Donner leur place aux amateurs et amatrices

6 Participation, créativité et création des amateurs et amatrices : les gramophiles des années 1920 et 1930

Sophie Maisonneuve

Introduction

L’histoire du disque (Gelatt, 1955; Read et Welch, 1976; Martland, 1997; Gronow et Saunio, 1998; Kenney, 1999; Day, 2000) a longtemps été abordée sous un angle technique et commercial, dans une perspective s’intéressant à la « diffusion » et aux « progrès » d’une invention conçue comme « ancêtre » d’un objet familier et accompli. Les protagonistes d’une telle historiographie sont les « inventeurs » (géniaux ingénieurs – à l’image du génie romantique – isolés et créant de toutes pièces un objet prêt à être mis sur un marché « déjà là » au bénéfice de consommateurs-destinataires passifs et avides d’une consommation transparente), suivis des agents commerciaux habiles et, dans une moindre mesure, des artistes convertis. Dans ces grandes fresques, très utiles pour reconstituer la chronologie des « améliorations » techniques et du développement des compagnies phonographiques, un acteur clé brille par son absence : le consommateur, considéré comme simple récepteur passif de ces inventions, donc sans intérêt historique.

Certes, des études récentes ont conduit à mettre en lumière un « sacre de l’amateur » (Flichy, 2010; Donnat, 1996; Donnat, 2009b)[1] et le brouillage des frontières entre producteur et consommateur à travers la figure du « prosumer » (Leadbeater et Miller, 2004; Beaudouin, 2011), en les analysant comme effets de l’« ère numérique » : les technologies numériques et l’Internet auraient ouvert la voie à une plus grande facilité d’expression de chacun via l’abaissement des « barrières à l’entrée (baisse des coûts des équipements de production, possibilité de publication en ligne, vidéo et montage numérique…) » facilitant la diffusion de ses propres productions. Aujourd’hui, « chacun peut ‘théoriquement’ devenir créateur, producteur, distributeur de ses œuvres » (Beaudouin, 2011, p. 136).

Mais cette activité du consommateur est-elle si récente? Les technologies numériques ont-elles si puissamment déterminé un « tournant » culturel? Sans mettre en doute les constats tout à fait justes de ces travaux concernant les manières dont les amateurs s’emparent aujourd’hui des ressources liées aux technologies numériques, on peut se demander si la figure de l’amateur, ses dispositions, les points de passage de sa carrière, ont connu un changement si radical et s’il n’est pas possible de considérer sous un autre jour l’histoire du rapport des mélomanes à la musique enregistrée et à son industrie.

On sait depuis M. de Certeau que le consommateur est moins passif qu’il n’y paraît, que, même dominé (par une industrie puissante, par des médias de masse, par un pouvoir totalitaire), il ne cesse de bricoler son quotidien, d’aménager des poches de créativité dans un ordre qui lui est imposé, de « composer » avec cet ordre par une série de tactiques inventives lui permettant de détourner l’usage stratégiquement prévu, de « braconner » dans ce donné ce qui fait sens pour lui et lui permet d’exister comme sujet. Si la « création » reste le domaine réservé des dominants, la « créativité » prolifère aux marges de cet ordre : l’appropriation du donné (bien culturel, espace public, etc.) par l’usager ordinaire est une activité d’interprétation indissociable de toute consommation (Certeau, 1975; Certeau, 1981; Certeau et collab., 1980). Dans le cas de l’histoire du disque, si souvent lue à travers le prisme de la théorie critique (Benjamin, 1973; Adorno, 1991, 1994; Adorno et Horkheimer, 1974), questionner cette figure du consommateur est un enjeu d’autant plus important que, loin de toute analyse de terrain, elle a souvent été réduite à celle de proie passive et naïve de la culture de masse.

Par ailleurs, la sociologie de l’innovation, en fournissant des outils pour analyser les processus erratiques et hybrides des innovations sociotechniques, complète cette prise de distance avec le modèle diffusionniste partageant le monde entre grands inventeurs et simples récepteurs. Dans ce cadre conceptuel, « l’inventeur » n’est qu’un des agents participant à l’innovation; il ne produit qu’un « script » (Akrich, 1987a) qui, traduit, travaillé, négocié par d’autres agents (y compris non-humains) reliés en réseau, va suivre une trajectoire sociale et technique par laquelle sa fonction et sa signification vont se trouver progressivement stabilisées (Callon et Latour, 1985; Akrich, 1987b, 1992; Akrich, Callon, et Latour, 1988; Marvin, 1988; Flichy, 1995; Sterne, 2003)[2].

Ce double cadre théorique conduit à s’émanciper du schéma transitif et hiérarchisé

créateur (ou inventeur)

↓ (diffusion)

récepteur (passif).

Il incite à se demander dans quelle mesure les « amateurs » – mélomanes, bricoleurs et amateurs d’objets techniques à l’image des sans-filistes des années 1930 (Méadel, 1994) – ont contribué non seulement à la définition du phonographe comme médium musical doté de qualités techniques et esthétiques spécifiques, impliquant des modalités particulières de performance musicale, mais aussi à la mise à disposition d’un répertoire potentiellement infini de musique prête à la délectation et volontiers constituée en « patrimoine », et, enfin, à l’invention d’une écoute « aurale », éminemment sensible tant à l’interprétation qu’à la dimension acoustique de la performance (Maisonneuve, 2001a, 2009b, 2014).

Cependant, cette entreprise soulève plusieurs questions : comment reconstituer l’activité passée des amateurs, et quels sont les enjeux et méthodes d’un tel projet historiographique? Une fois ces conditions de possibilité établies, on pourra analyser en quoi les amateurs font preuve de créativité et dans quelle mesure ils contribuent à l’invention du médium. Enfin, au-delà de la créativité artistique et de l’inventivité sociotechnique, on proposera une autre interprétation de l’activité des amateurs, qui se rapporterait à une capacité créative plus large des acteurs sociaux.

Des outils spécifiques pour une histoire renouvelée de la musique enregistrée

Reconstituer l’activité passée des amateurs suppose de trouver des sources permettant de l’étudier. Celles-ci sont par force moins nombreuses et moins visibles que celles concernant l’activité des « inventeurs » : émanant de pratiques peu institutionnalisées et souvent informelles, relevant du privé voire de l’intime (émotions), elles sont souvent éparses, accessibles par des voies détournées, et volontiers étrangères au monde de l’écrit.

C’est donc une archéologie de l’écoute qu’il a fallu construire, inspirée de l’histoire de la culture matérielle (Poulot, 1997), de l’anthropologie de la consommation (Appadurai, 1986; Miller, 1987, 1998) et de la sociohistoire des pratiques culturelles (Eisenstein, 1991; Chartier, 1994, 1996), à ceci près que l’écoute repose sur des pratiques et traces dont la matérialité a dû être traquée, « objectivée », au-delà des représentations habituelles d’un « art de l’ineffable » et « immatériel ». Ces différents courants ont en commun d’inciter à déplacer l’attention d’une histoire des idées, des événements et des institutions vers une histoire des pratiques, ouvrant ainsi à de nouvelles échelles d’analyse et à un retour du quotidien et de l’ordinaire dans l’écriture du passé. Placée dans un tel cadre, l’histoire de la phonographie requiert une attention à l’objet non pas en tant qu’invention passant des projets des ingénieurs aux stratégies des agents commerciaux pour aboutir à une consommation passée sous silence car conçue comme évidente, mais, précisément, d’analyser les caractéristiques matérielles du médium (poids, durée d’enregistrement, son, manipulations à réaliser pour l’écoute) afin de mieux comprendre les pratiques et dispositions qui se développent autour de lui.

Il s’agit donc d’étudier les appareils et leurs qualités ou ressources telles qu’elles s’offrent à leurs usagers mais aussi telles que ceux-ci les interprètent et les forgent, qu’il s’agisse du phonographe ou du gramophone (aspect esthétique du design, présence d’une manivelle ou d’un moteur, type de pavillon), des aiguilles (de métal ou de bambou), des enregistrements (étudiés dans leurs dimensions acoustique, stylistique, temporelle), de l’aspect matériel des disques (étiquette, présence ou non d’une pochette ou d’un coffret). L’étude de ces objets nous a permis, à partir des travaux de R. Chartier, à développer la notion de format, incarnation matérielle d’un bien culturel qui en affecte l’appropriation (Maisonneuve, 2009b, p. 103-131).

Seulement, ces objets seuls ne nous renseignent que peu sur leurs appropriations. Le recours à des textes – témoignages d’écoute, de pratiques (lieu de rangement du phonographe, modalités de constitution d’une collection, catégories privilégiées pour le choix des disques) – permet de saisir les pratiques et significations associées à ces objets et d’éventuels « détournements », « braconnages » (Certeau et collab., 1980) ou écarts par rapport au « script » (Akrich, 1987a, 1992); il permet également de cerner de façon plus précise l’effet esthétique sur tel ou tel auditeur et la manière dont celui-ci lui donne un sens et le partage.

Différentes sources écrites ont ainsi été convoquées : comptes rendus de sociétés de « gramophiles » renseignant sur les programmes d’audition et les discussions; rubrique « courrier des lecteurs » dans les revues d’amateurs (publiées à partir des années 1910 et surtout 1920); manuels pour « jouer du phonographe », souvent écrits par des amateurs passionnés. Les archives des maisons d’édition phonographique permettent également de savoir quels enregistrements ou artistes rencontrent du succès mais aussi bien sûr de suivre l’évolution des prix et chiffres de vente des appareils et des disques, donc celle de leur accessibilité. L’ensemble de ces sources écrites, articulé aux sources matérielles, a permis de compléter le projet d’archéologie de l’écoute par celui d’une archéologie de l’auditeur : les données sur le contenu des enregistrements écoutés, sur les succès (point d’accès aux goûts), sur les moments et situations d’écoute, sur leur fréquence, sur les appréciations des enregistrements (interprétation comme qualité sonore), sur l’évaluation des innovations techniques ou de répertoire, permettent de reconstituer une activité proliférante d’invention d’une écoute musicale nouvelle.

La question de la subjectivité de la chercheuse et de son point de vue s’est posée très rapidement : comment « faire tenir ensemble » une impression d’enregistrement voilé et des témoignages de ravissement? L’idée de prendre au sérieux les témoignages s’est imposée à partir du constat que ces impressions déroutantes renseignaient plus sur l’audition actuelle et son décalage avec celle du siècle précédent, que sur les perceptions et émotions des auditeurs d’alors[3]. Ainsi, l’ancrage dans une démarche compréhensive plus que critique (Weber, 1995; Boltanski, 1990b, 2009), conduit à s’efforcer de comprendre les propos tenus par les amateurs en les articulant tant aux objets à leur disposition qu’aux habitudes culturelles en cours et aux cadres discursifs produits par les compagnies : il ne s’agit pas de reléguer les archives scientifiques et commerciales au nom d’une authenticité supposément supérieure des pratiques amateurs mais de tenter d’articuler ces différents productions et points de vue parcellaires pour mieux comprendre les dynamiques de l’innovation sociotechnique et culturelle.

Il existe donc bien des traces permettant de reconstituer, analyser et rendre visibles les pratiques amateurs : il s’agit simplement de leur faire une place dans la démarche de recherche et de trouver les outils théoriques et pratiques pour les « faire parler ». L’absence d’une prise en considération fine des pratiques amateurs dans tout un pan de l’histoire des industries culturelles, de la culture de masse, voire de la musique n’est que le reflet de la place que, en héritiers du romantisme, on a tendance à leur reconnaître dans l’histoire et dans les champs culturel et artistique y compris aujourd’hui (Lefebvre, 2015) : certes, ces amateurs ne sont pas de « grands hommes » (et encore moins de « grandes femmes »), de « grands créateurs », mais la prolifération de leurs pratiques, la stabilisation progressive de dispositions (culturelles, esthétiques), l’organisation de leur activité en un « monde » ou une « cité » sont ce qui donne corps à une innovation, lui permet de « faire date », la conduit à évoluer et/ou à tomber dans l’oubli.

Traduction, appropriation, invention : la créativité de l’amateur

De fait, la « machine parlante » inventée par Edison en 1877[4] n’était pas spécialement destinée à un usage musical : celui-ci n’apparaît qu’en quatrième position et de façon très vague, sur une liste de dix fonctions envisagées par l’ingénieur[5]. La variété de cette liste et le peu de précision sur les usages envisagés signent l’ouverture du « script », qui ne se fermera, en privilégiant certains de ces programmes, qu’avec la cristallisation d’usages lui donnant une signification et une existence sociales.

Or ces usages se construisent à partir de dispositions culturelles antérieures qui se transforment au contact du médium tout en en affectant conjointement la signification (fonction sociale et fonctionnalités techniques). Si le « script », conçu par les équipes de laboratoires et les agents commerciaux qui investissent dans une première commercialisation de la machine, s’appuie lui-même sur un contexte culturel, technologique, scientifique et commercial (Sterne, 2003), il ne se trouve actualisé qu’à travers des usages qui l’interprètent, le travaillent ou le « traduisent » (Callon, 1986), en sélectionnent certains aspects et en négligent d’autres.

De fait, faire de la « machine parlante » un médium musical implique quatre processus se développant en étroite interaction. Ils sont exposés ici successivement pour plus de lisibilité, mais l’ordre de présentation ne correspond à aucune prééminence ni précédence : les deux premiers sont plutôt le fait de « professionnels » (ingénieurs et agents commerciaux), les deux suivants celui d’amateurs – leur position seconde permettra d’en développer plus longuement l’analyse et de l’articuler avec le dernier argument de cet article.

Il s’agit d’une part de définir un objet technique adapté à un usage musical (technique d’enregistrement et de reproduction du son, durée de l’enregistrement, possibilité de réécoute). Ce processus est le fait des ingénieurs, concevant leurs inventions non isolément bien sûr, mais en collaboration avec des agents commerciaux (les premiers ingénieurs ont parfois les deux casquettes), des artistes (dont les remarques, très progressivement, vont stimuler des recherches en vue de l’amélioration des conditions de l’enregistrement de musique), et des usagers dont le désintérêt pour telle fonctionnalité ou l’intérêt pour telle pratique non valorisée dans le script initial vont conduire les ingénieurs à adapter les fonctionnalités premières. Or, les caractéristiques techniques des premiers phonographes correspondaient à des fonctionnalités attendues pour un usage administratif : le son était gravé sur des rouleaux de cire d’une durée d’enregistrement d’environ deux minutes et produits à l’unité, ce qui convenait tout à fait à un usage de type « dictaphone ». L’idée de reproduction en masse d’un même enregistrement n’avait tout simplement pas lieu d’être. C’est à partir du moment où un usage public puis domestique de loisir se développe qu’il devient important de pouvoir produire en masse des items préenregistrés prêts à être consommés. Le gramophone de Berliner, dont la caractéristique principale est le recours à un disque pressé à partir d’une matrice (et de ce fait reproductible en masse), « répond » à cette nouvelle finalité. Les guillemets ont toute leur importance : Berliner invente ce procédé en 1888 mais il ne sera commercialisé qu’à partir de 1895, quand le mépris vis-à-vis d’un usage de loisir se sera estompé : son invention ne répond pas à un besoin et elle ne se trouve exploitée qu’à partir du moment où un changement culturel permet de lui donner une utilité, de l’articuler à des dispositions culturelles pour développer un médium à la signification sociale nouvelle. Une fois acquis le principe de commercialiser des morceaux de musique préenregistrés (à partir de 1895), et au fur et à mesure du succès rencontré par cette nouvelle fonction du phonographe, les efforts des ingénieurs vont être dirigés vers l’amélioration des conditions d’enregistrement et de la « qualité musicale » des cylindres ou disques. On assiste ainsi à l’allongement progressif de la durée d’enregistrement (de 2 à 4 puis 12 minutes, avant le microsillon offrant 30 minutes par face en 1949) qui permet d’enregistrer un répertoire toujours plus varié et de développer un marché lucratif de la musique classique (genre apprécié des classes moyennes et supérieures, les plus à même d’acquérir appareil et supports enregistrés) tout en légitimant le gramophone comme médium de loisirs. De même, des efforts sont faits pour améliorer la sensibilité acoustique du pavillon et la qualité de reproduction sonore : faciliter le travail d’enregistrement des musiciens (qui devaient adopter une technique de jeu/de chant bien particulière et éprouvante pour que le résultat soit satisfaisant), être en mesure d’enregistrer un orchestre entier (et non sa réduction sous la forme d’un soliste accompagné d’un piano ou d’un ensemble de cuivres), permettre de jouer sur le volume de reproduction, sont autant de défis à relever à partir du moment où l’usage domestique musical de loisir devient une priorité de l’industrie phonographique[6].

Par ailleurs, le développement d’un médium musical à partir d’une technologie d’enregistrement repose sur la définition d’un objet de consommation. C’est à ce travail que s’attèlent les agents commerciaux à partir du moment où ils ont identifié le développement potentiel d’un marché dans ce domaine. Or cette identification se fait elle-même sur la base de l’observation de pratiques en vogue et d’attentes de la part d’une classe moyenne dont les pratiques consuméristes (Sterne, 2003) et le goût pour la musique (Maisonneuve, 2009b, chap. 2) sont en plein essor; elle ne peut, en outre, déboucher sur des qualités nouvelles du médium qu’en étroite interaction avec les ingénieurs à qui ces industriels demandent de trouver des solutions à des limites relatives à cette finalité[7]. Inventer un objet de consommation de musique enregistrée implique donc la production d’un répertoire, c’est-à-dire d’une collection de morceaux préenregistrés suffisamment variés et en nombre suffisamment important pour qu’un marché suffisamment large se forme et se maintienne, voire se développe (afin que chacun puisse y satisfaire ses goûts et son désir de découverte). Il faut également, bien sûr, stimuler sinon créer le désir d’écouter de la musique chez soi, en mettant sur pied tout un système de « nouveautés » et d’événements musicaux (à commencer par l’adoption des commémorations déjà pratiquées dans le monde du concert), de « séries » à compléter (les collections), et en mettant en valeur les « progrès » en matière de « fidélité »[8]. L’inscription du phonographe dans le champ de la culture légitime, qui vise jusqu’aux années 1930 à convaincre les classes moyennes et supérieures de la valeur symbolique d’une telle consommation à l’époque de l’essor d’une culture de masse suscitant toutes les inquiétudes[9] passe, enfin, par l’invention de pratiques patrimoniales associées à la phonographie : développement d’anthologies, d’œuvres complètes (édition intégrale de l’œuvre d’un compositeur), d’un discours historiographique associé à ces éditions, création de sociétés de souscription permettant l’édition (et la « sauvegarde ») d’œuvres « rares » (de musique ancienne le plus souvent), diffusion de produits dérivés (coffrets, meubles de rangement) soulignant la valeur patrimoniale de la collection personnelle. Il est intéressant à ce titre de noter que l’invention d’un système de consommation culturelle associe dans ce cas volontiers valeur patrimoniale « de la musique » ainsi rendue accessible et conservable, et valeur patrimoniale de la collection personnelle (Maisonneuve, 2001a, 2014).

Outre ces deux processus impliquant au premier chef (mais pas seulement) les professionnels d’un monde phonographique qui s’invente, deux autres sont plus spécifiquement le fait des amateurs.

En effet, la transformation de la « machine parlante » en médium musical suppose l’invention d’une pratique culturelle : sans usager de ce médium, pas de médium. Or, comme l’a montré M. de Certeau, une culture, même dominante, ne peut s’imposer à des individus ou groupes sociaux. Face à des stratégies de domination, ceux-ci mettent en place des tactiques de résistance, qui s’incarnent dans une multitude de pratiques de « détournement », de « braconnage », de réappropriations ou, pour reprendre l’expression d’un autre spécialiste des cultures dominées, dans un « regard oblique » (Hoggart, 1970). Reformulé dans les termes de la sociologie de l’innovation ce constat est celui de la « traduction » du « script » par les différents agents impliqués dans une innovation, dont les « simples usagers » ou « consommateurs » (selon la perspective adoptée). Dans le cas qui nous occupe, il ne suffit pas que le phonographe soit décrété médium musical : pour les gramophiles (mélomanes, amateurs d’objets techniques et bricoleurs), il s’agit, très concrètement, de définir des situations d’écoute, des finalités de celle-ci, des « programmes » pour ces moments d’écoute. « À quel moment écouter? »; « est-il moralement acceptable d’écouter seul de la musique? », « d’en écouter en se rasant ou avant le petit-déjeuner? »; « comment organiser la soirée avec ses invités? » sont autant de questions qui circulent dans les colonnes des revues d’amateurs et qui sont débattues lors des réunions de gramophiles.

L’analyse de ces traces écrites fait apparaître trois sources d’inspiration, trois modèles culturels préexistants que les amateurs en devenir convoquent pour penser cette nouvelle pratique. De fait, « on dirait qu’une société entière dit ce qu’elle est en train de construire avec les représentations de ce qu’elle est en train de perdre » (Certeau, 1975) : des cadres de référence familiers servent à orienter les pratiques et à définir les valeurs propres à un champ émergent[10]. Dans le cas qui nous occupe, ces modèles sont : le concert et l’opéra; le salon; les pratiques amateurs domestiques. Un quatrième domaine de la vie musicale à la fin du XIXe siècle est à mentionner : celui des pratiques amateurs collectives, souvent populaires (orphéons, fanfares), mais il est peu visible dans les sources que nous avons pu consulter – probablement en raison de sa moindre légitimité culturelle; pour cette raison, nous ne nous y attarderons pas. Ces modèles s’entremêlent dans la mise au point de pratiques, normes, manières de faire, dispositions.

Ainsi, le modèle du concert (mais qui est aussi partiellement celui d’un salon qui se démocratise) est convoqué explicitement par les gramophiles dont un sujet d’échange privilégié est la question du « programme » des soirées : quelle doit être la longueur du « récital »? Faut-il privilégier un thème, un instrument, un interprète, ou au contraire jouer sur la variété pour ne pas « lasser son auditoire »? Faut-il alterner pièces « légères » et pièces plus « sérieuses »? Faut-il ménager un « entracte » et servir des boissons? Faut-il plonger l’auditoire dans l’obscurité?

Outre la question du programme, le modèle du concert est visible dans l’identification de l’opérateur du gramophone au « maestro » de la « performance » – entendez, au chef d’orchestre : il faut remonter correctement le moteur (alors que l’appareil n’est pas encore équipé d’un moteur électrique) et régler la vitesse de rotation afin d’obtenir un diapason juste, orienter correctement le pavillon, trouver l’emplacement de l’appareil dans la pièce qui assure un effet acoustique optimal, disposer éventuellement des tentures et, à partir du milieu des années 1920, intervenir de façon réfléchie sur le volume de reproduction sans tomber dans le biais de vouloir atteindre un « réalisme cru » qui serait « de mauvais goût » (dans le cas d’œuvres symphoniques « jouées » fortissimo au détriment du plaisir d’écoute).

Le modèle des pratiques amateurs domestiques est quant à lui visible dans l’omniprésence de l’expression d’ « instrument de musique » pour qualifier la machine comme dans celle de « jouer » du gramophone. Si ces expressions sont utilisées dans les publicités, elles circulent largement dans les échanges entre amateurs et il est difficile de savoir lequel des deux univers inspire l’autre. Au demeurant, peu importe : le succès attesté des pratiques amateurs domestiques à la fin du XIXe siècle et le fait que ce modèle soit si largement convoqué par les gramophiles permet de penser que les publicitaires ne l’auraient pas utilisé sans écho potentiel auprès du public cible. L’identification au musicien amateur est très claire. Elle comporte plusieurs enjeux dont la convergence explique l’importance de ce modèle pour inventer la pratique musicale phonographique.

Tout d’abord, si les technologies, comme promesses de progrès, font l’objet d’un fort investissement dans les champs industriel et scientifique à l’époque de la révolution industrielle et du positivisme, il n’en est pas de même dans le champ artistique : leur apparente incompatibilité avec le paradigme de la création unique, artisanale et originale – dont les sources sont bien antérieures au romantisme – en rend l’adoption difficile. Ainsi, la photographie, sœur aînée de la phonographie, a-t-elle fait l’objet de controverses sur l’objet – reproduction précise ou création – et le statut – artistique ou non – de sa pratique, le tout dans le cadre de la problématique de la reproduction d’un original (Gunthert, 1999, 2002; Benjamin, 1973). C’est également dans ce cadre que s’inscrit la critique de la culture de masse, dans une assimilation fréquente entre standardisation de la production à l’origine d’une perte d’ « aura » de l’œuvre, et uniformisation de la réception devenant consommation (Benjamin, 1973; Heinich, 1983; Latour et Hennion, 1996; Jouvenet, 2002). Bref, le projet de faire du phonographe un médium musical appelle un travail de légitimation. Si, dans la production publicitaire, la qualification « d’instrument de musique », le recours à la terminologie de la lutherie, la mise en valeur de matériaux nobles associés à l’artisanat (bois), mais aussi l’imagerie dénotant l’univers du concert servent un tel objectif, du côté des témoignages des amateurs, on observe la mise en place d’une activité faisant de la technique (réglages divers de l’appareil, ajustement entre aiguilles et types de musique) le fondement d’une performance artistique réussie : les échanges abondent entre amateurs qui font part de leurs « trouvailles », résultats esthétiquement satisfaisants d’expérimentations techniques (Maisonneuve, 2001b, 2007, 2009b). Le développement, par la pratique, de compétences techniques à des fins musicales est analogue à celui auquel travaillent les musiciens amateurs « traditionnels » : « jouer » du gramophone requiert l’acquisition d’une virtuosité technique forgée par la répétition d’expériences outillées par une écoute critique. Dans ce cadre, le modèle des pratiques amateurs domestiques opère un changement du statut de la machine et fait de ses opérateurs – tant dans les discours que dans les pratiques, dispositions et compétences – de véritables musiciens. Pour les gramophiles, l’enjeu n’est donc pas simplement de légitimer la technologie mais de s’affirmer comme artistes – modèle ô combien admiré – et d’insister sur la créativité dont ils font preuve, à l’aide des compétences techniques spécialisées (i.e. de la virtuosité) qu’ils ont acquises, enjeu d’autant plus important qu’une part non négligeable d’entre eux n’avait jusqu’alors, pour des raisons financières, de temps libre ou symboliques, pas eu accès à une pratique musicale en amateur. Mais le recours des gramophiles au référentiel de la pratique musicale domestique ne doit pas être lu uniquement à travers le filtre de la lutte pour la légitimité : il leur sert de cadre pour inventer des « arts de faire » de la musique.

Par ailleurs, en devenant un instrument de pratique musicale domestique, le gramophone s’inscrit dans un univers traditionnel traversé par des enjeux de genre : dans l’Europe des XVIIIe et XIXe siècles, la pratique instrumentale domestique – et notamment celle du piano auquel le gramophone est volontiers associé – est considérée comme un domaine d’activité féminin (« Manliness in Music », 1889; Loesser, 1954; Ehrlich, 1976; Leppert, 1993, 1995; Chimènes, 2004) : la séparation entre espace public et espace privé suit alors les lignes de la distinction des genres (Walvin, 1978, p. 318). En s’appropriant le gramophone comme « instrument de musique » à « jouer » tant dans des espaces publics (réunions de sociétés d’amateurs) que, de plus en plus, dans l’espace privé, les gramophiles bouleversent la définition genrée de la pratique musicale. Certes, l’imagerie et le discours publicitaires contribuent à cette définition, qui représentent et valorisent systématiquement l’homme comme maître d’un nouveau plaisir musical à offrir à ses proches. Mais cette adresse masculine vise à rassurer un public de consommateurs des technologies déjà clairement identifié comme masculin (Marvin, 1988; Méadel, 1994; Sterne, 2003) et à l’inciter à une synthèse assumée entre plaisir de la manipulation et de la compétence techniques et intérêt pour la musique, en une période, déjà signalée, d’essor des loisirs et notamment d’une pratique musicale de loisirs (kiosque, opéra, café-concert un peu plus tard, orphéons et fanfares). Cependant, cette adresse ne « prendrait » pas sans un investissement des consommateurs eux-mêmes, qui se produisent activement comme amateurs d’une toute nouvelle pratique musicale : ce sont eux qui réalisent l’articulation entre sociabilités masculines préexistantes (réunions extra-domestiques de sociétés d’amateurs; lecture de journaux et participation à leurs forums de discussion[11]) qu’ils investissent au bénéfice de leur nouvelle passion, manipulation technique experte et pratique artistique domestique à laquelle ils confèrent, ce faisant, une signification nouvelle. Cette appropriation masculine de l’espace musical domestique se lit notamment dans le succès des premiers enregistrements de fanfares et autres sonneries de chasse mais, surtout, dans l’identification récurrente des gramophiles au chef d’orchestre : cette fonction musicale, éminemment masculine, se fonde dans la « maîtrise » de la performance musicale (notamment d’un répertoire symphonique) et dans la responsabilité de la programmation – l’opérateur est tout autant directeur musical que chef d’orchestre. La pratique musicale domestique devient affaire de maître, mais cette inscription autorise en même temps l’expression d’une sensibilité esthétique, qui s’exprime dans une articulation étroite à l’expertise technique.

Finalement, on peut faire l’hypothèse que cette nouvelle articulation entre espace domestique et communauté d’échange extra-domestique (à travers les colonnes des revues d’amateurs et les réunions de gramophiles) contribue à rendre plus poreuses, sinon les démarcations de genre, du moins dans un premier temps les délimitations spatiales de la pratique musicale.

C’est donc à partir de modèles préexistants retravaillés et articulés par les amateurs à de nouvelles situations pratiques que s’invente l’écoute phonographique.

Mais ce faisant, ce sont bien également des dispositions qui se forment – attentes vis-à-vis de ce moment d’écoute et vis-à-vis des émotions à en retirer, développement d’une sensibilité et d’exigences auditives inédites, étroitement associées à une expertise technique. Ainsi, le quatrième mais non moins important processus sur lequel repose l’invention du disque comme médium musical est l’invention d’une écoute nouvelle, articulant les dimensions technique et esthétique.

Avec le phonographe, l’écoute musicale est à redéfinir. Le fait le plus souvent mentionné dans l’historiographie est que l’auditeur est privé de la vue et de la présence de l’interprète. De fait, c’est un élément très souvent évoqué par les auditeurs, à la fois fascinés d’entendre chez eux un interprète (éventuellement célèbre) en son absence, et désemparés par l’absence de repère visuel familier de l’écoute : où porter son regard? Faut-il regarder la machine ou au contraire la masquer sous un voile? On est tout à la fois fasciné par « l’illusion du réel » et pris de doutes sur l’authenticité de l’enregistrement attribué à tel interprète. Mais la redéfinition de l’écoute comporte bien d’autres aspects, à commencer par sa dimension acoustique : pour « fidèle » que puisse être la reproduction, le son entendu n’est pas celui auquel l’auditeur de concert peut être habitué. De façon générale, les « formats musicaux » (notamment acoustique, temporel, mais aussi les types d’arrangements)[12], bien qu’inspirés de formats préexistants (le pot-pourri, l’air d’opéra, la réduction pour piano), sont inédits dans l’articulation spécifique de leurs différentes dimensions.

Ainsi, les témoignages des amateurs du début du XXe siècle permettent de reconstituer cette activité d’invention d’une écoute nouvelle, qui comporte trois facettes et s’ancre largement dans le rapport à la machine, éminemment « opaque » (Marin, 1989), au double sens d’obstacle à une écoute « transparente » (vécue comme naturelle) et support de nouvelles pratiques et expériences.

Il s’agit tout d’abord de définir les gestes et dispositifs techniques assurant les conditions de possibilité de cette écoute : remonter correctement le moteur, régler la vitesse de rotation, choisir la bonne aiguille, orienter correctement le pavillon sont autant de questions sans cesse discutées entre amateurs. Mais il faut également apprendre à se mettre en disposition d’écoute : trouver le bon moment, ajuster le morceau choisi à l’humeur ou à la situation (matin en se rasant; à l’heure du thé, en veillée); faire quelques « concessions », i.e. être prêt à écouter le gramophone et se dire que l’on n’écoute pas un concert dans une salle; se rendre sensible à la dimension acoustique de la performance :

[…] Un peu de gloire rejaillit sur nous. Nous avons collaboré à l’exécution en donnant trois tours de manivelle à la musique automobile et en abaissant avec précautions sur le bord du disque, le diaphragme dont le petit soc d’acier va fouiller délicatement les sillons. […] Tout cela nous donne la sensation de mieux posséder un chef-d’œuvre, d’en faire le tour, de le palper en en explorant toutes les sinuosités, tous les reliefs, tous les méplats, tous les luisants et tous les volumes. Nous le tenons dans le creux de nos paumes. Il est plus à nous que lorsque nous en humons seulement le parfum lointain dans une salle de théâtre ou de concert. (« La Discophilie », 1928)

Se forme donc bien, en ces années 1920-1930, un « art de l’écoute », revendiqué haut et fort par les amateurs. Cet « art », on peut le caractériser comme capacité experte à ajuster dispositif technique et disposition d’écoute pour faire advenir l’émotion. Cette activité créative de l’amateur se décline selon toute une palette de ressources convoquées selon les moments, les morceaux, les situations… elle se joue dans l’articulation dynamique entre « prendre » (recourir à/préparer le dispositif de la façon la plus précise et maîtrisée possible) et « être pris » (être ému).

Ce faisant, c’est un rapport inédit à la musique qui se définit, appuyé sur la recherche fine, poussée, du plaisir esthétique par une attention inédite au son, mais aussi à l’ajustement entre la situation, la disposition dans laquelle on est, et le dispositif technique. Par leurs expériences répétées, analysées et partagées, les premiers gramophiles – les plus investis en tout cas, ceux dont on a pu retrouver des témoignages écrits – ont contribué à faire de la phonographie le support d’une pratique culturelle au cœur de notre quotidien. Ils sont bien co-inventeurs du « disque », i.e. d’un médium musical radicalement nouveau. Par une activité réflexive intense et partagée[13], ils ont inventé des dispositifs d’écoute et se sont inventés comme auditeurs d’un nouveau type, dotés d’une sensibilité inédite à des dimensions de la performance musicale jusque-là marginales.

Or, dans ce processus, l’échange avec les pairs a joué un rôle important : en tant que « early adopters » (Rogers, 1962), les premiers gramophiles ont collectivement éprouvé des manières d’utiliser la machine, des manières d’écouter, mais aussi et ce faisant, des manières d’aimer la musique – ils ont, collectivement et progressivement, créé un nouveau « monde » musical[14].

L’amateur, créateur d’une « cité »

En effet, l’amateur n’est pas seulement inventeur d’une écoute nouvelle et de nouvelles pratiques culturelles, il est aussi, avec ses pairs, créateur d’une « cité » (Boltanski et Thévenot, 1987; Boltanski et Chiapello, 1999; Thévenot, 2006) : d’un univers qui rassemble, autour de valeurs, de pratiques, de représentations partagées, un collectif d’amateurs.

On inscrit souvent l’essor de la figure de l’amateur dans celui de l’individualisme contemporain (Donnat, 2009a; Flichy, 2010) en soulignant le « caractère profondément individuel » de cette pratique « autonome et subjective ». Certes, cette dimension est centrale, qui fait de la passion un élément central de la construction de soi, mais celle du partage l’est tout autant. Les amateurs sont rarement isolés – que ce soit à l’heure de l’Internet (Allard, 2005; Delaunay-Teterel et Cardon, 2006; Beuscart, 2008; Beuscart et Cardon, 2009; Maisonneuve, 2009a; Beaudouin, 2011) ou à celle du salon (du XVIIIe au début du XXe siècle) et des orphéons (Leppert, 1995; Gerbod, 1980; Dubois, Méon et Pierru, 2009; Chimènes, 2004).

Dans le cas de l’histoire du « disque », on observe une intense activité d’échange dans les années 1920-1930. Dans ce monde incertain, en pleine formation, où les gestes comme les objets techniques et les dispositions ne sont pas encore routinisés ni même stabilisés, ces échanges participent à l’invention d’un nouveau monde culturel – ensemble d’objets, de dispositions, de valeurs, de pratiques et d’agents en réseau.

Les sources permettent de reconstituer deux réseaux étroitement intriqués qui organisent les relations entre amateurs : les sociétés d’amateurs et les revues. Sans prétendre que leur activité soit représentative de l’ensemble de l’activité gramophilique – il faudrait y ajouter les échanges quotidiens et informels entre proches, malheureusement non documentés du fait de leur caractère non institutionnalisé –, on peut les considérer comme pertinents pour l’analyse dans la mesure où, accueillant les échanges des acteurs les plus engagés, ils ont probablement joué un rôle décisif dans le développement de la phonographie comme activité culturelle au XXe siècle. En effet, ces gramophiles ont non seulement travaillé activement à l’invention de pratiques, dispositifs et valeurs, mais cette activité, observée de près par les compagnies (des représentants des firmes participent parfois aux réunions d’amateurs en prêtant des appareils et, très probablement, lisent dans les revues les comptes rendus de telles réunions), a pu peser de façon décisive sur le travail collectif de définition du médium. On analysera ici plus spécifiquement le cas britannique, abondamment documenté.

The Gramophone est la première revue d’amateurs britannique[15] : mensuelle, elle est fondée en 1923 par des amateurs (l’écrivain Compton McKenzie notamment), pour des amateurs et laisse une large place à l’expression et à l’échange entre amateurs, à travers diverses rubriques : correspondance, « notes and queries » (où les lecteurs demandent fréquemment aux autres quels disques ils recommandent ou quels sont leurs disques préférés), « the Forum » (à partir de 1925, consistant en articles soumis par des lecteurs de la revue), « The gramophone exchange and mart » (petites annonces pour des échanges et ventes entre lecteurs) et, enfin, « societies reports », comptes rendus de réunions de sociétés d’amateurs consignant les programmes des enregistrements auditionnés lors de chaque séance et rapportant les discussions les ayant accompagnées, « pour servir les lecteurs qui aimeraient avoir des suggestions pour compléter leur collection »[16]. Si les critiques en voie de professionnalisation, les agents commerciaux et les musicologues ont aussi leur place dans cette revue, elle apparaît comme le point nodal d’un réseau d’amateurs en formation, leur offrant un forum stable (par des discussions poursuivies d’un numéro à l’autre) pour confronter, définir, vérifier et consolider un ensemble de pratiques, de compétences et de dispositions.

Les premières sociétés d’amateurs apparaissent dès 1911, mais leur essor se situe dans les années 1920, aboutissant en 1926 à une fédération[17]. Elles se réunissent à un rythme mensuel ou bimensuel. On y vient pour écouter des disques, trouver des conseils, faire des « découvertes », faire part de ses passions et émotions, éventuellement échanger ou vendre ses disques. Outre le fait qu’elles permettent l’audition régulière et renouvelée d’enregistrements variés, ces réunions sont l’occasion de discussions sur les critères de choix d’un disque, sur ceux d’un programme d’audition, sur les logiques d’acquisition et d’organisation des collections, sur le réglage technique du gramophone et le choix des aiguilles.

Au sein de ces réseaux intriqués circulent non seulement des objets (disques, aiguilles, gramophones) mais aussi, leur donnant sens et valeur, en permettant l’évaluation, l’appropriation, la reconnaissance, des discours de types variés (avec une insistance, selon les agents, leur parcours et leur réseau d’appartenance, sur l’œuvre et les « classiques » incontournables, sur le plaisir, sur l’interprétation ou sur la qualité technique de l’enregistrement). Ceux-ci, à leur tour, définissent des agencies : dispositions et modes d’opération appropriés par les agents, qui leur permettent de construire leur rapport à la musique enregistrée. Ces discours contribuent en effet à fixer des catégories pour penser l’objet de l’écoute mais aussi pour expliciter, objectiver et donc pouvoir reproduire l’émotion, le plaisir et ses ingrédients. Cette dernière fonction s’accomplit notamment à travers les témoignages de passion, de conversion ou d’émotion ponctuelle à l’audition de tel ou tel disque ou telle ou telle musique, qui sont une figure récurrente de cette production discursive[18]. On retrouve ici les étapes et composantes de la construction de l’expertise, qu’elle se déploie dans le champ de la drogue, de la mélomanie ou de la contrefaçon (Becker, 1988; Hennion, Maisonneuve, et Gomart, 2000; Bessy et Chateauraynaud, 1995) : apprentissage technique, reconnaissance et qualification des effets, aptitude à reproduire les opérations pour faire advenir le plaisir sont autant de conditions requises pour limiter l’incertitude de sa performance.

Ces catégories et valeurs véhiculées par les conseils et récits d’expérience équipent ainsi l’activité du gramophile : ils offrent un point d’appui au développement d’une activité individuelle d’amateur. En effet, l’apprivoisement d’un objet personnel et la définition de goûts hautement individualisés tout comme de principes de collection et catégories d’appréciation s’opèrent en partie à travers l’échange et le rattachement à des pratiques communes. Nombreux sont les lecteurs qui s’appuient sur les témoignages d’autres lecteurs pour choisir leurs disques, définir des « programmes » ou des types d’écoute; inversement, nombreux sont aussi les conseils, listes de disques, spontanément offerts à la publication par les amateurs : le partage de goûts personnels est un élément central de l’activité discophilique et, à ce titre, un moteur dans la définition de pratiques et dispositions nouvelles. Les participants incorporent le produit de ces échanges à leur univers esthétique et culturel pour alimenter leur propre pratique d’écoute.

Mais, ce faisant, ils contribuent à définir une « cité » ou plutôt un « monde » (Boltanski et Thévenot, 1991)[19] appuyé sur des expériences partagées, sur des objets collectivement reconnus et éprouvés, sur des principes communs : l’intensité des échanges contribue peu à peu à la cohésion du réseau discophilique, lui permettant de s’accorder, d’ajuster objets et dispositifs techniques, gestes et compétences techniques, dispositions d’écoute et évaluation tant des dispositifs que de leurs effets. Par ces rencontres et échanges (matériels et discursifs), ce sont des catégories qui sont forgées, sur lesquelles les membres du « forum » se mettent d’accord (ou non), des objets qui sont sélectionnés (types d’aiguilles ou de diaphragmes) ou inventés (la discothèque/la collection) et intégrés au « monde » en construction, des valeurs qui sont promues (l’émotion fondée sur le son), des savoir-faire qui sont partagés, des dispositions qui sont développées, le tout par une mise à l’épreuve du collectif (on teste et commente collectivement, on organise des votes).

À ce titre, on ne peut qu’être frappé, en feuilletant les revues de gramophiles des années 1920 et 1930, par la récurrence incessante des « concours » qu’elles organisent ou dont elles se font l’écho (à travers les comptes rendus de réunions de sociétés d’amateurs), ce qui suggère qu’ils sont investis d’une signification très forte par les acteurs. Ces « concours » proposent à chaque lecteur de soumettre une liste de disques en réponse à une question particulière (les douze meilleurs enregistrements de telle firme, de tel interprète ou de tel genre musical, les quinze meilleurs disques à prix moyen, les dix disques préférés, etc.); celui dont la liste s’approche le plus de la majorité des réponses obtenues est le « vainqueur » et se voit généralement offrir un disque. Non seulement ces compétitions cimentent un sentiment d’appartenance à ce nouvel univers d’amateurs et le légitiment en lui donnant sa visibilité et en affirmant de nouveaux critères de choix des œuvres et de nouvelles pratiques d’écoute, mais, en mettant au premier plan l’affirmation de goûts et de plaisirs nouveaux appuyés sur des régimes de justification spécifiques (l’émotion esthétique résultant de la manipulation technique et de la connaissance pratique des situations et dispositions d’écoute de l’auditoire) eux-mêmes mis à l’épreuve par le vote, elles constituent (au sens politique) un nouveau monde d’amateurs avec ses règles, goûts et pratiques articulés à des objets et situations nouveaux.

Certes, cette « cité » n’est pas homogène, sans doute peut-on même parler de « cités ». En effet, les échanges ne sont pas toujours consensuels, comme l’attestent notamment deux importantes controverses du milieu des années 1920 : celle qui concerne le choix des aiguilles (métalliques ou de bambou) et oppose « réalistes » et « romantiques » et celle, immédiatement subséquente, qui divise partisans de et opposants à l’enregistrement électrique (Maisonneuve, 2009b, p. 153 et s.). Outre ces deux événements marquants, il est fréquent de voir se constituer des groupes lors des réunions d’amateurs, généralement marquées par une grande liberté d’expression : les partisans d’une écoute esthète se distinguent, sans forcément s’y opposer d’ailleurs – ils peuvent les rejoindre au gré de leurs attentes concernant l’écoute du gramophone – des adeptes du divertissement ou des plus intéressés par les aspects techniques du dispositif de performance.

Ainsi, plusieurs collectifs provisoires se forment, qui partagent certains principes, pratiques et représentations, mais qui se distinguent par d’autres (romantiques versus réalistes; esthètes versus tenants du divertissement). Il est important de préciser que ces collectifs ne sont pas figés, de même que les individus n’appartiennent pas de façon définitive à tel ou tel groupe : selon les situations d’écoute – amis invités, écoute familiale ou solitaire, soirée festive ou moment de recueillement, etc. – ceux-ci peuvent adopter l’un ou l’autre des ensembles de dispositions caractérisant ce qu’il conviendrait mieux de qualifier de configuration dispositionnelle. Ainsi, ces argumentaires ne caractérisent pas des identités, mais se rapportent à des situations; ils ne sont pas propres à des collectifs figés, mais se réfèrent à des « cités ».

On peut distinguer trois univers (ou configurations) dispositionnels se référant à trois types de « cités » : un univers technicien, relevant de ce que Boltanski et Thévenot ont identifié comme « cité industrielle »; un univers esthète relevant plutôt de la « cité inspirée »; et un univers du divertissement à rattacher à ce qu’on pourrait qualifier de « cité hédoniste ». Le premier se caractérise par un attachement à la manipulation technique de l’appareil, par une forte attention aux questions de choix et de réglage des composantes du dispositif technique – questions mises à l’épreuve par des tests répétés et discutés –, l’ensemble devant garantir une performance acoustique optimale (la technique au service du son); le second se construit autour de valeurs de références comme l’émotion et l’intériorité, par une identification du gramophile à l’artiste et par le dénigrement du réalisme de la « reproduction sonore » au profit d’une expérience pour elle-même; le troisième, enfin, se fonde sur la recherche de la performance d’un moment agréable pour soi et/ou pour ses invités, à partir d’une expertise de l’articulation entre situations, dispositions et attentes des auditeurs, et programmation.

Ainsi, à partir d’un même ensemble d’objets (convoqués et articulés éventuellement différemment), au sein réseaux partagés, se développe une pluralité de « cités », de manières de faire exister la phonographie comme activité culturelle, schématisables comme suit[20] :

Cité industrielle inspirée hédoniste
Figure de référence technicien expert artiste maître de cérémonie
Finalité « perfection acoustique » émotion esthétique divertissement
Instruments privilégiés/ critères dispositif technique « interprétation » : ajustement entre caractère de l’œuvre et dispositif technique caractère et assemblage des morceaux

Ces différentes cités ou configurations dispositionnelles ne sont pas en opposition : à l’exception des controverses mentionnées ci-dessus, dans lesquelles les agents sont sommés de choisir entre deux technologies en se référant à deux « cités » bien distinctes, ces différents régimes se présentent plutôt comme des viviers symboliques et pratiques dans lesquels les agents puisent pour créer leur activité, y trouver sens et plaisir. Ainsi, la médiation technique n’est pas l’exclusive de la cité industrielle; elle est notamment présente chez l’opérateur « artiste », pour qui elle est une composante de l’interprétation et sert la finalité esthétique; de même le maître de cérémonie veille au choix d’aiguilles adaptées à sa soirée (de métal – plus sonores – pour une soirée dansante par exemple).

Il semblerait ainsi que ces « cités » gramophiliques s’appuient sur des paradigmes préexistants à partir desquels les gramophiles construisent leur rapport à la machine et à la performance musicale. Tout en leur permettant de donner un sens à leur pratique, ces paradigmes sont réinventés à partir de cette configuration sociotechnique spécifique : l’activité artistique (relevant de la cité inspirée) intègre par exemple certaines ressources du gramophone, qu’elle peut éventuellement détourner, développer, mettre en relation avec des finalités spécifiques, non prévues par ses premiers concepteurs. Ces paradigmes se trouvent également articulés de façon nouvelle : la définition d’un « bien commun » (Boltanski, 1990a; Boltanski et Thévenot, 1991) – le plaisir d’une activité musicale domestique de loisir – autour d’un médium, de situations de loisir et de l’ajustement entre dispositif technique et disposition d’écoute, permet la coexistence de ces cités dans un monde partagé, organisé autour de l’écoute phonographique.

J’aimerais pour conclure revenir sur la question du statut de l’acte créatif et sur la distinction habituelle entre création et créativité. À l’heure où la revendication d’un statut artistique se répand pour de nombreuses activités et leur sert de légitimation (Heinich et Shapiro, 2012), où les frontières entre professionnel et amateur tendent à se brouiller (Leadbeater et Miller, 2004; Flichy, 2010; Beaudouin, 2011), il peut être utile de s’interroger sur l’enjeu de cette aspiration à la reconnaissance d’un statut de créateur : sommes-nous tous créateurs? Finalement, pourquoi vouloir être reconnus comme créateurs? Avons-nous besoin d’être créateurs pour que notre activité ait de la valeur (à nos yeux comme à ceux des autres)?

Mon propos n’est pas ici de discuter de la définition de l’acte créateur, ni d’aborder les questions juridiques y afférentes[21] – ceci nous conduirait trop loin et au-delà de mes compétences. Je voudrais simplement attirer l’attention sur les enjeux sous-jacents à cette qualification : ne s’agit-il pas finalement, avec elle, de reconnaître une place à l’amateur, au simple usager, au simple citoyen?

Il est vrai que le romantisme a exclu l’amateur du champ artistique légitime et de toute pratique artistique digne de ce nom – du moins en France (Lefebvre, 2015) – et que cette idéologie empreint encore fortement les mondes de l’art aujourd’hui. Or, une émancipation de l’idéologie romantique passe peut-être plus par la légitimation des « simples » pratiques amateurs que par la tentative de faire reconnaître toute activité comme « créatrice ». Quelle que soit la définition que l’on retienne de ce terme, il semble que l’on puisse se dispenser de juger les pratiques amateurs à l’aune du régime de l’activité professionnelle : ce qui est en jeu est différent.

En effet, l’amateur peut se définir comme celui ou celle qui cultive sa passion, recherche les ressources pour la développer, la renouveler sans cesse, en s’appuyant sur diverses médiations, dont l’inscription dans un collectif (Hennion, Maisonneuve et Gomart, 2000; Maisonneuve, 2009a). L’amateur aussi conduit une « carrière » (Djakouane et Pedler, 2003; Maisonneuve, 2009a), de façon plus ou moins active, par phases le plus souvent faites de rencontres imprévues et de stratégies longuement éprouvées, une carrière qui lui est propre et s’appuie sur des points de passage différents de celle du professionnel. Il privilégie « l’activité productrice, le plaisir, l’apprentissage, le cheminement, plutôt que le produit lui-même » (Flichy, 2010, p. 90)[22]. Il est donc bien créatif, inventif, en recherche perpétuelle (ou presque : ce n’est pas un dictat et il sait volontiers « se laisser prendre » en jouant d’une certaine passivité). Ce qui importe pour lui, c’est ce que lui apporte son « commerce » avec l’art : plaisir, émotions, sens, partage.

Cette singularité de la créativité amateur ne signifie pas qu’elle vaille moins que celle du professionnel – elle vaut certes moins sur le marché de l’art, mais elle a une valeur pour l’amateur, pour la société, pour le collectif dans lequel elle s’inscrit et qu’elle contribue à faire exister. Reconnaître la valeur de l’activité amateur, c’est reconnaître son importance dans nos sociétés, non pas simplement comme consommateur d’art, figurant, récepteur d’une politique culturelle ou artistique (Bordeaux, 2010), mais comme agent décisif de la vie culturelle et du « faire société ».

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  1. Selon cette dernière étude, 23 % des Français déclarent avoir eu une activité créative sur l’ordinateur ou sur l’Internet en 2008.
  2. Le script désigne le plan d’usage d’un objet prévu par le concepteur et que l’utilisateur aménage, voire réécrit, en fonction de ses attentes, besoins, et du dispositif dans lequel il inscrit l’objet.
  3. Dans le champ de l’histoire des technologies, (Marvin 1988) constitue une référence pionnière.
  4. La genèse du phonographe ne se réduit pas à une invention soudaine mais notre objet ici n’est pas d’en reprendre les détails.
  5. « 4. La musique – le phonographe sera sans doute largement voué à la musique ». Cette liste, célèbre, fut publiée dans la North American Review en juin 1878; elle a été notamment citée par Gelatt (1955, p. 29).
  6. Pour plus de détails, cf. (Maisonneuve 2009b, chapitres 1 et 3); et sur l’histoire du disque en général, Gelatt, 1955; Read et Welch, 1976; Chanan, 1995; Sterne, 2003.
  7. Pour les conforter dans leurs dispositions, ces solutions sont présentées aux consommateurs comme « améliorations décisives » d’un médium « en soi », déjà là, comme si son usage et sa fonction avaient toujours été transparents, ce qui contribue à la mythologie du progrès et à l’essentialisation du « disque ».
  8. Sur la notion de fidélité, voir Maisonneuve, 2009b, p. 172-182; Thompson, 1995; Sterne, 2003; Delalande, 2001; Ribac, 2004.
  9. Cf. les travaux de W. Benjamin, Th. Adorno et M. Horkheimer.
  10. Sur la notion de cadre (dans un sens plus étroit et technique que ce que propose de Certeau) : Goffman, 1991.
  11. Nous avons montré (Maisonneuve, 2009b) le caractère très genré des sociabilités gramophiliques.
  12. Sur la notion de format (Maisonneuve, 2009b, p. 103-131).
  13. Ce caractère actif et réflexif de l’amateurisme n’est bien sûr pas présent chez tous, mais il est marqué chez les « first users » que nous avons étudiés et qui jouent un rôle décisif dans le processus d’innovation — cf. (Katz et Lazarsfeld, 1955) et la notion de « premiers cercles » dans la sociologie de l’innovation.
  14. La notion de « monde », plurivoque en sociologie, est d’utilisation délicate. Nous la retenons tant dans l’acception forgée par H. Becker (1988) – c’est bien un « monde » collectif et hybride de l’art qui se constitue alors, dans lequel la musique existe tant par le fait des musiciens professionnels que par celui des mélomanes, des agents commerciaux, des ingénieurs, des journalistes, des objets et des compétences nécessaires à leur manipulation – que dans celle qu’en proposent L. Boltanski et L. Thévenot pour désigner l’incarnation concrète des « cités » qu’ils analysent (cf. infra).
  15. The Gramophone (1923-1985); The Sound Box (1919-1920) se limite au district de Liverpool et est relativement éphémère; The Gramophone Record (1933-1953) apparaît plus tard et connaît une longévité moindre.
  16. The Gramophone, vol. VII n°2, juillet 1924, p. 67.
  17. On en dénombre 48 en 1927 et environ 30 en 1936 pour un total de 1500 membres.
  18. Ainsi : « On that Easter Day, which will always stand out in my mind as the first of a long series of “Noctes Gramopphonicæ”, I heard, I should think, some fifteen or twenty records; and any scepticism which I may have felt had vanished long before the first record was completed. It was clear at the very outset that the gramophone, as an instrument, had capabilities of which I had never dreamt. The beauty of tone, the mellowness, the clearness, were wonderful. » (A Convert 1924).
  19. Tandis que la « cité » désigne un régime de justification assis sur des principes communs (un type d’argumentaire), le « monde » se rapporte à cette cité en situation, arrimée à des « êtres » concrets (objets constituant des points de repère communs).
  20. Ce tableau ne prétend pas à l’exhaustivité, il recense les configurations dispositionnelles les plus fréquentes et visibles.
  21. Celles-ci sont nombreuses et brûlantes à l’heure où se multiplient les créations associant amateurs et professionnels et où ceux-là publient en ligne leurs propres productions : faut-il rémunérer ces activités? Breveter leurs innovations? Rémunérer toute participation ou contribution à la vie culturelle?
  22. Cette définition doit être nuancée : elle ne s’applique pas à toutes les situations et, inversement, le cheminement est également bien sûr très présent chez le professionnel.

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