, ou encore les déplacements en taxi lorsque les douleurs sont trop fortes. Souffrant d’une colopathie fonctionnelle, Nadia explique qu’elle doit également faire face à de nombreuses dépenses non remboursées par l’Assurance maladie pour des traitements prescrits par le proctologue.

En juillet 2021, Nadia Amri se rend chez une rhumatologue qui « prend plus le temps ». Celle-ci confirme le diagnostic de fibromyalgie, et lui accorde plusieurs rendez-vous longs, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant lorsqu’elle se rendait chez des professionnel-le-s de santé. Toujours à la recherche d’un emploi, Nadia s’accorde cependant une « période thérapeutique » pour se rendre chez les différent-s-es spécialistes qui l’aident à soigner sa fibromyalgie. Elle s’implique également dans les nombreuses tâches ménagères du foyer dans lequel vivent ses parents et sa sœur.

Elle se plaint aujourd’hui principalement des problèmes intestinaux associés à sa fibromyalgie, d’anxiété chronique et de douleurs au niveau des hanches, des jambes, du dos et des cervicales. Des crises de douleurs surviennent également. Nadia explique que toutes ces manifestations l’empêchent régulièrement de s’engager dans des activités sociales, et l’empêchent d’avoir une vie amoureuse. Elle a renoncé à avoir des enfants, par crainte notamment « d’être encore plus diminuée » par la maternité.

Pour l’heure, Nadia ne bénéficie pas d’une RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), mais envisage d’effectuer les démarches nécessaires avec l’aide de son médecin traitant.


  1. Les prénom et nom ont été modifiés. Portrait préparé par Léo Le Roux à partir d’un entretien réalisé par Juliane Anger.

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Portraits de travailleuses handicapées Droit d'auteur © par Mathéa Boudinet et Anne Revillard est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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