Les amateurs et amatrices dans la création : pratiques, actions, institutions

16 Les Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation

Entretien avec Olivier Leclerc

Marc Lipinski

Olivier Leclerc : Vous avez été vice-président de la Région Île-de-France, de 2004 à 2010. Dans le cadre de vos fonctions, vous avez mis en place les « Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation », dits aussi « Picri ». De quoi s’agit-il?

Marc Lipinski : J’ai été élu au Conseil régional d’Île-de-France et porté à la vice-présidence en charge de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, en 2004, soit peu de temps après un grand conflit dans le monde de la recherche, animé notamment par le mouvement « Sauvons la recherche! ». Cette période a été l’occasion de grandes réflexions sur ce que devait être la recherche, son financement, son avenir en France. Aussi, lorsque j’ai été élu, nous avions déjà beaucoup réfléchi à ce qu’il serait possible de mettre en place et d’expérimenter dans la Région Île-de-France. Un territoire certes limité, mais qui représente tout de même 40 % du potentiel de recherche du pays!

C’est ainsi que sont nés les « Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation » (Picri). Ils faisaient partie d’un ensemble de nouvelles mesures que j’ai proposées à l’Assemblée régionale au cours de l’année 2005. Ces mesures prenaient place dans ce que l’on appelait alors un « rapport de cadrage », qui comportait les engagements pris pour la mandature, soit jusqu’en 2010. Ces propositions avaient été précédées par plusieurs mois de débats avec le monde de la recherche, le monde associatif et les conseillers régionaux.

Les Picri répondaient à l’idée qu’il y a beaucoup à gagner à mettre en place des recherches partenariales. En général, la recherche partenariale se cantonne à des partenariats entre le monde de la recherche et le monde des entreprises avec l’idée qu’il faut promouvoir l’innovation, créer de la valeur et permettre la valorisation économique de la recherche. Ces objectifs sont importants, mais je pense qu’il y a aussi d’autres avantages à valoriser les interactions entre le monde de la recherche et le reste de la société. En particulier en créant des interactions fortes avec le monde associatif qui porte des demandes, des sujets qui peuvent nécessiter de la recherche, des besoins qui ne reçoivent pas de réponses par ailleurs.

Un premier appel à projets fut lancé avec succès dès le printemps 2005. Les projets devaient être portés par un partenariat entre des chercheurs, d’un côté, et des associations, de l’autre. Le jury de sélection était lui aussi composé à parts égales de personnes issues du monde académique et du monde associatif.

La mise en place des Picri est-elle la réponse à un diagnostic d’une insuffisante relation entre l’activité de recherche, qu’elle soit menée dans les sciences de la nature ou dans les sciences sociales, et les préoccupations exprimées par des acteurs associatifs, économiques, militants?

Au début, il y avait beaucoup d’incertitudes. On ne savait pas si les intéressés – le monde associatif et le monde de la recherche – seraient attentifs à ce genre de proposition. Nous avons eu la bonne surprise de recevoir beaucoup de bons projets en réponse à ce premier appel.

Cela révélait une véritable attente dans ces deux milieux pour des mécanismes de financement innovants. Il était clair qu’il n’existait alors aucun autre dispositif susceptible de pouvoir financer des recherches dans lesquelles la demande sociale s’exprimait au même rang que le désir de recherche de tel ou tel chercheur. Les Picri fournissaient donc un outil de financement original, sans équivalent.

Quelle ampleur a pris ce nouvel outil de financement?

De 2005 à 2010, pendant tout le temps où j’ai été vice-président, nous avons lancé un appel à projets chaque année. La première année, j’ai pu allouer une somme d’1 million d’euros. J’ai rapidement obtenu un peu plus d’argent à affecter aux Picri, ce qui nous a permis lors des discussions budgétaires d’atteindre 1,5 million d’euros pour l’année. Ce n’était vraiment pas négligeable! Il faut dire aussi que cela s’inscrivait dans un budget régional consacré à la recherche qui était lui-même en forte augmentation.

Les financements alloués à ce dispositif étaient attribués pour une période pouvant aller jusqu’à trois ans, avec une dépense maximale de 50 000 euros par an, suffisant par exemple pour financer un doctorant ou une doctorante, mais en y consacrant l’essentiel de la subvention. Les financements n’étaient, au final, pas si considérables pour chaque projet pris individuellement.

Après sélection par jury, une dizaine de projets ont pu être financés par an, en moyenne. Certains pour une durée de trois ans, d’autres étaient plus courts. De 2005 à 2015, plus d’une centaine de projets Picri ont ainsi été financés par le Conseil régional d’Île-de-France. Rétrospectivement, cela donne un intéressant panorama des demandes émanant des divers partenaires et de ce que les jurys ont estimé comme méritant d’être subventionné. Le concept des Picri a également essaimé dans d’autres régions, avec des mécanismes plus ou moins analogues en Nord – Pas-de-Calais, Bretagne ou Rhône-Alpes.

Les partenaires associés dans les projets Picri se sont diversifiés au cours du temps. De plus en plus de grandes associations ont montré leur intérêt pour le dispositif. Nous avons eu, par exemple, un projet porté par la mission adoption de Médecins du Monde, un autre par SOS Racisme. C’est peut-être aussi parce que ces grandes associations avaient commencé à disposer de moins d’argent.

Après 2010, celle qui m’a succédé à la vice-présidence en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche en Île-de-France a décidé de prolonger le dispositif. Je siégeais pour ma part au sein du groupe écologiste au Conseil régional et j’ai pu veiller à ce que le dispositif Picri ne soit pas démantelé. Année après année, il a fallu pourtant se battre pour que le budget qui lui était affecté ne soit pas trop abaissé. Aujourd’hui, avec le renouvellement des élus en responsabilité au conseil régional, l’avenir des Picri est loin d’être assuré. Suite aux élections régionales de 2015, la majorité politique a changé dans la plupart des régions qui avaient mis en place un dispositif de type Picri. On ne peut donc qu’être inquiet pour l’avenir de ce type de financement de recherches partenariales dans le pays. Mais les besoins sont là et même ils sont croissants.

Les propositions de Picri doivent associer un partenaire issu du monde de la recherche et un partenaire issu de la société. Cela favorise-t-il l’émergence de sujets de recherche différents, qui n’auraient pas été choisis par les chercheurs sans cette collaboration?

Sans aucun doute! Il n’est pas inutile de rappeler que, dans la recherche, le nerf de la guerre c’est l’argent. Les chercheurs vont donc, le plus souvent, vers des sujets de recherche pour lesquels ils pourront trouver des financements. Il est clair que les sujets qui ont été financés dans le cadre du dispositif Picri n’auraient, pour la plupart d’entre eux, pas trouvé de financements par les canaux classiques. Les Picri ont permis de financer des recherches sur des sujets très divers. Sans surprise, beaucoup de projets ont porté sur la santé et sur l’environnement, les deux thèmes étant parfois liés. Mais parmi les projets de recherche proposés, certains étaient beaucoup plus inattendus. Par exemple, les fauteuils roulants à disposition des personnes handicapées, l’architecture médiévale des cathédrales, les migrations en provenance de certaines régions qui fournissent de gros contingents migratoires en Île-de-France…

Après onze ans de Picri, quels résultats? À mon avis, c’est la question la plus compliquée, et cela pour plusieurs raisons (Lipinski, 2012). D’abord, parce qu’un Conseil régional ne dispose pas d’un grand savoir-faire en termes de financement de la recherche et, en particulier, il n’a pas de capacité d’évaluation propre, indépendante des experts extérieurs auxquels il peut faire appel. Or, ces derniers ne sont pas toujours très disponibles, du moins lorsqu’il s’agit d’évaluer, non pas un projet précis, mais les résultats qu’il a produits. Les acteurs du monde académique évaluent plus des projets que des résultats.

Ensuite, comment évaluer les résultats d’une recherche Picri? Quels seraient les indicateurs pertinents? Dans la recherche classique, on a beaucoup simplifié le processus d’évaluation des chercheurs, en le réduisant aux publications et à leur audience supposée. C’est critiquable pour la recherche en général, surtout lorsque l’impact des publications est apprécié sur un temps très court, et c’est clairement inadapté pour les Picri. Les Picri ont abouti à des publications scientifiques, mais cela n’est pas leur but unique, et pas leur but ultime; ce qui sort d’un projet Picri est de nature beaucoup plus diverse que des publications scientifiques. Ainsi, les Picri ont permis de produire d’autres types de documents. Par exemple, un projet de recherches sur le tissu associatif impliqué dans le commerce équitable a conduit à l’élaboration d’un guide de ce qui existait sur le marché pour promouvoir le commerce ou le tourisme équitable. Dans un autre projet, des acteurs du monde du théâtre étaient associés à des chercheurs en informatique. Cela a permis de réaliser une production théâtrale avec des dispositifs scéniques particuliers. On ne dispose pas d’indicateurs facilement utilisables pour évaluer ce type de résultats.

Le fait que les Picri aient associé des partenaires associatifs et des chercheurs impose aux partenaires de tenir compte des attentes et des manières de travailler de l’autre. Quelles difficultés se rencontrent dans un Picri? Pour le dire plus positivement, quelles sont les conditions d’un Picri réussi?

C’est une question que je me suis longuement posée! Au fond, je crois que les conditions de réussite sont exactement les mêmes que dans un partenariat entre des chercheurs et le monde de l’entreprise. Il s’agit de deux mondes qui n’obéissent pas aux mêmes demandes, aux mêmes contraintes. Pour que le travail commun fonctionne, il faut en passer par une phase d’acculturation commune, d’accoutumance; il faut apprendre le langage de l’autre. Tout cela n’est possible que si l’on prend du temps, et la durée de trois ans d’un Picri n’est pas si longue de ce point de vue. L’une des clés de la réussite c’est que ce temps nécessaire à la connaissance mutuelle ne soit pas occulté. Il faut donner du temps aux Picri pour que cela puisse fonctionner, comme dans tous les partenariats qui impliquent des gens venant de mondes différents, qui obéissent à des règles différentes, qui utilisent des langages différents et qui n’ont pas les mêmes finalités.

Vous êtes un scientifique, directeur de recherche au CNRS en biologie; vous êtes aussi militant écologiste. À ce titre, vous êtes attentif au changement des pratiques, pour aller vers des modes de consommation, de loisir, d’échange plus respectueux de l’environnement. L’association de chercheurs et d’acteurs associatifs vous paraît-elle un moyen d’accélérer la circulation entre les savoirs produits par la recherche et les pratiques?

Aujourd’hui, les chercheurs qui portent un projet de recherche doivent montrer que ce projet aura des retombées sociétales. La plupart du temps, pour les chercheurs en biologie, ces retombées consistent en dépôt de brevets. Finalement, on s’intéresse plus aux retombées économiques et financières qu’aux retombées sociales, non monétaires. Cela fait qu’il est difficile d’apprécier si les Picri accélèrent ou non les retombées sociales des projets de recherche. Un point cependant mérite d’être souligné : pour les associatifs, être confronté à une approche scientifique d’un problème est extrêmement formateur. Cela a été très net dans le cas d’un Picri qui associait des chercheurs en médecine et une association de parents d’enfants bénéficiant d’une greffe de moelle osseuse. Le but du projet de recherche était de définir un cadre qui permette d’améliorer la connaissance de ce qui allait se passer pour des familles qui seraient confrontées à ce genre de situation difficile. Le travail a permis aux acteurs associatifs d’acquérir une vraie compétence sur les pathologies concernées par cette thérapeutique. Ces partenariats aboutissent à un élargissement des capacités d’expertise des populations concernées, de compréhension de sujets éminemment complexes. C’est en cela qu’ils sont remarquables.

LIPINSKI, Marc (2012). Les sciences, un enjeu citoyen : Une politique écologiste de la recherche et de l’innovation, Paris : Éditions Les Petits Matins, 208 p.

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